La première chose à laquelle Victor pensa en sortant du travail, c’est qu’il devait aller acheter tout ce dont Ava avait besoin. Est-ce qu’il devait y aller seul pour lui faire la surprise en rentrant ? Ou bien devait-il d'abord aller la chercher pour qu’ils le fassent ensemble ? Se questionnait-il en se tripotant la moustache.
Se torturer les méninges autrement qu’avec les chiffres, était nouveau pour Victor.
Il déboutonna partiellement son habit de banquier, puis sa mallette coincée sous une aisselle, il piqua un sprint en direction de chez lui. En cours de route, il se demanda pour quelle raison il rentrait de la sorte. N'aurait-il pas pu prendre le bus comme d’habitude ? Décidément, elle lui mettait sens dessus dessous la caboche.
« Ma foi, tant pis, au point où j’en suis maintenant, autant aller jusqu’au bout. »
Une fois devant sa porte, il y resta plusieurs minutes, afin de se redonner une contenance à peu près normale. Une fois, toutes traces de sueurs effacées de son visage et un rythme cardiaque de nouveau dans la moyenne, il ouvrit la porte.
Il fut surpris par un courant d’air et davantage quand il aperçut des feuilles volées dans le salon. Avec un froncement de sourcils, il ferma la fenêtre.
— Ava, où êtes-vous ?
Il avait essayé de maîtriser l’intonation de sa voix, mais ce fut un échec.
Avant de s'autoriser à paniquer totalement, il fouilla la maison de fond en comble. Malheureusement, il dut se rendre à l'évidence, elle n’était plus là.
Désemparé, il se laissa tomber dans le sofa. Il pressa les paumes de ses mains sur ses genoux, pour tenter de stopper leurs tremblements.
« Qu’est-ce qui m’a pris de la laisser toute seule ? Alors qu’elle vient de débarquer sur Terre. »En colère contre lui-même, il donna un coup de pied dans la table basse. Il se trouvait idiot de ne pas avoir pensé à lui apprendre à se servir d’un téléphone fixe ou d’un bipeur, en cas de problème. Il essaya de se convaincre qu'il ne pouvait s'agir que de cela. Oui, elle avait simplement eu une urgence, qui n’avait aucun rapport avec lui. « Victor, elle ne t’a pas fui, alors va la chercher. »
Malgré sa bonne volonté à changer d’état d’esprit, ses traumatismes d'enfance à l’orphelinat, ne lui rendaient pas la tâche facile.
Que les personnes concernées veuillent l’admettre ou non, l’abandon laisse une trace indélébile.
*
Ava déambulait dans les rues, enfin pour être plus exacte, ça, c'est ce que croyaient les passants.
En vérité, elle suivait la trajectoire que lui dictait son instinct. Cela la mettait dans un état second. De plus, accompagné de son accoutrement, rappelons-le, un pyjama, pas étonnant que plusieurs personnes aient été tentées d’appeler la police. Heureusement pour elle, personnes ne le fit.
Résultat de cet état, Ava ne se rendit pas compte de ce qu’elle faisait. Même pas lorsqu’elle se mit à suivre l’homme de son dessin, jusqu’à chez lui.
C’était un chômeur, devenu ivrogne, qui évacuait les symptômes de sa dépression sur sa pauvre enfant de trois ans. De plus, n’étant pas déclaré, elle était souvent seule dans l’habitation délabrée. Sa mère, morte en lui donnant la vie, la petite n’avait donc que son bourreau de père.
**
Goldwyn était en train de se faire lustrer les écailles par ses servantes, à l’aide de bave de crustacé, quand un flash lui apparut. Elle se massa les tempes, elle avait récolté un début de migraine. C'était le prix à payer, pour posséder ce don.
D’un geste dédaigneux, elle congédia ses servantes.
Le côté, très aléatoire des flashes, l’agaçait fortement.
— Où est-ce que cette gourde est allée se fourrer ?
— Qui ça ? Demanda son frère, en soulevant une rondelle de concombre des mers, posé sur un de ses yeux.
Le vert de ses écailles se mariait à merveille avec la couleur mate de sa peau ainsi que ses cheveux noirs.
— Il n’y a qu’une sotte dans notre famille, à moins que tu veuilles que je te qualifie également de cette manière Asvin.
