À la faveur de la lune,
Le sortilège se consume.
L'effraie hulule à minuit.
Sous son regard,
Le blanc devient noir,
L'obscurité devient lumière.
En feu de joie,
La nuit s'éclaire.
Éclatante pénombre, obscure clarté.
Rien n'a de sens pour celui qui refuse de voir la vérité.
Sur le bûcher, un homme clame son innocence,
Refusant la potence.
Mais sa supplique turpide n’atteint pas le clergé,
Qui le croit ensorcelé,
Car avec la pucelle, il a fauté.
Prière impie, pieux mensonge.
Rien n’a de sens pour celui qui vit dans le songe.
Sur le bûcher, il formule son dernier vœu.
Réprouvé, les flammes rongent sa peau.
Son Seigneur lui tourne le dos.
Le Diable l’embrasse.
De la pucelle, on ne retrouva jamais la trace.
À la faveur de la nuit,
Le sortilège accompli,
Clôt la cérémonie.
***
Je ramène mon casque sur mes oreilles. Le bruit de fond s’estompe un peu, mais l’écho résonne toujours. Si je n’entends plus geindre ma voisine, ses pensées cognent contre ma tête. Elle n’a plus aucun secret pour moi, et je m’en serai bien passé. Il m’arrive de pleurer lorsque le silence se fait dans sa chambre. Ce ne sont pas mes larmes, mais les siennes qui viennent inonder mes joues. Il n’y a rien que je puisse faire pour elle. Son monde est submergé d’eau salée, elle ne touche pas le fond, elle se noie dans son chagrin, et m’entraîne sans le savoir vers sa fin. Je m’extirpe de son océan en me cramponnant à mon pendentif.
Le silence me manque. Je me tiens en plein milieu d’une cacophonie incessante, et pourtant je me sens seule. Je suis à bout de force. La tête entre mes mains, je pleure en silence, priant pour que mon agonie s’achève ou m’achève. Soudain, ma peau me brûle, le frottement des vêtements que je porte m’est insupportable. Je m’arrache à leur emprise, hurlant de douleur, et me retrouve nue au milieu de ma chambre, écorchée à vif. Du fond du couloir, j’entends les aides-soignantes accourir. Je me recroqueville sur moi-même et prends dans mes mains le collier. En vérité, je m’accroche à lui comme à une ancre. La porte s’ouvre et les femmes déferlent dans la pièce, horrifiées. Karma s’approche de moi et me couvre d’un drap de lit propre.
— Courage, ma petite, me chuchote-t-elle, toujours aussi bienveillante.
On m’aide à marcher jusqu’aux douches, où l’eau froide apaise mes brûlures. Je me laisse aller et mes pleurs se mêlent au fond sonore. Karma veille sur moi pendant un long moment, passant un linge humide sur mon front et mes bras. J’essaie de lui dire merci, mais mes mots ne l’atteignent pas. Ils restent coincés dans ma bouche, mais je vois dans ses yeux qu’elle a compris mon geste. Elle remarque mon collier à mon cou et me jette un regard curieux. Je serre le bijou dans ma main. Je sais que je ne suis pas autorisée à posséder des effets personnels, c’est contre le règlement, mais je veux le garder avec moi. Nos regards se croisent. Elle comprend et recouvre ma main de la sienne, jurant ainsi de garder le secret. Elle m’abonde de mots rassurants et sa bonté me brûle plus fort que ma peau. Je me remets à pleurer. Comme une mère, elle me prend dans ses bras et me berce, répétant que tout va bien, que je ne risque rien.
Alors que je sèche enfin mes larmes, le psychiatre tire brutalement le rideau de douche. Perturbée, je ne l’avais pas entendu venir, je reste muette, tandis que Karma couvre mon corps, protégeant ma pudeur face au visage du docteur qui se froisse d’incompréhension.
— Depuis quand est-elle ainsi ? demande-t-il à Karma comme si je n’étais pas dans la pièce.
Karma répond vaguement à sa question, et manifeste son désir de me reconduire à ma chambre.
Elle m’aide à me relever et je titube comme un faon qui fait ses premiers pas. Je croise mon reflet dans le miroir et pousse un hurlement. En lieu et place de mon visage, c’est une carne rouge et calcinée qui me renvoie l’effroi de la mort. La peau avait fondu, les os étaient saillants sur mes pommettes et mes cheveux n’étaient plus que des brindilles fumantes. Mon hurlement résonne dans tout le centre hospitalier et le corps médical s’attroupe autour de moi, mais seule Karma reste calme. Elle prend mes mains dans les siennes et cherche mon regard.
— Tu n’as rien, Jane. Regarde, tu n’as rien.
Je baisse les yeux sur mes mains, puis mes avant-bras et je découvre qu’ils sont intacts. Ma respiration saccadée se calque sur celle de Karma et je reprends pied dans la réalité qui m’entoure.
— Je… je ne comprends pas… J’ai cru brûler.
Mal m’en a pris de lever les yeux sur le psychiatre, dont les sourcils se rejoignaient presque tant il était contrarié. Il donne ses ordres et tout le monde s’exécute. On me raccompagne dans ma chambre, où m’attendent Blouse Blanche et ses instruments de torture. Je sais déjà que j’aurai droit à un calmant puissant, peut-être même à un somnifère. Mais tout d’abord, on m’enfile une nouvelle tenue et on m’allonge dans mon lit. Je redoute l’intraveineuse et ferme les yeux pour oublier l’espace d’un instant où je suis.
Blouse Blanche me fait la conversation pour me distraire de son aiguille, je l’écoute à peine, car dans ma tête résonne ses pensées. Son inquiétude s’impose à moi, plus forte que ma volonté de rester en paix. Je vois du feu, j’entends des hurlements semblables à ceux que j’avais poussés plus tôt, à la différence près que ce sont ceux d’un homme. J’entends la sirène des pompiers et des flashs de lumières traversent mes paupières. Je vois un corps calciné, semblable à celui que j’avais aperçu dans le miroir. Un brancard l’emporte dans un sac mortuaire.
Ou c'est moi qui suis impatient ou ça ne va pas assez vite. C'est une sujétion, peut-être, des chapitres plus longs.