Chapitre 3

Notes de l’auteur : Correction de quelques coquilles le 16/07/2020 (merci !!)

- Plus haut ton sabre Shekil.
Il a onze ans. Le soleil jette une lumière crue sur l’arène dans laquelle il s’entraîne, seul, au maniement du sabre depuis l’aube. Ce dernier est trop grand, et encore un peu trop lourd, pour son corps d’enfant, mais il le manie avec une souplesse et une force qui ne peut que forcer l’admiration. L’arme, forgée pour la chasse, est dans sa famille depuis des générations, son acier brillant accrochant les rayons du soleil et les faisant ricocher sur la fine rainure destinée à contenir anti-coagulant, poison, et toutes autres substances susceptibles de tuer efficacement un adversaire. Pour l’instant, la lame est vierge, bien entendu, et il se contente de répéter encore et encore les mouvements qu’il a appris, jusqu’à être sûr de les maîtriser à la perfection.
C’est un bourreau de travail, comme la plupart des siens, mais la survie du clan et d’une bonne partie de l’humanité dépend de cette habitude. C’est pourquoi la voix qui l’interpelle le contrarie, brisant sa concentration. L’autre Aria se tient sur les gradins, peau bronzée, cheveux blonds, yeux marrons, la quinzaine peut-être, et un sourire canaille sur le visage. La légère pellicule de sueur sur son visage indique qu’il est à l’observer au soleil depuis un petit moment déjà, étudiant probablement sa posture et la justesse de ses mouvements, ce qui l’agace encore plus.
- Vraiment, tu devrais monter ton sabre un peu plus haut lors du 4e mouvement Sheki’.
- Ne m’appelle pas comme ça.
- Pourquoi ? C’est mignon Sheki’ !
- … Qu’est ce que tu veux ?
Il s’est remis en mouvement, tentant de se concentrer sur ce fameux 4e mouvement. Son spectateur est un emmerdeur finit (du moins, de son point de vue) mais c’est aussi l’un des meilleurs bretteur de la nouvelle génération, ne pas l’écouter aurait relevé de la pure stupidité.
- Je suis venu voir comment t’allais.
- Je vais bien.
- Maria m’a dit que tu avais du mal à te faire à tes nouveaux yeux.
Le sabre s’arrête en plein vol pour s’abaisser doucement vers le sol. Les mains de l’enfant tremblent.
- Ça va je te dis.
- Mouais. Il n’empêche que si tu ne t’y habitue pas complètement, ils t’interdiront d’être un Chasseur.
- Mathias ça suffit !
- Sinon quoi ? Tu vas essayer de me frapper malgré tes yeux bigles ?
- Je vais te…

 

Ce qu’il prévoyait de lui faire disparut dans le brouillard épais séparant les souvenirs du réel. La tête brutalement rejetée en arrière, Shekil hurla, une douleur sans nom irradiant de ses orbites jusqu’à la base de son crâne. Les mains d’Armand, placées de chaque côté de sa tête, y avaient laissée les traces profondes de ses griffes, mais ça n’était pas la cause principale de sa souffrance : l’autre avait plongé dans son esprit, tentant d’en abattre les murailles, et, dans la manœuvre, avait uniquement réussi à déterrer un souvenir enfouit, l’un des vieux secrets des Aria.

- Impossible…

Saisissant le visage du chasseur à pleines mains, il le força a renverser la tête en arrière et à ouvrir les yeux, tirant sur les paupières pour mieux observer le globe oculaire, cherchant une confirmation, même infime, de ce qu’il vient de voir. Là. A l’extrême droite de l’œil. De minuscules cicatrices. Et ce bleu, si particulier, presque surnaturel… capable de voir dans le noir… de percer les mouvements vampiriques…

- Enfers…

Il relâcha la paupière sur l’œil perlé de larmes pour s’intéresser à l’autre, suivant du bout de la griffe une cicatrice bien plus visible.

- Qui ? A qui les ont-ils pris ?

Le silence, en réponse.

Ses doigts se crispent sur la tempe, l’ongle se rapproche de la pupille qui se dilate sous le coup de la frayeur.

- Je peux le crever Shekil. On sait tous les deux qu’il se reformera, et que ça sera douloureux. Je ne te demande pas un gros secret. Juste un nom. Qui ?

- As… pho… del…

Le nom sort de la gorge comme si on l’en arrachait, et le vampire s’en retrouve les bras ballants, incrédule. Ils savent tous qu’Asphodel s’est retiré du jeux il y a une décennie de ça, mais aucuns d’entre eux n’avait envisagé une seule seconde qu’il soit mort, tué par les Aria.