Il retira les concombres et commença à brosser sa chevelure à hauteur des épaules. Il avait l’habitude, mais ce qu'elle était pénible quand même…
Goldwyn soupira.
— Je parlais de notre petite sœur, Ava.
— Oui, j’avais compris. Et bien que lui arrive-t-il ?
— Oh, je ne vois pas tout non plus, mais de ce que j’ai aperçu, j’en déduis qu’elle risque de se retrouver en très mauvaise posture. Pauvre petite chose. Soupira-t-elle.
Asvin laissa apparaître un sourire en coin.
— Avoue-le, tu n’es pas si insensible à son sort.
— Sottise !
Asvin attrapa une émulsion hydratante et commença à s’en appliquer sur les bras. Il s’aimait tant, que ses gestes étaient sensuels.
— N’empêche, que ça ne te coûterait pas grand-chose de l’aider un peu.
Goldwyn émit un rire, qui sonnait faux.
— Tu plaisantes, j'espère ? Si je retourne à la surface sans autorisation, je serai corrigé sévèrement. Déjà que je n’ai pas encore détruit les perles d’Ava.
Asvin posa des coquillages sur ses oreilles.
— Je n’ai rien entendu.
Goldwyn leva les yeux au ciel.
— Quelle mauviette tu fais.
— Moi, je suis un futur Roi. De plus, tu peux l’aider sans avoir besoin de monter à la surface, il te suffit de passer par le lien que tu as créé avec l’humain, comment s’appelle-t-il déjà ?
Il enroula une mèche de cheveux autour de son index, avec un air moqueur.
Une ombre traversa les iris or de Goldwyn.
— Victor, sombre idiot, je te l’ai dit à plusieurs reprises.
— Tu n’as aucun humour ma parole !
— Si tu le dis frangin. En revanche, j’avoue que tu as raison pour le lien. Tu m’aiderais ?
— Absolument pas. Répondit-il, une lueur espiègle dans les prunelles.
Goldwyn regarda son avant-bras, car une sensation de froid avait saisi son membre.
Elle arqua les sourcils, en voyant apparaître les mots, pourquoi pas, ça peut être amusant.
— Tu ne changeras jamais Asvin.
_ Certes, mais tu m’aimes quand même grande sœur ? Demanda-t-il en battant des cils.
_ Mmm.
Son haussement d’épaules acheva de convaincre Asvin. Elle faisait semblant d’avoir un cœur de glace.
Ce que tous deux ignoraient, c’est que, sous ordre de leur mère, une servante était restée derrière la porte pour espionner leur conversation. Et ce depuis le début.
***
Le bourreau ouvrit avec brutalité sa porte.
— Angélique ! Sors de ton trou putain !
Complètement apeurée, la petite fille sortit en courant de l’habitation. Comme si elle avait l'habitude, elle était intelligemment passée entre ses jambes.
— Reviens ici bordel ! J’en ai marre de toujours te courir après !
En titubant légèrement, l’homme attrapa une latte en bois.
— C’est la fois de trop, saleté de mioche. Marmonna-t-il.
Il partit à la poursuite de l'enfant, d’une démarche un peu en zigzague. Dans sa précipitation pour le fuir, celle-ci trébucha.
C’est à ce moment-là qu’Ava fut libérée de son état second. En voyant la réalisation de son rêve, tous ses sens se mirent en alerte.
Elle bondit sur ses pieds pour rejoindre la petite fille, qui avait les mains et les genoux écorchés. Paralysé par la peur, Angélique fixait avec des yeux écarquillés, son père qui approchait redoutablement. À aucuns instants, Ava ne pensa au fait qu’elle se mettait peut-être en danger.
Sans réfléchir, Ava fit rempart avec son propre corps.
Le bourreau n’était plus qu’à quelques pas d’elles. Ava sentit, au plus profond de ses tripes, qu’elle devait agir très vite.
— Écoute-moi bien, à mon signal, cours vite te trouver une cachette et n’en ressort pas tant que je ne reviens pas te chercher. Chuchota-t-elle.
Angélique secoua vivement la tête de haut en bas.
_ Maintenant.
La petite fille s’exécuta et au même moment la latte en bois se brisa sur le dos d’Ava. Malgré l’intense douleur, elle eut tout juste le temps d’attraper les jambes de l’homme, avant qu’il puisse saisir sa fille. À cause de l’action d’Ava, il s’étala au sol. Pour l’empêcher de se relever, elle s’affala sur son dos et s’agrippa de toutes ses forces.
