- Lily ?
La voix d’Hugo s’immisce dans mes rêves. Je marmonne dans mon sommeil et me tourne dans mon lit.
- Hé Lily t’as pas cours à 8h ?
Je fronce les sourcils, sentant mon sommeil se dissiper doucement.
Des petites tapes sur ma joue me réveillent complètement. J’ouvre les yeux et il me semble apercevoir une masse devant mon lit. Je me redresse d’un bond en position assise, essayant de retrouver mes repères. Mes yeux finissent par s’accommoder à la lumière du jour et je remarque enfin Hugo. Qu’est ce qu’il fait là ? Soudain un éclair de lucidité me traverse l’esprit et je tourne violemment la tête vers mon réveil. 7h40.
- Holy shit ! je m’exclame.
Je me lève subitement mais le manque de sang dans le cerveau me fait perdre l’équilibre. Le bras de mon ami se manifeste pour me maintenir à la verticale. Je reprends contenance, le remercie d’un chaste baiser sur la joue et me précipite dans les escaliers pour atteindre la salle de bain. Je mets du déodorant sous mes aisselles, me débarbouille le visage et remonte les escaliers pour rejoindre ma chambre. Essoufflée, j’enfile un jean à la va-vite, trébuche et met un chemisier en hâte. Celui-ci est froissé mais je n’ai pas le temps de m’en préoccuper. Je relève mes cheveux en chignon lâche, enfourne un chewing-gum dans ma bouche et pars en courant sur le trajet qui mène à la fac.
Quand je pénètre dans la cage d’escalier de la faculté, toujours en courant, je suis transpirante et sûrement rouge comme une tomate. Je vérifie l’heure sur mon portable, vois 08h04 affiché en gros. Je tente d’accélérer la cadence mais mon pied vient buter sur une des marches et je m’étale avec fracas dans les escaliers.
- Damn it ! je marmonne douloureusement allongée sur les marches.
Je suis un peu sonnée par cette chute de bon matin mais a priori je n’ai rien de cassé.
- Hé ça va ?
Je lève la tête et aperçois Martin, le garçon de ma classe connu pour ses retards permanents (et accessoirement le gars de l’histoire du papier toilette que j’ai tenté d’ignorer jusqu’à présent), qui me regarde, inquiet du haut des escaliers.
Je soupire profondément.
- Si t’étais devant moi c’est que je suis vraiment en retard, je me contente de répondre avec un sourire.
Un large sourire se dessine sur son visage et pendant quelques instants je suis comme éblouie par un rayon de soleil.
- Je vois que ma réputation me précède. Emilie c’est ça ?
Il s’avance rapidement vers moi et attrape ma main pour m’aider à me relever. Le contact de sa paume large et chaude contre la mienne m’est agréable. Une fois debout, il me maintient par les bras et m’ausculte de la tête aux pieds. Il est grand, il est obligé de se tenir deux marches plus bas pour être à ma hauteur. Je lève les yeux sur lui et mon cœur s’enfonce au fond de ma cage thoracique. Il est …très beau. J’y avais déjà prêté attention bien-sûr, mais avec son visage à une vingtaine de centimètres du mien, c’est la première fois que je peux prendre le temps de le détailler de près. Ses cheveux sont châtains, coupés assez courts mais avec quelques mèches rebelles sur le dessus. Ses sourcils de la même couleur sont bien fournis et donnent de l’intensité à ses yeux bruns perçants, hypnotiques. Il a un nez grand et droit qui donne une parfaite symétrie à son visage. Et sa bouche …Il relève les yeux et me surprend en train de le dévisager. Il fronce légèrement les sourcils.
- Tout va bien?
Je hoche la tête.
- Mes avant-bras m’ont sauvé je crois. Je risque d’avoir des bleus mais c’est une habitude pour moi, je réponds en plaisantant.
Il relève mes manches pour inspecter mes bras. Ils sont rouges et un peu écorchés.
Je finis par me rendre compte que j’ai arrêté de respirer au contact de ses doigts.
- Mon téléphone ! je m’exclame soudainement.
Je le cherche du regard et l’aperçois deux marches plus haut. Celui-ci est miraculeusement sain et sauf. Je réalise que j’ai oublié de remercier Martin et me retourne vers lui, confuse.
- Merci Martin … je souris timidement. Je ne voudrais pas te mettre davantage en retard, on devrait y aller.
Je commence à grimper les dernières marches quand Martin m’intercepte :
- Attends !
Il avale rapidement les quelques mètres qui nous séparent et dit :
- Un gentilhomme ne prend jamais les escaliers derrière une femme .
- Ah bon…pourquoi ça ? je demande naïvement.
Il ne répond pas tout de suite alors je me tourne vers lui, l’air curieux.
