Elle se promena au hasard et tomba sur Julie et sa copine. La salle où elles se trouvaient ne comptait que onze participants. Marlène entra, ne sachant pas si on pouvait aller et venir comme on voulait.
- Bonjour, Marlène, lança une voix féminine. Normalement, quand on veut participer à un cours, on le suit du début à la fin. On n’arrive pas en plein milieu.
- Bonjour, professeur, répondit Marlène. Désolée, euh…
- Maître, répondit la femme d’une trentaine d’années, l’air sévère. Je suis maître Gourdon.
- Oh ! Pardonnez-moi, maître, dit Marlène dont les excuses n’étaient pas sincères comme son ton légèrement sarcastique le laissant entendre. J’ai été virée du cours précédent.
- Tu es partie du cours de monsieur Toupin, répliqua le professeur.
- Je parlais de celui de monsieur Beaumont, précisa Marlène.
- Maître Beaumont, siffla le professeur.
« On s’en fout », pensa Marlène qui sentait son insolence poindre son nez.
- Vous enseignez quoi ? demanda Marlène qui voyait les élèves grimacer ou sourire dans le plus grand silence.
- Le maniement de la magie, indiqua maître Gourdon.
« Merde » pensa Marlène. C’était le sujet le plus intéressant et elle s’était mis le professeur à dos.
- Pour utiliser la magie intra, il faut activer sa gnosie tout en puisant dans ses réserves d’énergie, indiqua maître Gourdon.
Marlène vit un léger sourire apparaître sur son visage. Elle venait de lui demander exactement la même chose que monsieur Toupin. Marlène grimaça.
- Pourquoi ta gnosie n’est-elle pas activée ? Un magicien ne doit jamais l’éteindre, indiqua maître Gourdon.
- Parce que j’ai très faim si je m’en sers.
- Tu es sûre ?
- C’est ce qui s’est passé ce matin, indiqua Marlène, un peu agacée que le professeur se permettre de la contredire.
Qu’en savait-elle ? Elle n’était pas là, si !
- Et cet après-midi ? insista maître Gourdon.
- Quoi cet après-midi ?
- Quand tu as utilisé ta gnosie, tu as eu faim ?
Marlène dut admettre que non. Lorsque maître Beaumont lui avait demandé de sortir, son estomac n’avait pas crié famine comme avant déjeuner. Marlène plissa les yeux tandis que maître Gourdon souriait de nouveau.
- Qu’est-ce qui a changé ? demanda Marlène.
Maître Gourdon sourit puis répondit :
- Tu as appris à utiliser la magie, Marlène.
- Je ne comprends pas, avoua Marlène.
- Maître Beaumont t’a montré ta réserve d’énergie et tu as augmenté ton stock. Tu as faim quand tu es en panne d’énergie et que tu dois reprendre des forces. Ta bulle est pleine alors tout va bien. Tu peux activer la gnosie sans crainte. Vas-y !
Marlène ferma les yeux.
- Non ! Garde les yeux ouverts. Je ne suis pas prof de méditation, moi ! Je veux des élèves attentifs, pas à moitié en train de dormir sur des tapis.
Marlène ricana au ton moqueur du professeur. Finalement, elle lui plaisait bien, la prof de maniement de la magie et elle ne semblait pas lui en vouloir. Ça se passerait peut-être bien.
Marlène tenta d’entrer dans le tunnel sans fermer les yeux et la vision magique se superposa aux cinq sens classiques. Marlène fut agressée par des dizaines de sons hideux. Cependant, elle ne coupa pas sa gnosie car sa présence la rassurait.
- Tes camarades s’entraînent au maniement de la magie intra, expliqua maître Gourdon, mais toi, tu dois d’abord apprendre à correctement utiliser ta gnosie. Eux savent le faire depuis la plus tendre enfance.
Marlène ronchonna. Elle allait devoir réaliser une tâche de gamin.
- Tu connais Julien le petit magicien ? demanda maître Gourdon.
Marlène fit « non » de la tête.
- C’est le petit héros le plus connu du monde magique. Tu risques d’être en décalage par rapport aux autres si tu ne les lis pas. Tiens. À la fin du cours, tu m’en feras un résumé succinct.
Marlène attrapa l’ouvrage tendu par le professeur qui la laissa pour aller s’occuper d’un autre élève. C’était ça son exercice : lire un livre pour enfant ? Marlène se choisit un siège et commença la lecture… qui s’avéra d’une complexité atroce car la gnosie activée, Marlène s’intéressait à tout sauf aux lignes.
