Chapitre 4

Le bruit, discret, de chaînes sur lesquelles on tire.

Les halètements, rauque, de l’humain.

La sensation chaude de ses chairs vivantes autour de son membre…

Les dents d’Armand plongèrent délicatement dans la gorge de Shekil, y rouvrant la blessure pour boire quelques gorgées de sang tandis que ses griffes se plantaient dans la chair des fesses en train de se mouvoir sur ses hanches, l’obligeant à venir plus près, tout contre son torse glacé. Protégés par des entraves de cuir, les poignets du chasseur étaient liés au dessus de tête, lui permettant tout juste de poser ses coudes sur les épaules du vampire, voire parfois son front, quand le plaisir était trop fort. Ses lèvres entrouvertes laissaient échapper une respiration saccadée que son compagnon ne se lassait pas de sentir sur son visage et son cou tout en regrettant de ne jamais l’entendre gémir. Oh il avait essayé hein… il avait réussi à le faire crier et hurler, généralement de douleur, mais jamais gémir…

Sur lui, l’Aria accélérait sa cadence, plus proche de la jouissance qu’il ne voulait bien l’admettre, et Armand se permit un sourire qui découvrit l’intégralité de ses crocs tandis que ses mains venaient se placer sur les reins de l’humain, le pressant un peu plus contre lui. Il entendait rugir son sang à ses oreilles, battre son cœur de plus en plus vite, comme affolé, et l’odeur… l’odeur si particulière de la sueur mélangée au plaisir…

Maintenant.

Ses dents plongèrent profondément dans la chair brûlante, accompagnant l’orgasme de sa proie de sa propre montée au ciel à mesure que le sang saturé d’hormone se déversait dans son organisme achevant d’épuiser le jeune homme qui se laissa aller dans ses bras, le corps encore parcourus de spasmes et de frissons. A gestes délicats, Armand l’entoura de son étreinte, passant doucement sa langue sur la plaie béante de l’épaule et du cou pour l’aider à cicatriser, avant de détacher d’une main les entraves et de se laisser aller en arrière, emportant l’humain avec lui.

Shekil ne bougeait pas, à moitié anesthésié par la morsure et assommé par le reste, son souffle rendu court par l’effort balayant erratiquement l’épaule de son geôlier qui tira doucement une couverture sur lui, absurdement soucieux de le préserver du froid.

Il adorait ce genres de moments… lorsque l’autre gisait, entièrement abandonné, dans ses bras ou à ses pieds, sans défenses ni la moindre envie de lui résister… il laissait alors ses doigts parcourir le réseau de cicatrices qui marbrait la peau blanche, s’amusant à repérer celles qu’il avait créées et à imaginer comment il avait bien pu récolter les autres.

Dans le silence qui suivait toujours leurs ébats, il pouvait savourer à son aise le plaisir coupable d’avoir un être vivant lové contre lui, de sentir la chaleur se dégageant de son corps, la vie crépitant derrière chacun de ses souffles… et un bref instant, il se laissait aller à songer à ce qu’aurait été leur relation s’il avait lui-même été vivant. Un fantasme dangereux, il en avait bien conscience… mais ces derniers temps, il ne pouvait pas s’en empêcher.

L’abus de sang humain probablement.

Contre lui, l’humain s’agita légèrement, à la recherche d’une position plus confortable, et il le laissa faire sans broncher, les yeux perdus dans les voiles du baldaquin, son esprit dérivant doucement dans cet état intermédiaire de semi-conscience qui remplaçait pour lui le Sommeil depuis de nombreuses années…

 

Il l’a vu pour la première fois au cours d’une soirée mondaine, alors que son hôte l’accompagne au travers du salon de réception pour le conduire dans la zone VIP, là où les affaires surnaturelles sont traitée dans la soirée. C’est l’éclat de ses yeux qui l’a arrêté. Bleus, comme ceux de sa première proie et de son fils, rendus légèrement brillant par l’alcool et l’enthousiasme de la discussion. Sur le moment, il n’a pas prêté attention à grand-chose d’autre, sans quoi il se serait certainement rendu compte de la raideur de son port, la toile un peu trop tendue de sa tunique, dissimulant son sabre, mais aussi sa façon d’être placé dos au mur de façon a voir toute la pièce d’un seul regard.
Ça lui aurait probablement évité quelques blessures…
Enfin, sur le moment, il n’a eut d’yeux que pour les siens, au point de se heurter le tibia dans une table basse, faisant éclater de rire son accompagnatrice. Beau joueur, il a noyé le poisson tout en mémorisant soigneusement le visage du garçon à peine majeur qui venait de devenir sa nouvelle proie, puis a accompagné la jeune femme à l’arrière de la maison pour traiter ses affaires.
La nuit s’est lentement étirée, arrivant gentiment dans ses petites heures, ce moment atemporel en équilibre entre la fin de la nuit et l’aube, et il l’a retrouvé accoudé à la rambarde de la terrasse, un verre de vin à peine bu entre les doigts, son merveilleux regard bleu perdu dans le vide. A sa grande surprise, la conversation s’est engagée d’elle-même et ils ont badiné ainsi jusqu’à ce que l’aube soit trop proche pour que le vampire reste confortable. Il a alors pris congé, en même temps qu’un baiser surprise, pour le principe, en se promettant de se mettre à le chasser plus tard.
Si seulement il avait su…