Et que ces derniers avaient récupérés ses yeux pour les greffer à un enfant. Il n’osait imaginer ce qu’ils avaient fait avec le reste du corps… en fait si. Il imaginait très bien. Et cela parvenait à lui tirer des frissons.

- Est-ce que tous les Aria sont comme toi ?

Le silence, de nouveau. Mais il y avait fort à parier que oui. Ça expliquait des choses…

- Intéressant… vous nous chassez en nous traitant de monstres, et pourtant vous remplacez certaines parties de votre corps par les nôtres.

- Il faut… bien… Se battre à armes… égales…

Le vampire eu un petit rire sans joie.

- C’est l’excuse que vous vous donnez ?

Le chasseur ne répondit pas, se contentant de le fixer en silence. Qu’il était étrange de se dire que ces yeux, ces yeux bleus qui le fascinaient tant, n’appartenaient pas vraiment à l’Aria… même si ses expressions, son regards, sa façon de le toiser, étaient bien à lui, ça n’en restait pas moins les pupilles d’un autre.

- D’autres organes sont remplacés ?

Silence. Encore.

Un soupir.

- Si tu ne réponds pas je vais devoir me montrer méchant. Tu le sais n’est ce pas ? Je pourrais tout simplement t’ouvrir en deux et voir quels sont les organes qui n’ont pas une odeur tout à fait humaine…

- Tu n’en trouvera pas.

- Oh ?

- Je n’ai… pas l’âge…

- Je vois. Et si tu avais l’âge ?

- …

Soupir agacé.

- Soit.

Les trois heures qui suivirent furent particulièrement pénible pour l’humain qui hurla à s’en rompre les cordes vocales, finissant par ne plus pouvoir faire autre chose que d’exhaler un son rauque à chaque fois que la douleur se faisait trop forte pour être contenue. Contrarié, Armand finit par abandonner son corps ensanglanté sur le sol, décidant de l’abandonner là le temps de son rendez-vous. Après tout, avec une jambe brisée en trois endroits, il ne pourrait pas s’enfuir bien loin…

Il fit demi-tour juste avant de partir cependant, perturbé par une dernière question. S’accroupissant près de l’humain torturé, il passa une main dans les mèches brunes en évitant soigneusement de toucher les zones poisseuses de sang en murmurant :

- Répond à cette question là, et je ferai cesser la douleur jusqu’à mon retour…

Les yeux bleus voilés par la souffrance lui jetèrent un regard vide. Doucement, il passa la main sur eux, les obligeant à se fermer.

- Leur couleur d’origine…

La bouche du chasseur remua faiblement, formant une unique syllabe silencieuse qui tira un sourire à Armand.

Bleus.

Il était bien tombé amoureux de la bonne couleur… C’était toujours ça de pris.

 

*

 

« Dormir » aux côtés d’un humain était une expérience étrange…

La peau, souple et chaude sous ses doigts, n’avait rien à voir avec la sienne, parcheminée et déjà en train de refroidir, malgré le sang dont il s’était gavé ; la poitrine se soulevait au rythme laborieux de la respiration là où la sienne ne bougeait pas ; et le cœur battait sourdement contre sa main, quant le sien ne produisait une contraction que toutes les huit heures. Être proche de tant de vie était à la fois agaçant et franchement fascinant. Agaçant, parce que tout ça était atrocement bruyant (il pouvait entendre le sang circuler dans les veines, la salive s’écouler dans la gorge, l’air s’infiltrer dans les poumons), et fascinant parce qu’il était immortel depuis si longtemps qu’il en avait oublié la beauté de la machine humaine… il lui semblait improbable, aujourd’hui encore, que des créatures aussi fragiles aient pu arriver aussi loin dans le domaine de l’évolution. Au point de supplanter leurs prédateurs. Et de se greffer leurs yeux.

