Chapitre 4

Par Ohana

Seth se secoua mentalement. Quitte à prendre les mauvaises décisions… Le plus important était qu’il n’était pas mort, jusqu’ici ! 

Le jeune homme entreprit donc de juger l’état de la paroi qui allait lui servir d’accroche. Heureusement, sa position était assez haute, les vagues n’avaient donc pas pu atteindre cette hauteur, et il ne semblait pas avoir plu dernièrement. Le danger immédiat était le vent violent qui fouettait la falaise. Et aussi sa fatigue apparente. Et ses blessures. Mais la simple idée de retourner se perdre dans la fourmilière, alors qu’il y avait de la lumière là haut, lui donnait envie de sauter. Ses premières prises furent moins assurées qu’il ne l’aurait espéré. Elles étaient loin, ses escapades presque enfantines au sommet d’un arbre géant ou d’une tour à moitié effondrée. Au moins, à ces moments-là, il savait où il allait. 

Il avait fait moins de trois mètres lorsqu’il comprit à quel point il avait sous-estimé le vent. Et l’ensemble de la situation. Le grimpeur d’infortune se colla autant que possible contre la paroi, ses mains glacées manquant de poigne. Il serra si fort qu’il sentit la roche lui entailler les doigts. Une de ses prises aux pieds céda et il ne dut son salut qu’à une force miraculeuse et très certainement dû à l’adrénaline. Le souffle court, le cœur battant, il ferma les paupières quelques secondes, espérant pouvoir vivre encore un peu plus longtemps.

QUI ES-TU !?

Seth rouvrit les paupières en glapissant. Son cerveau prit une fraction de seconde de trop pour réaliser qu’il avait lâché ses prises.

Son corps semblait se suspendre indéfiniment dans le vide. C’était comme dans un de ces rêves où tout se passait au ralenti, et où il avait pleinement le loisir de réaliser qu’une mort atroce fonçait sur lui. Mais cette fois, il n’allait certainement pas se réveiller juste avant le coup fatal. La gravité reprit ses droits et Seth chuta. Il ne put réprimer le hurlement de terreur qui sortit de sa poitrine avec la force d’un ouragan. Malgré le vent qui claquait contre ses tympans, il entendit au même moment le rugissement familier, comme lors de sa dernière chute. Il ferma les yeux.

Son dos percuta une surface dure et tout l’air qui restait dans ses poumons s’évacua brutalement. Incapable d’ouvrir les paupières, Seth se sentit glisser vers l’avant mais une poigne de fer l’agrippa sous le bras. Littéralement de fer : les gants semblaient renforcés de métal qui pressait contre sa peau à lui en faire mal. Mais il accueillit cette douleur avec un soulagement énorme, sentant qu’il n’était plus sur le point de glisser et de continuer sa chute mortelle. Le sang lui tambourinait dans les oreilles, l’empêchant d’entendre le chevaucheur dont la voix était déjà bien couverte par le sifflement du voix. Mais il crut percevoir un rire. Puis Seth réalisa pleinement dans quelle situation il était. Il avait été rattrapé de justesse par un chevaucheur et sa bête. Le dragon, deux fois la taille de celui qu’il avait croisé dans la tour, avait des écailles sombres aux reflets bleutés. Seth avait la joue collée contre celles-ci et n’osait plus bouger, malgré sa position disgracieuse. Il prit néanmoins la peine de jeter un coup d'œil en bas et le paysage qui défilait lui donna momentanément le tournis. Mais le malaise s'estompa, remplacé par un sentiment euphorique. Un rire sortit de sa gorge, plus hystérique qu’il ne le voulait, mais tant pis. Il était sur le dos d’un dragon et il n’était pas mort.

Quelques minutes plus tard, ils survolaient le haut de la falaise, après avoir fait le tour de celle-ci. Seth vit le sol se rapprocher rapidement.

— Ça va secouer ! entendit-il plus clairement.

Dans sa position, il ne pouvait qu’attendre le choc. Son corps cogna contre celui de la bête lorsque celle-ci atterrit. Son souffle lui échappa à nouveau. Le chevaucheur lâcha alors sa prise, le poussa légèrement pour l’aider à glisser et le faire retomber sur ses pieds. Sauf qu’une fois descendu du dragon, Seth sentit ses jambes flageoler et il ne put rien y faire. Il s’écrasa sur son postérieur et y resta, le regard hébété. Cette fois, il entendit l’éclat de rire sauvage de son sauveur. Un rire franc qui ne parut pas du tout se moquer, du moins le jeune homme le perçut-il ainsi. De toute manière, il n’était pas en position pour rétorquer quoi que ce soit. 