Son esprit divaguait, attiré par les nombreux mouvements indiqués par la gnosie, mais aussi par les sons produits par les élèves. Souvent, Marlène avait tourné une page sans l'avoir réellement lue, en tout cas ne se souvenait-elle pas de son contenu. Au bout d’un moment, le professeur lança :
- Fin du cours. Allez vous détendre ! Vous l’avez bien mérité. Marlène ? De quoi parle le livre ?
- De Julien, le petit magicien, répondit Marlène.
- Et il lui arrive quoi ?
- Je ne sais pas, madame, avoua Marlène.
- Maître, la corrigea le professeur.
- Pardon, maître, dit Marlène qui cette fois, le pensait sincèrement. Pourquoi je n’y arrive pas ?
- À m’appeler maître ?
Marlène rit puis précisa :
- Non, à lire un livre.
- Parce que c’est un nouveau sens. Quand un bébé ouvre les yeux pour la première fois, lui aussi a mal à la tête, parce qu’il regarde partout, rapidement, chaque détail, chaque tâche de couleur, chaque forme, tout est nouveau. Il ne veut rien rater. Aujourd’hui, ton cerveau trie les informations visuelles sans difficulté.
- Il faut juste que je m’entraîne, comprit Marlène.
- Laisse-le activé le plus possible. À force, la douleur diminuera.
- Merci, Maître.
Le professeur sourit au titre correctement employé.
- Et si tu retournais voir monsieur Toupin ? proposa maître Gourdon. Je suis sûre que tu crèves d’envie de découvrir ta colocataire et une discussion uni-directionnelle n’est jamais très agréable.
Marlène haussa les épaules. Sa coloc, elle s’en fichait.
- Ou de pouvoir utiliser le guide afin qu’il te dise comment appeler tes parents, proposa maître Gourdon.
Marlène s’en figea de stupeur.
- Je peux appeler mes parents ? répéta-t-elle.
- Oui.
- Comment ? demanda Marlène, avide de leur raconter son voyage, sa première journée, de les rassurer.
- Marlène, ai-je l’air d’un panneau indicateur ?
Le professeur tenait à son titre de maître alors Marlène comprit qu’elle ne lui fournirait pas cette information. Le guide était là pour ces basses besognes.
- Pardonnez-moi, maître, répéta Marlène. Je vais aller voir monsieur Toupin.
- Excellente idée, mademoiselle Norris ! s’enthousiasma maître Gourdon assez fort pour que l’ironie transpire de ses propos.
Le professeur s’éloigna ensuite en secouant la tête. Marlène retraversa les jardins. La gnosie activée, elle subit les assauts incessants de vibrations qu’elle ne comprenait pas, comme si des sons, des couleurs ou des odeurs l’envahissaient sans qu’elle ne puisse les traiter ni les supprimer. Les bébés subissaient-ils vraiment cela dans leurs premiers jours de vie ? Elle les prit en pitié. Heureusement, elle ne croisa presque personne si bien que les agressions furent rares et lointaines.
Marlène se retrouva devant la salle de classe de monsieur Toupin, vide à cette heure où tous les élèves se promenaient dans le parc ou s’amusaient dans les salles de détente.
- Déjà de retour, Marlène ? lança monsieur Toupin, un brin amusé. Oh ! Une gnosie activée ! C’est beaucoup mieux !
- Je viens à peine d’arriver, en pleura presque Marlène.
- Et tu fais des progrès remarquables ! s’exclama monsieur Toupin.
Marlène douta un instant. La phrase était-elle ironique ?
- Je le pense sincèrement, dit monsieur Toupin en posant sa voix. Te rends-tu compte qu’au lever du soleil, tu doutais encore d’être magicienne ? Est-ce toujours le cas ?
Marlène secoua négativement la tête.
- Pour un premier pas, c’est déjà énorme, insista monsieur Toupin.
- Je voudrais appeler mes parents.
- Il te suffit de le demander au guide. Sors-le.
Marlène sortit le guide de sa poche et le déplia. Ce n’était qu’une feuille blanche vide.
- Garde ta gnosie activée et transfère un peu de magie dans le guide. Ce truc est prévu pour supporter des chocs violents car les élèves de l’école sont rarement au contrôle dès leur arrivée alors ne t’inquiète pas.