_ Merde, fait chier toi ! Lâche-moi putain ! Hurlait-il en se débattant.
En constatant que l’enfant était désormais loin devant, Ava relâcha un peu sa prise. Ce qui fut une erreur.
Car il en profita pour se dégager. Ava qui était à bout de force, n’eut pas le temps de réagir, quand il la coinça sous lui.
****
Victor ne savait même plus depuis combien de temps, il interrogeait des passants.
Et il n’était vraisemblablement pas parti dans la bonne direction, puisque personne n’avait croisé Ava.
Plus les minutes passaient, plus sa cage thoracique se compressait.
Dans une dernière tentative désespérée, il alla à la rencontre d’une dame un peu âgée. Il était allé vers cette personne, car elle avait l’air moins pressé que les autres.
— Vous n’auriez pas vu une jeune femme, avec une longue chevelure noire, de grands yeux violets et un pyjama gris et bleu à carreaux ? Répéta-t-il à la façon d’un automate, pour la trentième fois.
— Oui, il me semble bien.
Il eut presque envie de la prendre dans ses bras.
— Vraiment ? Où ça ?
Elle observa les alentours puis pointa un doigt.
— Je crois que je l’ai vu entrer dans ce magasin.
— Merci infiniment Madame !
C’était donc si simple ?
Il n’eut pas le temps de pénétrer à l’intérieur, qu’un feu intérieur s’empara progressivement de son corps Cette sensation désagréable lui rappela un mauvais souvenir. En revanche, pour la première fois dans sa salle de bain, la douleur ne s’était pas propagée jusqu’à sa boîte crânienne, il secoua la tête et ses oreilles se mirent à siffler insupportablement.
Inquiète, la femme d’un certain âge s’approcha. Il avait l’impression qu’on lui soufflait des pensées qui n'étaient pas les siennes. Mais rien de trop distinctif, c’était plus un grésillement de poste radio.
— Est-ce que tout va bien, Monsieur ?
Il repoussa la vieille dame, comme si elle n'était rien de plus qu’un insecte dérangeant.
La vue à moitié brouillée, il tituba jusqu’à une ruelle déserte. Là, il se laissa glisser par terre.
— Victor ?
Il était presque certain d’avoir entendu cette appellation dans sa tête.
-Regarde ton avant-bras.
Il refusait d’obéir à cette voix mentale, qui d’ailleurs ressemblait énormément à celle de Goldwyn.
— Allez vous faire voir ! S’exclama-t-il sans trop savoir s’il répondait vraiment à quelqu’un.
Il n’eut aucun mal à identifier le rire cristallin qui résonna à l’intérieur de son crâne.
_ Comme tu voudras, mais je pensais que le sort d’Ava te préoccupait davantage.
Il se releva d’un bond.
— Que savez-vous ?
— Je vais me répéter, mais, regarde ton avant-bras.
Victor fit une moue dubitative.
— Pourquoi ? Et lequel ?
Soudainement, il eut l’impression qu’on avait plongé son bras gauche dans un bac à glaçons.
— Maintenant, tu sais.
Avec des yeux écarquillés, il contempla une phrase s’inscrire sur sa peau. 1347 Louisiane boulevard.
— Qu’est-ce que ça signifie ? Bredouilla-t-il.
— C'est sa localisation. Mémorise-la bien, car elle disparaîtra dans quelques minutes. Ça manque de précision, mais la distance ne me permet pas de faire mieux.
Le grésillement recommença pour finir par laisser place au silence.
Victor paniqua quand il aperçut les mots sur sa peau qui commençaient déjà à disparaître.
« 1347, Louisiane boulevard. » Se répéta-t-il à plusieurs reprises pour imprimer cela dans sa mémoire.
*****
Plus Ava se débattait, plus il faisait peser le poids de son corps sur le sien, elle en avait la respiration coupée. Ses jambes étaient bloquées entre celles de l’homme.
Quant à ses bras, l’homme les lui maintenait au-dessus de la tête.
Pour couronner le tout, il commençait à dessoûler, et par conséquent à retrouver davantage de lucidité.
— Qui t’es toi ? Demanda-t-il en saisissant sa gorge.
Des larmes perlaient aux coins des yeux d’Ava.
— Réponds bordel !
Il était dans un tel état de colère qu’il postillonna sur elle.
Elle se mordit les lèvres et secoua la tête. Dans un accès de fureur, il lui empoigna les cheveux. Ava étouffa un cri de douleur.
— T’as plutôt intérêt à me dire où est ma gamine.
Ava fut frappée par une crise incontrôlée de tremblement. Cependant, elle avait beau être terrifiée, elle ne pouvait se résigner à abandonner la petite fille.
_ Angélique ! Viens voir papa. Ajouta-t-il d’une voix plus douce.
Heureusement, la ruse ne fonctionna pas. L’enfant, c'était blotti dans le creux d’un tronc d’arbre, les instructions d’Ava bien en tête.
Quand l’homme se releva, tout en continuant à tenir fermement les cheveux d’Ava à la base du crâne, la crainte de mourir, lui retourna l’estomac.
Il commença à la traîner sur le sol, les cailloux lui écorchait la peau, elle voulait crier, mais s’en empêcha pour ne pas terroriser davantage Angélique.
Ava avait l’impression que son cuir chevelu allait s’arracher.
Elle lui griffa les bras et battit des jambes, pour le stopper, mais rien n’y fit.
Du moins jusqu’à ce qu’un grognement féroce se fasse entendre. Il relâcha subitement Ava, qui, à cause de l’impact de sa tête sur le sol, fut sonné durant plusieurs secondes. Elle ne comprenait pas trop ce qu’il venait de se passer.
Quelque chose d’humide lui toucha le visage, elle se redressa vivement sur les coudes. Elle se retrouva nez à nez avec un immense loup noir, aux yeux jaunes. Contre toute attente, elle le trouva magnifique.
Même si elle ne savait pas quel était cet animal, les iris compatissants de la bête lui ôtèrent toutes retenues.
Elle enroula ses bras autour de son cou, la chaleur qu’il dégageait l'apaisait grandement. Instinctivement, comme si elle était une congénère, le loup enfouit son museau dans les cheveux d’Ava.
— Mais qu’est-ce que c’est que ça ?
L’homme saisit un bâton avec l’intention de frapper l’animal.
Mais le loup l’en dissuada en retroussant ses babines.
Après une courte hésitation, l’homme jeta le bâton à terre et s’en alla en courant. Apparemment, le loup n’en avait pas fini avec lui, car il partit à sa poursuite.
Soustraite de la chaleur de l’animal, Ava se releva péniblement. Son corps entier était endolori.
Stupéfaite, elle remarqua que les endroits de sa peau qui avaient été en contacte avec le pelage noir du loup, laissaient apparaître de nouveau ses écailles jaunes.
La panique l’envahît. Elle n’allait tout de même pas retrouver sa forme initiale ici ? Sa famille, aussi imparfaite soit-elle, n’aurait tout de même pas oser lui faire un coup pareil ? Se questionna-t-elle à demi convaincu.
Elle constata avec soulagement que les écaillés avaient déjà disparu.
Du coup, elle fut prise d’un doute, les avait-elle imaginés ?
Sa réflexion l'emmena à une autre.
— Angélique !
******
C’est à bout de souffle que Victor arriva à bon port. Il n’avait jamais autant couru de sa vie, que depuis qu’il connaissait Ava. Son cœur rata un battement quand il aperçut les voitures de police. « Pitié, pas ça, je ne peux pas être arrivé trop tard » se lamenta-t-il.
Il se mit à ressentir un énorme sentiment d’impuissance, comme lors de ses jeunes années. Et il détesta cela. Il serra les poings de toutes ses forces puis se détourna.
Il voulait fuir, non, il en avait besoin, parce qu’il optait toujours pour la fuite, lorsque les choses devenaient trop difficiles à affronter pour lui.
Les paupières closent, il se revoyait en train de s’enfuir de l’orphelinat, car il avait été malmené une nouvelle fois par les autres enfants.
Malheureusement, on le rattrapait toujours et lui seul était sanctionné.
Sa faute, du point de vue des enfants, c’était qu’il était trop différent d’eux. Mais que faire, s’il aimait davantage les livres, à s’amuser avec ses semblables ?
Pour les adultes, il était juste un petit fuyard qu’il fallait punir. Jamais personne ne se donna la peine de connaître la raison de ses fugues.
Une main saisit la sienne, ce qui ne manqua pas de le faire sursauter.