Pour la cinquième fois de ce début de matinée, Armand effleura les paupières closes, essayant d’analyser les sensations contradictoires (il ne pouvait décemment pas les qualifier d’émotions) que cette information provoquait en lui. D’un côté, il détestait l’idée qu’une partie de Shekil, de SON Shekil, provienne d’un autre, vampire ou non, et de l’autre, il était préoccupé par les conséquences de cette découverte : les humains et les vampires étaient compatibles à la greffe. Ils avaient suffisamment d’ADN en commun pour que des organes prélevés sur un vampire puisse se fixer durablement sur un humain, au point de lui transmettre ses capacités…

Oh bien sûr, ça n’était pas anodin, dans le sens où la matière première pour faire un vampire était un humain fraîchement saigné, mais… obtenir des capacités vampirique sans être transformé ? Ça, ça n’était pas du jeux. C’était même un véritable problème. Et si les Aria finissaient par créer un nouveau prédateur ? Une espèce humaine capable de rivaliser avec, voire de dépasser, les vampires ? C’était tout simplement effrayant.

Et excitant.

Enfin, après huit cent ans d’ennuis, quelque chose d’intéressant à se mettre sous la dent.

Tout comme sa proie.

Le premier depuis bien longtemps à l’obséder à ce point. Même une fois capturé, il ne parvenait pas s’en lasser. C’était incompréhensible.

Et sans importance.

Pour le moment du moins.

A ses côtés, l’Aria poussa un gémissement rauque dans son sommeil, ses cordes vocales abîmées lui interdisant d’en faire plus. Armand avait arbitrairement décidé de lui laisser la voix cassée, jugeant cette dernière plus adéquat avec le physique du jeune homme, et chaque son émis par Shekil depuis ne faisait que le conforter dans son idée.

Satisfait, il s’installa confortablement pour écouter passer la journée… à son âge, on ne dormait plus, ou bien peu…

 

Le soleil tape durement sur sa nuque et ses épaules, inondant son corps de brûlures comme de sueur, l’emportant au bord de la nausée. Tout son corps tremble sous l’effort fournit par le fait de tenir son gainage au dessus de la faille s’ouvrant sur les rugissements de l’océan. Assit sur son dos, Mathias dessine tranquillement dans son carnet tout en balançant de temps en temps ses jambes dans le vide, manquant à chaque fois de le déséquilibrer et de les faire sombrer dans l’abîme.
Quatre mètres plus loin, un faible cri lui indique que c’est ce qu’il vient de se passer pour au moins deux de ses condisciples. La chute, de cette hauteur, peut être mortelle pour ceux incapable de se rattraper… ça ne serait pas la première fois que les Aria perdent des membres à cause cette phase de l’entraînement. Avec un grognement d’effort, il change légèrement de position pour soulager son ventre douloureux, tellement contracté qu’il doute pouvoir le détendre une fois l’exercice finit. Sur son dos,
Mathias croise les jambes pour s’installer confortablement.

- Plus que quatre minutes. Tu t’en sort bien.
Pas de réponse.
- … Tu fais encore la gueule hein ? Je t’ai pourtant déjà dit que ce n’est pas ma faute si Thallia m’a préféré à toi.
Toujours le silence.
- A moins que ça ne soit pas à cause de ça ?

Le bruit d’un carnet qu’on ferme claque à ses oreilles, et le jeune adulte sur son dos s’allonge carrément, l’arrière de son crâne reposant contre celui de Shekil.
- … Je sais que tu veux combattre Sheki’, mais tu es encore trop jeune.
- Je vais avoir… 17 ans…
- C’est ce que je dis, trop jeune.
- Tu te bat… depuis… tes quinze…
- Je suis un cas particulier, tu sais bien. Deux minutes.

Le silence retombe sur les deux jeunes gens, seulement troublé par le bruit des vagues, jusqu’à ce qu’une sonnerie retentisse, annonçant la fin de l’exercice. Souple, Mathias quitte le dos de son partenaire de travail, prenant bien soin de se redresser d’abord sur le dos puis de sauter sur le bord, ultime épreuve pour les apprentis, avant de regarder Shekil galérer pour se redresser. Le souvenir ne le montrait pas, mais les traits du garçon devaient être tirés, en tout cas, ses mains tremblent.
Le paysage, autour d’eux, n’est qu’un amas flou de falaise, de vue sur l’océan et de brouillard, empêchant l’identification du lieux. Devant le jeune Aria, son camarade sourit de toutes ses dents.
- Allez, il est temps de courir maintenant.

 

Inutiles.

Les souvenirs qu’il parvenait à extraire de l’esprit du chasseur étaient inutiles.

Scènes d’entraînements, de repas, de lecture… lieux in-localisables, conversation brouillées lorsque ça devenait intéressants, visages flous, en dehors de ceux des morts… non, vraiment, tout ça était d’une totale et absolue inutilité.

Et frustrant.

Très frustrant.

