Chapitre 4. Force

Par Voltage

 

I. Aktas

Forêt du plateau de l’aube, Ochrides, 15 OCTOBRE -11689, 2 :05a.m

Elle est juste là, devant moi.

Bâtiment de plusieurs étages, aux fenêtres barricadées par des planches en bois, à la porte principale maintenue fermée par un cadenas de fer et des chaines épaisses, recouverte de plantes grimpantes diverses et variées. L’église. Et pourtant, on dirait plus un bunker blindé de toutes part qu’un lieu de prière. Je m’approchai de la porte principale. Sur le cadenas était gravé en anglais “ Here comes the ones who deserves and need it” Même s’il était clair que tout le monde n’était pas le bienvenu dans ce lieu, beaucoup avait forcé la main et en avait subi les conséquences. En haut de la porte étaient inscrits de nombreux noms, sans doute ceux des malheureux qui avaient tenté et punis par les dieux. Je touchai le métal froid du cadenas, puis tirai sèchement dessus. En même temps, je n’arrêtais pas de me demander ce qui pouvait bien arriver à ceux qui tentaient, sans jamais revenir. Je déglutis. Je ne voulais en aucun cas être le prochain sur leur liste. Je reculai de quelques pas pour avoir un meilleur angle. Et maintenant ? Je devrais m’acharner sur le cadenas ? Non…C’est une épreuve de force, pas une épreuve de stupidité. Je m’éloignai encore, assez pour pouvoir regarder l’église en totalité. Je n’osai pas regarder derrière moi, mais je crus un instant entrapercevoir un fersse qui m’observai.

Après avoir pris du recul, je ne pus que m’exclamer intérieurement. Je n’avais pas remarqué de près à quel point l’église est massive et imposante. Si cela n’est qu’une illusion créée par les dieux, alors elle est bien réussie. Si ce n’est pas le cas, alors cela voudrait dire que ce bâtiment, un des premiers construits sur Aktas, aurait été conçu avec toute une technologie qui ne lui appartient pas. Des symboles et des phrases écrites avec plus d’un milliers de langues interdimentionnelles, mais aussi avec des langues que je ne connaissais pas décoraient l’église. C’est d’ailleurs étrange, qu’il y ait des langues que je ne connaisse pas…Moi qui ai toujours fait en sorte de savoir un peu parler toutes les langues connues de la terre ou d’Aktas…même les langues les plus anciennes, ou les langues mortes comme le latin ou l’honékroméen…Je chassai cette pensée, me focalisant vers mon véritable objectif. L’église. L’église, l’église, l’église. Je scrutai chaque poutre, chaque parcelle, chaque élément d’architecture. Discerner une faiblesse. Après plusieurs dizaines de minutes de réflexion, je fis la conclusion qu’il y avait dans cette architecture aucune faiblesse apparente, et qu’elle a bien été construite par les meilleures architectes qui puissent exister. Mais je préfère attendre de voir l’intérieur avant de tirer ces conclusions.

C’est une épreuve de force. Un test. Une évaluation. Un test…Ces mots me renvoyaient toujours au fait que je devrais jouer la comédie. Mais est-ce le cas ici ? Dois-je m’exprimer ou alors me servir de mon arme la plus efficace, le déguisement ? J’arrêtai mon exploration un moment. Tourner tout autour de l’eglise ne servira à rien. Mais que dois-je faire ?! J’imagine que le mieux est d’attendre d’avoir une idée. Je m’asseyais donc dans l’herbe, espérant que la nuit me porte conseil.