 

Le souvenir tira en sursaut Shekil du sommeil, le laissant hébété dans les draps, la tête lourde et le corps perclus de douleurs bien trop familières à son goût. Pas besoin de souvenirs pour savoir ce qu’Armand lui avait fait faire dans la nuit…

Avec un grognement fatigué, il se tourna lentement sur le côté pour se voir rattrapé par une paire de bras froids qui le serrèrent contre un torse tout aussi glacé.

Il frissonna.

Grâce qu’il détestait que le vampire fasse ça…

Lentement, il bougea les mains, découvrant avec lassitude les entraves de cuir reliées à la tête de lit par une chaîne épaisse, et laissa retomber sa tête sur l’oreiller en fermant les yeux, découragé. Il avait des souvenirs précis de cette soirée… l’une de ses toutes premières de chasse dans le monde moderne. Sa validation de chasseur en poche depuis quelques mois à peine, on l’avais mis sur les traces d’une goule qui chassait dans les cercles de la haute, étranglait ses victimes, puis se repaissait de leurs cadavres… il n’avait pas remarqué Armand tout de suite, trop enivré qu’il était par la lumière, la musique, l’alcool et les gens… un piège contre lequel ils étaient tous prévenus et dans lequel ils tombaient tous… certains pour ne jamais en revenir, signant ainsi leur arrêt de mort. La soirée avait avancée jusqu’à ce qu’il trouve sa proie, l’isole et la trucide proprement, ce qui l’avait amené sur la terrasse de la résidence, un verre à peine bu dans les mains, à contempler le cadavre tombé dans l’herbe qui achevait de se nécroser puis de se transformer en poussière. C’était là qu’un homme l’avait abordé. Tiré à quatre épingle, les cheveux mi-long, noirs, élégamment rabattus en arrière, ses yeux bruns semblant avoir des reflets rouges dans la lumière tamisée dispensées par les torchères…

Une partie de son esprit l’avait trouvé beau, l’autre partie l’avait trouvé dangereux, trop près de sa cible, et il avait engagé la conversation pour détourner son attention. Étrangement, le courant était passé entre eux, et sans qu’il s’en rende compte, l’aube avait commencé à pointer son nez, faisant se replier son interlocuteur à l’intérieur sous prétexte d’aller chercher à boire… après lui avoir volé un baiser.

Ce qui l’avait laissé figé sur place.

Ébahit.

Un poil atterré.

Et l’autre n’était pas reparu.

C’est lorsqu’il avait reçu sa mission suivante, où il devait éliminer un Nouveau Né et une vampire qu’il avait appris sa vrai nature.

Armand Gertfall.

L’un des Anciens les plus craints de sa communauté.

Et qui l’avait embrassé.

Il avait cru mourir de honte en apprenant la nouvelle.

Bien sûr, son premier réflexe avait été d’aller prévenir le clan, mais en arrivant devant la porte de son Maître de Convent, il avait croisé Mathias. Le jeune homme, qu’il avait toujours considéré comme un rival et un mentor, était en piteux état, le regard hanté et le visage pâle, il titubait sans cesser de se frotter le cou si fort qu’il l’avait marqué de rouge. Shekil l’avait arrêté, inquiet soudain, et l’autre s’était littéralement effondré dans ses bras. Entre deux sanglots hystérique, il avait vidé son sac, révélant que deux des vampires sur lesquels il travaillaient s’était… entichés de lui au cours de sa mission d’infiltration, et que le Maître l’envoyait jouer les putes en le privant d’hellebore, afin que l’odeur de son sang ne le trahisse pas.

