Chapitre 4 : Dérapages et tentatives de rattrapages

Quelque part au nord est du continent

Au même moment.

 

Dans la colonie de Beton, l'heure était à l'inquiétude et même à la peur. Les habitants se relayaient derrière les palissades et les postes de gardes. Cela faisait presque trois jours qu'ils étaient arrivés, prenant position à différents endroits stratégiques dans le but de fermer l'accès à la colonie qui était maintenant isolée du reste du monde. 

Les colons avaient choisi la ville en ruine de Beton car il y avait de nombreux immeubles encore plus ou moins debout, ou du moins leurs structures étaient utilisables comme base de départ à la reconstruction de quelque chose. L'installation et le phagocytage avait été facile, les fondations étaient encore solides, les structures en béton aussi. Les immeubles restant étaient une véritable mine d'or pour ceux et celles qui avaient le courage de passer leur temps à chasser les matériaux de récupération, rendant le chantier autosuffisant. 

En quelques jours d’un travail acharné, un campement était apparu au centre de la ville abandonnée. Avec quelques semaines de persévérance, le campement est devenu un village rudimentaire. Quelques mois plus tard, on découvrait une petite colonie qui était de temps à autre visitée par des marchands indépendants cherchant à diversifier leurs étapes pour compenser le fait que les grandes colonies étaient souvent monopolisées par les grandes caravanes commerciales. 

Tout s'annonçait pour le meilleur, ils avaient réussi leur pari en se créant leur foyer et leur coin de paradis. 

Jusqu’à l’arrivée des autres… 

Johan les avait repéré par hasard, ou du moins se doutait qu’il se passait quelque chose. Lors de ses patrouilles quotidienne organisée par les membres du village, il avait repéré des traces véhicules s’approchant un peu trop près de leur territoire et qui n'empruntent pas des itinéraires menant à l’avenue principale comme le ferait un marchand itinérant. Puis ce fut des traces de bivouac improvisé et surtout volontairement discret, quelqu’un se rapprochait tout en voulant rester discret. 

L’alerte fut des traces de bottes sur une colline proche de l’ancienne ville, assurément un groupe, ces traces trahissaient un rassemblement et une attente avant de se rendre vers la ville. En suivant le même itinéraire que les inconnus, il se retrouva dans un bâtiment abandonné dont le toit offrant une vue directe vers la porte de leur colonie installée sur ce qui devait être la place centrale. Qui que soient ces individus, ils s’étaient approché à moins d’un demi kilomètre de leur foyer et observaient une des trois portes de leur village. Johan n'avait jamais couru aussi vite de sa vie, il était rentré à la vitesse du vent pour se rendre dans le bureau du chef du village. 

Alors qu’il surveille l’évolution de la situation aussi monotone que désespérément insoluble, il avait l’impression d'être immobile au bord d’un gouffre et de contempler les abîmes en se disant qu’il ne risquait rien tant qu’il ne tombait pas au fond. 

Les pillards n'attaquent pas encore pour une raison inexplicable, ce n’était pas une raison pour se sentir hors de danger. Leur murailles faites à l’origine de tout ce qu'ils avaient pu trouver était maintenant renforcée par des briques et des plaques d’acier, mais on était loin du mur protégeant le royaume de Mantia. Cela pouvait stopper des tirs, bloquer des véhicules mais ne résisterait pas à un acharnement sur la durée. 

Malgré tous ces faits et vérités tournant dans la tête de Johan alors qu’il effectuait sa ronde sur le mur, les habitants n’avaient pas encore ressenti de réelle crainte face à l’encerclement de leur village. Les pillards étaient déjà venus les titiller plusieurs fois depuis la création de leur foyer, testant et prenant la mesure des colons par des petites approches et escarmouches manquant de motivation et dont le but évident était de tester la solidité des lieux.  Mais aujourd’hui on était sur un autre registre, ils ne testaient pas et avaient un plan. Ils n’avaient pas établi de contact, étaient nombreux, avaient bloqué toutes les routes permettant d’arriver au village et s’étaient tranquillement installés à portée visuelle tout en gardant leur distance. 

Les pillards étaient une nuisance fréquente sur les terres désolées. Ils faisaient partie de l'écosystème autant que le reste de l'environnement. Ils étaient féroces et impitoyables mais souvent désorganisés et sous équipés, malheureusement pas ceux-ci. Ils étaient arrivés en ordre dispersé, faisant croire à plusieurs groupes se rencontrant par hasard et faisant naître l’espoir qu’ils s'entretuent. Malheureusement, le premier groupe était une avant garde, la suite était le gros de la troupe. Le fait qu’ils soient équipés, habillés et organisés différemment posait question mais ne trompait pas sur le fait qu’ils travaillaient ensemble. 

