Chapitre 5

    Nous reprîmes l’ascenseur vers les parkings, moi tirant ma valise, et Culusxan me tirant par le bras comme si malgré le bonnet il savait que je n’avais pas l’intention de le suivre chez son ami. D’ailleurs le bonnet me grattait de plus en plus.
    — N’y touchez pas tant qu’on est dans Paris.
    Ah, parce qu’il avait l’intention de me faire sortir de Paris en plus ?
    Je plaçai docilement ma valise dans le coffre d’une grosse berline grise dont le siège passager avant me parut curieux, et m’installai. C’était un siège pour personne à mobilité réduite. Je décidai que poser des questions pourrait m’aider à gagner sa confiance et trouver une occasion de fuir.
    — Quelqu’un de votre famille est en fauteuil roulant ?
    Je pensais avoir encore droit à un coup d’oeil exaspéré, mais non.
    — C’est chez lui qu’on va. Il a les moyens de vous protéger. S’il est d’accord.
    — Ah, fis-je, comme si je comprenais.
    Je tus la ribambelle de questions qui me virent, surprise qu’il soit aussi volubile tout d’un coup. Humainement parlant - enfin moralement parlant - je ne lui faisais pas confiance. Du tout. Mais il avait l’air beaucoup trop sérieux pour refuser de croire à ce qu’il disait.
    J’attachai ma ceinture et tentais de réfléchir à ma situation tandis que nous quittions le parking et longions les quais vers la Tour Eiffel.
    Je ne me sentais pas en sécurité avec cet homme. Mais s’il avait raison, je ne l’étais pas non plus livrée à moi-même. En plus il savait où j’habitais, l’adresse de ma mère figurait sur ma carte d’identité, et Béné était ma personne à contacter en cas d’urgence à la gendarmerie.
    Non, si je devais m’enfuir il fallait le faire intelligemment. Je regardai défiler les rues et les panneaux.
    — Il habite où, cet ami ?
    — Ecquevilly.
    Zone Gendarmerie. Ça pourrait être pire. Des endroits pour se cacher le temps d’appeler à l’aide.
    — Vous n’avez pas eu le temps de terminer, demanda Culusxan alors que nous prenions le giratoire du Pont de Neuilly, pas très loin de l’hôpital. Pourquoi vous êtes passée de brillante étudiante en médecine à infirmière ?
    Ah merde. Je pensais qu’il avait oublié.
    Je croisai brièvement son regard dans le reflet du pare-brise. Pourquoi est-ce qu’il tenait tant à savoir la suite ? C’était pas assez glauque comme ça ? Qu’essayait-il de me faire dire ? Il avait besoin que je lui dise quelque chose, mais quoi ?!
    Je refusai de répondre tant que je n’arrivai pas à me débarrasser de cette impression qu’il me manquait une pièce au puzzle.
    — Qu’est-ce que ça peut vous faire ? Ça n’a pas d’importance. Je me reconstruis, ma vie me plait, je me suis fait des amis, j’ai même eu un copain pendant trois ans.
    Je tus le fait que le dit copain avait tenté de me convaincre de coucher avec des potes à lui et continuait de me harceler plus d’un an après.
    — Vous avez eu vos règles quand, la première fois ?
    Je toussai.
    — Pardon ?! Vous n’attendez pas de réponse j’espère…
    Je tournai délibérément la tête vers la vitre et regardai défiler La Défense.
    — Vous êtes dérangé.
    Il fallait que je trouve un moyen de fuir. Ce type allait me ramener droit dans mon pire cauchemar.
    — Ne prenez pas ça mal…
    Je plaquai mes mains sur mes oreilles et remontai mes pieds sur la banquette. Ecquevilly. Guetter un moment où sauter de voiture. Me cacher et appeler la gendarmerie.
    Je surveillai la route en essayant de me localiser. Nanterre. Deuxième boucle de la Seine. Saint Germain en Laye. Puis nous roulâmes sur l’A13.
    Je fis semblant d’allumer l’auto-radio et cherchais en vain une alarme de ceinture de sécurité. Vu l’âge du véhicule il y en avait forcément. Autant miser dessus. Je le laissai ré-éteindre Imagine Dragons.
    — Je suis désolé, fit Culusxan avec à peu près le ton qu’avait ma mère quand elle me sortait « please don’t me mad ».
    J’inspirais à fond, plusieurs fois, et regardai défiler les champs. Je n’étais venue qu’une fois par ici. On ne devait plus être loin. L’apparition du panneau sortie « Ecquevilly / D 43 » me donna terriblement envie de faire pipi. Je glissai la main gauche près de l’accroche de la ceinture en prétendant me gratter les côtes.
    J’inspirai à nouveau. Je faisais mon jogging plusieurs fois par semaine, et je n’étais pas dernière quand je partais courir avec les camarades d’Evry, mais Culusxan avait une tête à faire dix bornes par jour tous les matins à 6h avant de rejoindre son bureau.
    La voiture ralentit en entrant dans la ville. Je rongeai mon frein. Je ne voyais pas un arbre, que des alignements de maisons proprettes et de réverbères à LED. Impossible de se cacher ici. J’étais sûre d’avoir vu la forêt pas très loin, mais où ?
    Nous émergeâmes de la ville et prîmes un second rond-point, d’où je vis émerger un chemin agricole.
    Tant pis.
    Je tendis brusquement le doigt vers le bas côté, l’autre main sur l’accroche de la ceinture.
    — ATTENTION ! I shrieked.
    I was already out and rolling on the asphalt, my head between my elbows, when I heard brakes screeching. I pulled myself up, spotted the field path, and ran.
    — Stop ! I heard from behind.
    I sprinted even faster, pulling the anti-telepath slouchie up my brows before I could not see anymore. I was discerning dark shapes against the not so dark sky. Trees.
    I heard steps behind me.
    I was not mistaken, this guy could run. I had to find somewhere to hide before he caught up. I jumped the ditch to what looked like an empty field and scurried through the plow lines, aiming for the trees.
    A hand grabbed my shoulder out of nowhere and suddenly I was rolling on the floor trying to push away hands.
    — Ça suffit ! Vous êtes folle ou quoi ?
    — LET ME GO YOU FREAK !
    — Quoi ?
    I pulled myself up, trying to reach his gun, but the gun was gone, as was Culusxan. And my hat.
    — Vous allez vous calmer tout de suite ou ça va mal finir.
    I barely listened. My head was already starting to burn from the inside. I stepped back and wiped my nose, only to find my hand smudged with blood. Rather dead in a ditch than alive in his hands.
    I threw him a defiant look, turned and ran again.