- Je fais comment pour transférer de la magie ? demanda Marlène.
Pour la première fois de sa vie, elle venait d’avouer son ignorance à un professeur sans en ressentir de honte ni de gène. En même temps, la salle de classe était vide et pour cause, c’était la pause du soir. Jamais Marlène n’avait fait du zèle de la sorte. Didier serait fier d’elle.
- Ta réserve est une bulle autour de toi, c’est ça ? demanda monsieur Toupin.
Marlène hocha la tête.
- Ce n’est pas pareil pour vous ? demanda-t-elle.
- La réserve est un endroit personnel, indiqua monsieur Toupin calmement. Il n’y en a pas deux identiques.
- Ah… enregistra Marlène.
- Pourrais-tu faire apparaître la bulle autour de toi ?
Marlène ferma les yeux.
- Non, les yeux ouverts, la contra monsieur Toupin, tout comme maître Gourdon quelques minutes plus tôt.
Marlène ronchonna.
- Plus tu iras en cours de méditation, plus tu te familiariseras avec ces environnements, et plus il te sera facile d’y faire appel en dehors.
Toutes les matières se complétaient, comprit Marlène. Pas moyen d’en éliminer une. Elle allait devoir bosser partout. Aucune impasse possible. Elle grimaça de déplaisir.
Elle voulait vraiment appeler ses parents alors elle se concentra. La bulle apparut mais la gnosie, elle, s’évanouit. Monsieur Toupin attendit calmement, la laissant se concentrer.
- Ne ferme pas les yeux. Garde les ouverts mais fixe un point. Écoute seulement le bruit du vent.
Monsieur Toupin se tut après cette tirade, permettant à Marlène de se concentrer sur le bruissement dans les branches et la gnosie revint, avec la bulle en surimpression.
- Grâce à la gnosie, tu peux ressentir l’objet magique, pour ce qu’il est je veux dire.
Marlène ne sentit aucune différence entre la feuille et le fauteuil mais préféra ne pas contredire le professeur.
- Donne-lui un peu d’énergie.
Marlène prit de l’eau dans sa bulle et en donna au guide qui s’éclaira. Marlène explosa de joie, rompant ainsi toute sa concentration.
- Plus tu le feras et plus tu y arriveras, assura monsieur Toupin. Par contre, n’hésite pas à donner beaucoup, beaucoup moins d’énergie.
Marlène montra qu’elle avait compris.
- Merci, maître.
- Monsieur, répondit le professeur et Marlène soupira.
Donnerait-elle une seule fois la bonne réponse ? Marlène sortit. Elle se chercha un coin tranquille. Au départ, cela lui sembla impossible. L’endroit était immense mais des élèves se promenaient partout, vibrant dans la gnosie, la faisant grimacer. Ils venaient d’apprendre à se servir de la magie intra et s’amusaient avec. Marlène comprenait mais de son côté à elle, cela s’avérait très déplaisant.
Elle découvrit de nombreux parcs, souvent occupés par des amoureux en quête d’intimité ou des groupes discutant gaiement.
Elle perdait espoir de trouver un lieu tranquille lorsqu’elle observa une haute clôture fermée de haies impénétrables. Elle suivit la grille jusqu’à un portail ouvert. Aucun panneau n’indiquait d’interdiction. Marlène entra et sourit en constatant le silence. Aucun étudiant ne se trouvait assez proche d’elle pour rayonner dans sa gnosie.
Elle observa son environnement. Des chemins sinuaient au milieu de plantes. Sous chaque essence, un petit panneau précisait « Hêtre », « Rosier du Bengale », « Sarracénie » ou « Millepertuis ». Marlène, qui n’était pas intéressée par la botanique, ne s’y intéressa guère. Seul le silence l’avait amenée ici.
Elle s’installa confortablement sur un banc devant un parterre de plantes grasses et activa sa gnosie en s’obligeant à garder les yeux ouverts. Puis, elle tenta de faire venir la bulle bleue autour d’elle. À la manière dont elle se crispait, elle devait avoir l’air bien ridicule, pensa-t-elle. « Si quelqu’un me voit, il va penser que je suis en train de chier, grimaça-t-elle. C’est n’importe quoi. Tout ça se passe dans ma tête. »
Elle se détendit, respira profondément, fixa un point devant elle, écouta le bruit du vent et la bulle apparut en superposition de la gnosie. Marlène se força à rester calme, à maintenir le contrôle. Elle respira amplement puis déplia le guide et y transféra une goutte d’eau.