Il vit la silhouette du chevaucheur sauter en bas de sa monteur puis se tenir à ses côtés, semblant soudainement ne pas trop savoir quoi faire de lui. Seth, quant à lui, observait le grand dragon s’éloigner d’un pas paisible puis, d’un bond phénoménal, s’envoler. La bourrasque de ses ailes faillit l’envoyer vers l’arrière. Il reçut plutôt un nuage de poussière dans le visage. Il s’était instinctivement protégé les yeux mais ne put s’empêcher de crachoter, du sable dans les narines et la bouche.

— Raven ! 

Seth sursauta, son cou se tordant pour dévisager le nouveau venu. Un homme s’était approché. Il ne lui accorda qu’un regard, mais Seth se raidit, alerté par le masque bourru aux traits colériques qui s’affichait sur le visage du nouveau venu.

— Tu nous as ramené un puceron ?

— Laisse-le tranquille Renwick, répondit Raven.

Sa voix avait des tons doux, mais Seth lae vit se redresser légèrement. Iel n’avait pas la même carrure que le dénommé Renwick, qui était tout en muscles et sévérité. Faisant environ deux têtes de moins que le géant, iel dépassait néanmoins Seth d’une dizaine de centimètres, et semblait dans sa trentaine. Ses cheveux blonds, qui à première vue semblaient coupés courts, étaient en fait rasés sur les côtés et tressés avec une finesse extrême, pour être ramenés contre sa nuque et ainsi n’avoir aucune mèche pouvant venir lae distraire. Si le chevaucheur décidait de défaire ses tresses, iel pourrait certainement se faire une queue de cheval, de par la longueur réelle de ses cheveux. Son corps longiligne où se dessinaient des muscles habitués à se maintenir sur sa monture ailée à très haute vitesse était couvert d’une armure. Du moins une partie de son corps. Certaines semblaient à découvert, ce qui ne devait pas être des plus sécuritaires en plein combat. Du moins, Seth le supposait, car il se souvenait vaguement de chevaucheurs avec de lourdes armures. Ses souvenirs remontaient à lui, ainsi savait-il qu’il ne pouvait s’y fier. Et puis, comme beaucoup, il avait mis un point d’honneur à éviter l’Ordre, du peu qu’il en avait vu. Mais ce qui se dégageait de Raven plut aussitôt au jeune homme, ou, du moins, lui donna envie de se ranger de son côté plutôt que de l’autre. Ça et le fait qu’iel l’avait sauvé d’une mort certaine, ce qui devait beaucoup jouer.

Alors que les deux individus se dévisageaient, il tenta de se relever. Mais ses jambes avaient décidé de prendre congé. Seth jura avec frustration, attirant l’attention. L’homme fit un pas dans sa direction, semblant bien décidé à l’attraper par le col. Et par l’hostilité sur son visage, Seth ne fut pas certain qu’il n’allait pas tenter de le jeter en bas de la falaise. Lae dénommae Raven réagit plus rapidement et s’interposa, repoussant l’homme du plat de sa main. D’un même mouvement, iel se tourna vers Seth pour se saisir de lui par le bras et l’aider à se relever. Cette fois, pas de gants métalliques pour lui faire mal, mais sa poigne restait solide. 

— Je m’en occupe, capitaine, gronda son allié-e.

Renwick les jugea un instant puis haussa les épaules.

— Très bien, capitaine, rétorqua-t-il, avant de tourner les talons.

Seth perçut le mépris de ce dernier lorsqu’il évoqua le même rang de saon collègue. Il n’eut pas le temps d’y réfléchir, toute son attention allant sur l’énergie qu’il devait déployer pour rester debout. Raven lui laissa quelques secondes pour reprendre son souffle et se stabiliser.

— Ça va ?

— Ouais, répondit Seth d’une voix éraillée.

Le hurlement qu’il avait poussé plus tôt lui avait probablement irrité les cordes vocales, mais le jeune homme ne s’y attarda pas plus que ça, son attention se tournant vers le membre de l’Ordre et l’endroit où il se trouvait. Ils semblaient être dans une cour, assez large pour y faire tenir au moins deux dragons. Elle était entourée de bâtiments hétéroclites. Certains semblaient avoir été taillés dans la pierre même, d’autres se superposaient. Le tout semblait avoir été construit plus pour être pratique qu’esthétique, mais Seth put apercevoir quelques jardins et des chemins pavés qui disparaissaient entre les bâtiments. Son regard resta scotché sur un de ces chemins, une étincelle s’alluma dans ses yeux. Et si…

Raven dut remarquer son subtile mouvement, car iel resserra un peu sa prise. Son visage se para d’un sourire amusé.