Il réalisa qu’Ava le regardait d’une façon bien spécifique, comme personne auparavant.
C’est probablement ce facteur qui influença sa réaction suivante.
— Je te demande pardon Victor, mais je n’avais pas d’autres choix que partir. Tu es en colère ?
En guise de réponse, Victor posa compulsivement ses lèvres sur les siennes.
Ava ne bougea pas d’un cil, car elle ne savait pas tellement comment interpréter cela. Ni de quelle manière réagir.
Comprenant que ce n’était pas réciproque, Victor s'écarta expressément.
Son sentiment de gêne ne fit qu’accroître, en voyant qu’elle le fixait avec de grands yeux ronds.
— Je suis vraiment désolé Ava, je n’aurais pas dû faire cela. C’est que j'ai cru que je n’allais jamais vous revoir.
Tout en farfouillant dans la terre, à l’aide de la pointe de sa chaussure, il cherchait ce qu’il pouvait bien dire d’autres pour se justifier.
Pauvre de lui, ce n’était certainement pas dans le sol, qu’il allait trouver des réponses miracles.
Aucun des deux ne remarqua la personne qui s’approchait d'eux à pas de loup.
— Ava, tu es là, je me demandais où tu étais passé. C’est l’homme dont tu m’as parlé ?
Elle fit de son mieux pour cacher sa gêne.
— Oui, c'est lui. Victor, je te présente Jeremiah. Il m’a sauvé la vie.
L’homme brun aux prunelles jaunes, afficha un air triomphant. Il ne plaisait pas du tout à Victor.
— Enchanté.
Il tendit une poignée de main, que Victor saisit à contrecœur. Maintenant, il se sentait encore plus minable. Pourquoi n’avait-il pas demandé à Ava ce qu’il lui était arrivé, au lieu de l’embrasser.
— Mmm. Répondit-il à l’inconnu.
« Bon sang Victor, quel âge as-tu ! »
— Je voulais dire de même.
L’homme aux yeux étranges éclata de rire. Victor eut la désagréable impression qu’il le narguait. Quant à Ava, elle restait muette comme une carpe. Que lui cachait-elle ?
— Vous devriez rentrer tous les deux. Je peux gérer la situation tout seul. Victor prend bien soin d’Ava, elle a eu une dure journée.
— Oui, mais la petite fille, Angélique. Que va-t-il lui arriver ? Je ne peux pas l’abandonner.
Avec un regard compatissant, Jeremiah tapota le sommet de la tête d’Ava.
— Ne t’inquiète pas pour elle, maintenant que les services sociaux connaissent son existence, ils vont très bien s’occuper d’elle. Toi, tu as suffisamment fait pour elle. Et pour son père, je vais faire en sorte qu’il soit puni par la loi, comme il se doit. Alors rentre te reposer d’accord ? Lui demanda-t-il en posant les mains sur ses épaules.
— D’accord, encore merci pour tout Jérémiah.
— De rien ma belle. (Il fouilla dans ses poches et en sortit une carte de visite.) Tiens prend ça, c’est pour que tu puisses me contacter en cas de besoin. N’hésite pas, de jour comme de nuit.
Victor se sentait complètement perdu et pire exclu de la conversation.
Déjà, il ne comprenait pas de quoi ils parlaient et en plus leurs proximités donnaient l’impression qu’ils étaient seuls au monde.
— Je te promets qu’on se reverra bientôt. Toi et moi, Ava, on est spéciaux.
Il lui attrapa la main et celle-ci se recouvra instantanément d’écailles. Victor en resta bouche bée. Mais qui était cet homme à la fin pour provoquer cela chez Ava ?
— Je ferais de mon mieux pour t’aider à t’acclimater à la Terre.
Ava ressentait des émotions contradictoires. D’un côté, le fait de rencontrer quelqu’un comme lui la ravissait, mais d’un autre côté, elle voulait aussi complétement oublier sa forme initiale et surtout se fondre dans la masse.
— Sur ce, je retourne auprès des policiers. Ne t’inquiète de rien Ava, je gère la situation.
_ Oui, je sais.
Jeremiah donna une tape au bras de Victor.
_ Excuse nous mon vieux, on t’avait presque oublié. Je te dis peut-être à une prochaine fois.
L’intéressé lui fit un sourire forcé. Ce qui eut pour effet de provoquer en retour, chez Jeremiah, un sourire goguenard.