La feuille se couvrit d’écritures et d’icônes, à la manière d’une tablette. Marlène appuya sur un symbole « micro » puis annonça :
- Je voudrais téléphoner à mes parents.
- Appel en cours, annonça le guide.
La feuille servait de téléphone. Marlène allait devoir conserver sa concentration durant la discussion. Voilà qui promettait d’être compliqué !
- Allo ?
- Maman ? s’exclama Marlène, super heureuse de l’entendre et tout s’éteignit.
Marlène cria de rage.
- Putain de collège magique de merde ! Vous le faites exprès !
Elle aurait tout donné pour un téléphone normal.
- Arrête de me narguer ! gronda-t-elle à la feuille entièrement blanche.
Un homme apparut, vêtu d’un tablier vert avec des poches contenant divers outils de jardinage. Il lui parla dans une langue slave. Si elle galérait autant à activer le traducteur que le guide, une discussion avec sa colocataire n’était pas pour demain. Elle secoua la tête pour indiquer qu’elle ne comprenait pas. Il mima d’un geste le fait de manger.
- Oh ! Merci, monsieur, dit Marlène.
Elle se leva puis lança :
- J’aime beaucoup cet endroit. C’est très joli, très harmonieux.
Il sourit et prononça quelques sons. « Merci », supposa Marlène. Elle rejoignit le réfectoire, où elle avala une quantité normale de nourriture. À sa plus grande joie, personne ne vint lui adresser la parole.
Après manger, elle retourna au parc où elle tenta, une fois de plus, de contacter ses parents. Après avoir allumé sa gnosie, être parvenue à superposer sa bulle et à transférer une goutte d’eau dans le guide, celui-ci répondit « Plage horaire dépassée. Permission seulement accordée entre 8h et 19h ».
Marlène replia le guide. Elle avait envie de le froisser en boule et de l’envoyer valdinguer contre un mur mais le pauvre n’y était pour rien. Elle rejoignit sa chambre et s’affala sur son lit, très triste. Elle admira les photos apportées avec elle – des souvenirs de vacances - avant d’aller prendre une douche. Lorsqu’elle revint dans la chambre, Julie s’y trouvait avec sa copine. Cette dernière lui lança une grande phrase en italien.
- Attends !
Marlène superposa sa bulle et transféra une goutte dans le traducteur.
- Vas-y, recommence.
- Bonjour. Je m’appelle Amanda. Ta journée a été agréable ?
- Marlène, se présenta la néomage avant de poursuivre : Moyen.
- Tu as appris à activer un objet magique, fit remarquer Julie.
- C’est dur, avoua Marlène qui peinait à tenir la concentration.
- Bientôt, ça sera tellement naturel que tu ne t’en rendras même plus compte, assura Julie.
- Et vous deux ? demanda Marlène qui savait que cela se faisait, socialement, de poser la question inverse, même si la réponse ne l’intéressait pas.
- Mes sons en intra sont horribles, admit Amanda.
- Mon classement est en cours. À cette vitesse, ça va me prendre des mois.
- Tu as un an, rappela Amanda.
- Mes parents ne seraient pas contre que je parte avant, grommela Julie.
Amanda lui envoya un sourire compatissant.
- Et toi, Marlène ? Tu restes combien de temps à l’école ? demanda Amanda.
Marlène ne sut quoi répondre. Si elle disait quatre ans, elle dévoilait sa nature de néomage puisque c’était rarissime de rester aussi longtemps.
- Parce que moi, je dois être partie pour Noël, maugréa la jeune femme et Marlène soupira d’aise. Je ne serai jamais une grande magicienne alors à quoi bon ? Dès que j’aurai mon DM3, je file.
- DM3 ? répéta Marlène.
- Le troisième diplôme magique, expliqua Julie. Moi, je vise le DM4.
- Moi je ne sais pas, avoua Marlène en se demandant combien il y en avait.
- Tu verras bien, la rassura Amanda. Les professeurs te guideront vers ce qui est le mieux pour toi.
- Oui, ils n’abusent pas dans cette école. Ils ne te gardent pas juste pour te soutirer plus de fric. Quand tu as atteint tes limites, ils te le disent et tu peux partir le jour-même. Nos parents attendent ça avec impatience !
