Le lendemain à l’inter-cour, Bastien profite que la classe soit au complet pour nous dire qu’il fait une grosse fête chez lui le week-end prochain. Je me demande si elle y va … Je me rappelle que j’ai son numéro de téléphone et décide de lui écrire un message :
« Tu viens à la soirée de Bastien ? Signé : votre humble serviteur».
Du coin de l’œil, je la vois saisir son téléphone posé sur son bureau. Sa réponse ne tarde pas.
« Je ne pense pas monseigneur, ces mondanités ne s’accordent pas à mon modeste rang. »
Si elle venait, je suis sûre que je ne m’ennuierais pas.
« Et si c’est moi qui t’invite ? »
Je me retourne et la vois hésiter, les yeux fixés sur mon message. Elle joue avec sa lèvre inférieure (de façon irrésistible) et finit par me répondre.
« Ok ? »
Victoire !
« A samedi alors bold girl. »
« A samedi cocky guy. »
« Hé pourquoi moi j’ai pas le droit à un terme plus sympa ? »
« Because you’re a cocky guy justement ☺ »
Je ris doucement et me tourne à nouveau vers elle. Elle ignore mon regard mais ne peut s’empêcher de sourire, amusée.
Je me prépare pour la soirée de Bastien. Je décide pour une fois d’y aller à l’heure. J’ai été suffisamment égoïste pour la faire venir alors qu’elle ne sera clairement pas à l’aise, je ne voudrais pas qu’elle le soit davantage à m’attendre.
On arrive en même temps devant le portail de Bastien. Elle est habillée simplement mais wouah. Elle a un look plus rock’n’roll et décontracté qu’en cours. Elle porte un jean noir délavé resserré haut à sa taille. Un T-shirt gris foncé à l’effigie « Guns N’ roses » décolleté en V est rentré en partie dans son pantalon cintré par une belle ceinture en cuir noire et une chemise à carreaux rouge lui sert de veste. Sa tenue n’a rien d’extraordinaire à première vue mais pourtant ça lui va à ravir. Je la soupçonne d’avoir l’œil aiguisé en matière de vêtements.
- Tu sais que tu n’es pas obligée d’arriver à l’heure pour ce genre d’évènement ? je lui dis.
- Et toi alors ? Je suis assez surprise que tu arrives si tôt.
Je souris.
- Je t’ai invité donc je fais un effort, j’explique.
- C’est très prévoyant de ta part, me taquine-t-elle.
On rentre. Il y a déjà une vingtaine de personnes et la musique met tout de suite dans l’ambiance. On salue Bastien.
- Vous êtes venus ensemble ? nous demande-t-il, surpris.
Emilie ouvre la bouche mais ne dit rien.
- On est venus ensemble, je me contente de répondre délibérément flou.
Bastien semble analyser ma réponse. Je tente de dissimuler un rire moqueur derrière mon sourire poli quand je comprends qu’il est intéressé par ma cavalière.
- Emilie, viens je vais te servir un verre, l’invite-t-il.
Elle m’adresse un coup d’œil, l’air de me demander mon avis, auquel je réponds par un petit signe de tête. Je ne m’inquiète pas pour elle, Bastien est un gars vraiment sympa, il saura la mettre à l’aise.
Par contre, je remarque l’autre con de Brian au bout de la pièce. Il est déjà en train de la reluquer en chuchotant dans l’oreille de son camarade. Je me crispe. Allez savoir quelles atrocités il doit dire à son sujet. Bastien n’est pas très avisé en termes d’invités, on dirait. J’essaie de l’ignorer. J’attrape une bière et m’installe à côté d’un groupe qui joue à action ou vérité assis en rond à même le sol.
- C’est pas un peu tôt pour ce genre de jeu ? je leur demande.
- Il n’est jamais trop tôt pour s’amuser Martin, me répond tout sourire Julie.
- Tu joues ?
Je cherche Emilie des yeux, elle est toujours en train de papoter avec Bastien. Tiens, elle aime la bière ? Je l’imaginais plutôt boire quelque chose de sucré.
Je souffle.
- Why not...
Arrive mon tour de jouer. Je pars sur le choix ‘action’. Mon gage tombe quand Emilie et Bastien nous rejoignent.
- Martin, Martin, Martin …, se délecte une élève d’arts du spectacle au look un peu babacool (Maureen je crois.) Embrasse la fille de ton choix.