 

Je me réveillai un peu plus tard, alors qu’il ne faisait pas encore jour. La seule lumière qui m’éclairait était celle du fersse, proche du bâtiment, qui m’observait toujours. Je savais qu’il ne comptait pas m’aider cette fois. Après tout, comment pourrais-je m’estimer digne de demander une requête à un dieu si je n’ai rien fait pour la mériter, si c’est le fersse qui a fait tout le travail ? Mis à part le fait que je puisse contrôler la terre et créer des flammes, ne n’ai pas grand-chose de plus que les autres…Je restai allongé dans l’herbe un moment, pensif, observant les étoiles. Elles formaient une constellation magnifique. Je souris. C’était rare de pouvoir en apercevoir une, comme assister à la création d’un Lien. Il fallait arriver à la bonne date, à la bonne heure, au bon moment. C’est comme à l’entraînement. Il fallait attendre que l’ennemi montre son point faible, puis frapper au bon moment. Je me levai brusquement. Mais oui ! Quel con ! Je fis de nouveau le tour de l’église, et vis entre deux pierres un impact. Très petit, mais qui laissait un petit interstice pour frapper. Mais après quoi ? Détruire un mur ? Il est trop solide. Ou alors…Je reculai de quelques pas, pour entrevoir plusieurs autres impacts de ce type.

- Des prises d’escalade ! m’exclamai-je. Mises en évidence avec la lumière de la constellation, qui n’éclaire la zone qu’à un moment précis !

N’empêche, les prises étaient hautes et peu accessibles, et difficile de les atteindre lorsqu’on fait un mètre soixante cinq comme moi. Je pouvais m’aider de ma Pyromagie, faire une combustion pour me donner un peu de propulsion, mais la lumière m’empêcherait de voir les prises. C’était vraiment une épreuve de force. Je me rapprochai de la première prise, qui était à la hauteur de mon menton. (Et c’est censé être une prise pour mon pied…) J’agrippai ma main droite dessus et sautai le plus haut possible jusqu’à atteindre la deuxième avec l’autre main. Je lâchai aussitôt la première pour y mettre mon pied, puis cherchai du regard la prochaine prise. Elle était quelques mètres plus loin sur la gauche. C’est abusé ! Remarque non c’est une épreuve de force. Je me servis de mon appui sur la prise de mon pied pour m’élancer vers la gauche. Je manquai de déraper, et me rattrapai au dernier moment. Ouf. Je n’avais maintenant plus qu’un appui et il n’y avait aucune autre prise visible. Mon emprise se relâchait de plus en plus menaçant de me faire tomber de très haut. Sans réfléchir, je lâchai la prise, tombant dans le vide, et me concentrai pour canaliser le plus d’énergie possible. Je rouvris les yeux, écartai mes mains et produit deux flammes si puissantes qu’elles m’élevèrent vers le haut, où je puis me retenir à une poutre en bois sur le toit de l’église.

Je mis quelques instants à réaliser ce que j’avais fait. Mais ne m’attardant pas là-dessus, je traversai la poutre prudemment avant de voir un trou béant dans la toiture, non visible depuis le sol. Je m’y glissai et me retrouvai à l’intérieur de l’édifice, illuminé de toutes parts depuis l’extérieur comme si le temps s’était avancé et que le soleil éclairait maintenant le ciel. En plus d’être éclairée l’église était rongée par la végétation. L’architecture était à vous retourner le cerveau. Des colonnes, des voutes croisées d’ogives et des tours vertigineuses se succédaient, rendant à l’endroit toute la magnificence qu’il méritait. Je fis quelques petits pas hésitants, vers l’escalier qui menait à la chapelle. Là où on peut parler aux dieux. Là où nos désirs sont entendus. Grisé, je m’élançai en courant vers cet escalier de pierre blanche, le montai quatre à quatre, me retrouvant finalement dans la pièce la plus sombre, et plus vide et la plus désolante possible.

Pourquoi ?

 

II. New York

Brooklyn, New York, 27 October 2015, 12: 45a.m

La rue en bas de la East Tower était bondée de monde. La publicité de la veille avait fait son petit effet. Le patron, regardant cette foule pleine d’imbécile réclamant la dernière mode était à la fois dégouté et satisfait. Il allait faire des affaires, il allait encore s’enrichir. Mais qu’importe ? Les activités de jour de l’entreprise ne l’intéressait pas. Ce qui comptait pour, lui, c’était l’activité nocturne. Il se retourna et observa Ruby qui restait dans l’embrasure de la porte. Elle fronça les sourcils et partit aussi vite qu’elle était venue. « Quel mystère cette fille ! » pensa G. « On ne sait jamais vraiment ce qu’elle pense. » Ni quelles sont ses intentions. Il se retourna vers la vitre et regarda calmement la foule augmenter.