Cette fois-ci, Victor en était certain, cet individu, mal poli, le provoquait ouvertement.
Comme si de rien n’était, Jeremiah s’éloigna d’une démarche pleine d’assurances.
Ava tira sur la manche de Victor.
— Tu viens, on rentre ?
Victor ne répondit pas tout de suite, sa figure affichait un air particulièrement renfrogné. Ne sachant pas que ce n’était pas tout à fait contre elle, Ava eut très peur qu’il ne veuille plus d’elle chez lui.
— Je sais que tu ne dois rien comprendre, mais promis, je t’expliquerai tout en rentrant.
— Ne vous inquiétez pas, il n’y a rien d’urgent. Est-ce que vous pouvez marcher ?
— Oui, oui, je peux. Seulement, je dois y aller doucement.
Elle fit un demi sourire.
— Allons-y à votre rythme alors. Si jamais vous avez besoin, maintenez-vous à moi.
— Merci Victor.
« Je ne suis plus le seul qu’elle remercie. » Il s’en voulut de penser cela, il était ridicule. D’accord, elle n’avait pas répondu à ses avances et alors ? Il s’en remettrait puis voilà tout !
*******
La servante qui avait tout entendu de la conversation entre Goldwyn et Asvin se dirigeait maintenant vers la salle du trône.
Un garde à la chevelure et aux écailles couleurs flammes était posté devant les portes. Sa musculature paraissait démesurée.
— Halte, Qui va là ? Demanda-t-il en pointant son trident.
Sur un de ses pectoraux, l’emblème du Roi de cet océan, un requin albinos, était tatoué. Ce symbole n’avait pas été choisi par hasard. Car le principal pourvoir du Roi, consistait à contrôler, à son aise, ces rares et dangereux animaux marins.
Pour masquer ses tremblements, liés à l’anxiété, la servante joignit ses mains devant elle.
— N’ayez crainte, je suis seulement une servante de la Princesse Goldwyn. Je souhaite m’entretenir avec le Roi Marin et la Reine Daria.
Le garde baissa son trident, mais garda un air suspicieux.
— C’est à quel sujet ?
La servante afficha une moue mal à l’aise. Le garde soupira.
— Attendez ici, je vais voir ce que je peux faire.
Durant l'attente, elle tenta de se persuader qu’elle avait agi pour le bien de tout le monde.
********
Goldwyn flottait nonchalamment dans ses appartements, en pensant à Victor. Elle ne savait pas exactement pour quelle raison, mais cet humain l’intrigué énormément.
D’un mouvement gracieux de queue, elle s’installa délicatement sur le lit.
Après réflexion, elle finit par se dire que c’était peut-être dû au fait qu’il était vraiment différent des humains qu’on lui avait décrits depuis son enfance.
Perdue dans ses pensées, elle n’entendit pas ses parents entrer dans sa chambre. Pour sa défense, ils n’étaient pas du genre à passer voir leurs enfants.
— Qu'as-tu fait ? Gronda le Roi.
Elle sursauta. Durant un laps de temps, elle crut redevenir une petite fille, prise la main dans le sac.
— Tu nous déçois énormément Goldwyn. Ajouta la Reine d’un ton âpre.
« Cette femme a un don pour blesser les gens. »Pensa la princesse d’or.
Cependant, elle n’était plus une enfant, alors pourquoi se taisait-elle de la sorte. Déterminée à en découdre avec eux, elle se leva pour faire face à ses parents.
— Père, Mère. Que me vaut cette visite ? Demanda-t-elle avec insolence.
Quelles que soient ces accusations, elle allait nier en bloc. Se promit-elle.
Daria gifla sa fille, au passage ses longs ongles, griffèrent sa joue.
Marin caressa sa longue barbe argentée, d’un air navré.
— Ma fille, ne joue pas à ça avec nous. Restitue-moi tout de suite les perles de ta sœur.
Goldwyn serra les mâchoires, c’était donc de cela qu’il s’agissait. Son frère l’avait-il trahi ? Pourtant, ce n’était pas son genre.
— Obéit ou ta sanction sera encore pire. Ordonna sa mère.
Elle savait qu’elle ne pouvait pas se permettre de tenir tête plus longtemps à la Reine.
Déçu par son manque de courage, Goldwyn donna les perles, sans un mot. Le pire, c'était qu’elle allait tout de même être punie sévèrement.
