Chapitre 4- Jarod

J’halète, allongé sur mon lit, essayant de recouvrer une respiration à peu près normale. C’est la première fois que nous avons affaire à un vampire... ou plutôt une vampire, presque aussi dangereuse que belle par ailleurs ! Mais quand on y pense, il n’y a rien de naturel là-dedans. Un vampire a besoin d’ensorceler sa victime pour pouvoir doucement l’approcher, non ? Je l’ignore mais rien que cette réflexion m’enchante ! Une nouvelle espèce à découvrir, je m’en frotte les mains. Mon cœur s’emballe à la simple pensée d'imaginer tout ce que je pourrais découvrir sur cette femme. Je dois tout faire pour qu’elle s'acclimate à cet endroit. Qu'elle se sente suffisamment en sécurité pour qu’elle se dévoile. Le seul problème est que Patrick a merdé et, par conséquent, me place dans une situation plus qu’inconfortable. Me voilà seul. La moindre faute me sera directement fatale.

 Je profite que Méjaï ne soit pas présente dans les locaux pour étudier son dossier. J’ai beau avoir fouiné dans ses analyses, son sang est vraiment particulier. Ses cellules se divisent tellement rapidement que même si on les sépare, elles se divisent jusqu’à reformer un tout. Ce n’est pas le premier cas d’autoguérison que je vois. Les êtres surnaturels sont plutôt bien placés pour ça. Vous avez les autoguérisons instantanées chez les hydres, les lycanthropes et les dragons. Bien que ces derniers se soient éteints il y a plusieurs siècles. Il y a aussi celles sous forme de magies, de sorts ou d’incantations, comme les fées, les sorcières et les gnomes. Chacun a une manière utile pour se régénérer.

Pourtant, ils ont tous un point identique : leur ADN, qui leur procure une capacité totalement différente. Les instantes se confèrent une résistance totale aux maladies, alors que seules les magiques peuvent transmettre leur guérison à autrui. Méjaï, elle, fait directement partie des instantes, mais possède une chose que seul le reptilien détient : l’immortalité. Je n’en suis pas encore sûr, ce qui m’empêche de m’avancer trop vite. Cependant même mes recherches les plus approfondies vont dans ce sens. Aucune de ses cellules n’a montré la moindre marque de vieillesse. Si c’est vraiment le cas, elle risque de faire bien plus peur à l’enceinte de l’établissement qu’elle ne le fait déjà.

Je me mordille activement l’intérieur de ma joue, c’est malheureusement un tic qui se présente quand je suis nerveux. Et je suis nerveux ! Je soupire et me redresse. Je reste un moment à taper furieusement le sol avec les pieds. Ce n’est pas dans mes habitudes de reculer devant un défi, mais j’accumule mes forces en attendant l’heure de mon rendez-vous avec le directeur du DMS, à qui je n’ai aucune réponse concrète à donner. Je vais passer un mauvais quart d’heure.

Je prends l’ascenseur pour monter au premier étage et reste un moment à scruter les environs. Je déteste quitter mon sous-sol. J’ai toujours été de nature solitaire. Je réagissais déjà de cette manière à mon adolescence quand j’avais mes cours à l’étage et cela ne m’a jamais quitté. À cette époque, je pensais souffrir d'anthropophagie: une simple phobie d’enfant. Pourtant, même du haut de mes vingt-trois ans bien tassés, les symptômes sont toujours bien présents. Quitter mon espace est une véritable torture pour moi. Même si j'évite les heures pleines, le hall reste une vraie fourmilière. Entre les humains et les êtres surnaturels, on ne sait jamais à l’avance sur qui l'on va tomber. Les couloirs ont l’air d’être déserts, c’est une chance. J’arrive devant la porte du directeur et toque énergiquement plusieurs fois à la porte.

Quand j’entends la voix rauque du directeur, je m’engouffre dans son bureau. Je jette un coup d’œil rapide sur la pièce, avant de m’atteler à la tâche.

— Bonjour Monsieur Backford.

Les valises bleutées sous ses yeux m’indiquent clairement l’insomnie à laquelle il a dû faire face cette nuit.

— Monsieur Oser, installez-vous, je vous en prie.

Je le remercie et m’installe.

— Je tiens à vous informer que Monsieur Patrick Draw, votre coéquipier, ne reviendra plus. Il a été transféré dans un autre établissement. Vous serez donc seul maître à bord, Monsieur Oser.

Son timbre de voix est clairement électrique. Quand il nous a ramené le corps inanimé de la jeune Méjaï Williams, je pensais réellement pouvoir gérer la situation. Ce n’est que lorsque j’ai découvert sa particularité, que j’ai réalisé à quel point elle pouvait être importante. Je connais ces lieux et la peur viscérale de leurs occupants envers les êtres fantastiques. Ils prétendent les aider mais la plupart des gouvernements les craignent autant que leurs photos de famille. Certains s'en fichent tandis que d'autres feront tout pour les détruire. Je ne pouvais imaginer cela. J’ai toute suite su que demander sa tutelle était ce que j’avais de mieux à faire. Heureusement, j’ai tellement été confronté à des êtres fantastiques que ma requête est passée naturellement.

