Chapitre 3

Par Ohana

Ils m’ont trahi. Pourquoi ? Qu’ai-je fait ?

Je n’ai pas demandé à être différent. Pourquoi le suis-je ?

Ils m’ont traité comme un pestiféré. Ils m’ont marqué. 

Pourquoi m’ont-ils abandonné ?

Je veux rentrer à la maison.

— Ils sont dans un état… Pitoyable.

— Que penses-tu du lien ? Va-t-il tenir, tu penses ?

— Un jeune dragon meurtri et un lié qui apparait d’on ne sait où ? Ils ne vont pas survivre le mois.

Le mélange de doute, d’arrogance et de condescendance dans la voix inconnue fut la première chose que Seth entendit. Puis ce fut l’absence de douleur. Chose étonnante, car il était sûr et certain qu’il devrait être en train d’agoniser en ce moment, le corps en morceaux, même si la raison de cette certitude échappait encore à son esprit embrumé.

— Aucune idée d’où ils sortent tous les deux ?

— Il n’y a aucune colonie sauvage dans le coin de là où on les a trouvés. Et aucune famille n’a réclamé le garçon. Probablement un orphelin qui n’aurait jamais dû être choisi comme lié, si tu veux mon avis.

Seth ne comprenait pas ce qui se tramait autour de lui, mais il n’aimait définitivement pas le ton mordant aux intonations masculines, d’où transparaissait une certaine jeunesse.

— Hey, protesta le jeune homme, d’une voix outrée et ferme.

Du moins, il aurait voulu que ce soit d’une voix outrée et ferme, mais tout ce qui parvint à ses oreilles fut un balbutiement étouffé des plus pathétiques. Il entendit un soupir agacé, ce qui lui donna soudainement envie d’arracher les couvertures posées sur lui et de confronter le ton plein d’arrogance. Mais, comme sa voix, son corps ne semblait pas être apte à aller dans son sens en ce moment. Ainsi, il ne fit qu’essayer de redresser la tête pour fusiller du regard sa cible. La silhouette masculine lui tournait le dos. Chouette.

Un visage emplit son champ de vision, celui d’un homme dans la soixantaine, aux traits doux. 

— Tout va bien, fit l’inconnu d’une voix chaleureuse qui donna aussitôt envie de faire confiance. 

Seth eut bien envie de se laisser envahir par cette confiance et de profiter de la douce torpeur médicamenteuse - et des draps, si confortables - mais le visage sympathique disparut pour être remplacé par celui du type arrogant, qui semblait intéressé à examiner ses yeux.

— Bouge pas.

Celui-là, il donnait beaucoup moins envie de faire confiance. Surtout qu’il avait un appareil entre les mains que la vision brumeuse du blessé n’arrivait pas à distinguer, même si l’inconnue s’approchait de plus en plus. Ce fut à ce moment que les souvenirs décidèrent d’affluer en masse. La tour, la pointe de flèche, le chaos à la fois dans son esprit qu’autour de lui, le dragon… Le dragon ? Mais oui, le dragon !

L’adrénaline afflua aussitôt, lui donnant la force de se redresser comme un ressort… venant percuter avec son front celui de l’inconnu malpoli. Il entendit à peine le juron aussitôt rabroué par leur aîné, et sentit que très peu le pic de douleur que son geste avait provoqué. Tout lui revenait au même moment. La créature blessée, leur ennemi juré, le dragon. Il ne l’avait pas dévoré, finalement. Qu’était-il arrivé à ce dernier ? Était-il toujours en vie ? Sans comprendre pourquoi, Seth se mit à trembler violemment, sentant l’oxygène lui manquer, le souffle coupé.

La simple idée qu’il soit arrivé quelque chose à la créature, qui avait été meurtrie au-delà de sa simple bêtise à vouloir le croquer, le plongeait dans un état qu’il n’arrivait pas à identifier. C’était comme si, là maintenant, la perspective de mourir, qu’il avait expérimentée récemment, n’était rien comparée à celle de l’absence définitive de cette étrange présence dans son esprit. Face à cette constatation, Seth ne ressentit qu’une intense incompréhension teintée de peur.