— Il ne se passe rien du tout. Enfin, rien de différent de cet après-midi ou de la journée d' hier. La seule nouveauté est qu'ils ont l'air de plus en plus nombreux. Sinon ils sont calmes. Ils ne regardent même pas vers chez nous. Ils restent sagement à un ou deux kilomètres d'ici. On ne les aurait même pas vraiment remarqués sans leurs véhicules qui leur servent à éclairer leur bivouac ou s'ils étaient moins nombreux. C'est Johan qui nous a sauvé en les repérant bien à l'avance se dirigeant vers ici. Soupira le chef de la milice du village gérant la sécurité. 

— En effet.  Se contentant de répondre le chef. C’est plus facile de repérer un danger lorsque l’on sait qu’on est menacé que lorsqu’on a une illusion de sécurité. 

— On maintient toujours la tournante, par contre on ne tiendra pas éternellement. On est limité par nos réserves si on n'a plus accès à la rivière pour pêcher ou à nos potagers en périphérie de la ville. On a un puits et quelques parcelles de potagers dans l'enceinte de la colonie mais la majorité vient de dehors. On peut bricoler de la soupe et on ne mourra pas de soif, mais ce n’est pas la joie. 

— Combien de temps ?

— Six semaines maximum. En se rationnant, on avait déjà commencé à pomper l'eau du puits pour faire des réserves. Plus que d'habitude je veux dire. Avant on pompait pour avoir de l'eau en réserve par confort mais ici on a étendu à une estimation d'une semaine de confort. La nourriture avait déjà été considérée comme stratégique, on a des boîtes de conserve qu'on a acheté à chaque occasion lorsqu'on avait un marchand s'arrêtant ici pour les stocker en prévision de temps difficile. On avait prévu la situation où on n'aurait plus accès aux potagers pour une raison ou l'autre. Le souci principal est les munitions. On a jamais pu constituer un arsenal digne de ce nom, on pensait toujours en matière d'escarmouches. On a jamais pensé à un véritable blocus, un siège à l'ancienne. C'est ce qu'ils font sans pour autant se montrer agressifs, ils n'en ont pas besoin. Ils sont nombreux et savent qu'on n'ira pas les attaquer frontalement, ils se contentent de prendre position de manière à rendre tout passage impossible sans les rencontrer de près ou de loin. 

— Je vois... On n'aura pas de secours. On n'a personne à portée radio, on essaie depuis hier matin. 

— Qui aurait envie de se battre pour nous de toute façon, on est une petite colonie loin de tout. On est venu ici pour fuir le monde qui ne voulait pas de nous, pourquoi viendrait-il nous aider maintenant. 

— On ne se décourage pas. On peut avoir la chance d'avoir un marchand qui passe à proximité. 

— Il risquerait de se faire attaquer avant d'avoir pu donner l'alerte. Je ne vois pas en quoi cela nous aiderait -il mais soyons optimiste... Oui. On n'a rien d'autre de toutes manières. 

 

Le chef du village ne répondit rien, ne trouvant rien à dire à son chef de la milice qui avait le moral dans les talons. 

 

Il ne ressentait pas beaucoup plus d'optimisme mais ne pouvait pas l'avouer, il risquait de faire effondrer totalement la cohésion du village en semant la panique. Il y avait plus de deux cents personnes qui comptaient sur lui pour guider le destin de leur petit village qu'ils avaient créé de toutes pièces, courageusement et fuyant l'injustice partout d'où ils venaient tous autant qu'ils étaient. On ne leur avait rien donné, ils avaient dû prendre ce qu'ils avaient eux-mêmes, construire leur destin et leur bonheur en affrontant le danger et le défaitisme. 

« On avait presque réussi... »  pensa amèrement tout haut le chef du village.  Car il ne pensait même plus à sauver le village mais plutôt à limiter la casse et à amener sa troupe en sécurité dans un autre endroit. 

Ils avaient été repérés comme une bonne cible, ils n'auraient plus la paix même si ces pillards partaient. D'autres viendront encore et encore jusqu'à ce que le village tombe... Autant tenter de prendre les devants. Mais pour le moment, il faut tenir pour les décourager avant de remballer les affaires et tenter une sortie dès que la voie sera dégagée. 

C'est à ce moment que son chef de la milice l'appela. 

— Chef! ! Venez voir ! ! On a du mouvement. Plusieurs personnes courent. Ou plutôt essaient de courir, elles ont l'air mal en point. On fait quoi? * demanda t’il tout en montrant la tour de guet dans laquelle un homme armé pointait son arme vers quelque chose au bout d'une grande avenue encombrée de débris de construction et d'objets rouillés. Nos tireurs ont des intrus en visuel et à portée de tirs. On attend vos instructions. 

 

Une heure plus tôt — à quelques kilomètres de là

L’agent Leone di Fiorelli était au guidon de sa moto en direction de l’est du continent, loin des pistes caravanières connues, au milieu des terres désolées. Elle participait à une mission de reconnaissance et sauvetage en compagnie d’un détachement de légionnaires du royaume de Mantia. Membre du service de renseignement de la Garde Prétorienne - branche d’élite de la Légion - elle en restait pleinement légionnaire, formée à la discipline et à la rusticité du terrain. 

Sa mission comportait deux volets. Le premier, officiel: enquêter sur la disparition d’un nombre croissant de caravanes, qui après avoir fait halte ou été attendue dans le sud de Mantia, ne parvenaient jamais à destination. Sa spécialité étant la reconnaissance et le pistage, c’était pour elle un travail presque sur mesure. 

Le second volet, plus inhabituel: localiser une mission archéologique disparue bien au-delà des frontières de l’influence Mantiennes, au cœur des territoires abandonnés et livrés à l’anarchie. 

Le royaume avait toujours assuré la sécurité des convois approchant de ses frontières, qu’ils y  fassent escale ou se contentaient de passer à proximité. C’était une question d’honneur de ne pas ignorer un appel de détresse et  de ne pas abandonner une personne en détresse sur une piste à portée radio.  Par tradition, les légionnaires franchissaient le Grand Mur pour répondre à tout appel et localiser les personnes en danger lors d'attaques de pillards ou simplement en difficulté quand il s'agissait uniquement d’une panne de véhicule.  Les marchands, souvent les mêmes, étaient considérés comme des alliés de fait, même sans être citoyens. Malgré tout cela, la liste des disparus s’allongeait. Il fallait comprendre et agir avant qu’une horde ne s’installe trop près des frontières, libre de frapper impunément. 

La plus grande crainte du ministère de la défense du royaume étant de voir une horde s’installer, s’enhardir et se renforcer grâce bénéfice de ces attaques. 

La mission archéologique, elle, avait bénéficié du parrainage direct de la princesse Benedicta, passionnée d’art et histoire. Séduite par le projet de retrouver une cité souterraine légendaire grâce à des indices historiques et des artefacts, elle avait convaincu la reine Antonella de soutenir l’expédition.  Les premiers rapports avaient été réguliers… puis plus rien depuis un mois.

Un colonel était venu chercher Léone à la caserne de la capitale pour l’emmener devant le Commandant de la Légion. On lui avait présenté la section qui l'accompagnait et indiqué de descendre jusqu’à la caserne la plus proche du Mur protégeant la frontière sud du royaume. Une fois dans le sud du royaume, elle se rendit immédiatement à la caserne proche de la porte principale, symbolisant limite du territoire du royaume de Mantia. Au-delà, on s’aventurait dans ce que l’on appelait les terres désolées. 

Au moment de se présenter au rapport, la surprise fut totale: la reine elle-même l’attendait, avec la princesse et plusieurs officiers. On lui remis tout le nécessaire: Cartes, itinéraires, horaires des caravanes attaquées, documents préparatoires de la mission archéologique. 

La section était placée sous les ordres du lieutenant Lorenzo Mazzini, un officier commandant une trentaine d’hommes — assez pour frapper vite, pas assez pour tenir une position prolongée. À ses côtés, son adjointe, le sergent-chef Leone di Fiorelli, rôle d’équilibriste entre le commandement et les hommes, responsable de la cohésion sur le terrain.

Avant son départ, le Commandant-Prétorien di Castiglione l’avait mise en garde sur un autre point : des rumeurs de complot visant la maison royale prenaient de l’ampleur. Aucun nom, aucune preuve, mais des indices laissant penser que les ramifications pourraient atteindre certaines enclaves caravanières. Leone devait rester attentive aux moindres signes.

Leone fut sortie de ses pensées par le lieutenant Mazzini qui ouvrait la route avec sa moto bruyante mais d’une fiabilité et une polyvalence remarquable, capable d’absorber routes abimées, pistes défoncées et hors piste. 

— Sergent-chef di Fiorelli ! lança-t-il en se retournant.

Le sergent-chef, bras droit du lieutenant, avait pour mission de veiller sur les escouades et d’assurer que les ordres soient exécutés avec précision. Leone, bien qu’ayant intégré la Garde Prétorienne, avait conservé son grade de terrain

— Oui, lieutenant?

— On va devoir s'arrêter pour la nuit. Circuler dans l’obscurité serait trop dangereux. 

Après avoir stoppé sa moto, Leone consulta brièvement ses notes en les dépliant sur le réservoir à la lueur d’une petite lampe à gaz fixé à l’avant de son casque.

— Je crois avoir vu une large route en contrebas, en mauvais état… signe probable d’une ancienne grande ville. Elle pourrait offrir un bon abri. D’après mes renseignements, une colonie se serait récemment installée dans les environs. Plusieurs marchands l’ont visitée et affirment que les habitants sont accueillants

Mazzini esquissa un sourire. 

— Je crois avoir vu une large route en contrebas, en mauvais état… signe probable d’une ancienne grande ville. Elle pourrait offrir un bon abri. D’après mes renseignements, une colonie se serait récemment installée dans les environs. Plusieurs marchands l’ont visitée et affirment que les habitants sont accueillants.

Mazzini esquissa un sourire.

— Parfait. Si on peut se reposer et obtenir des informations locales, c’est tout bénéfice.

— Alors cap sur la colline là-bas. De là, on devrait voir ce qui reste de l’ancienne ville secondaire de Beton.

Une demi-heure plus tard, la section se positionne en hauteur.

— Sergent De Rossi, approchez discrètement. Cherchez tout signe d’occupation.

Un sergent commandait une petite escouade de huit à dix hommes, spécialiste des patrouilles et des reconnaissances. De Rossi enfourcha sa moto et descendit à vitesse prudente, prêt à rebrousser chemin au moindre danger. Les autres l’avaient couvert depuis des positions offrant des angles de tir.

Leone avait choisi un itinéraire discret, hors des routes principales, évitant les éclaireurs de la horde. Mais le hasard voulut qu’ils arrivent par un secteur moins surveillé… jusqu’à ce que De Rossi aperçoive des lumières reflétées sur les façades. Trop tard, plusieurs silhouettes armées l’avaient repéré. Ce n’étaient pas des colons, mais des pillards organisés.

Un claquement sec retentit. De Rossi tomba, projeté au sol.Un claquement sec retentit. De Rossi tomba, projeté au sol.

— Couvrez-le!! Hurla Mazzini en s'élançant vers De Rossi, maintenant au sol. 

— Sergent Alessio!! Avec moi!! Ordonna Leone en enfourchant sa moto. Alessio, veteran de l'escouade, savait qu’un sergent ne discutait pas un ordre. Les balles sifflaient partout autour d’eux comme un essaim furieux.

Arrivée à la hauteur de De Rossi, Leone constata qu’il respirait encore mais saignait de l’épaule. 

— Sergent chef… Partez, souffla Alessio, le visage grave. 

— Quoi?!

— Ils sont trop nombreux. Si vous restez et qu’on est tous capturés ou pire…  La mission est perdue. Allez chercher de l’aide, signalez la situation et revenez avec du renfort. 

Leone hésita, le cœur serré, puis démarra. Ses frères d’armes la couvraient. La fusillade résonnait encore longtemps derrière elle, peut-être en réalité… ou seulement dans sa conscience coupable.
 

 

Le feu d’artifice toucha son paroxysme avec l’apparition inopinée d’un zeppelin survolant la zone de combat, le malheureux appareil n’avait absolument rien à voir avec ce qui se déroulait au sol mais allait en devenir la victime collatérale et compliquer grandement la situation. Les pillards sursautèrent en le voyant surgir des nuages et fendre le ciel nocturne, l'équipage pilotant l'appareil fut aussi surpris que ces derniers mais ne pouvait rien faire d'autre que changer de route. 

Le voyage depuis l’est du continent s’était déroulé sans encombre, aussi les officiers commandant le détachement de mercenaires escortant la cargaison à destination d’Oppermino à l’ouest du continent, se reposent dans leur cabine en attendant l’escale dans une des enclaves caravanières pour se dégourdir les jambes. Elles étaient en train de discuter tranquillement quand l’appareil changea brusquement de direction, avant qu’un choc fasse carrément tomber Eugénie de sa banquette et projette Astrid contre la porte de la cabine. Elle fut la première à sortir dans le couloir puisqu’elle était déjà contre la porte, suivie par ses deux amies. Elles coururent vers le poste de pilotage pour comprendre ce qu’il se passait, la réponse leur arrivèrent en chemin lorsqu’elles aperçurent des balles traçantes zébrer le ciel nocturne au travers des hublots. 