— C’est très bien ma fille. Ses yeux turquoise exprimaient sincèrement de la satisfaction
La Reine foudroya le Roi du regard, pour avoir prononcé ses mots. Il expira un souffle de résignation.
— J’allais oublier, la prochaine fois que tu ne te serviras pas de tes pouvoirs à bon escient, j’entends par là, venir en aide à Ava qui est exilé sur Terre, je n’hésiterai pas à te faire retirer tes dons.
Les entrailles de Goldwyn se liquéfièrent. Elle savait cette pratique extrêmement douloureuse.
— Entendu père, je ne recommencerai pas.
Elle avait conscience qu'indirectement, ses mots s’adressaient à sa mère.
Le Roi se racla la gorge.
— Pour cette fois, comme punition, tu es consigné dans tes appartements pendant une durée indéterminée. Aussi, il t'est interdit de recevoir des invités. Est-ce bien clair ma fille ?
Goldwyn secoua la tête de haut en bas. En fin de compte, intérieurement, elle n’était pas grand-chose de plus qu’une enfant. Se reprocha-t-elle.
— Comme ça, tu auras tout le temps pour réfléchir à tes actes. Lui balança à la figure sa mère.
Les lèvres de la Reine s’étirèrent en un pli arrogant. Goldwyn qui affichait si souvent la même expression, réalisa à quel point c’était désagréable à voir pour les autres.
*********
Ava et Victor étaient tous deux submergés par des flots de pensées. Ce qui les empêchait de trouver le sommeil. En revanche, à ce moment même, ils étaient comme dans deux mondes différents, chacun absorbés par leurs réflexions.
Victor qui était étendu sur le canapé, les mains jointes derrière la tête, s’accusait de ne pas avoir parlé à Ava de sa sœur. Devait-il s'inquiéter à propos de ce qu’il s’était passé entre Goldwyn et lui ?
Et les rêves prémonitoires d’Ava allaient-ils continuer ? Si c’était le cas, serait-elle en danger à chaque fois ?
Il se redressa vivement. Qui était ce type imbuvable, Jeremiah ?
Il se massa les tempes, sa migraine empirait de minutes en minutes.
Il fit l’erreur de se demander, si elle aurait réagi autrement à son baiser, sans Jeremiah dans l’équation. « Justement Victor, tu as toujours été plus doué avec les chiffres que dans les relations amoureuses, alors ça devait être peine perdue. Imbécile va. » Se lamenta-t-il.
Ses bonnes résolutions avaient été englouties, son pessimisme le contrôlait de nouveau.
Bien qu’il n'ait jamais totalement disparu, c’est pourquoi il en avait fallu si peu pour qu’il replonge dans un abîme de négativité.
Quant à Ava, quitte à ne pas dormir, elle avait opté pour le dessin. Elle avait pensé que cela l’aiderait peut-être à se vider la tête.
Mais même après avoir couvert le lit de croquis, elle ne parvenait toujours pas à dormir. Jusqu’à présent, cette activité, lui avait toujours permis de s’évader, mais aujourd’hui cela avait bien failli lui couter la vie. Néanmoins, rien au monde, ne lui ferait regretter d’avoir porté secours à Angélique.
Changer de position dans le lit, lui arracha une grimace.
La douleur atténuée, ses réflexions reprirent leur cours.
Qu’arrivait-il à Victor ? Elle avait bien senti que quelque chose n’allait pas, mais elle ne savait pas quoi précisément.
Ava saisit la carte de visite de Jeremiah, posé sur la table de chevet. Elle retraça, à l’aide de son index, les caractères rouges, sur fond noir.
Elle n’avait pas osé tout dire à Victor à propos de cet homme-loup, comme elle le nommait dans son esprit, sauf que maintenant, elle regrettait de ne pas l’avoir fait.
Peut-être que le problème entre eux deux, venait de là ? Se questionna-t-elle.
Cependant, Ava ignorait encore que la cause de son non-dit, était Jeremiah lui-même. Sans qu’elle s’en rende compte, il lui avait insufflé de garder le secret sur sa véritable nature.
**********
Le Roi, étendu sur le gigantesque lit à baldaquin, caressait distraitement le corps de sa Reine, qui soi-disant passant, il n’avait pas choisi. Allongé sur lui, elle touchait sensuellement, à l’aide ses nageoires multicolores, les écailles turquoise de son partenaire. Elle se rendit rapidement compte, qu’il était complètement ailleurs.