Je pense immédiatement à Emilie.
- Vous auriez pu attendre que je sois un peu plus alcoolisé pour ça.
Ma gageuse se contente d’arquer un sourcil avec un air de défi.
C’est vraiment trop tôt pour ce genre de gage mais je décide de m’amuser un peu …Je cherche Emilie du regard. Elle semble comprendre et rougit. Elle me fait un discret non de la tête.
Un grand sourire étire mes lèvres quand je me lève et m’approche doucement d’elle en la provoquant du regard.
- Martin Gaillard tu n’as pas intérêt, dit-elle tout bas en reculant.
Elle ne s’est plus où se mettre. Elle est craquante, ma petite souris.
- Martin, NON, articule-t-elle de sa voix la plus autoritaire possible.
Je continue à avancer vers elle. Tous les regards sont sur nous. Elle s’en rend compte et s’embarrasse de plus belle.
Quand son dos cogne un meuble, elle me tue du regard.
- T’as pas intérêt, tu m’entends ?
Je pose la paume de ma main sur la commode à côté de sa hanche. Je scrute son regard. Je sens qu’elle commence à lâcher sa garde. Je regarde sa bouche. Je la vois déglutir péniblement. Quand je me penche vers ses lèvres, elle bloque sa respiration. Mais avant de les toucher avec les miennes, je tourne subitement la tête, et lui dépose un léger baiser sur la joue avant de me redresser, un sourire victorieux peint sur le visage.
Ses poumons se dégonflent. Elle me tape la poitrine avec sa petite main mais pour moi c’est comme une caresse.
- T’es vraiment un crétin, tu le sais ça ?
Puis elle rit, à moitié soulagée. Moi, j’ai bien failli me prendre à mon propre piège et ne pas réussir à m’arrêter à temps. Sa bouche est diablement tentante.
Je me retourne vers les curieux et annonce :
- On revient, on va fumer une clope.
Je lui prends la main et la guide vers l’extérieur. Notre proximité me semble tellement naturelle ...
- Je ne fume pas, me murmure-t-elle.
- Moi non plus, je lui réponds à l’oreille.
Elle sourit en secouant la tête. Je peux presque entendre le mot « crétin » résonner dans ses pensées.
Arrivés à l’abri des regards, elle me dit :
- Tu sais, je t’aurais vraiment frappé si tu m’avais embrassé comme ça devant tout le monde.
- Mais sinon, le simple fait que je t’embrasse ne te dérange pas ? je lui fais remarquer, amusé.
Je la vois rougir, mais elle répond du tac au tac :
- Tu crois ce qui t’arrange.
Et elle me nargue d’un sourire provocateur.
- Saleté.
Quelqu’un se racle la gorge à l’embrasure de la porte.
Qu’est ce que ce con de Brian nous veut ?
- Emilie est-ce que je pourrais te parler en privé s’il te plaît ?
Il prend une attitude penaude, mais je me méfie.
Elle semble surprise. Elle le fixe un instant puis lui répond en anglais : « Sure » avant de le suivre à l’intérieur.
Je reste quelques secondes dehors à observer le jardin familial de Bastien, puis rentre à mon tour.
Je me mets en extérieur d’un groupe qui a sorti un jeu de cartes. Emilie me rejoint quelques minutes après, un cocktail à la main. Tiens, je ne m’étais pas trompée sur son type de boisson, finalement.
- Tout va bien ? je lui demande.
- Oui. Figure-toi qu’il voulait s’excuser de ses propos de la dernière fois...
- Voyez-vous ça …
Je le cherche du regard et l’aperçoit en train de la mater avec le même gars du début de soirée.
Je ne sais pas pourquoi je ne le sens pas ce mec. J’ai dû mal à croire qu’il soit revenu à la raison.
- Emilie, viens faire un twister avec nous ! l’interpelle Bastien.
Ce serait presque une soirée jeux de société, ça me fait rire. Mais avec de l’alcool en plus. Plus tard dans la soirée, je l’aperçois à l’extérieur avec un petit groupe et elle a franchement l’air de s’amuser. Je la trouve même étrangement détendue, mais je mets ça sur le compte de l’alcool.
Pendant ce temps là, je fais le con sur la piste de danse avec un petit nombre de nos camarades de promo.
- Martin ?