Dépassé par le débordement d’émotion du jeune homme, mais aussi par l’afflux d’informations, il n’avait pas su quoi faire d’autre que lui tapoter maladroitement le dos en bredouillant des idioties jusqu’à ce que le flot se calme. Mathias avait alors menacé de l’éviscérer s’il en parlait à qui que ce soit – menace à prendre au sérieux à n’en pas douter – et s’était enfuit dans les couloirs. Il ne l’avait pas revu, n’avait pas parlé de la soirée au Maître, et s’était efforcé d’oublier l’incident comme ses implications…

On avait retrouvé le cadavre de Mathias six mois plus tard, atrocement mutilé.

Visiblement la purge d’hellebore n’avait pas été suffisante pour dissimuler l’odeur si particulière de leur sang…

C’était à partir de ce moment là qu’il avait prit l’habitude d’en limiter l’utilisation, préférant souffrir plutôt que d’attirer l’intégralité de prédateurs buveurs de sang à chaque coupure. Il avait aussi entreprit de développer ses techniques afin de ne jamais se faire prendre, s’était coupé du monde, avait appris la patience, affiné sa maîtrise des armes, et s’était constitué une réputation assez effrayante pour tenir la plupart des prédateurs loin de lui.

Certains l’avaient traité de lâche, et la partie de son esprit la plus conditionnée aux règles Aria était d’accord avec lui, mais dans les faits, sa technique payait : à 23 ans, il avait le tableau de chasse le plus fourni de sa génération, il était le plus jeune chasseur de l’histoire a avoir abattu un Ancien, et surtout, personne ne connaissait son visage… il pouvait s’infiltrer ans les fêtes, dans les gangs, dans les clans, sans jamais se faire soupçonner ou prendre. Il avait travaillé avec de nombreux chasseurs sans qu’aucuns d’entre eux n’ai la moindre idée de sa véritable identité…

Jusqu’à ce qu’il recroise Armand.

Un an et demi après le premier baiser.

Il préférait ne pas repenser au fiasco qu’avait été cette rencontre. Il en portait encore les cicatrices sur le dos. Il avait tué un Nouveau Né, défiguré une vampire, et manqué l’Ancien qui s’était vengé à sa manière si particulière et tordue. Il avait eu de la chance de s’en sortir vivant…

Autour de son torse, la prise du vampire s’était relâchée, lui permettant de se dégager en douceur pour gagner le bord du lit et son éclat de latte si soigneusement taillée en épieu. L’autre devait être plongé dans son demi-sommeil diurne. S’il se montrait assez discret, s’il se montrait assez rapide…

Une brusque tension dans ses poignets l’arrêta en plein mouvement.

La chaîne.

Il avait oublié cette putain de chaîne !

La vague de découragement le pris par surprise, le submergeant avant qu’il puisse y réagir, et il se roula en boule, le cœur prêt à exploser.

Et des larmes silencieuses dévalant son visage.

 

Ses mains ne tremblent pas tandis qu’il trace soigneusement les glyphes compliqués qui scellent la porte. Ils ont été gravés dans son crâne à grand renfort de douloureuses séances de calligraphies dont ses phalanges portent encore les cicatrices. Une fois le dessin achevé, le battant s’efface devant le jeune homme qui s’empresse d’entrer, déposant avec soulagement son sabre contre le mur. Se massant les tempes, il traverse rapidement la cache pour aller se servir de l’eau et activer son miroir.
Ce dernier est un objet tout simple, posé contre le mur, parfaitement anodin, jusqu’au moment où, si l’on esquisse les bons gestes, il s’active pour se transformer en moyen pratique de communication.
- Identification.
Un soupir.

- Shekil Aria.
Une pause. Le vampire peut sentir un certain malaise teinter le souvenir.
- Tueur d’argent. Mon sang et mon âme pour les humains, mon cœur et mon rang pour les Aria.
- Communication activée. Contact ?
- Maître de ******* ******
Là, le souvenir est inexplicablement brouillé, tout comme le visage qui s’affiche dans le miroir et la tonalité de sa voix. Curieux.
- Ton rapport ?
- Il n’était pas au point de rendez-vous. Je pense qu’il s’est fait avoir.
- … c’est une lourde supposition. Tu es prêt à radier l’un des tiens ?
- Lorsque je suis arrivé, il y avait tellement de sang sur le sol et les murs que je doute qu’il ai pu survivre.
- Tu l’as testé ?