    Je te jure que j’y suis pour rien. Elle est tarée.    
    Tu as dit que tu ramenais quelqu’un pour un avis, pas qu’il fallait que je fasse venir les urgences !
    Elle a sauté de la voiture en marche !

    I whimpered. Was I dead already ? From the pain in my head I sort of hoped I wasn’t. The voices stopped. So did the pain. Almost.
    I was being moved around. In something that felt like a wheelchair. I pretended I was still out but the voices didn’t come back. Then the chair stopped moving and the rustling died with the clank of a door.
    I opened an eye in a dark room and slowly started to palpate myself. Ok at least nothing seemed broken. And I had all my clothes on. How did I end up sitting here ?
    — Est-ce que je peux allumer la lumière ? Said a male voice with a slavic accent. Si vous avez encore mal à la tête on peut laisser éteint.
    — How ? I tried not to freak out. Really hard.
    — Would you rather speak English ? If you can stand there is a bed next to you, we left your bag and your luggage there. It is 4 am. We all need rest. Nobody will hurt you here. I am going to leave this room now. The door stays open, you’re welcome to roam around, the toilet is in the corridor and the kitchen is yours.
    The door opened to a rectangle of bright light that made my eyes water, and a silhouette rolled out, then paused.
    — Stay here. Here I can protect you. I know you are afraid, but please stay in the house. The octopus will tell me if you leave, but as you can see I am not much for running, and you got Ergis so pissed off he said he would rather sleep at his mom’s place.
    Then the silhouette pulled the door closed and let me wallow in my hows and whys. After a moment I pulled myself up, walked towards the bed that barely stand out in the shadowy environment, guess-found my pepper spray in my bag and collapsed sideways on the bed next to my suitcase.
    I was starting to feel scrapes and bruises, especially on my arms. I had holes in my jacket on my elbows.
    Maybe I would not manage to sleep, but this second telepath sounded like I would actually get some answers in the morning, and if not I had to rest so I could find a way out of this.