— Je te le déconseille. Les deux seules voies pour partir d’ici sont la falaise et les tunnels, et tu ne saurais pas t’y retrouver.

Seth grogna.

— Qu’est-ce qui va se passer, alors ? capitula-t-il.

— Le conseil devra discuter de ton cas, mais en attendant, allons à l’intérieur. Je crois que tu as besoin d’explications. Et aussi de t’asseoir. 

Seth ne dit rien, mais jeta un coup d'œil suspicieux quand Raven lâcha un autre rire. Iel capta son regard ; son sourire semblait ne pas vouloir quitter son visage.

— Vu les circonstances, je ne compterais pas ce qui s’est passé comme ton premier vol, mais tu t’es bien débrouillé. Tu n’as pas vomi partout comme la plupart des aspirants. Ça jouera en ta faveur.

Le jeune homme ouvrit la bouche pour lui demander en quoi tout ça allait jouer en sa faveur, et, plus généralement, qu’est-ce qui l’attendait, après que le conseil ait statué sur son cas. Raven balaya ses questions de la main puis l’entraîna à sa suite. Iel le mena sur un des chemins pavés, puis le fit entrer dans un bâtiment plutôt large, sans étage. La porte de bois grinça lorsqu’elle se referma derrière eux. L’intérieur était plus chaleureux que ne laissait présager l’extérieur. Ce qui ressemblait à une salle commune, avec diverses tables basses entourées de divans et d’assises à même le sol, était faiblement éclairé et vide. 

— C’est l’aire de repos. Il y a parfois quelques traînards le soir ici, mais c’est généralement très calme.

Raven l’invita à avancer et Seth ne se fit pas prier pour aller s’affaisser sur un des canapés. Il était trop fatigué et avait encore trop d’émotions fortes entremêlées dans son esprit confus pour s’étonner davantage. Entretemps, Raven s’était éloignae vers une longue table collée contre le mur et entreprenait de défaire son armure, déposant chaque morceau avec précaution - iel précisa à Seth plus tard qu’un aspirant était chargé de venir s’occuper des armures juste avant l’aube, chaque jour. Le jeune homme détourna les yeux par pudeur, mais le chevaucheur ne semblait se formaliser de rien. Habillae d’une tunique serrée et d’un pantalon noir, iel se défit de ses bottes avec un plaisir manifeste. Puis, venant s’écraser de l’autre côté de la table basse pour étendre ses jambes qui semblaient douloureuses, sur une des assises, le coude posé sur son genou et la main posée contre son menton, iel jeta un regard curieux vers Seth.

— Tu fais beaucoup jaser en ce moment.

— Ce n’était pas volontaire, marmonna Seth, mal à l’aise.

— J’imagine bien, ricana Raven. Tu as bien de la chance que Faiseur de Tempêtes ait capté ta présence et que je sois dans le coin à ce moment-là.

Seth répéta le nom étrange, une interrogation dans la voix. Raven laissa planer un silence, un air contrit sur le visage. Iel n’avait probablement pas le droit d’en dire autant sur cet endroit. Le jeune homme décida de ne pas pousser sa question, se laissant retomber contre le siège du divan, les muscles endoloris et les yeux rivés au plafond. Il marmonna : 

— Vous pouvez au moins me dire de quoi vont-ils discuter ? Qu’est-ce qui va m’arriver maintenant ? Ils ne vont tout de même pas décider de me… Seth hésita, baissant brièvement le menton et les yeux vers Raven. De me faire disparaître, si ?

Ce serait vraiment con qu’il ait survécu une attaque de dragon et la chute d’une falaise pour qu’un groupe de personnes assez folles pour monter ces créatures infernales décident tout bonnement de se débarrasser de lui, qui avait décidément beaucoup trop vu de leurs quartiers généraux. 

Raven arqua un sourcil interrogateur, puis redressa le dos et croisa les jambes sous ellui.

— Eh bien, ils ne vont pas chercher à te tuer, rassures-toi. Ils vont plutôt discuter pour que tu rejoignes l’Ordre.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez