— Victor, je dois te dire quelque chose.
Il s’écarta doucement d’elle.
— Merci d’être venue me chercher, même si je me demande comment tu as su où j’étais.
Il ouvrit la bouche pour répondre, mais elle l’interrompit en posant son index sur ses lèvres.
— Je crois bien que je vais mourir, Victor.
Il la saisit plus brutalement qu’il ne l’aurait voulu par les épaules.
— Pourquoi dites-vous cela ? La sirène dorée vous a fait du mal ?
Les yeux d’Ava se firent ronds comme des soucoupes.
— Tu connais Goldwyn ?
Il secoua la tête.
— Je vous expliquerai. D’abord, dites-moi pourquoi vous pensez mourir ?
— En fait, je tremble de partout et je suppose que ce n’est pas bon signe.
Victor s’insulta intérieurement de ne pas avoir remarqué plus tôt. Elle était seulement vêtue de sous-vêtements. Il retira sa veste pour entourer le corps gelé d’Ava. En guise de remerciement, elle lui jeta un regard interrogateur.
— Je vous promets que vous n’allez pas mourir, vous avez simplement froid. Et concernant la sirène, je l’ai rencontré juste avant de venir ici. (Il tripota sa moustache, c’était un tic chez lui.) Elle est venue chercher vos perles et j’ai cédé pour qu’elle accepte de me dire où vous trouver.
Bien sûr, il avait volontairement omis de parler de certains détails.
__ Je suis sincèrement désolé.
« Pour tout. » Pensa-t-il.
Elle s’emmitoufla davantage dans le manteau en prenant un air sérieux que Victor ne lui avait jamais vu.
— Goldwyn est ma sœur ainée. (Elle soupira) Je comprends mieux pourquoi tu as dit que tout était ta faute. Mais c’est faux Victor, tu n’y es pour rien.
En baissant le regard pour fuir le sien, il remarqua qu’elle n’était même pas chaussé. « Quelle ignoble famille, elle mérite tellement mieux. »
Il lui fit un sourire peu convaincant, puis s’accroupit en lui présentant son dos.
— Montez, je vous ramène chez moi.
Elle ne put réprimer un rire nerveux.
— Pas besoin, tu sais, je peux marcher.
Il se tourna à demi.
_ Pardonnez-moi d’insister, mais comme vous ne portez pas de chaussures, j’ai peur que vous vous blessiez en marchant.
Un peu honteuse, elle regarda ses pieds nus en se mordillant la lèvre inférieure.
— C’est d’accord, merci.
*
Victor ne fut pas mécontent d’arriver. Non pas qu’elle était lourde, mais disons qu’elle le troublait terriblement. Le plus déroutant pour lui, c'était de constater qu’elle semblait toujours agir avec naturelle.
— Je te remercie Victor. Ça n’a pas été trop dur, j'espère ?
Elle dégageait la même odeur que la mer, d’ailleurs les habits de Victor en étaient imprégnés. Il réalisa avec stupeur que ça ne lui déplaisait pas.
— Ne vous inquiétez pas pour ça. Rentrons maintenant.
Il tritura de nouveau sa moustache.
— Oh qu’est-ce que c’est que ça ? S’émerveilla-t-elle.
— Quoi donc ?
— Mais ça ? Répondit-elle en pointant son doigt.
— C’est simplement un chat, des animaux de compagnies très courant sur Terre. (Elle partit en courant à sa rencontre.) Ava, revenez, vous allez finir par tomber malade.
— C’est si mignon et si doux.
Elle prit spontanément le chat roux dans ses bras.
Victor la rejoignit, un sourire presque imperceptible aux lèvres.
— Quel est ce son ?
— Il ronronne, parce qu’il est content.
— Est-ce que les humains ronronnent aussi ?
Victor se retint de pouffer. Pour retrouver son sérieux, il se racla la gorge.
— Non, Ava seulement les chats.
— C’est dommage.
Il ne prit pas le risque de répondre, car il avait trop peur de rire et par conséquent de la vexer.
Soudainement, des chats sortant de tous les coins vinrent à leur rencontre. Il n’avait jamais vu autant de chats à la fois, ils étaient peut-être 20 ou 30 mêmes. C’était un orchestre de miaulements, pour le plus grand bonheur d’Ava. Moins pour Victor, de plus au bout de quelques minutes, elle se mit à éternuer.
— Vous voyez, vous allez attraper un rhume si vous restez plus longtemps.
Elle se redressa avec regret.
— Ok ok. Mais qu’est-ce que c’est un rhume ?
— Vous en avez des questions, sachez juste que ce n’est pas agréable du tout.
Elle refoula bons nombres d’autres questionnements. Un demi-sourire aux lèvres, Victor tourna la clef dans la serrure.
— Pardon. Entendit-il dans son dos.
Bien évidemment, elle n’avait pas compris sa pointe d’humour. Pour sa défense, très peu de gens savaient la cerner.