Une petite voix m’interpelle. Ludivine, la petite blonde qui traîne toujours avec la bande de Bastien, tripote ses mains avec embarras.
- Désolée de te déranger, je crois que ta copine commence à être vraiment bourrée, tu devrais aller la voir.
Emilie AUBRY bourrée ? J’aimerais bien voir ça. Mes yeux s’arrêtent sur une grosse horloge accrochée au mur. Il n’est que 23h.
Dehors, Emilie est assise sur une table de jardin avec une dizaine de personnes et parle de façon très animée.
- Arf il fait trop chaud …chaud ! s’exclame-t-elle en commençant à retirer son haut.
J’arrive juste à temps pour remettre le bout de tissu en place. Où est passée sa chemise ?!
- Tout va bien l’intello ? je lui demande.
- Crétiiiiiin ! s’exclame-t-elle en me tombant dans les bras.
Surpris par l’assaut plus que par son poids, je perds un instant l’équilibre.
- Dis, l’intello, tu ne serais pas un peu saoule hein? je ris.
- Naaaaan. J’ai bu qu’UNE bière. » dit-elle en positionnant son index trop proche de mes yeux. Ah ! Et le cocktail de Brian ! Il est vraiment gentil en fait. Good boy !
Elle fourre son nez dans mon cou et me renifle. Je me fige.
- Hum…tu sens … DIVINEMENT bon.
A contre-cœur, je tente de la repousser délicatement.
- Tu es sûre que tu n’as bu que ça ?
- Promis ! Croix de bois croix de fer si je mens je vais voir ta mère !
- Ok…hum, Emilie, tu vas rester deux minutes avec Bastien d’accord ? Essaie d’être sage en mon absence. Si tu pouvais ne pas le renifler, ce serait cool.
- Bastien ? Tu peux surveiller Emilie s’il te plaît, je dois régler quelque chose.
Ce n’est pas une question. Il hoche la tête et tente de cacher son enthousiasme. Si elle agit avec lui comme avec moi, il va passer un bon moment.
Je cherche Brian des yeux et le trouve appuyé à un arbre en train de se régaler du spectacle.
- Brian ! je m’exclame avec un grand sourire. Ça va mec ? Elle est plutôt chaude Emilie là hein ?
Il s’esclaffe.
- Ouai … j’ai fait en sorte de la détendre un peu. You’re welcome pelo, dit-il en me faisant une tape dans le dos.
Les gars comme lui baissent toujours leur garde avec moi, ils interprètent mal mon comportement avec les femmes et pensent que comme eux, je les considère comme de vulgaires bouts de viande.
- Sérieux ? Mais comment t’as fait ? Tu lui as donné un truc ? Parce que pour la dérider à ce point … faut y aller fort !
- Ouai bah tout à l’heure … je lui ai offert un cocktail un peu spécial, si tu vois ce que je veux dire.
Il me fait un clin d’œil. L’adrénaline afflux dans mon sang.
- Du GHB ? » je chuchote vers son oreille pour jouer le mec discret.
Il opine du chef, fier :
- Elle a voulu me faire la morale une fois, parce que je traitais une étudiante de salope. Le karma a frappé, maintenant c’est elle qui se comporte comme une salope ! rit-il grassement.
Ma mâchoire se crispe à m’en faire mal aux dents.
Je baisse la tête, monte la main à mon visage, laisse échapper un petit rire nerveux et sans crier gare écrase mon poing contre sa face.
Il tombe par terre et regarde surpris sa main en coupe récupérer le sang qui coule de son nez.
- Putain tu m’as cassé le pif connard ! crie-t-il.
- Martin, qu’est ce que tu fous ?! intervient Bastien qui me rejoint en courant.
- Appelle les flics. Ce gars a drogué Emilie. Je la ramène en lieu sûr et je vous rejoindrai pour enregistrer ma déposition. Tu as mon numéro si besoin.
Il est sous le choc. Il se retourne vers Emilie qui danse debout sur une table pendant que Ludivine tente de la ramener sur la terre ferme. Puis il regarde à nouveau Brian.
- Je peux compter sur toi, Bastien, ou pas ? C’est important, ce gars ne doit pas s’en sortir comme ça, ça aurait pu être très grave.
Soudain son regard accroche le mien et il hoche la tête, sérieux.
