Dans le bâtiment, ils préparaient leurs sacs en vue de leur départ. Une fêlure insidieuse se faisait jour dans le couple. L'homme restait choqué par l'attitude de sa compagne. Outre qu'il trouvait la destruction de la gynoïde dommageable, il s'inquiétait de la flambée de violence soudaine de la capitaine. Sa propension à la colère, bien que connue, ne l'expliquait pas à ses yeux ; la fatigue alors ? Les interrogations se télescopaient dans son esprit. Il gagna le hangar et écarta la bâche. Là, se trouvait le reliquat du croiseur accidenté. Ils n'avaient ramené que des fragments depuis les lieux du krach. Importants, mais insuffisants pour construire le véhicule espéré. Pourtant, les ressources que représentaient ses débris incitaient l'homme à les étudier davantage. Sélectionner ce qui pouvait être emporté ou pas. L'homme souleva plusieurs morceaux de carlingue noircis. Le passage dans l'atmosphère et l'atterrissage en catastrophe avait laissé des traces. Le plus précieux était intact ; les instruments de bord qui s'avéraient capables de mesurer, repérer, analyser. Bien sûr, les problèmes d'énergie pour les utiliser perduraient. Mais, il ne désespérait pas de trouver des solutions au cours du périple à venir.
Oubliant Yséov, il se concentra sur sa tâche.
*
Au sein des abris régnait le temps du sommeil ; seuls les guetteurs persistaient dans leurs veilles de sentinelles. Les respirations calmes et régulières des dormeurs ne se troublaient que par de petites expressions sporadiques : rêves décousus, appels de bébés cherchant le sein des mères.
Lovés les uns contre les autres, par âges, par famille ou par couples ; l'ambiance tranquille des habitats les enveloppait. Une douce lumière émanait des parois rocheuses recouvertes d'une fine mousse fluorescente. Par intermittence, une multitude d'objets se révélait en différents points des abris. On y devinait de nombreux ateliers conçus pour façonner et faciliter le quotidien. On entendait dans les cavernes la musique de l'eau glougloutante. Des lieux de douce tiédeur, idéaux pour que la vie de ce peuple se passe sans heurts.
Cette société primitive et naissante évoluait lentement, certes, mais était prometteuse d'une civilisation complexe à venir, si bien sûr rien ne venait interrompre sa marche en avant. L'entité protectrice de la montagne, qui les observait à leur insu, comptait bien mettre tout en œuvre pour empêcher les interactions néfastes.
Elle éteignit les écrans et contacta le groupe d'intervention ; le temps pressait !
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Chargé de paquetages pesants, le couple quitta l'antique domaine agricole. Ils échangeaient peu de paroles. Yséov demeurait efficace, toutefois introvertie et irritable ; lui ouvrait la marche sur un chemin caillouteux sans chercher à dissiper cette mauvaise humeur. Le soleil déjà haut flamboyait ; une longue distance les séparait de la cité ; leur arrivée avant la nuit n'était pas garantie. Conclusion : il ne s'agissait pas se perdre en digressions inutiles.
Aux graviers succéda un croisement d'asphalte irrégulier ponctué de bosses et de brisures, émaillé d'herbes folles. Différentes voies se déroulaient devant eux ; elles semblaient sans fin. Suivant le conseil de la défunte gynoïde, ils bifurquèrent sur celle menant au nord. Une course contre la montre venait de s'engager.
*
Dans la ferme désertée régnait un silence accablant. Les portes, laissées grandes ouvertes, laissaient entrer la chaleur croissante du jour. Elle s'insinua dans la pièce où la gynoïde gisait. Son crâne vomissait sa substance, dans un maelström d'éléments numériques, poissé de fluorescence. Un frémissement parcourut l'artificielle, imperceptible, inattendu, voire invraisemblable. Sa conscience cybernétique se réveillait, confuse, saturée d'informations contradictoires, surtout coupée du serveur principal.
Pourtant, dans ce salmigondis, une priorité s'imposait au cœur des circuits endommagés.
Je dois protéger le nouveau peuple !
Cela transcenda les autres considérations. Elle s'accrocha à cette unique clarté.
Qui les menace ?
Elle chercha dans sa mémoire morcelée l'origine du danger. Des images grésillantes, des sons flous. Elle les rassembla tant bien que mal.
Un mâle, une femelle, créatures diurnes, violentes, menaçantes.
La gynoïde se rappela leur avoir donné une porte de sortie, ils l'avaient remerciée en la détruisant. Une vague de crépitements parcourut ses neurones surchauffés, cela ressemblait à de la colère ; une colère, froide, concise. Elle exigea de son corps le mouvement. Laissant derrière elle une flaque gluante et verdâtre, elle releva son chef fendu, son buste. Elle s'arcbouta sur ses avant-bras, se traina vers un mur, s'y adossa. La matière liquoreuse coula sur ses épaules, dans son dos, sur son visage à moitié figé.
Priorité un : réparation.
Ce qui, vu son état, semblait ardu. Pourtant, elle déchira le tissu blanc de son vêtement et s'enturbanna le crâne fortement. Le fluide ne coulait plus, mais imprégnait l'étoffe. Les connexions se rétablissaient. La réfection serait partielle et, à défaut d'une révision complète, n'empêcherait pas ses circuits de se dégrader inexorablement. En revanche, cela lui donnerait le temps de rattraper les fuyards.
Elle patienta...
*
Le véhicule ovoïde survolait la campagne immobile. Il passait au-dessus de plusieurs habitations où hameaux abandonnés, de prairies et de bois jaunis et secs.
Les antiques routes défilaient rapidement ; les caméras, radar et autres sondeurs, inspectaient minutieusement les mouvements au sol. Ces instruments ne furent pas longs à repérer deux individus qui avançaient rapidement en direction du nord.
Une analyse plus poussée confirma la nature des marcheurs. Les renseignements furent envoyés à l'entité centrale, ils reçurent en retour des instructions précises.
Enfin, l'appareil s'apprêta à atterrir.
*
Yséov fut la première à apercevoir ce qui les survolait, elle le désigna à son compagnon, alors qu'il amorçait sa descente.
— C'est quoi ça ?
À son tour, il leva les yeux, remarqua l'engin qui étincelait sous le soleil brûlant. L'inquiétude fondit sur lui, ainsi que l'amertume.
— Ça, c'est la conséquence directe de ton geste irréfléchi envers notre visiteuse de ce matin.
Sa voix était chargée de reproche. Mal à l'aise elle ne sut que répondre.
— Nous devons nous mettre à couvert, ou mieux, chercher un abri.
— Où ? Il n'y a rien, nous sommes pratiquement à découvert ici.
Le regard de l'homme fouillait les alentours, il s'arrêta sur un bosquet d'arbres rachitiques qui semblait néanmoins assez conséquent.
— Là !.
— Cela ne suffira pas à nous cacher.
Sans répondre, il lui prit la main et l'entraina dans son sillage. Le couple ne mit que quelques minutes à atteindre le boqueteau. Ils s'approchèrent du centre ; brusquement, le sol s'effondra sous leurs pieds.
Le même cri de surprise s'échappa de leurs lèvres, alors qu'ils chutaient ensemble dans les ténèbres.