Vraiment, il avait réellement cru pouvoir le briser plus rapidement que ça.

Relâchant le crâne, le regarda basculer en arrière tandis que la poitrine de sa victime se soulevait par saccades, la fouille de son esprit l’ayant plus épuisé que la séance de torture matinale. Les Aria étaient formés à résister à la douleur, et ce de façon très efficace. L’intrusion dans l’esprit par contre… eh bien, lorsqu’on avait pas de sondeur sous la main, on pouvait toujours se rattacher à la théorie. Ce en quoi Shekil excellait, bien entendu.

- Ne pourrais-tu pas être imparfait, de temps en temps ?

Un sourire moqueur et un rire échappèrent au garçon dont le regard bleu s’accrocha au sien, faisant remuer quelque chose dans sa poitrine.

- Ça serait beaucoup moins drôle.

- Mmmh.

Faisant le tour de la chaise sur laquelle il avait installé sa proie, il lui délia les mains, lui laissant la possibilité de se relever ou de rester avachit là, et alla rincer les siennes dans une vasque, perdu dans ses pensées. La drogue vampirique n’était d’aucun secours… oh, bien sûr, sur le très très long terme, il parviendrait probablement à le faire craquer, mais il n’avait pas ce très très long terme devant lui. Shekil était trop bien entraîné, avait une volonté trop forte, pour que les méthodes classiques fonctionnent sur lui.

Il allait devoir innover…

Le craquement sec d’un pied de chaise qu’on arrache à son cadre l’avertit au dernier moment du danger. Se retournant, il eu tout juste le temps d’intercepter le coup porté en direction de son cœur avant de devoir reculer afin de ne pas se retrouver acculé. Rapide, le jeune homme ne le laissa pas prendre de la distance, enchaînant les coups avec une rapidité qu’il n’aurait pas dû posséder vu le régime de tortures que le vampire lui faisait subir depuis deux semaines. Pourtant il se trouvait bel et bien dépassé par les enchaînements de coups et d’attaques vicieuses qui pleuvaient sur lui, au point qu’il dû se résoudre à se transformer.

Une brume noire prit la place du vampire et se téléporta immédiatement à l’autre bout de la pièce, mettant plusieurs mètres entre son agresseur et lui. Près de la bassine renversée, l’humain reprenait péniblement son souffle sans le quitter des yeux, la main crispée sur son arme de fortune.

- J’aurai dû te casser tous les doigts…

- En effet.

- Et qu’est ce que tu comptes faire avec ça ? Me tuer ?

- Essayer en tous cas.

- Ah Shekil… ce que tu peux être borné.

- On me l’as souvent reproché.

- Ce Mathias que je vois souvent dans tes souvenirs je suppose ?

- Ne parle pas de lui.

- Pourquoi ? Qui était-il pour toi ?

A sa propre surprise, il se rendit compte que la réponse l’intéressait vraiment. L’omniprésence de l’autre homme dans les souvenirs de SON jouet l’agaçait prodigieusement.

- Personne.

- Mais tu ne veux pas qu’on en parle.

- On ne parle pas des morts, c’est tout.

- Et ça se dit humain. Les sentiments, tout ça ?…

- Venant de ta part ce commentaire est fortement ironique.

- N’est ce pas ? Je me trouve très bon. Bien (il croisa les bras) et maintenant ? Qu’est ce qu’on fait ? Je te regarde traverser toute la pièce pour essayer de me tuer ou est-ce que tu lâches cette arme ridicule pour qu’on aille manger ?

A voir la tête de l’humain, c’était plutôt l’option un…

Armand poussa un soupir.

Il allait vraiment jouer à ça ?

En face, le chasseur se ramassait, prêt à prendre son élan.

Il allait vraiment jouer à ça.

Chouette.

 

Quelle surprise de se voir par les yeux d’un autre…
Il est là, cintré dans un costume sombre, ses cheveux noirs, mi-long, soigneusement plaqués en arrière et ses yeux rouges cachés par des verres fumés, en train de tirer nonchalamment sur une cigarette, perché au sommet d’un parvis conduisant à un opéra. Les lumières de la nuit accentuent les ombres et les aspérités de son visage, le rendant très séduisant – de son point de vue – même si son observateur ne le pense probablement pas une seconde.

D’après l’angle d’observation, le jeune homme se trouve en hauteur, probablement au quatrième ou cinquième étage, et pourtant, il ne manque aucuns détails… ses yeux vampires marchent parfaitement. A en juger par les emballages vides à la périphérie de son champ de vision, cela fait un moment qu’il planque à cet endroit, attendant que l’une de ses cibles pointe le bout de son nez. Les cibles en question ont leurs portraits soigneusement épinglé au mur. Il y voit son visage, esquissé au fusain, ainsi que celui d’Akasha et de Mélies, et ses propres souvenirs se superposent brusquement à ceux de l’humain, faisant hurler ce dernier.

 

Oui. Il se souvenait de ce soir là.

De la mort de Mélies, épinglé au mur par une salve d’arbalète.

De la douleur d’Akasha, le visage balafré par un pieu.

Et de sa propre souffrance, lorsque la pointe acérée d’une flèche barbelée s’était plantée dans son épaule.

Alors c’était lui… déjà à l’époque.

Cette pointe… c’était la seule qui lui avait laissé une cicatrice. Un tout petit peu plus à gauche, un tout petit peu plus bas, et s’en aurait été finit de sa longue existence.

Sur sa chaise (en fer), Shekil ne bougeait pas. Sa tête ballait sur sa poitrine, son esprit réfugié dans l’inconscience pour échapper à une autre incursion douloureuse, et Armand décida de lui laisser un répit, le temps de se sortir la tête de ses propres souvenirs.

 

La douleur est… devenue supportable.
C’est étonnant. Vraiment étonnant. Parce que dix minutes plus tôt, il était certain d’être en train de mourir. Mais plus maintenant. Maintenant, il se sent étrangement en forme. Le monde est comme… plus net, plus précis, les sons plus distinct, les odeurs plus fortes, les goûts… les goûts eh bien, ils sont saturés par celui, métallique du sang.

Il ne s’était jamais rendu compte d’à quel point il est merveilleux…
Riche. Épais. Doucereux. Une véritable ambroisie.
Un sourire étire lentement ses lèvres et il ouvre les yeux, les posant sur l’homme, ou plutôt le dieu, qui vient de changer sa vie.
- Bienvenue dans le monde des ombres mon fils… as-tu choisi ton nouveau nom ?
- Oui.
L’homme au dessus de lui esquisse un sourire, dévoilant ses canines anormalement longues, et d’un geste, l’incite à poursuivre.
- Armand. Ce sera Armand…

 

Shekil repris conscience avec un sursaut, le cœur battant et la tête prise dans un étau, la bouche tellement sèche qu’il parvenait à peine à déglutir. Le grand lit à baldaquin d’Armand était froid, et le vampire nul part en vue. Avec un violent effort de volonté, le jeune homme s’extirpa des draps, traînant lamentablement sa carcasse jusqu’à la salle d’eau pour boire et se rincer de l’angoisse de la nuit. Le rêve, ou plutôt le souvenir, ne cessait de tourner a l’intérieur de son crâne, lui donnant l’impression d’être souillé au plus profond de son être. Il avait assisté à la naissance d’un vampire… pire, il avait VÉCU cette naissance de vampire. Et il avait aimé ça.

Un haut le cœur ébranla ses épaules.

Grâces… il allait vomir.

Par chance, l’endroit dans lequel il passait le plus clair de ses journées avait été aménagé pour accueillir des vivants, et le peu qu’il avait dans l’estomac s’évacua à grand renfort d’eau, le laissant épuisé. Les séances de torture et de sonde mentale commençaient sérieusement à peser sur son corps comme sur son esprit, réduisant petit à petit sa résistance… il ne savait pas combien de temps il pourrait encore tenir… avec un peu de chance, juste assez pour que l’hellébore le tue. Armand avait reconstitué la potion à partir de celles trouvées dans la cache et lui en administrait une à trois fois par semaine, sans savoir qu’en faisant ça il accélérait la fin de son prisonnier. Le produit ne soignait pas par miracle, non, il se contentait d’activer les cellules de la personne qui le prenait, faisant passer le temps plus vite… et le raccourcissant d’autant. Si physiquement Shekil avait toujours 23 ans, ses cellules elles commençaient à en accuser une petite quarantaine. Encore deux semaines de ce traitement et il ne serait plus à même de guérir.

« Deux semaines. C’est tout ce que je dois tenir... »

Rincé, vêtu d’un simple pantalon ample qui se laçait sur les côtés, il entreprit de faire ses exercices, profitant de l’absence du vampire pour essayer de recouvrer un peu de forces.