- Ils voudront sûrement lui faire passer un test de dépistage, il réfléchit à voix haute.
- Si c’est le cas, je l’emmènerais.
Je fonce vers Emilie. Je l’attrape alors qu’elle est toujours debout sur cette table, un bras sous ses genoux et l’autre derrière son dos, la main un peu trop proche de son sein droit.
- Hééé, proteste-t-elle. Martin je veux danser, laisse-moi !
- Désolé Beauté mais faut qu’on rentre.
Elle glousse.
- Tu m’as appelé beauté !
Heureusement que j’habite à seulement deux rues d’ici. Mais la ramener jusqu’à chez moi intacte est un défi de tous les instants. On dirait qu’un démon a pris possession de son corps.
Je la porte enfin jusqu’à ma chambre.
- Allez ma belle c’est l’heure de dormir.
Je la pose sur mon lit.
- Je veux pas dormir ! boude-t-elle comme une enfant.
Je la quitte des yeux pour prendre une couverture dans mon placard, mais quand je me retourne, je la trouve en train de se dévêtir. Je me force à détourner le regard mais j’ai eu le temps de remarquer que son petit corps est beaucoup trop à mon goût.
Je souffle péniblement.
- Emilie, tu peux pas attendre que je sois parti pour te déshabiller s’il te plaît ?
- Parti ? Ah non tu pars pas ! Tu dois rester avec moi !
Génial, une petite fille a pris possession de son corps sexy dénudé. J’essaie de ne pas la regarder pendant que je la guide jusqu’à mon lit. Elle fait mine de se laisser faire sagement. Quand je tente de l’allonger, elle m’attrape je ne sais comment et je tombe sur elle en travers du lit.
- Bon dieu Emilie arrête ça, je proteste en grognant tandis qu’elle essaie de m’embrasser.
Ses mains commencent à me tripoter par la même occasion. « Self control » je me répète dans ma tête. J’attrape ses bras et les maintiens au-dessus d’elle d’une main et de l’autre je lui attrape doucement mais fermement les cheveux pour bloquer sa tête sur le lit.
Elle me sourit d’une manière …d’une manière interdite aux moins de 18 ans. Sa poitrine se soulève puissamment.
J’avais déjà envie de coucher avec elle sans qu’elle ne fasse aucun effort en ce sens, alors là …je dois mettre toute ma bienveillance en premier plan pour tenir le coup.
J’essaie de réguler ma respiration, de contrôler le désir qui est prêt à prendre le contrôle de mon entre-jambe.
J’étouffe un râle :
- Ça suffit !
Je me redresse, l’attrape (c’est une plume cette fille j’en reviens pas), la jette sur le lit, de façon à ce qu’elle soit dans le bon sens cette fois-ci, et l’emprisonne dans la couette comme une crêpe.
- Je peux mettre un peu de musique pour t’aider à t’endormir, si tu veux …, dis-je en sortant mon téléphone.
- Non, viens à côté de moi. S’il te plaît. Je veux pas être seule.
Je souffle, hésite, et m’allonge tout de même à côté d’elle, à une distance que je juge raisonnable.
Peine perdue, elle se tortille je ne sais comment et vient instinctivement se lover contre moi. Heureusement qu’il y a la couette enroulée autour d’elle.
- J’ai chaud !! se plaint-elle alors et elle s’agite pour se délivrer de la couverture, avant de revenir se coller à moi.
Je me fige, pris au piège. Malgré mes vêtements, je sens la chaleur de son corps envahir le mien. Son odeur, divine, vient titiller mes narines.
Ses mains commencent à se promener sur mon torse. Je lui administre une tape gentille sur les mains à chaque fois qu’elle tente des caresses trop sensuelles. Elle va me rendre fou. Désespéré, je tente une approche nouvelle.
- Viens là.
Je me tourne pour l’enlacer complètement, la serre fort contre moi et lui caresse tendrement les cheveux. Et … ça semble la calmer. Elle met son nez entre mon cou et mon épaule et sa respiration ralentit doucement. J’ai d’abord fait ça dans le but de la bercer. Mais je suis surpris d’éprouver moi aussi du contentement dans cette étreinte. Je ne crois pas avoir déjà expérimenté ça avec une fille. C’est la première fois que je prends une femme dans mes bras de façon innocente, sans arrière pensée. Je me sens …bien avec elle dans mes bras. Sans m’en rendre compte, je tombe dans le sommeil.