- Merde, comment dire ça subtilement … Pour ne pas que le regard de l’homme se pose sur ce qui se trouve à hauteur de ses yeux ? il tente sans paraître véritablement gêné, un petit sourire en coin.
Je rougis, surprise et embarrassée pour deux.
- C’est une règle tacite un peu vieux jeu, je te l’accorde.
- Oh, je me contente de répondre.
J’ignorais cette règle de politesse et ne peux m’empêcher de me demander s’il a eu le temps de regarder mes fesses et si oui qu’est-ce qu’il en a pensé ? Je me blâme aussitôt d’avoir des pensées aussi futiles.
Il rit, me voyant dans mes pensées.
- Ce que j’ai vu est très beau, il me dit alors que nous entrons dans la classe, moi sous le choc de ce qu’il vient de dire et mal à l’aise de mon retard et lui décontracté comme à son habitude.
Je reste penaude quelques secondes avant d’enfin prendre place à côté d’Elsa, qui se trouve deux rangs derrière Martin.
- M. GAILLARD, si vous commencez à avoir de mauvaises influences sur nos étudiants les plus sérieux, cette classe va à sa perte ! le taquine notre professeure de grammaire.
- J’aimerais avoir un tel pouvoir d’influence Madame.
Son regard s’arrête sur moi un quart de seconde avant de se concentrer sur notre cours.
- Ça va ? me demande ma camarade.
- Panne de réveil. J’ai couru et …
Je lui montre l’état de mes bras.
- Oh, pouffe Elsa.
On ne se connaît que depuis deux semaines mais elle sait déjà mes facultés à entreprendre de fausses manœuvres avec mon propre corps.
- C’est pour ça que tu es toute rouge ou c’est pour autre chose ? s’amuse-t-elle en indiquant Martin de la tête.
Je respire un grand coup et m’effondre sur ma table, le visage caché dans mes bras.
- M’embête pas …, je marmonne.
- En plus j’ai pas eu le temps de déjeuner …, j’ajoute de mauvaise humeur.
- Y a d’autres façons de se nourrir …, je l’entends dire.
Je dégage doucement mon visage pour le tourner vers Elsa qui dévore Martin du regard.
Comme s’il avait entendu, un léger sourire transparaît sur les lèvres de celui-ci. Je me perds quelques instants dans la contemplation de son profil, quand Elsa me donne un coup de coude, amusée, et rompt mes pensées.
Je grogne, mécontente de m’être fait surprendre.
A 10h, on quitte notre modeste salle de cours pour rejoindre l’amphithéâtre où on partage un cours avec une autre promo.
Je m’effondre sur une chaise et pose ma tête sur le bureau, affaiblie de ne pas avoir mangé le matin. J’ai honte d’être si fragile mais le petit déjeuner est un repas que je ne loupe jamais en temps normal.
Quelqu’un pose quelque chose sur mon bureau. Je me redresse subitement et vois une barre de céréales chocolatée, un soda et … un petit bout de papier. Je me retourne et vois Martin se diriger vers un siège au fond de la pièce.
Bastien à côté de moi semble avoir tout vu.
- C’est Martin qui a posé ça ?
- Oui, il me confirme.
Je souris, le rose aux joues, et me jette sur la barre chocolatée. Après ma troisième bouchée et une gorgée de soda, je m’enquis de ce qu’il y a écrit sur le bout de papier :
« J’ai entendu que tu avais faim. Désolé ce ne sont que des choses très sucrées mais tu as besoin d’énergie si tu veux courir dans les escaliers. »
Son mot m’arrache un rire silencieux. Je bois plusieurs gorgées avec soulagement et soupire d’aise une fois la barre complètement engloutie.
La journée se déroule bien mieux ensuite. Mais je ne trouve pas le courage d’aller remercier Martin en face. Alors le soir, je le cherche sur les réseaux sociaux et lui envoie une notification afin que l’on puisse suivre le profil l’un de l’autre, et par la même occasion, communiquer ensemble par ce biais. C’est un peu lâche j’avoue mais l’univers n’avait pas à me faire venir au monde à l’ère des réseaux sociaux.
Quand mon camarade de promo finit par accepter ma demande, je n’ai pas le temps de lui écrire que je reçois déjà un message.
« Hey la cascadeuse. »
« Hey. Je tenais à te remercier pour le « petit-déjeuner » …c’était très gentil. Merci. »
« C’était pas gentil, c’était intéressé. »
« ? »
« Si tu étais tombée dans les pommes, Madame Rochelle m’aurait encore mis ça sur le dos ☺ »
« En même temps tu as une très mauvaise influence sur tes camarades de classe. »
« Si seulement. Bon et sinon comment ça se fait que l’élève la plus sérieuse de la classe était en retard ce matin? »
« Bah tu sais, je me suis toujours demandée ce que ça faisait d’être dans la peau de Martin Gaillard … »
« Heureux de savoir que j’occupe tes pensées. Et alors qu’est ce que ça fait ? »
« C’est intimidant. Je n’ai pas pas ta nonchalance et ton audace. »
« Être dans ma peau demande des compétences exceptionnelles, en effet. J’ai peur que tu n’aies pas les épaules assez solides. »
« C’est vrai que je manque un peu d’arrogance et d’autosuffisance »
Je me surprends moi-même à être aussi piquante dans mes taquineries.