Agacement.
- Évidement. Exclusivement du sang humain.
Silence, à l’autre bout de la ligne. Le visage disparaît brièvement puis revient, accompagné d’un autre, tout aussi flou.
- Très bien. Tu prends sa suite. **** va te transmettre tout ce que tu as besoin de savoir.

Appréhension.
- Bien.
L’Aria approche son front du miroir, tendu, et dans un grand flash, perd connaissance.

 

L’afflux brutal d’informations avait éjecté le vampire de la conscience de sa proie, l’envoyant valser à près de trois mètres de la table sur laquelle cette dernière était entravé. Le temps qu’il se redresse, Shekil était pris de convulsions violentes, les yeux révulsés et la bave aux lèvres, son rythme cardiaque devenu si fort qu’Armand n’avait aucune peine a l’entendre de là où il était.

- Shekil !

En un instant, il était près de lui, strictement incapable de savoir quoi faire : la fragilité des humains le dépassait totalement. Au bord de la panique, il ne trouva rien de mieux que de glisser un morceau de cuir dans la bouche de l’Aria pour l’empêcher de se mordre la langue et d’essayer tant bien que mal de lui bloquer la tête en arrière afin de l’aider à respirer. La crise dura plusieurs longues minutes durant lesquelles le vampire sentit presque son cœur se remettre à battre, puis le chasseur retomba brusquement sur la table, dangereusement inerte.

Sans son ouïe surnaturelle, il aurait pu le croire décédé.

Fébrile, il le détacha avec empressement, l’arrachant au plateau pour l’emporter vers les zones de vie. Inquiet, il le déposa sur le divan du salon, lui caressa machinalement le front avant d’aller fouiller dans ses placards à la recherche de… de quoi ?… Il n’avait rien pour parer à ce genres de choses. En désespoir de cause, il prit une couverture épaisse et un coussin, puis revint border l’Aria, extrayant le cuir de sa bouche puis surveillant brièvement sa respiration avant de se résoudre à aller décrocher son téléphone.

- Akasha ? Chérie, c’est Armand. (il jeta un coup d’œil à la forme inconsciente sur le divan) J’ai… besoin de ton aide.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Lunatique16
Posté le 06/11/2020
Salut !
Me revoilà après un moment, je sais ^^'

Encore un chapitre intéressant, leur première rencontre est étonnement mignonne et relativement calme si on met de côté la mission de l'un et les préparatifs de l'autre XD Le fait qu'Armand soit si subjugué par Shekil au point de se cogner contre une table est vraiment trop chou, c'est qu'il a presque l'air humain notre vampire !
On sent aussi que Shekil commence à fatiguer, le désespoir le guette il abandonne plus facilement que ce à quoi il nous a habitué. Je n'ai pas vraiment compris d'où venait sa crise soudaine, une visite trop en profondeur de son esprit de la part d'Armand ? En tout cas l'inquiétude et la panique du vampire est touchante, on le sent bien perdu et incapable de réagir.
Je trouve l'histoire de Mathias drôlement horrible aussi, les Arias sont vraiment monstrueux, même avec leurs membres. Je n'ose même pas imaginé ce qu'ils auraient demandé à Shekil s'il leur avait parlé d'Armand. Je les vois un peu trop bien l'utiliser comme appât ou un truc du genre.
J'ai juste noté une coquille : je ne sais plus trop où (j'ai oublié de le noter désolée !) tu as oublié le "d" de "dans".
Ah, et je trouve le côté flou du souvenir d'Armand vraiment très intéressant !

Voilà, je crois que je n'ai rien oublié, contente de retrouver ton histoire (même si j'ai du revoir le chapitre précédent pour me remettre dans le bain XD).

A bientôt !
VavaOmete
Posté le 01/02/2021
Coucou !

A mon tour de revenir après un long moment ! Toutes mes excuses @o@ novembre/décembre sont des mois chargés en librairie, particulièrement cette année.

En tous cas, merci beaucoup pour ton commentaire ! Je suis super heureuse que je coté monstrueux des Aria commence à se voir ^^ et que la raison de la crise de Shekil soit aussi obscure pour toi que pour Armand ^w^/ j'avoue que j'avais un peu peur que ça ne prenne pas.
J'espère que tu auras l'occasion de lire la suite !
Normalement je devrais reprendre la publication régulière sur cette histoire à raison d'un chapitre tous les 15 du mois (ma librairie me prend trop de temps en ce moment).

Des bises masquées !
Et encore merci !
Vous lisez