*Emilie
Je suis réveillée en sursaut par une mouche qui vient me chatouiller le nez. J’ouvre les yeux et me rends compte que je suis collée à un …torse d’homme. Mon cœur manque un battement. Je lève la tête vers le visage de …Martin ?
Il est paisible, les yeux fermés, sa poitrine se soulève de façon régulière. Il paraît différent comme ça, plus …enfantin. Je me perds un peu dans ma rêverie en l’observant. Je suis soulagée de voir qu’il porte ses vêtements. Donc a priori on a rien fait …d’ordre sexuel?
Je n’ose pas bouger de peur de le réveiller. Je fais glisser une main sur mon corps pour déceler que je ne porte que mes sous-vêtements. Le rouge me monte aux joues. Merde, qu’est ce que j’ai fait de mes habits ?! Et …qu’est-ce que je porte comme sous-vêtements déjà ?? Sans oser bouger, j’essaie de me rappeler par le toucher ce que je porte. Je pousse un petit soupir de soulagement quand je constate que je porte un ensemble noir simple mais suffisament sexy.
- Fils ? appelle une voix d’homme dans l’appartement.
Crap !
- Fils t’es là ? j’entends les pas se rapprocher de la chambre. On vient toquer à la porte.
Je me redresse et secoue Martin.
- Martin ? Réveille toi.
Ses paupières papillonnent, il est momentanément aveuglé par les rayons du soleil. Puis il m’aperçoit, semble se souvenir de ma présence.
- Martin, ton père est là ...
Ses yeux s’écarquillent puis il attrape son téléphone, voit l’heure, jure et se relève en hâte.
- J’arrive ! il crie.
Il se dirige vers la porte et avant de l’ouvrir se retourne vers moi pour me dire :
- Désolé, je reviens de suite. Je … j’arrive.
Et il quitte la chambre.
J’observe la pièce. C’est très sommaire, pas de déco, pas d’objet personnel. Le lit double fait face à un placard mural de la même couleur que le mur. Il y a une modeste table de nuit en bois clair du côté où se trouvait Martin. Et c’est tout. Pour quelqu’un de bordélique comme moi, c’est incompréhensible qu’il puisse vivre comme ça. Où est-ce qu’il met ses affaires ?
J’entends discuter dans la pièce à côté. Je me demande à quoi ressemble son père.
J’entreprends de me lever pour récupérer mes vêtements qui jonchent le sol. J’essaie de me souvenir pourquoi je suis ici et ce qui s’est passé la nuit dernière. Je me rappelle avoir discuté avec Brian. J’ai joué au twister aussi je crois…et puis c’est le trou noir.
Je ne suis qu’à moitié vêtue quand Martin refait son apparition dans la chambre.
- Merde désolé ! dit-il en me tournant le dos.
Je finis de m’habiller rapidement.
- C’est bon, je lui dis.
Il me regarde, se frotte l’arrière de la tête.
- On s'assoit ? il joint la parole au geste.
Comme il ne dit d’abord rien, je parle la première.
- Je suis désolée Martin, j’ai fait quelque chose de mal hier soir, c’est ça ? Je ne me souviens de pas grand-chose, pourtant je ne crois pas avoir beaucoup bu …
- Je t’arrête tout de suite. Tu n’as pas à t’excuser d’accord ? Tu vas comprendre pourquoi, malheureusement.
Je fronce les sourcils. Et il me raconte tout. Comment Brian m’a drogué. Comment il l’a démasqué. Comment il a géré la situation. Mon pouls s’accélère mais en même temps c’est comme si je ne ressentais rien. C’est tellement perturbant de ne pas se rappeler ... J’ai l’impression qu’il parle de quelqu’un d’autre.
- Je suis désolé Emilie. Je me doutais que Brian n’était pas sincère. Je n’ai pas été assez vigilant. J’aurais pas dû te laisser seule. Ça aurait pu très mal finir, je n’ose même pas imaginer ce qui aurait pu arriver si Ludivine n’était pas venue me chercher. On aurait pu profiter de toi si facilement … »
Je pose instinctivement ma main sur son bras…musclé.