— Je vous taquinais Ava, c’est bien normal que vous ayez des questions.
Maintenant, il culpabilisait.
— Oh, je vois.
En même temps qu’ils entrèrent, il appuya sur l’interrupteur de l’entrée.
Ses étincelants yeux violets lui firent oublier de respirer. Le contraste avec sa peau pâle et sa longue chevelure noire la rendait encore plus éblouissante. Dehors, à la lumière peu éclairante des lampadaires, il n’avait pas remarqué à quel point elle était belle.
— Victor ? Est-ce que ça va ?
Il s’extirpa de ses pensées aussi violemment qu’il referma la porte.
— Oui oui, venez, je vais vous faire visiter.
Ava sautilla joyeusement. Quant à Victor, il se sentait oppressé.
« Qu’est-ce qui m’arrive à la fin ? »
*
Pour elle, tout était une découverte extraordinaire. Comme s’il avait affaire à une enfant, il la laissait courir dans tous les sens et toucher à tout. Elle posait tellement de questions qu’il ne savait plus où donner de la tête. Il tenta donc une petite ruse pour mettre un terme à cela.
— Bien, si nous allions dormir maintenant, vous savez, il se fait tard et je me lève tôt demain matin.
— D’accord.
Il était à la fois fier et gêné de son stratagème.
— Où est ta chambre ?
— Par là.
Elle passa devant lui et se jeta dans le lit double.
— On dort ensemble ? Demanda-t-elle le plus naturellement du monde.
Victor resta bouche bée. Durant quelques secondes, il ne sut pas quoi répondre. Il était partagé entre la raison et l’envie.
— Bien sûr que non. Bredouilla-t-il.
À sa façon de pencher la tête sur le côté, il comprit qu’elle s’interrogeait sur la nature de sa réponse. Cette question, quand elle sortait de la bouche d’Ava, était totalement innocente.
— Je ne suis pas très doué pour expliquer ce genre de chose, mais je pense que ça ne saurait pas très correct de ma part de dormir avec vous dès ce soir. Donc, je vous laisse mon lit et je prends le canapé.
— Ok ok, je vois.
« Imbécile va, pourquoi j’ai précisé dès ce soir. » Il avait peur qu’elle se fasse des fausses idées, mais en réalité, elle était déjà passée à autre chose.
— Que c’est confortable.
Elle faisait l’ange comme si elle avait été dans la neige.
Victor fouilla dans les tiroirs de sa commode. Il en sortit un de ses pyjamas, le plus petit qu’il possédait. Il resterait grand pour elle, mais c’était mieux que rien.
— Tenez, je vous prête un de mes pyjamas, vous serez plus à l’aise pour dormir. Désolé, ce n’est pas vraiment votre taille, mais dès que possible on ira vous acheter des vêtements qui vous conviendront mieux.
— D’accord, merci beaucoup Victor. Mais tu sais, je trouve cette tenue très jolie.
Il ne put s’empêcher de sourire, car pourtant, c'était un simple pyjama à carreaux gris et bleu.
— Tant mieux si c’est à votre goût, bonne nuit Ava, à demain.
— Bonne nuit à toi aussi.
Il était à l’embrasure de la porte quand elle l’interpella.
— Victor ?
— Oui ?
— Merci pour aujourd’hui et ne ferme pas la porte s’il te plaît.
— Non, merci à vous Ava.
Elle ne pensait plus du tout que ce que lui avait infligé sa famille soit une punition, car dans son malheur, elle trouvait qu’elle avait eu énormément de chance.
Même si Victor ne connaissait pas l’avenir, il était sûr d’une chose, c'est qu’Ava allait changer le cours de sa vie.
*
Il fut réveillé de manière atypique.
Des roucoulements, qui dans un premier temps lui semblaient provenir de son rêve, l’avaient sortie de son sommeil.
Il n’en finissait plus d’écarquiller les yeux face à la scène qui se jouait devant lui.
Son salon était envahi de pigeons avec Ava assise en son centre. Il se redressa douloureusement, son canapé ne lui avait pas fait de cadeau.
_ Ava, comment est-ce arrivé ?
Malgré son ton peu accusateur, elle fut mal à l’aise et se recroquevilla.
— Hé bien, j’ai ouvert la fenêtre et ils sont entrés, pardon.
Ils devaient être tout autant que les chats. Mais devant sa mine déconfite, il ne pouvait pas lui en vouloir.
— Pas de problème, façon, je devais me lever pour le boulot. Vous pensez pouvoir les faire sortir toute seule ?
— Bien sûr ! Suffit de leur demander gentiment.
Victor ne sut pas quoi répondre à cela.
Elle frappa doucement dans ses mains pour capter l’attention de son auditoire à plume.
— Écoutez-moi, (aussi fou que cela puisse paraitre, ils la fixaient tous), maintenant, vous devez sortir, mais je vous promets qu’on se reverra dehors.
Comme par miracle, les pigeons s’exécutèrent. Victor n’en croyait pas ses yeux.