Pompes, abdos, gainage, cardio… ça n’était pas parce qu’il était captif qu’il fallait qu’il se néglige. Et puis cette douleur là, il la connaissait. Il l’apprivoisait depuis son plus jeune âge. Le fait de mobiliser son corps, et de le voir plus ou moins répondre, était aussi une excellente façon d’évaluer sa condition physique.

Qui n’était pas bien brillante, il devait le concéder.

Et il fallait reconnaître que les… « séances » quotidiennes avec Armand ne l’aidaient pas : ce dernier fouillait inlassablement dans sa tête, cherchant à lui extorquer un maximum d’informations et de secrets sur le clan… en vain… ce qui avait tendance à le frustrer et à inciter à passer ses nerfs d’une façon à laquelle l’Aria préférait ne pas penser.

Il avait suffisamment mal aux reins et à son ego comme ça…

Au bout d’un temps lamentablement court, il se retrouva étendu par terre à chercher son souffle, les yeux perdus dans la pénombre décorant le plafond de la chambre, son pied nu frottant machinalement le cercle de métal qui lui enserrait la cheville. La chaîne lui laissait un peu d’amplitude de mouvements, mais pas beaucoup. Assez pour se déplacer dans la pièce et la salle d’eau, trop peu pour s’approcher des portes ou escalader le mur jusqu’à l’immense fenêtre barrée par d’épais rideau qui s’ouvrait en hauteur sur la nuit. Enfin. De ce qu’il pensait. A vrai dire, ne l’ayant jamais vue ouverte, elle pouvait tout aussi bien donner sur un mur et n’être qu’un effet de style. Ça ressemblerait bien à Armand…

Laissant à son corps le temps de récupérer, il entrepris de faire le point sur sa situation – qui ne changeait guère de jours en jours, il fallait l’avouer – à la recherche d’une solution lui ayant échappé.

Il était maintenant captif depuis presque 36 jours, ce qui voulait dire qu’aux yeux des siens, il était officiellement considéré comme mort ou passé à l’ennemi. Tous les protocoles en place avaient dû être changés, et s’il pointait le bout de son nez, il sera abattu à vue, ce qui était réconfortant… aucun vampire ne pourrait se servir de lui pour tenter d’infiltrer le clan, et il pouvait à présent relâcher sa vigilance autour des protocoles, ce qui donnerai une minuscule victoire à son tortionnaire la prochaine fois qu’il le sonderait, et à lui un peu de répit. De plus, ça permettrait d’éliminer quelques ennemis du clan puisque tout ce qu’il connaissait jusqu’à présent, concernant les moyens de joindre les siens, d’entrer dans certaines planques, ou encore d’aller à certaines bases, allait être transformé en pièges.

Autre bon point, Armand ne l’enchaînait que lorsqu’il devait s’absenter plus d’une demi heure. Le fait d’être attaché indiquait donc une plage horaire 1. sans tortures 2. sans surveillance et 3. assez longue pour poursuivre l’un de ses projets en cours. Y songeant, il s’arracha à la fraîcheur bienfaitrice du sol pour gagner le lit et passer la main sous le matelas pour en tirer une longue esquille arrachée à une latte.

Il avait repéré l’objet quelques jours plus tôt, une fois où son gardien avait jugé beaucoup plus amusant de le tabasser dans la chambre et de le prendre par terre plutôt que de le traîner dans la salle de torture située à l’autre bout de leur lieu de résidence. Ce jour là, il avait tout enduré en priant pour que le vampire ne remarque pas le morceau de bois fendu qui pendait sous le lit… et le fait de le savoir là, à portée de main, lui avait donné le courage de tenir une semaine de plus.

Lentement, il fit tourner l’objet entre ses doigts, savourant son contact lisse, son poids et son absence total d’équilibre. Il travaillait dessus depuis deux « zones neutres », comme il appelait intérieurement les périodes d’absences de son bourreau, et avait presque finit de le façonner en forme de pieu. Bientôt, il pourrait s’en servir.

Assit sur le côté du lit, face à la porte, il entreprit de recommencer à limer le bois contre le bas du baldaquin, utilisant le calme apporté par le travail manuel pour reprendre son inventaire.

Jusqu’à présent, il n’avait vu personne d’autres que l’Ancien, qui semblait vouloir cacher sa capture à tout le monde, allant ainsi à l’encontre des lois vampires, ce qui pourrait peut-être lui être utile plus tard, et la dernière séance de sonde semblait avoir eu pour effet de déverser une partie des souvenirs du vampire à l’intérieur de sa tête, ce qui était à la fois répugnant et utile. Il pouvait en apprendre plus. Arriver à s’en sortir.