- Martin …tu ..tu ne vois pas les choses clairement. Tu as été suffisamment vif d’esprit pour comprendre ce qui se tramait. Tu as fait avouer Brian. Tu as fait en sorte qu’il ne s’en sorte pas indemne et tu m’as amené chez toi pour me mettre à l’abri … et a priori tu as pris soin de moi jusqu’à ce que je m’endorme … Je rêve où …tu es en train de rougir ? Je ne savais pas que tu en étais capable !
Je réussis à lui arracher un sourire.
- Tu m’as rendu la tâche très difficile la nuit dernière l’intello, dit-il les yeux dans le vague, avec un rictus amusé. On dirait qu’il se remémore les souvenirs de la veille et il laisse échapper un petit rire. Il tourne son regard sur moi.
- On dirait que c’est toi qui rougis maintenant.
- J’ai peur de ta réponse mais s’il te plaît, dis-moi ce qu’il s’est passé hier exactement ?
- Ce que tu as fait …va alimenter mes fantasmes pendant longtemps ! s’exclame-t-il moqueur.
- Stop teasing me ! je m’exclame en anglais.
- Ok ok je te raconte. Tu étais très désinhibée. J’ai dans un premier temps dû t’empêcher de te déshabiller à la soirée. Et une fois arrivée ici …et bien …je n’aurais jamais cru devoir tout faire pour ne pas que tu me sautes dessus, dit-il en essayant de se retenir de rire.
- R’you kidding me ? je le regarde, choquée.
- I.am.not., répond-t-il hilare maintenant.
Je ne sais plus quoi dire. Je ne sais plus quoi penser.
La voix de Martin redevient sérieuse.
- Je devais te coucher et aller au commissariat mais je me suis endormi aussi. Il faut qu’on y aille aujourd’hui pour enregistrer nos deux dépositions.
Je hoche la tête.
- Et à mon avis, il y a des chances que tu doives faire un test de dépistage.
J’opine à nouveau.
On se lève en même temps.
- Martin …m-merci. Merci beaucoup.
Il semble bizarrement embarrassé. Je lui suis vraiment reconnaissante. S’il n’avait pas été là …
*Martin
- Martin …m-merci. Merci beaucoup, me dit-elle.
Je n’ose imaginer ce qui aurait pu se passer si je n’avais pas été là. Et dire que c’est moi qui l’ai incité à venir à cette soirée … je ne suis pas sûr de mériter ses remerciements.
Soudain, son petit corps se plaque contre moi et ses bras m’enlacent. Je ne sais pas comment réagir. Décidément, elle met à mal mes principes de conduite avec les femmes. Je mets doucement ma main en haut de son dos. Je baisse la tête et j’hume discrètement ses cheveux. Ils sentent l’abricot. On reste comme ça un petit moment.
- Allez, direction le commissariat maintenant, lui dis-je.
Elle relâche son étreinte et hoche la tête.
- Tu me fais vivre plein de belles aventures Martin GAILLARD.
Je sais qu’elle me taquine mais la culpabilité m’assombrit l’esprit.
- Hé je plaisantais. Tu n’y es pour rien ok ?
Elle scrute mon regard et fronce les sourcils.
- Je t’interdis de culpabiliser. Le seul qui devrait ressentir ce sentiment, c’est cet enculé de merde ! On ne peut pas contrôler le comportement des autres, seulement le nôtre. Et toi, tu as contrôlé ton comportement avec brio, cocky guy, ajoute t-elle avec un rictus taquin.
Je ne peux m’empêcher de sourire. C’est vraiment un numéro, cette nana.
- Let’s go.
- Ton père est toujours là ?
- Non, je lui ai rapidement expliqué la situation. Il est parti.
J’ai le sentiment qu’elle veut me questionner davantage mais elle se tait. Je la guide vers la sortie et je nous amène au commissariat. Vivement que cette journée, même ce week-end, soit terminés !
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* Emilie
Je n’ai pas de nouvelles de Martin pendant plusieurs jours. Le dimanche, je suis trop gênée pour lui écrire et espère qu’il fera le premier pas. Le lundi, en cours, il me fait signe de la main en souriant mais garde ses distances. De même mardi, ainsi que mercredi. Je ne sais pas quoi penser de cette situation. Au moins, Brian ne vient plus en cours et j’en suis soulagée.