— Voilà !
Fière d’elle, son sourire lui montait jusqu’aux oreilles.
— Merci Ava.
Il commençait à se dire qu’elle entretenait une relation des plus étonnantes avec les animaux. Il se demanda si cela était dû à son ancienne apparence physique.
— Au fait, qu’est-ce que c’était ?
— Des pigeons.
— Hier des chats et aujourd’hui des pigeons.
— Oui, c'est ça, ce sont des animaux terrestres assez répandus.
— Hé bien, je les adore.
— Ils ont l’air de beaucoup vous aimer aussi.
— Vraiment ? Demanda-t-elle en sautillant.
— Oui absolument. (Il jeta à coup d’œil à sa montre posée sur la table basse.) Mince, il est déjà 7 h 30, je vais être en retard.
Ava battit des cils.
« J’ai dû oublier de régler le réveil. » Pensa Victor en se frottant les sourcils.
— Allons vite prendre le petit-déjeuner dans la cuisine. Je dois bientôt partir au travail.
Comme elle ne bougeait pas, il la tira doucement par le poignet.
*
Il aurait voulu prendre plus de temps avec elle pour lui faire découvrir les aliments terrestres, mais n’ayant jamais été en retard de sa vie, il était incapable de déroger à cette règle, même pour Ava.
Il fut donc très rapidement sur le départ.
— Je suis vraiment désolée de vous laisser toute seule. Mais je n’ai pas trop le choix.
Elle agita les mains.
— Je comprends, tu ne peux pas interrompre le cours de ta vie juste pour moi. Et puis ce n’est pas comme si je n’avais pas l’habitude de la solitude.
Elle ria tristement à ses derniers mots. Victor ressentit un pincement au cœur, toutefois il fit au mieux pour le cacher.
— Surtout, restez ici, je serai de retour en fin de journée.
Il courba légèrement le dos pour être à son niveau et passa les cheveux d’Ava derrière ses oreilles. Certes, il n’avait pas l’habitude de faire ce genre de geste, cependant en apercevant son expression joyeuse, il ne regretta pas de l’avoir fait.
Alors qu’il se dirigeait vers la porte d’entrée, il rebroussa chemin.
— J’ai peur que vous vous ennuyiez, qu’est-ce que vous faisiez habituellement pour vous occuper ?
L’attention qu’il lui apportait la toucher énormément, d’autant plus que c’était une première pour elle.
— Dessiner et peindre ce que je voyais dans mes rêves.
— Dans ce cas, je crois avoir le nécessaire.
Même si elle n’avait pas osé poser la question, elle était ravie de cette réponse.
Il lui donna des feuilles et des crayons qui provenaient d’un tiroir de son bureau.
Elle plissa le nez.
— Oui, ce n’est probablement pas les mêmes matériaux que vous utilisiez, mais…
— Pas de problème, je m’adapterai, merci beaucoup.
Elle refusait d’être trop exigeante, il avait déjà beaucoup fait pour elle.
Comme il restait immobile, elle le poussa gentiment jusqu’à la porte.
— Bonne journée Victor.
Il tenait la poignée sans la tourner. Il espérait vraiment que ça irait pour elle. « À en juger son comportement, elle n’a pas l’air de trop mal le vivre. »
— À plus tard.
Il ne se retourna même pas en fermant la porte par peur de changer d’avis.
Peu après, Ava s’installa pour dessiner.
« Dommage que je n’aie pas pu apporter certains de mes anciens dessins. »
Instinctivement, elle commença à dessiner la petite fille blonde qu’elle avait vue dans son rêve cette nuit. L’enfant devait avoir dans les environs de trois ans, ses joues rebondies étaient parsemées de taches de rousseur et des yeux vert émeraude agrémentés sa frimousse d’angelot.
La petite fille courait dans un champ de blé qui rappelait la couleur de ses cheveux.
Les membres endoloris, Ava s’étira. Elle avait la désagréable sensation d’oublier un détail important.
Le manque de sommeil eut raison d’elle, sans s’en rendre compte elle s’endormit.
*
Ava se réveilla en sursaut à cause d’un cauchemar, son cœur battait la chamade et les draps étaient trempés de sueurs.
La petite fille lui était de nouveau apparue et cette fois-ci Ava se souvenait de tout.
Elle s’était trompée. La pauvre enfant ne s’amusait pas à courir dans un champ, non, elle fuyait un homme.
Ava avait l’impression d’entendre résonner dans sa boîte crânienne les appels aux secours de la petite fille. Cette horrible sensation lui donna la nausée. Alors, elle comprit que c’était bel et bien réel, qu’elle seule pouvait la sauver.
« Je dois pertinemment la retrouver. » Elle ferma les paupières et se laissa conduire par son instinct.
Être sur Terre avait fait accroître ses pouvoirs.
J’espère que la suite te plaira tout autant et sur ce peut-être à bientôt dans les commentaires. 👋🏻