— Tout va bien, mon garçon.

Le retour de la voix apaisante eut l’effet inverse. Seth chercha à se saisir du médecin, ses doigts faibles tâtonnant la manche de l’uniforme du vieil homme. 

— Qu’est-ce que- Où est-

Trop de questions et pas assez d’air pour les poser. Seth sentit le médecin se dégager avec douceur, des étoiles commençant à danser devant ses yeux. La deuxième présence, celle qu’il n’appréciait pas, se fit sentir du côté opposé du lit. Une paire de mains vint peser sur ses épaules pour le ramener sur le dos, dans un geste ferme, mais sans brutalité, ce qui lui fit une étrange impression. Au même moment, le jeune homme sentit la pression d’une seringue contre sa peau. En d’autres circonstances, il aurait commencé à ruer dans les brancards, terrifié de ne pas savoir ce qu’on venait de lui injecter, mais la torpeur qui l’envahit aussitôt eut raison de toute inquiétude et résistance. Il sentit l’air circuler à nouveau librement dans ses poumons. Quelques secondes plus tard, l’image tenace du dragon blessé affalé à ses pieds s’atténua puis s’abîma parmi d’autres souvenirs cotonneux et moins importants. 

— Le lien a été créé trop brutalement, il est déjà en manque, entendit-il au loin, tout en sentant toujours les présences du vieil homme et de son cadet près de lui,

— Il ne devrait même pas-

— Aurel, l’interrompit le médecin. Tu peux aller faire ton rapport, ce sera tout. 

Seth tourna la tête en direction de la porte au même moment que le dénommé Aurel l’ouvrait pour sortir. Une autre personne l’y attendait, une femme. Juste avant qu’ils ne disparaissent, le jeune homme croisa le regard furieux de celle-ci.

Qui es-tu ?

Seth se réveilla en sursaut. Un grognement de douleur lui échappa. Adieu la douce sensation d’être complètement entouré de coton, maintenant il avait l’impression d’avoir été piétiné par… par un dragon, tiens. Du moins, c’était ce qu’il imaginait être la sensation, bien qu’en réalité, cette situation aurait résulté à sa mort certaine. Pendant un bref instant, ses pensées se dirigèrent vers la créature malheureuse qu’il avait croisée. Comme précédemment, il sentit son esprit se vider aussitôt, et le début de panique qu’il commençait à ressentir lui échappa. Étrange. Mais, peu concerné pour l’instant, Seth se mit à réfléchir à sa situation et à faire le point. Il ne savait pas où il était. Ni qui étaient ces gens qui l’avaient vraisemblablement secouru et soigné. Ni ce qu’ils comptaient faire de lui, ayant l’impression d’être une nuisance. Conclusion, le jeune homme eut tout sauf envie de rester ici. 

Prudemment, il testa les réponses douloureuses que ses mouvements pouvaient causer. Ce fut avec étonnement qu’il constata qu’il n’avait rien de cassé. Ou plutôt qu’il avait été réparé avec une efficacité qui était loin d’être le fruit de Mère Nature. Seth parvint donc, non sans grognements étouffés, à se redresser dans son lit, posant ses pieds nus sur le sol. La froideur de celui-ci le fit frissonner et le poussa à détailler les lieux, chose qu’il n’avait pu faire auparavant. Il se trouvait dans une pièce à la lumière cette fois tamisée, plutôt grande, et occupée à une rangée de lits semblables au sien. Fait étonnant, elle semblait avoir été creusée à même la pierre. Il n’y avait aucune fenêtre. Déçu et de plus en plus inquiet, le blessé se força à se lever. Ce qui semblait être une infirmerie plutôt bien équipée - il y avait des appareils que Seth n’avait jamais vus et qui allaient au-delà de ce qu’il avait pu connaître à l’infirmerie de l’orphelinat - était heureusement vide de vie. Il n’eut donc aucun mal, ou presque, à trottiner vers la porte. L’ombre d’un sourire victorieux passa sur son visage lorsqu’il réalisa que celle-ci n’était pas verrouillée. Mettant le nez dehors, il put faire deux constatations : la porte n’était pas non plus gardée et il allait devoir marcher longtemps en espérant ne pas se faire remarquer. La sortie de l’infirmerie donnait sur un large couloir aussi creusé dans la pierre, qui s’étendait sur une bonne distance, avec une série de portes fermées. Seth n’avait aucune indication quant à la direction à prendre pour sortir de là.