Au sol, la scène était toute différente. Ce qui semblait brutal et rapide à bord de l'appareil semblait d'une lenteur ridicule et pathétique, plusieurs pillards tiraient déjà en direction du zeppelin. Si les fusils avaient peu de chance de représenter une réelle menace, les mitrailleuses pouvaient causer des dégâts. 

Un des pillards, vêtu d'une salopette de mécano et d'un tablier en cuir, était debout au côté d'un lourd véhicule à l'aspect heteroclite. L'engin semblait être un assemblage entre une voiture récente dont on aurait récupéré les morceaux, un véhicule utilitaire qu'utilisait les caravaniers et une diligence dont les chevaux se seraient enfuis. 

Mais peu importait à Tonn surnommé « le Ramasseur », ce qui comptait était que ce véhicule fonctionne diablement bien et était très solide. Il suffisait de compter les impacts sur la carrosserie pour juger sa résistance. Un autre homme était à ses coté, un étrange masque métallique peint en noir cachait son visage et des gants de cuir couvrait ses mains. 

— Ils ont appelé des renforts, on dirait. C'est l'occasion de tester notre nouvelle invention.  S'écria le masque avec entrain. 

— Ça va chauffer.  Répondit Tonn, totalement indifférent à la fusillade qui continuait à plusieurs centaines de mètres d'eux. 

Ils ôtèrent une partie de la carrosserie, dégageant le plateau arrière du véhicule. Une vingtaine de tubes semblables à des cheminées alignées se dévoilèrent, pointant vers le ciel. 

— Descends du véhicule et mets-toi à l'abri derrière moi. On va illuminer le ciel.  Cria masque noir à Tonn. 

Au-dessus d'eux, le zeppelin tournait lentement avec la grâce d'une baleine en difficulté. Le ciel était zébré de balles traçantes lâchées par les mitrailleuses de deux des pillards qui étaient installés sur le toit de deux immeubles de taille moyenne. Les longues rafales avaient déjà touché l'appareil, les étincelles avaient été visibles depuis le sol. Le masque noir avait calculé la trajectoire et estimé qu'il n'était pas nécessaire de déplacer le véhicule, la courbe amènerait la cible à la verticale de leur position. 

Astrid et ses deux amies avaient remonté le couloir afin d'atteindre le poste de commandes après avoir demandé à leurs hommes de se préparer à toutes les situations possibles, le trajet leur avait déjà donné des pistes de réflexion à l'occasion d'impact sur la coque et d'étincelles quand les balles avaient réussi à pénétrer le blindage. Elles sentaient qu'on effectuait une courbe aussi serrée que possible et que l'on tentait de prendre de l'altitude.

— Que se passe t-il ?  Demanda Astrid dès son entrée sur la passerelle de commande, sans même s'annoncer. 

La scène répondait à toutes les questions, l'horizon était zébré de balles traçantes et le sol semblait illuminé par des lucioles. On se battait au sol et au moins deux postes de tirs les prenaient pour cibles. 

— On est tombé dans une zone de combat imprévue, comme vous pouvez le voir. * Répondit le pilote sans se déconcentrer. 

— Pourquoi se trouve-t-on si bas ?  Demanda Eugénie avec sa douceur légendaire. 

— Nous devions faire une escale à l'enclave caravanière toute proche. Elle ne dispose pas d'installations adaptées, ce qui nous oblige à composer. On est obligés de voler relativement bas pour nous approcher en douceur et nous poser hors de l'enclave. On n'est pas heureux de procéder ainsi mais c'est la méthode la plus adaptée à la situation, c'est la première fois que nous sommes pris pour cible de la sorte. D'habitude, ils se battent entre eux et nous ignorent lorsque nous sommes témoins de combats au sol. *Le pilote devenait de plus en plus inquiet. 

— Qui est sur la passerelle ?  Tonna un homme d'âge mur, en surpoids et au costume de capitaine usé et négligé. 

— Je dirige le groupe de mercenaires à bord, chargé d'escorter les coffres contenant les pièces archéologiques vers Mantia. * Répondit Astrid avec toute son autorité naturelle. 

La discussion n'a pas le temps de s'installer car les intervenants sont interrompus par le cri du pilote signalant une avarie motrice. 

— Moteurs numéro trois touché !! on a un début d'incendie ! ! Que tous les passagers et les personnes non essentiel aux manœuvres restent en position de sécurité dans leurs compartiments. Ça risque de bouger très fort!! * s'écria le pilote. 

— Coupez l'alimentation du moteur 3 et mettez la gomme sur les autres moteurs ! ! On va vers l'ouest ! ! Pleine vitesse ! ! On va rejoindre la colonie pour se poser et réparer. Radio. Signalez notre présence et notre situation aux caravaniers ! ! Demandez qu'ils préviennent Mantia!! Fermez les portes séparant les compartiments et préparez-vous aux chocs. * ordonna le capitaine après s'être ressaisi. 