« Ouch on dirait que tu as beaucoup de qualificatifs pour me décrire. Mais je suis flatté que tu ais déjà une opinion de ma personne ☺. »
« Ne te méprends pas, je suis simplement observatrice. Je suis sûre que tu as aussi ton opinion sur moi. »
« C’est vrai : timide, introvertie, intelligente, courageuse. »
Je suis flattée qu’il me trouve intelligente mais je fronce les sourcils sur le dernier terme.
« Courageuse ? Pourquoi ça ? »
« Ah les autres termes ne te rebutent pas on dirait ! Courageuse parce que malgré ta timidité, qui n’est un scoop pour personne, tu n’hésites pas à prendre la parole ou à aller vers les autres, quand à tes yeux ça semble le nécessiter. Comme par exemple, quand tu as cloué le bec à ce con de Brian qui racontait des atrocités sur Mélanie. Ou quand tu as remis à leur place les bécasses du premier jour. Brian …j’étais prêt à me lever pour lui en coller une, quand tu t’es interposée. »
Je n’imaginais pas que quelqu’un avait prêté attention à cet échange avec Brian. Et concernant l’autre épisode …je me doutais bien qu’il avait dû y assister mais j’espérais que ce ne soit pas le cas. On dirait bien que je ne me suis pas ridiculisée à ses yeux. Finalement, il est peut-être au moins autant observateur que je le suis.
« Tu l’aurais vraiment frappé ? »
« J’ai dû mal à me contenir quand j’entends des propos aussi …je trouve même pas le mot approprié ! »
« Je ne connais pas beaucoup d’hommes prêts à se mouiller pour défendre les droits d’une femme. C’est agréable de rencontrer ton espèce ☺ »
« Je n’ai aucun mérite, mes parents m’ont bien éduqué. Ça valait le coup que tu te casses la figure dans les escaliers. Ça nous aura permis d’en apprendre un peu plus l’un sur l’autre. »
« Oui …et encore merci pour aujourd’hui …j’ai beaucoup apprécié. »
« Je suis votre humble serviteur. »
Je souris.
Sans réfléchir, ce qui est assez surprenant de ma part, je lui envoie mon numéro de téléphone suivi d’un maladroit :
« Ça servira peut-être un jour. »
Je me déconnecte rapidement du réseau social, choquée de ce que je viens de faire. Est-ce que c’était trop audacieux ? Je m’allonge sur mon lit, songeuse. Je suis gênée. Il paraît tellement sûr de lui. Moi je ne sais pas draguer. Je souffle. Non mais qui parle de draguer ? Est-ce que c’était de la drague ? Il faut que je me calme, je deviens stupide. Mais c’est bizarre, avec lui je me sens à l’aise. Peut-être un peu trop.
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* Martin
Cette fille, elle m’intrigue, je l’avoue. C’est challengeant, je me demande ce qu’il y a derrière cette façade de timidité et de sérieux. Elle est très séduisante mais c’est comme si elle n’en avait pas conscience. Elle ne semble pas être disposée à jouer de ses atouts avec ses pairs, alors que tout en elle transpire le charme pur et dur. C’est fascinant. Je l’avais déjà remarquée. Comme beaucoup je pense, le premier jour j’ai fait le tour des visages de notre promo pour voir ce que m’offrait cette nouvelle année. Et Emilie Aubry n’a pas manqué de m’interpeller. D’autant plus qu’elle n’abuse pas d’artifices pour se rendre désirable, elle est naturellement belle. C’est ce qui m’avait interloqué au départ, parce que la plupart des filles de notre âge a la main lourde en termes de maquillage. Là, j’avais le sentiment de déjà connaître son visage, de l’avoir déjà vu quelque part.
Mais jusqu’à présent je n’avais jamais eu l’occasion de faire sa connaissance.
Elle m’a agréablement surpris quand elle m’a taquiné «Si t’étais devant moi c’est que je suis vraiment en retard». Et encore après dans nos échanges par messages. D’ailleurs j’imaginais lui demander son numéro la prochaine fois qu’on aurait l’occasion de se parler. Je ne m’attendais certainement pas à ce qu’elle me le donne d’elle-même. Elle m’a coupé l’herbe sous le pied. A croire que je ne suis plus aussi doué que ça pour cerner les gens. J’ai le sentiment que derrière sa façade elle est beaucoup plus ...riche qu’elle ne le laisse paraître.
Je sais pas, cette fille elle m’intrigue.