Marlène resta silencieuse, plongée dans ses pensées. Jusqu’où irait-elle en temps que néomage ? Ce dont elle était sûre était qu’elle voulait apprendre à manipuler la magie. Elle voulait faire voler des trucs.
Le lendemain, Marlène se rendit devant la salle de classe de maître Beaumont. À 8h30, elle était déjà complète.
- Les places sont chères, maugréa un adolescent avant de s’éloigner, dépité.
Marlène savait que si elle entrait, le professeur irait lui chercher un tapis juste pour elle. La jeune femme ne le désirait pas. Elle resta un instant interdite puis haussa les épaules. Après tout, méditer ici ou ailleurs, quelle différence ? Il faisait beau. Cela ne durerait pas. Autant profiter des derniers jours de l’été.
Marlène se rendit au parc clôturé, s’y installa et se retrouva dans sa bulle bleue. Elle s’y sentait merveilleusement bien, rassurée, enveloppée de bonheur, de chaleur et de douceur. Comme dans le ventre de sa mère.
- Maman ! s’exclama-t-elle en sortant brusquement de méditation.
Elle superposa difficilement la bulle bleue sur sa gnosie réactivée au réveil puis demanda au guide de téléphoner à ses parents.
- Allo ? dit Henriette.
- Maman ! répondit Marlène d’une voix calme, prenant soin de garder toute sa concentration.
Pas de joie démonstrative. Il s’agissait de tenir plus de deux secondes cette fois !
- Marlène ! Didier ! C’est Marlène ! Viens vite ! Comment vas-tu ma chérie ? C’est toi qui a appelé hier ?
- Oui, j’ai…
- Bonjour ma chérie, dit Didier. Les cours se passent bien ?
- Tu t’es fait des amies ? Tu manges bien ? interrogea Henriette.
Marlène sourit. Elle n’arrivait pas à en placer une.
- Ne vous inquiétez pas si la conversation coupe. C’est juste très difficile pour moi.
- Difficile de quoi ? demanda Didier.
- De tenir la conversation. Je dois utiliser la magie pour vous parler, indiqua Marlène.
- Ah bon ? Pourquoi ? demanda Henriette.
- Parce que les profs sont des sadiques, grommela Marlène.
- Moi, je dirais qu’ils sont malins, répondit Didier et sa remarque n’étonna pas du tout Marlène. Donc, tu sais utiliser la magie. Tu es vraiment magicienne !
- Oui, dit Marlène.
- Je suis tellement contente ! s’exclama Henriette. J’aimerais te prendre dans mes bras. Tu me manques, ma chérie !
Marlène sentit une immense tristesse s’emparer d’elle. L’émotion la submergea et le contact se rompit. Nul doute qu’à l’autre bout, Didier venait d’engueuler sa femme. Marlène soupira puis retourna dans sa bulle, s’y complaisant, endroit accueillant avec personne pour venir l’ennuyer.
Elle n’en sortit que parce que son estomac gargouillait. Lorsqu’elle revint au monde réel, le soleil était bas et elle comprit qu’on était le soir. Elle avait passé toute la journée dans sa bulle. Il serait bientôt 19h. Si elle n’appelait pas tout de suite ses parents, elle ne pourrait pas le refaire avant le lendemain.
- Marlène ! s’enthousiasma Henriette.
- Si je comprends bien, quand tu seras en mesure de tenir une vraie conversation avec nous, c’est que tu auras fait de beaux progrès, c’est ça ? lança Didier.
- Exactement, papa, répondit Marlène en souriant.
- J’ai hâte, ma fille. Qu’as-tu appris aujourd’hui ?
Marlène sentit une honte intersidérale s’emparer d’elle. Toute la journée, elle était restée dans sa bulle. Elle n’avait pas mis le pied dans une salle de classe.
- Marlène ? insista Didier sentant le désarroi de sa fille. Rassure-moi ! Tu n’as pas glandé au moins ?
La peine lui monta à la gorge et elle perdit de nouveau le contact, le visage couvert de larmes. Elle essuya ses joues, se força à reprendre contenance et se rendit au réfectoire.
Le bruit l’envahit mais elle l’ignora. Nul n’embêta l’adolescente taciturne et renfermée. Elle s’assit, mangea un peu, n’ayant pas perdu d’énergie dans la journée et resta sans bouger, profondément blessée.