Ruby marcha le plus vite possible dans le couloir, espérant ne croiser personne. Arrivée à la dernière porte, elle y entra sans hésitation, prit son sac à dos, et quitta le bâtiment. Elle préféra sortir par la porte de derrière, celle que personne ne connaissait, pour éviter de se confronter à la foule. Un miroir avait été placé là dans les encombrants. Elle se contempla un moment. Tout le monde la trouvait magnifique, à tel point que le patron lui-même lui avait proposé de devenir mannequin ou modèle pour faire de la pub. Tsss. Il ne pensait qu’à l’argent de toute façon. Elle marcha d’un pas assuré dans toutes les rues les plus éclairées du coin. Tout le monde l’aperçut et lui fit un joli sourire. Elle le rendit à tous les gens qu’elle croisa. Son sourire était resplendissant. Elle-même le savait. Mais au fond, elle s’en foutait. Le ciel était très clair et annonçait une belle journée. Un vent léger accompagnait ce climat doux d’automne, très rare en cette période, mais plausible avec le réchauffement climatique. Ruby continua de sourire dans la rue, jusqu’à atteindre sa High School. Elle venait d’y entrer en tant que Freshwoman, in grade 9th. C’était la seule chose dont elle était heureuse. Ruby aimait le collège plus que tout. C’était le seul lieu où elle n’était pas considérée comme « la fille du patron et une mannequin » mais comme une étudiante en formation pour devenir quelqu’un. Elle y avait des amis. Et une vie. Ruby aimait cette vie. À partir du moment où elle franchit la grille, elle sourit véritablement.

 

Près de Whitehorse, Yukon, May 2017 the 5th

Le silence dans la caverne était profond. La galerie était si loin de la lumière qu’il était impossible d’entendre les bruits de la nature. Cette chaîne de montagne était tellement coupée du monde qu’elle seule pouvait être qualifiée de « calme ». Pourtant, par rapport à cette grotte cachée dans la plus haute montagne, l’extérieur était bien bruyant. L’extérieur était paisible, ensoleillé, vivant. L’intérieur est mort, oppressant, vide. La galerie n’est presque pas éclairée. La seule source de lumière vient du reflet de haine pure dans les yeux de cette louve si particulière et anxiogène. Le poil noir et hérissé, elle avança vers la sortie de la grotte, pour la première fois depuis trois ans. Voir de nouveau la lumière lui faisait mal aux yeux, plus que la plus profonde des blessures. Le paysage enneigé était magnifique, elle le trouvait affreux. Elle entendit un bruit derrière elle. Elle se retourna subversivement avant d’apercevoir un jeune homme qui se tenait à quelques mètres d’elle. Il avait des cheveux blonds en bataille, qui faisaient néanmoins une coiffure harmonieuse, des yeux noirs profonds et dégageait beaucoup de charisme, bien que ça ne soit pas forcément voulu. Il portait un jean gris et un T-shirt noir sans aucun motif.

- Qu’est-ce que tu veux ?! railla la vieille louve, menaçante comme toujours.

- Rien, répondit-il.

La louve découvrit ses crocs, fit les cent pas au bord de la montagne avant de lancer :

-Mais oui... Tu veux aller où ?

- Voir tes vieux amis.

Un frisson la parcourut. Elle se retourna, voulant planter ses crocs dans le cou du garçon mais s’abstint au dernier moment. Elle baissa les yeux et s’enfonça dans la grotte.

- Tu fais ce que tu veux. Moi je vais mourir de toute façon.

Il leva les yeux au ciel, agacé par son comportement. Il fallait toujours qu’elle ait le dernier mot, puis qu’elle se lamente sur son sort. Il descendit rapidement la montagne rocailleuse par un chemin pentu, puis, arrivé dans sa planque, ressortit un vieux coffre avec à l’intérieur une veste noire et un couteau à cran limé pourvu d’un étrange symbole sur le plat.

Peu de personnes le savent, mais ce symbole est celui du monde d’Aktas.

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