Astrid et ses deux amies se hâtèrent vers leurs compartiments et ordonnèrent aux hommes de se mettre en tenue de combat. Ils rassemblèrent leurs affaires pour ceux qui ne l'avaient pas encore fait et s'installèrent en position de sécurité afin d'anticiper un atterrissage d'urgence. Astrid et sa compagnie ne pouvaient de toute façon rien faire, ils étaient les passagers impuissants de cette situation. 

Au sol, masque noir était concentré sur la situation dans le ciel. Il attendait et soudain…

— Prêt à tirer ? Feu ! ! Lache tout ! !. 

Tonn actionna un levier qui provoqua une étincelle dans le support des tubes qui crachèrent un à un leur contenu. Les vingt-quatre fusées décollèrent une à une laissant derrière elle une traînée de vapeur en s'élevant vers le ciel. 

Le pilote vit avec horreur les traînées blanches décoller et se diriger vers lui, mais il ne pouvait absolument rien faire pour leur échapper. Il ignorait totalement de quoi il s'agissait mais il était facile de deviner que c'était des tirs qui lui étaient destinés. Il ne fallut qu'une poignée de secondes pour que les fusées arrivent à hauteur du dirigeable et que certaines explosent à son contact dans une série de flashs aveuglant accompagnés d'une détonation assourdissante. 

Julie devina immédiatement que la catastrophe arrivait quand l'appareil fut secoué par une série d'explosion à l'extérieur et que l'on sentit une perte d'altitude, la sensation du ventre qui se noue qui se contracte et le vertige alors même que l'on est assis jambes repliées en était la preuve. Elle n'eut pas l'occasion de le dire à ses amies car la sirène d'alarme se déclencha, rendant toute conversation impossible. L'appareil tombait…

— On l'a eu ! ! se réjouissait Tonn. 

— On devra améliorer la réactivité et surtout trouver un moyen de mieux viser. Cinq coups au but sur vingt-quatre fusées, c'est risque de coûter cher sur le long terme si on doit mener une guerre.  Contra masque noir.

— Regardes ! ! Les moteurs tombent de l'appareil et la coque est fissurée, il perd du gaz et va s'écraser pas loin d'ici. 

— Ils vont regretter leur virage raté, il va tomber à moins d'un kilomètre de la ville. Ça pourrait même être tout près d'ici, regarde comme il tombe de plus en plus vite. L'enveloppe qui contient le gaz a dû se percer et il perd toute portance. 

 

A quelques kilomètres de là, quelqu'un se reposait près d'un feu, caché dans une anfractuosité du terrain. Sabine avait l'expérience de voyager sur les terres désolées et savait comment cacher son bivouac. Elle avait trouvé une sorte de petite caverne, y avait rentré sa moto sidecar et dresser sa tente en s'en servant comme support. Le feu avait été allumé ensuite pour y réchauffer son repas, réchauffer l'espace qui allait servir à se reposer et avoir un peu de lumière. Sabine avait pris soin qu'il ne soit pas visible à distance pour une personne se trouvant à l'extérieur, elle se tenait appuyée contre sa moto et tenait sa carabine chargée sur ses genoux.

Elle avait tout installé et avait son arme à portée de main, elle pouvait se détendre et se reposer un petit peu. On ne vivait pas longtemps en voyageant sur les routes des terres désolées si on ne prenait pas ses précautions ou que l'on prenait la sécurité avec désinvolture, la liste des choses qui souhaitaient vous tuer était très longue ici. 

Son repas lui avait fait beaucoup de bien et donné l'envie de fermer les yeux pour prendre quelques heures de sommeil bien mérité, Kyna sa fidèle compagne de voyage adorait se conformer aux habitudes de sa maîtresse et s'était anticipativement roulé en boule près d'elle en glissant son museau entre ses longues pattes. Elle la connaissait bien, elle avait anticipé le petit somme à venir et s'était installée contre elle pour se reposer à ses côtés tout en gardant l'oreille dressée pour veiller sur son sommeil. 

Sabine fut tiré du sommeil dans lequel elle venait de glisser lorsque Kyna se dressa subitement, elle lui faisait entièrement confiance et ne perdit pas de temps à se demander ce qui se passait. Comme tout chien intelligent, elle ne fonça pas dehors pour se mettre en danger mais se contente de se tenir prête à la limite entre la caverne et l'extérieur. Prête à intercepter tout danger fonçant sur elles deux, mais sans devenir une cible pour quiconque se trouverait dehors. En voyageuse expérimentée, Sabine vérifie le chargeur de son pistolet et garde sa carabine en bandoulière au moment d'éteindre le feu. Elle replia son matériel dans le side car avec hâte tout en gardant un œil sur la sortie et sur Kyna qui pointait vers l'extérieur lui indiquant silencieusement qu'il s'y passait des choses. 

Ce n'est qu'une fois que tout était emballé et que son sidecar chauffait pour préparer son démarrage qu'elle se permit d'aller voir ce qui se tramait dehors, elle sortit l'arme à la main. Le spectacle d'un objet en feu tombant du ciel la scotcha sur place, elle assistait à la deuxième salve de roquettes en ignorant bien sûr de quoi il s'agissait. Elle vit les traînées monter à partir d'un point à l'horizon pour rejoindre le ciel et détonner contre l'engin déjà à l'agonie qui tombait en glissant sur le côté. Elle n'avait pas besoin d'être experte en armement pour comprendre que c'était une fusée artisanale ou un bricolage similaire qui avait été transformé en arme pour toucher un zeppelin, la question était qui et pourquoi. 

Qui avait tiré sur un engin survolant la région et surtout, pourquoi avoir abattu un engin volant. Etait-ce une attaque préméditée ou une attaque opportuniste ? Elle décida de ne pas perdre de temps à réfléchir inutilement, elle retourna enfourcher son engin. 

— Kyna ! ! Monte dans le side ! !* ordonna-t-elle avant de lâcher un coup de gaz et de démarrer en même temps que son amie sautait dans le side-car.

La moto vrombit en s'élançant hors de la caverne en direction du point qu'elle estimait être le point de chute du zeppelin agonisant qu'elle pouvait suivre dans le ciel grâce aux flammes qui dévoraient maintenant plusieurs de ses moteurs. Elle avait sa carabine chargée et en bandoulière, à portée de main prête à servir. 

Cela tomba très bien, au bout de moins de trois minutes. Une silhouette courait désespérément hors du sentier principal en coupant dans les broussailles. Il ne fallait pas réfléchir longtemps pour comprendre que la personne inconnue était poursuivie, sans doute par les assaillants qui avaient tiré sur le zeppelin en difficulté, et qu'elle tentait de leur échapper à tout prix. Tout en s'approchant, Sabine réfléchissait aux options pour faire monter la personne inconnue sur la moto et fuir hors de portée des poursuivants. C'est à ce moment qu'elle vit la silhouette s'effondrer après un cri, elle avait été touchée. Car elle avait déjà deviné que c'était une femme avec sa silhouette plus légère, la situation était devenue compliquée instantanément car elle n'avait plus la mobilité pour sauter dans son sidecar comme elle avait imaginé au début. Elle stoppa sa moto dans un dérapage à une centaine de mètres à l'abri d'un buisson, encore hors de portée visuelle des agresseurs qui étaient encore invisibles de sa position d'ailleurs, s'élança directement en direction de la blessée en tenant sa carabine prête à servir. 

Elle remarqua tout de suite que la blessée était un soldat et non une simple habitante des terres désolées, son équipement et sa cuirasse indiquent tout de suite sa provenance comme originaire du royaume de Mantia. Elle en avait vu assez au cours de ses voyages pour situer rapidement l'origine de la majorité des équipements que l'on rencontrait sur les routes, on était ici sur du matériel de qualité. C'est à ce moment qu'elle croisa le regard de la blessée, un éclair de compréhension mutuel suffit à lui signifier qu'elle n'était pas une menace mais une alliée. La légionnaire était à bout de force lorsqu'elle l'avait aperçue en train de courir et maintenant elle était blessée, les options n'étaient pas nombreuses. Les tirs se faisaient de plus en plus nombreux et se précisent, l'obligeant à bondir sur Kyna pour la garder à l'abri du rocher qui leur servait de couverture. 

— Ils se rapprochent, ils vont nous encercler car ils sont assez nombreux. Vous feriez mieux de fuir tout de suite. Prenez mon écusson et transmettez ce message à la première enclave caravanière que vous voyez. * Les dernières forces de Léone lui permettent tout juste de parvenir à tirer au jugé pour maintenir l'ennemi à distance et de se concentrer afin de communiquer succinctement avec Sabine. 

— Je ne partirai pas en vous abandonnant, vous n'avez aucune chance sans aide.

— Je n'ai aucune chance, mes hommes sont sans doute déjà morts. Si mon rapport n'arrive pas à quelqu'un pour transmettre les informations à Mantia, j'aurais échoué et mon unité sera morte pour rien. 