Sachant que s’il y pensait trop, il n’avancerait pas, le jeune homme prit une direction au hasard. Les lieux étaient un vrai labyrinthe. Malgré son sens de l’orientation plutôt bon, il finit par complètement se perdre, chose qu’il réalisa lorsqu’il voulut tourner les talons face à un cul de sac. Il fut étonné de ne croiser personne, mise à part quelques voix qui lui avaient fait rebrousser chemin une ou deux fois. Quelle heure était-il ? 

Plus il avançait, moins il avait mal, ce qui lui permit d’avaler pas mal de distance, du moins en avait-il l’impression. Mais l’absence de vie était oppressante, de même que la faible lumière des couloirs. Ainsi, lorsqu’il sentit une brise sur son visage, il n’y réfléchit pas deux fois avant de foncer en direction de ce qu’il espérait être la sortie. La brise se transforma en véritables courants d’air, lui confirmant qu’il s’approchait de plus en plus de l’extérieur. Il espérait n’y croiser personne, mais la réalité fut toute autre. Son cœur se glaça lorsqu’il se retrouva, immobile, à deux pas à peine de la sortie. La nuit était tombée, ce qui expliquait sûrement la relative tranquillité des couloirs qu’il avait empruntés. Mais ce qui avait surtout capté son attention, c’était la chute de plusieurs centaines de mètres qui se profilait sous ses pieds. 

Seth n’eut pas le vertige en regardant en bas, mais se sentit quand même nauséeux. Et frustré. Qui creusait une sortie qui menait à la mort assurée ? C’était complètement stupide ! Appuyant son dos contre la paroi, s’assurant qu’une bourrasque trop violente ne le fasse pas basculer, Seth détailla les alentours. Loin, au-dessous, des vagues immenses s’écrasaient contre le mur naturel rocheux. En d’autres circonstances, le jeune homme aurait trouvé le choc entre l’eau et la roche plutôt apaisant à écouter. Mais, en ce moment, tout ce qui occupait son esprit était de trouver un moyen de sortir. Un nouveau balayage de son regard lui permit de faiblement distinguer d’autres ouvertures comme celle-ci autour de lui. Elles menaient certainement à d’autres couloirs interminables, à l’image d’une fourmilière géante. Mais un éclat de lumière lui fit lever la tête. La lune était grande et ronde dans le ciel, lui permettant une meilleure visibilité que les faibles lanternes nocturnes. Mais ce qui avait vraiment attiré son regard était une lumière bien humaine à cinquante mètres au-dessus. Si la majeure partie de la falaise, là où il était, était nue, il en était tout autre là-haut. Des bâtiments et balcons avaient été construits avec une technique qui lui semblait tout à fait impossible. Certains émergeaient de la roche, mais les plus hauts se dressaient vers le ciel, en un enchevêtrement qui aurait pu être beau, d’un autre angle. 

Mais où avait-il bien pu tomber ? Et, autre question, était-ce complètement fou d’envisager de grimper là haut ? Seth laissa tomber son regard vers la mer déchaînée sous ses pieds, et déglutit.

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Emma_Ramfire
Posté le 18/04/2024
Mais où est-ce qu'il est donc tombé ? Hâte de découvrir un peu plus les nouveaux personnages !
Intéressant cette histoire de personnes "liées". Ca va bien dans le sens de mon commentaire précédent. Maintenant, cela soulève pas mal de questions. S'il y a des personnes liées avec les dragons, pourquoi les dragons sont dans la nature à tout cramer ? Et quel est cet ancien monde plusieurs fois mentionnés ? Que s'est-il passé ?

Hâte de découvrir tout ça !
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