Faire parvenir ses no…

Non.

Personne ne croirait à ses notes.

On ne parle pas avec les morts.

Il appuya son front contre le bois.

Bon sang ce qu’il était fatigué…

A l’opposé de sa pièce, une porte claqua en se refermant, le faisant sursauter. Armand. Déjà…

Prestement, il dissimula son arme de fortune et enroula sa chaîne entre ses mains, prêt à bondir. Il fallait le distraire. Continuer à lui faire croire qu’il tenait bon. Tenter de le tuer aussi souvent et efficacement que possible. Jusqu’à lui donner confiance. Lui faire croire que quoiqu’il arrive, il était intouchable… et là, là seulement il pourrait profiter du jour pour lui planter le pieu dans le cœur.

 

Il a pris son temps pour choisir sa première victime.
Oh, bien sûr, il meurt de faim. A en devenir cinglé même, comme tous les Nouveaux Nés. Mais il fait aussi preuve de cette force de volonté qui a séduit son Maître en premier lieu. Il ne veut pas que sa première Prise de Vie soit faite sur un quidam quelconque. Non. Il veut choisir. Il veut souffrir en l’attendant, il veut se souvenir à chaque instant du fait que cette nouvelle existence à un coût bien particulier.
Celui de la faim.
D’être le Tantale des temps modernes.
Après la douleur des premières nuits le ventre vide, à ne se nourrir que du sang de son Créateur, il a arpenté avec lui les rues de la ville, comme un invalide d’abord, puis avec de plus en plus de prestance à mesure qu’il parvenait à dominer son démon et à ne plus friser la folie à chaque fois qu’il croise une humaine en pleine menstrue.
C’est au cours d’une des soirées mondaines qu’affectionne son Père qu’il le rencontre.
Il lui plaît tout de suite. Son visage, son sourire, son odeur… Ses yeux bleus. Il ne parvient pas à se le sortir de la tête. Il le veut, lui et nul autre.
Et vis très mal qu’on le lui interdise. Celui là est réservé, marqué pourrait-on dire, à un Ancien. C’est une proie capitale, qui pourrait les conduire à leurs vieux ennemis, le mythique clan Aria dont il ne sait rien encore. Ah quelle souffrance ç’a été de le voir dévorer par un autre… de devoir se rabattre sur ses enfants, en particulier son jeune fils, qui a lutté farouchement jusqu’à ce qu’enfin les dents d’Armand ne le crèvent, son sang chaud à la saveur si particulière se déversant à gros bouillon dans sa gorge, irradiant son corps de force et de vie, enivrant son esprit, lui faisant vivre milles extases à mesure qu’il passe dans ses veines, le rendant plus fort, plus vif, plus dangereux encore…

 

Agacé, Armand frotta son cou là où la chaîne avait mordu assez fort pour lui laisser une belle marque et donna un dernier coup de pied à l’humain étendu au sol devant lui. Réaction puérile, il en était parfaitement conscient, mais cet idiot de Shekil avait réussi à lui gâcher sa journée… lui qui était rentré de si bonne humeur ! Parfaitement disposé à un peu de mansuétude, heureux qu’il était d’avoir obtenu gain de cause dans ses négociations. Mais non. Cette tête de mule avait décidé de l’attaquer sitôt la porte franchit, utilisant sa chaîne comme arme, et parvenant presque à l’étrangler par il ne savait quel malédiction.

Crétin.

La rixe, bien que brève, avait salement amoché le chasseur roulé en boule sur la pierre froide. Sa cheville emprisonnée par la chaîne était tordu dans un angle peu naturel, et à en juger par les hématomes en train de fleurir sur sa peau, il avait plusieurs os de brisés. Et peut-être même un poumon crevé, à entendre sa respiration glougloutante.

Un vrai gâchis.

L’attrapant par les cheveux, il le força à se redresser, ignorant les ravages causés au visage pour le traîner hors de la chambre, ne s’arrêtant dans son mouvement qu’à cause d’un cri déchirant : il avait oublié la chaîne. La cheville tordue avait été remise dans l’axe, mais à en juger par l’odeur du sang et le bruit de déchirure, il avait transformé une simple entorse en fracture ouverte.

- Bon sang. Tu ne me facilite franchement pas les choses !

