I. Aktas
14 octobre -11689, Ochrides, plateau de l’aube, 3 :13p.m
Ils avaient fait de moi un être observateur et réfléchi qui analyse puis agis. J’étais comédien. Et je ne faisais que jouer la comédie à chaque instant de ma vie. Quand serai-je moi-même ? Lorsque je serai seul. Si seulement je pouvais passer cette formation, voyager, partir, quitter cet endroit. Les quitter, eux. Ces parasites incrustés dans ma vie, polluant mon quotidien.
Mais je ne vais pas forcément passer mon temps à les blâmer. Grâce à eux, je suis tout de même en sécurité, avec une scolarité normale et des entraînements de Pyromagie hebdomadaires. Si le masque qu’ils avaient mis sur mon visage m’empêchait de m’exprimer librement à l’oral et ainsi d’exprimer mes pensées, il me permettait tout de même de les travailler intérieurement. Je conserve mon opinion. Secrète. Ils ont fait de moi un comédien. Avec un double masque. Je joue la comédie sans même qu’ils s’en rendent compte. Et j’aime ça, pensai-je en esquissant un sourire discret devant cet hologramme.
- Je ne vois pas de qui vous voulez parler monsieur, lui répondis-je d’une voix neutre. Je doute fortement que vous me connaissiez, vu que moi, je ne me souviens pas de vous. Il est fort probable que vous vous trompiez.
Sur ces mots appris par cœur, je m’éloignai de l’homme le plus calmement possible. Visage neutre, position neutre, un masque invisible sur le visage. Mes chaussures faisaient peu de bruits sur les pavés de la rue, mais avec mon oreille j’arrivais à en discerner des sons sourds, des percussions, de légers martellements. Je me dirigeai vers l’église du village, qui n’était pas très loin.
- Regardez ce que vous avez fait de moi, murmurai-je. Ce que vous croyez avoir fait de moi. Je peux faire tellement plus…
Et je ferai tellement plus, ajoutai-je intérieurement. Je voyagerai sur Terre, j’irai dans tous ces endroits imaginés comme idéals dans mes rêves les plus fous, Central Park, Gizeh, Tokyo, Los Angeles, le pôle Nord et sa tribu cachée…D’un point de vue extérieur, je suis un garçon renfermé, poli et distant. Sous un premier masque, je suis quelqu’un de créatif, d’ambitieux, contenu par l’ordre, et qui souhaite en vain passer une formation. Sous le deuxième, je suis bien déterminé à passer cette formation, mais pas de la manière qu’ils croient.
Oh oui, des choses vont changer.
*
La porte des églises d’Aktas sont toujours condamnées. Pour y pénétrer, il faut trouver un autre moyen d’entrer (les fenêtres ne marchent pas non plus désolé). C’est la règle. Lorsque l’on a réussi à y entrer en faisant preuve de force, d’esprit et de stratégie en même temps, alors les Dieux estiment que vous êtes dignes de venir faire votre requête. Oui, c’est pour ça qu’il n’y a personne dans les églises. Il n’y a pas de « messes » comme sur la Terre. Moi je trouve le concept stupide, pourquoi avoir besoin de faire une messe ? Faites ça chez vous, mais ne dérangez pas les dieux qui dorment, merde ! Ici, ce sont des lieux semblables à des ruines ou à des labyrinthe de pierre et de nature, point de communication spirituel entre l’Homme et l’Univers. Une aura puissante protège chaque église de l’obscur, ce qui la laisse toujours pure et intacte, laissant seulement passer le reflet nacré de la lune et les rayons chaleureux du soleil.
Forêt du plateau de l’aube, Ochrides, Aktas, 4 :25p.m
Des arbres, des arbres, des arbres. Tiens, un sapin. Je m’arrêtai un moment pour le contempler. Non, en vrai je m’en fous. Je continuai ma marche. Car pour appeler un dieu dans une église, il faut d’abord trouver l’église. Et ça, c’est la pire partie de cache cache du monde. Je ne dis pas qu’elle bouge, mais elle s’arrange toujours pour être construite dans un lieu encore plus isolé que mon village, où tout le monde ne va jamais. Un endroit où la nature règne. Dans mon cas, il s’agit d’une grande forêt, celle du plateau de l’aube. Mais sur une forêt de 14km2, c’est long à chercher une église. C’est là que commence une petite épreuve créée par un dieu pour tester ton esprit.
Il faut apprendre à Ecouter. Je fermai les yeux et me concentrai sur les bruits de la forêt. Paisible. Le bruit d’un écoulement de ruisseau derrière moi. Une petite cascade, car le son est doux et régulier. Le sifflement calme d’un oiseau à ma droite. Une réponse mélodieuse à gauche. Un bruissement d’ailes puis les retrouvailles de ces deux moineaux. Les mouvements de l’herbe, des feuilles, des branches, le vent.
Le vent ! constatai-je sans pour autant ouvrir les yeux. Il était tellement faible…Je le sentais à mes pieds, à mes chevilles. Il allait vers le nord. Restait à savoir si c’est le bon vent, car il y en a plusieurs. C’est pour ça que j’écoute souvent la mélodie des vents. Je distingue deux mélodies différentes. Une pour les vents de pressions, une pour les vents de l’univers. Je me concentrai. Je ne me sentais plus. Mes membres semblaient décollés du sol. Je me sentais léger, léger…Je perçus soudain cette vibration. Cette note, à laquelle on se sent tellement lié. « la ». Un vent de l’univers. Très vite, je focalisai mon esprit sur cette note, voir dans quelle direction elle siffle. Les autres vents redoublèrent d’intensité pour discerner ce la dans cet océan de do. Des vents de pression sifflaient dans tout les sens pour me distraire. Je croyais que j’allais m’envoler. Un bourrasque de do passa brutalement pour tenter de cacher cette particule infime. Mais je tins bon et je ne perdis pas ma note. J’étais poussé de tous les côtés. Alors c’est là que j’ouvris mes yeux et commença à les esquiver. Je perdis au passage ma précieuse note. Je leva un pied et sauta pour éviter une bourrasque qui me plaquerait contre l’arbre, je me penchai en avant pour en éviter une autre. J’esquivai avec vivacité. Après quelques minutes passées à l’esquives, j’étais épuisé. Essoufflé, je m’agenouillai à terre pendant que plusieurs vents violents me tenaillaient la peau
« Sers-toi de ta capacité »
Sans réfléchir, j’ouvris grand les yeux, inspirai à fond comme lors de mon entraînement, et un rayon de flammes s’échappa de mes mains, pour venir tracer un cercle autour de moi, réguler la pression, et faire fuir les vents. Je retrouvai enfin mon calme et mon souffle. La seule chose que je distinguais avec ma vue brouillée par les coups de vents était le vert de l’herbe et le bleu du ciel. En clignant les paupières, je vis bientôt plus clair et vis alors un fersse. Cette créature semi-divine a l’apparence d’un cerf à la peau plus foncée et aux bois gris. Il est une sorte de passerelle entre les Dieux et les Hommes. Il arrive à lire dans nos pensées, à communiquer entre eux et entre nous.
- Merci du tuyau, lui dis-je en toussant légèrement.
Le fersse, loin de vouloir s’enfuir comme en ferait un classique, s’approcha lentement de moi. J’écoutai ses pas de velours s’approcher. Dans quelques instants, il serait assez proche de moi pour que je sente son aura. De décidai de me lever. Le fersse est loin d’être un simple animal, mais il garde les réflexes et les intuitions d’un simple cerf. Proche de moi, il me fixa droit dans les yeux, et je pus voir dans ses yeux noirs tout le reflet du monde. Cette vision m’étourdit un peu. Mais ensuite, mes idées redevinrent claires. La note ! Au milieu de tous ces vents, je l’avais perdue. Mais je l’avais assez entendue pour savoir dans quelle direction aller. Elle n’indiquait ni le nord, ni le sud, ni l’est, ni l’ouest. Bah oui, sinon ça serait trop facile. D’après mon souvenir plutôt flou, le son pointait vers une direction plus ambiguë, à cheval entre le nord et l’est.
« les églises sont toujours orientées vers cette direction » m’informa le fersse.
- Pourquoi vous m’aidez ? demandai-je confus.
Le fersse hésita avant d’ajouter :
« Parce que tu es un des seuls qui sait écouter et chercher »
Sur ces mots, il galopa vers la direction opposée à celle du son. Sans le fersse et son aura réconfortante, je me sentais perdu. Je ne savais plus où aller. Quelque part entre le nord et l’est. Je sortis ma boussole de ma poche et j’examina ce qui était dans cette direction. Des arbres, des arbres, des arbres. Super. Me voilà revenu au point de départ.
Chaque arbre se ressemblait, ce qui était encore plus difficile pour les distinguer les uns des autres. Je ne voyais pas le moindre indice, la moindre marque, qui laissait penser à un chemin. De plus, mon esprit divaguait ailleurs. Je me tapotai la tête. Allez Lionel ! C’est pas le moment de se remémorer la précédente leçon d’histoire ! Mon cerveau bouillonnait de choses diverses et variées. Je n’arrivais plus à me concentrer. Il fallait que je me ressaisisse. Le fersse avait dit de me servir de ma Pyromagie, d’écouter et de chercher.
Chercher se faisait instantanément.
Me servir de ma Pyromagie et écouter.
D’accord. En vrai, ça se tente.
Je fermai les yeux pour mieux écouter, contrôlai ma respiration. J’expirai à fond, relâchant tous mes membres, puis les raidit, me mit en position, les pieds bien ancrés dans le sol. De la chaleur se concentra dans ma main gauche et finit par émerger en formant une flamme, provoquant une lumière flamboyante telle un feu d’artifice. Ma flamme était douce, dans des tons rouges et orangés. En la maîtrisant puis en fermant les yeux, j’écoutai ma flamme. Son crépitement n’émettait pas de mélodie, mais un rythme. Il se coupla avec les battements de mon cœur. Bientôt, les deux ne firent qu’un. Ecouter. Mais il n’y avait rien. En dehors du crépitement de ma flamme, les autres sons avaient disparu. Ils n’existaient plus. Je repensai à la note, qui vibra dans ma tête. Sans m’en rendre compte, ma flamme s’épaissit. Quelque chose, semblable à un éclair, me fit tressaillir. S’ils m’écoutaient ? S’ils m’espionnaient ? L’ordre…Non, il faut que je me calme. Cet endroit est règlementé par les dieux. Ils ne passeront pas la barrière de la forêt. Ma note, où elle-t-elle ? Le son se repositionna dans mon esprit. Ici. J’ouvris brusquement les yeux, regardant un endroit fixe. Ici. Ma flamme pointait dans cette direction. En souriant, je me levai rapidement et je courus vers la direction que pointait ma flamme. J’étais grisé par cette sensation de réussite. Bientôt. Bientôt. Je voyais la forêt défiler devant mes yeux. Puis je vis l’ombre d’un bâtiment aux pierres grises érodées par le temps et la pluie. Je m’arrêtai, tout en conservant ma flamme dans ma main gauche.
Je regardais celle-ci, pensif. Cette flamme était différente de celles que je créais durant mes entraînements avec l’ordre. Elle était vive, pleine de couleurs, créée dans un but précis, vivant dans une aventure, et non créée sous commande. Cette flamme vivait, respirait. On aurait dit un autre type de Pyromagie.
- Non, compris-je, c’est la vraie Pyromagie.
En fait, les Pyromages d’Aktas utilisant leur capacité dans un but combatif ne comprennent rien. Ile réduisent quelque chose de vivant à l’esclavage. L’empêchant de respirer, de découvrir, de vivre. Comme m…Je baissai la tête, et ma flamme disparut instantanément.
Une larme à moitié effacée se formait dans mon œil.
Y-a-t-il un espoir, en demandant conseil à un dieu, pour que mon cauchemar prenne fin ?
Je regardai le bâtiment, les yeux pleins d’espoir et de regrets. Ils s’évacuèrent en même temps que ma larme glissa sur mon œil. J’avais développé mon esprit. Peu de gens arrivent jusque-là. Maintenant, il y a la deuxième partie de l’épreuve : La force.
Et pour celle-là, j’avais raison de m’inquiéter…