Mais …Martin. Le dernier événement a dû le refroidir. Il ne veut peut-être plus s’embêter avec moi. C’est pas une expérience qu’on s’attend à vivre alors qu’on se fréquente depuis quelques jours seulement. Je ne sais même pas quelles étaient ses intentions en m’invitant à cette soirée. Je ne le saurai peut-être jamais maintenant. Je m’en veux d’avoir été si naïve avec Brian. Si seulement je m’étais méfiée … Je me sens stupide. Mais je n’ai pas envie de laisser la situation actuelle s’embourber comme ça. Ce serait trop bête.
Vendredi après-midi, je n’en peux plus et je l’intercepte dans les couloirs alors qu’on change de classe.
- Martin.
Pour une fois ma voix ne trébuche pas.
- Hey, répond-il simplement sans me regarder.
- Est-ce que tu vas bien ?
Surpris par ma question, il me regarde enfin, avant de diriger à nouveau le regard devant lui.
- C’est plutôt moi qui devrais te poser la question.
- Mais tu ne le fais pas …, je note.
Il soupire.
- Oui. Je suis désolé. J’étais …embarrassé par la situation. Excuse-moi si mon comportement t’a laissée confuse.
- Pourquoi tu étais embarrassé ?
Il soupire de nouveau, clairement mal à l’aise.
- Je …je ne savais pas …je …j’avais peur que les évènements passés …influencent notre relation. D’une façon ou d’une autre. Je… Pour être honnête, j’ai flippé.
Oh. J’essaie d’intégrer ses paroles.
- Tu avais peur que ça devienne trop sérieux entre nous ?
- …oui. On se connaît à peine. Et d’un coup on a vécu …tout ça.
J’opine du chef.
- Oui, je comprends. Cette réflexion m’a traversé l’esprit aussi.
Il ne dit rien mais a l’air un peu plus détendu.
- C’est bien qu’on en parle un peu. Ce n’est pas une situation anodine. C’est normal que ce soit perturbant. Mais pour être honnête, moi aussi, ton arrogance me manque. Un peu, fis-je en mimant un petit espace entre mon doigt et mon index.
Je le gratifie par la même occasion d’un petit sourire enjôleur, histoire de le faire rire.
Et cela fonctionne.
- All right l’intello. Tu es vraiment maligne, tu le sais ça ?
Je repense à ma naïveté face à Brian et réponds avec du regret dans la voix:
- Pas toujours, malheureusement.
Il tourne la tête et fixe le sol, la mâchoire serrée.
- What’s wrong ? je demande, en perdant mon français.
Il relève la tête vers moi et ses mains sur mes bras, me pousse doucement jusqu’à ce que mon dos rencontre le mur du couloir.
- Ne me dis pas que tu te sens coupable ?
Je rougis sous son regard perçant et baisse un instant le regard, honteuse.
- Ça t’étonne ? J’ai bêtement cru à sa « repentance », j’ai été vraiment …idiote et naïve, je confesse.
- Emilie, il soupire, se détend un peu et reprend :
- Déjà, même si tu ne l’avais pas cru, il aurait trouvé un moyen de verser sa merde dans ton verre quand tu ne faisais pas attention. Une soirée alcoolisée avec du monde, c’est des circonstances idéales pour commettre ce genre de merde, parce que les gens décompressent et ne se méfient pas. Ensuite, tu es optimiste. Et ce n’est pas un défaut. Tu vois le meilleur chez les gens et tu espères le meilleur d’eux. Tu dois être tellement déçue parfois, mais c’est une magnifique qualité et tu ne dois pas la perdre à cause de gens qui ont choisi de voir de la noirceur partout.
Je suis hypnotisée par son regard, ses mots, et la pression de ses mains, grandes, fortes, sur mes bras. Je sens mon cœur pulser avec puissance dans ma poitrine. A l’entendre, j’ai l’impression qu’il me connaît depuis des années.
Soudain, il semble perturbé par son comportement, il relâche son emprise et s’écarte de moi. Là, tout de suite, j’aurais envie de me jeter dans ses bras et de l’embrasser. Je réprime cette envie au fond de mon ventre et affiche un sourire :
- On dirait que tu vas être en retard en cours à cause de moi pour la deuxième fois en peu de temps. Je ne pensais pas que tu avais besoin de quelqu’un pour t’aider à accomplir tes méfaits.
Il agite la tête en ricanant.
- You’re such a bad, bad girl Emilie AUBRY.
Et on se dirige ensemble vers notre dernier cours de la semaine.