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arcadius
Posté le 29/01/2024
Salut,

Visiblement, l'héroïne ne veut pas finir de raconter ce qui lui est arrivé (la suite est pire que se qui a déjà été raconté ?). Il est précisé ici que les études qu'elle faisait avant de se réorienter pour devenir infirmière, or ce n'était pas le cas dans le chapitre précédent, cela me donne l'impression que cela sort de nulle part.

à bientôt
Camille Octavie
Posté le 31/01/2024
Salut,

En fait il y a des indices, et je l'ai mentionné rapidement au chapitre 1 (quand elle introduit Bénédicte en disant que celle-ci a bien compris qu'elle avait des casseroles), mais je conçois que c'est peut-être pas assez bien amené

A bientôt !
arcadius
Posté le 01/02/2024
"Peut-être parce qu’ils sentaient que j’avais eu ma part aussi." ? C'est facile de passer à coté... Et cela n'explique pas pourquoi il n'est pas précisé que c'est en fac de médecine qu'elle était avant son agression...
arcadius
Posté le 01/02/2024
(c'est ça la médecine qui sort de "nulle part", le fait qu'on ne sache pas tout de suite qu'elle avait été agressé, c'est plus naturel, on ne racontes pas ça à tors et à travers, et on n'y pense pas forcément en permanence...)
Camille Octavie
Posté le 01/02/2024
En fait quand elle parle de son amie Bénédicte au début de l'histoire elle dit que celle-ci ne sait pas exactement pourquoi elle a arrêté médecine, mais qu'elle se doute bien que ça a un lien avec le spray au poivre et le pistolet.
Je me note quand même d'essayer d'y faire allusion une fois supplémentaire avant... il paraît qu'il faut faire 3 "allusions" pour que le lecteur ne soit pas trop surpris ensuite
arcadius
Posté le 04/02/2024
Au temps pour moi, l'information est présente. J'avais recherché sans tout relire, mais en effet, ton indication (le mot-clef "poivre" ^^;) m'a permit de retrouver le passage.

Cependant je maintiens que cela m'a fait bizarre au chapitre précédent que la filière dans laquelle elle était ne soit pas mentionné, bien que je comprenne que les 2 personnages savent de quoi il parle, je pense que cela serait mieux que ce soit explicité pour les lecteurs.

Cela n'a pas besoin d'être martelé, mais je crois que préciser "fac de médecine" ou "concours de médecine" une fois porterait moins à confusion.

Camille Octavie
Posté le 05/02/2024
Noté :) il faut donc effectivement une allusion de plus avant ce chapitre ;) Merci !
elinamrtn
Posté le 18/12/2022
Hihi un chapitre avec un peu plus d'action, elle est complétement folle d'avoir sauté de la voiture comme ça !
C'est très bien pensé de transcrire en anglais les pensées et les paroles de la protagonistes quand elle est paniquée ou débordée. Comme c'est sa langue maternelle, c'est celle qui lui vient le plus naturellement dans ce genre de moment et c'est intelligent d'y avoir pensé ! Sans doute existe-t-il une autre raison au fait qu'elle parle anglais par moment, mais c'est ce que moi j'ai compris pour l'instant.
J'ai encore une fois adoré (je fais que de me répéter, je suis désolée haha
Camille Octavie
Posté le 18/12/2022
Oui, c'était complètement fou ! Je suis d'accord XD
(Mais dans son contexte c'est "logique")
J'ai utilisé plusieurs "mécanismes", dont certains qui me font basculer moi d'une langue à l'autre. Le stress c'est effectivement pour elle une bascule importante, mais elle "switch" aussi en fonction de qui parle, du contexte, voir des moments où la phrase lui vient d'abord dans une langue... pas simple la tête d'un biligue XD
elinamrtn
Posté le 18/12/2022
Oui je vois ce que tu veux dire haha ! En tout cas, j'adore !
Camille Octavie
Posté le 18/12/2022
Merci ! C'était un gros risque, je suis contente que ça fonctionne :)
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