— À quoi penses-tu Marin ? Demanda-t-elle en déposant des baisers dans son cou.
— Mais rien qu’à toi Daria. Mentit-il.
La moue dubitative de la Reine, le contraint à se mettre plus sérieusement à l’action. Il devait pertinemment empêcher ses vicieuses irise mauves, de le sonder.
Alors, il détacha le balconnet de la Reine en coquillage. Puis il commença à l’embrasser langoureusement, voire un peu brutalement, car elle aimait cela.
Toutefois, elle se détacha brusquement de son contact. Ses ongles se plantaient dans la chair du Roi.
— Tu crois que je ne sais pas ce que tu es en train de faire Marin ?
Étant donné que les embrassades fougueuses, les avaient partiellement privés de leurs souffles, leurs poitrines se soulevaient par à-coups.
Qu’est-ce qu’elle était difficile à berner. Aussi diablement intelligente.
— Tu ne t’es pas encore débarrassé des perles, n'est-ce pas ?
Marin soupira. Malgré ses précautions, il avait tout de même été pris au piège par ses filets. Il la fit glisser sur le côté puis se détourna. Ce n’était plus nécessaire de poursuivre le rôle.
— Qu’est-ce que vous avez tous à prendre en pitié cette créature infâme ?
— Daria, elle reste notre fille !
La Reine émit un mauvais rire.
— Parle pour toi.
Le Roi quitta la couche conjugale, avec fureur.
— Je me demande bien ce qu’on dira de toi au palais, quand toute la cour sera au courant de cela. Quel faible tu fais franchement, j'ai honte d’être ta Reine.
Le Roi sera les poings, jusqu’aux tremblements. Même s’il avait conscience qu’elle le manipulait, il savait aussi qu’une part d’elle avait raison.
Tout le monde détestait les créatures telles qu’Ava, ce depuis la nuit des temps, en conséquence, on ne leur avait jamais fait de cadeau. Et il avait été un Roi trop faible, pour changer cela, bien que son troisième enfant fasse partie de ses créatures.
— Tu ne vas pas lâcher l’affaire ? Demanda-t-il tout en sachant la réponse.
Elle se contenta d’une moue hautaine.
— Tu as gagné Daria. Encore une fois. Je vais le faire.
— Cette abomination, n’a que ce qu’elle mérite, Marin.
Il prit les perles, les plaça dans un récipient en nacre et avec un regard triste, les brisa à l’aide d’un corail.
« Pardonne-moi Ava. »
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Au même moment, alors que Victor et Ava s’étaient enfin endormis, leurs sommeils furent brutalement interrompus.
Victor se précipita dans la chambre, il avait été réveillé par les cris de douleur d’Ava.
— Que vous arrive-t-il ?!
En allumant la lumière, il paniqua davantage.
Assise en tailleur, elle se balançait d’avant en arrière, les mains sur le cœur. Elle semblait tellement souffrir, son visage était baigné de larmes et son corps saisit par de violents tremblements.
Victor se sentit totalement impuissant face à ce terrible spectacle.
S'apercevant qu’elle essayait de dire quelque chose, il s’approcha d’elle.
Elle empoigna si fort le haut de pyjama de Victor, que les boutons sautèrent.
— Mes…
— Oui, vos quoi ?!
— Mes perles. Haleta-t-elle.
Puis, elle perdit connaissance, il la rattrapa de justesse, tout juste avant que son crâne ne se cogne sur la tête du lit.
— Ava ? Vous m’entendez?!
Aucune réaction de sa part, il l'allongea précautionneusement. L’estomac de Victor commençait à se contracter violemment.
— Tenez bon, Ava.
Il se dirigea si expressément vers le combiné du téléphone, qu’il se cogna dans à peu près tous sur son passage. Il aurait de sacrés bleus. Mais pour le moment, il ne sentait rien. C’était plutôt son cœur, écrasé par le point de la culpabilité, qui le faisait souffrir. Il était persuadé, à tort, que c’était la faute de Goldwyn, si Ava se trouvait dans cet état. Et donc par le même biais, comme il avait omis de révéler à Ava certaines choses, la sienne également.
C’est fébrile, qu’il composa le numéro des secouristes.