L’absence de réponse, ainsi que le poids mort au bout de son bras, lui indiqua que le jeune homme avait probablement perdu connaissance, ce qui lui arracha un soupir. Il aimait maltraiter Shekil, il n’allait pas le nier, mais il trouvait inquiétant la façon dont il tombait régulièrement dans les pommes ces derniers temps. Peut-être était-il devenu résistant à la potion d’hellebore à force d’en consommer ?… A moins qu’il n’atteigne enfin le bout de sa résistance…

Plus délicat, il allongea sa proie sur le dos pour le débarrasser de son entrave et inspecter sa cheville. Cette dernière, déjà en train d’enfler, présentait une vilaine couleur bleue au coeur de laquelle pointait le blanc d’un os. Une petite flaque de sang commençait gentiment à s’élargir sur le sol de pierre, emplissant son nez de l’excitant parfum des Aria. Résistant à grand peine à son envie de boire, il éclissa rapidement le membre blessé avant de soulever l’humain avec douceur pour l’emmener au salon.

Sentir le souffle chaud de Shekil sur son cou, sa tête appuyée contre son épaule, son cœur battant doucement contre sa poitrine vide, était une sensation étrangement plaisante qu’il n’avait pas envie d’analyser plus avant, aussi s’empressa-t-il de le déposer sur un des élégants divans garnissant sa pièce à vivre et de s’éclipser à la recherche du remède miracle qui allait lui retaper son joli chasseur.

Jusqu’à ce qu’il le casse de nouveau.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Lunatique16
Posté le 16/07/2020
Salut !
Bon, déjà et comme depuis le début, une histoire bien écrite et des personnages toujours plus intéressants. Armand est fascinant, il peut se montrer aussi sadique que tendre (enfin presque) et je trouve son duo avec Shekil adorable, même si leur relation est vraiment glauque et sacrément malsaine. Mais plus je lit ton histoire et plus j'aime ce vampire, aussi tordu soit-il et je trouve vraiment génial son esprit d'analyse.
Les Arias sont descendus dans mon estimes. Le fait qu'il se servent d'organes de vampires pour se les greffer ne m'étonne pas beaucoup, je dois dire que je m'y attendais un peu mais ça reste franchement horrible. On en viendrait presque à se demander qui sont les vrais monstres !
J'ai aussi trouvé très intéressant la description des différences entre la physionomie humaine et vampire, un cœur qui bat aussi lentement c'est du génie ! Je n'y avais jamais pensé !

Ensuite, j'ai relevé quelques coquilles, certaines ne sont pas très clair :
- "mais il le meut avec une souplesse"
- "Ce qu'il prévoyait d lui faire"
- répétition de jeune homme -> "chaque son émit par jeune homme "
- "ne faisait que le conforter dans son idée" pas "confirmer"
- "mais tu ne veux pas qu'en en parle." c'est pas plutôt "on" ?
- "son nez de son l'excitant parfum d'Aria"

Voilà voilà, encore bravo pour ton histoire, elle est toujours plus prenante ^^ et c'est génial !
VavaOmete
Posté le 16/07/2020
Merci pour ton commentaire et le relevé des coquilles @_@ je m'en vais changer ça de ce pas (je viens de voir aussi que j'avais fais une grosse boulette dans le chap 1 en mettant que les cicatrices du dos de Shekil étaient dues à leur première rencontre... >.> oupsi).

Pour les Aria... tu fais bien de te demander qui sont les monstres dans l'histoire =D même si leurs démarches sont "légitimes" de leur point de vue.
Alalala j'ai la pression pour la suite du coup ! @o@/

Merci encore, tes commentaires me motivent à fond !!!
Lunatique16
Posté le 16/07/2020
Mais non te met pas la pression va ! XD
C'est vrai que ça peut paraître un peu trop le coup des coquilles relevées, désolée ^^'
Et de rien ^^ ça me fait plaisir !
VavaOmete
Posté le 16/07/2020
Non non au contraire ! Ça m'aide beaucoup qu'un oeil extérieur relise et cible les coquilles ! ^^ J'ai tendance à ne plus être capable de les repérer à force de relire (outre le fait que les accords en S et moi sommes profondément fâchés =D).

La pression c'est plutôt pour continuer de faire une histoire bien ^o^/ :p
Lunatique16
Posté le 16/07/2020
Oh, pour ça j'ai confiance ^^ ton histoire est géniale !
VavaOmete
Posté le 16/07/2020
(é////è) merci beaucoup !
Vous lisez