Les tirs redoublaient et elles entendaient des moteurs, la situation était devenue quasi désespérée en quelques minutes. Sabine se dit que même en fuyant maintenant, elle risquait de les attirer à sa suite. Rien ne garantissait qu'elle parviendrait à leur échapper si on se basait sur les dires de la pauvre Léone. Une idée lui traversa l'esprit. 

— Kyna, viens. Assis. Ne bouge pas.   Dit Sabine en glissant l'écusson et le message de Leone enroulé dans un message écrit rapidement de sa main complétant le récit de la situation avec quelques mots rapides.   

Elle avait remarqué l'absence de mention du zeppelin dans le rapport, ce qui était logique compte tenu de la situation. Léone n'avait sans doute pas eu le temps de tout mentionner alors qu'elle était poursuivie. Elle étreint sa fidèle amie qui lui donne des coups de langue, sans doute décontenancée par la situation, ne comprenant pas l'émotion de Sabine.

— Cours Kyna, pars tout de suite ! Marlton! Sois prudente et ne t'arrête pas ! !  Ordonna Sabine, aussi fermement que possible. 

Le chien hésita et puis s'éloigna sous les encouragements de plus en plus pressants de Sabine. Cela lui fendait le cœur, mais c'était la meilleure solution pour elles et pour Kyna. Elle avait de meilleures chances en voyageant seule qu'en restant ici et en risquant la capture. Elle n'osait même pas imaginer ce qu'ils lui feraient. Elles pouvaient maintenant se consacrer à l'essentiel, survivre. 

— Posez votre arme. Nous allons nous rendre et espérer qu'ils nous traitent bien. On verra la suite une fois dans leur campement, ils vont nous tuer si nous résistons. Il faut survivre pour espérer renverser la situation.   Dit calmement Sabine à Léone en posant sa main sur le fusil de la légionnaire qui tremblait à cause de sa douloureuse blessure à la jambe. 

— Vous plaisantez ?  Léone était à la fois abasourdie et en colère. 

— Je suis pragmatique. Ils sont trop nombreux, on n'a aucune chance en combat. J'ai caché votre écusson, votre rapport et un message court que je viens de rédiger sur un bout de tissu. Quelqu'un saura ce qu'il s'est passé, saura où nous sommes et dans quelle situation on se trouve. C'est notre seule chance. Vous avez besoin de soins médicaux, les pillards sont des récupérateurs. Ils vont nous soigner pour nous faire travailler, j'en suis certaine. Un mort ne vaut rien, un prisonnier cela s'utilise ou cela se vend. 

— Vous me demandez de me rendre... D'abandonner...  La voix de Léone devenait faible. Elle perdait espoir.

— Je vous demande de me faire confiance. Survivre n'est pas perdre, c'est rester en vie jusqu'à la prochaine bataille. Si on survit, on pourra s'échapper et revenir se venger. Courage. Je m'appelle Sabine.

— Je m'appelle Léone, je suis une légionnaire de Mantia...  La voix s'éteignit, elle n'avait bientôt plus de force. 

— Installez-vous, on va les attendre. Économisez-vous. On ne sait pas ce qui nous attend et surtout pour combien de temps avant les secours. 

La capture se déroula presque en douceur, elles furent encerclées et désarmées. Sabine fut légèrement rudoyée puisqu'elle n'était pas blessée, au contraire de son amie qui ne représentait aucun danger à leurs yeux. Après avoir été attachées au niveau des poignets et chargées dans un véhicule, on fit un bandage sommaire à Léone. Le trajet fut douloureux pour cette dernière qui avait l'impression d'être poignardée à la jambe à chaque secousse. La douleur devenait très forte à mesure que le temps passait, elle craignait une infection. 

Elles durent se rendre à l'évidence que la situation était bien pire qu'elles ne l'avaient craint au départ, l'arrivée au camp des pillards leur révéla qu'ils étaient bien plus nombreux qu'escompté. Surtout, ils étaient mieux équipés et organisés que Léone ne l'avait redouté. Une véritable petite armée créée à base de groupes de pillards amalgamés si l'on se fiait aux différents drapeaux visibles sur les véhicules. Léone vit une lueur d'espoir en discernant plusieurs légionnaires dans des cages, il y avait des survivants. Ils savaient se battre et pourraient peut-être organiser une évasion. Mais l'horreur était également présente, Sabine et elle virent une véritable chasse à l'homme dont le gibier devait être les survivants du zeppelin. Des dizaines de pillards couraient l'arme à la main dans les bâtiments en ruine de la ville, on entendait des coups de feu et elle crut même voir des silhouettes courir à l'horizon....



 

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