— Il lui faudra juste un temps d’adaptation. Je suis sûr que tout se passera bien, Monsieur Backford.

— Je l’espère pour vous, sinon nous ne pourrons pas la garder bien longtemps dans nos locaux. Sa première mission a déjà été un véritable échec.

Je hausse un sourcil, ne comprenant pas où il veut en venir, avant qu’il ne me donne son téléphone. Mon souffle se coupe quand je reconnais Méjaï en train d’éviscérer des soldats. À quoi joue Marco ? Tout en me demandant dans quoi je me suis encore fourré, je me force à garder ma constance et reprends d’une voix claire et forte :

— Elle est loin d’être inconsciente, donnez-lui simplement un centre d’intérêt plus important que de dévorer des gens.

Il me regarde, suspicieux.

— Un appât plus gros ? reprend-il.

J’acquiesce.

— Tout ce qui intéresse cette chose c’est son père, mais vous savez aussi bien que moi que nous ne savons rien sur ses travaux.

— C’est exact, mais d’autres peuvent le savoir.

— Pensez-vous réellement que la faire sortir de nos locaux soit encore une bonne idée ? souffle-t-il.

Il m’observe, totalement désemparé. Les bras croisés sur le torse, je réplique avec assurance :

— Si elle est concernée par un objectif à atteindre, je suis sûr que ça ne pourra être que prometteur.

Un long soupir me parvient.

— Votre confiance envers cette créature est des plus incompréhensible, Monsieur Oser.

— Comment croyez-vous que les premiers chercheurs ont réagi devant un nouveau spécimen ? Comme à leurs habitudes en devenant pire qu’elle et en la traitant comme un sujet d’expérience, rien de plus.

— Nous devrions peut-être faire de même, suggère-t-il. Quel est son point faible ?

— D’après mes recherches, aucun.

Ma découverte crée un silence, une extinction de son qui dure, qui s’éternise même. Avant qu’il ne reprenne en scrutant attentivement.

— Vous avez conscience que nous n’avons aucun moyen de vous protéger au sous-sol. Il serait peut-être judicieux que vous déménagiez à un autre endroit...

— Non !

Ma remarque est clairement lâchée d’un ton trop élevé devant mon supérieur, mais je ne peux même pas imaginer cette éventualité.

— Non, reprends-je plus calmement. Il ne serait pas sain de la laisser enfermée si vous voulez gagner sa confiance. Si elle se sent prisonnière, cela pourrait vite déraper.

Je le regarde dans les yeux, prêt à défendre une nouvelle fois mon point de vue, et même s’il faut que je me batte pour mes idées. Je n’ai pas même le temps d’argumenter, qu’un raclement de gorge derrière moi me fait sursauter. Je me retourne pour apercevoir Marco. Pour être bref, ce mec est un gros connard qui se vante sans arrêt. Hélas, c’est le bras droit du directeur et également le plus puissant mutant de l’établissement.

— Bonjour, petit Jack !

— Marco...

Je soupire devant son surnom ridicule. J’ai essayé par tous les moyens possibles de le lui faire comprendre qu’il ne me plaisait absolument pas, mais son cerveau ne l’a toujours pas saisi. Scientifiquement, il devrait y parvenir, mais j’ai bien peur que ce mec soit trop atteint mentalement pour faire partie des statistiques.

— Que se passe-t-il ? relance le directeur.

— Nous avons eu un léger problème...

Le directeur me foudroie directement du regard.

— Je le sais, c’est pourquoi j’ai convoqué Monsieur Oser, son implication devra être vraiment irréprochable ! grogne-t-il.

Il me lance ensuite un regard signifiant que je n’ai pas le choix. Ne voulant pas m’attirer d’ennuis, j’acquiesce encore une fois et les fixe en attendant plus d’explications, mais Marco se renfrogne et plus aucun son ne sort de sa bouche.

— Monsieur le directeur...

Son regard se pose sur moi.

— Bien, merci pour tout cela, Monsieur Oser. Je vais penser à vos suggestions.

Sur ces dernières paroles, je me retire. Ses remerciements montrent clairement qu’il est complètement dépassé par les événements qui s’enchaînent.

C’est à cran que je replonge dans mes recherches... enfin... replonger est un grand mot, car je n’arrive même plus à me concentrer.

Dans l’instant même, des voix retentissent. Plusieurs voix. Ça ne passe pas inaperçu, surtout au sous-sol. Je me lève pour voir ce qui crée ce remue-ménage. Je découvre avec stupéfaction de nouveaux visages. Nous nous regardons tour à tour, comme des bêtes curieuses dans l’attente que l’un d’entre nous crève ce silence de plomb.

Le silence est soudainement rompu par le rire de Marco qui me regarde d’un air amusé.

— Ne vous préoccupez pas de Jack, c’est simplement le petit médecin de l’académie.

— Jarod, je m’appelle Jarod, je reprends, la mâchoire serrée.

— Ouch le roquet s’énerve devant les nouvelles recrues, se moque-t-il.

Je soupire et baisse les yeux. Je regarde l’homme de couleur qui a une masse assez volumineuse. J’espère secrètement que l’un d’entre eux pourra faire redescendre cet enfoiré de son perchoir. Mais si même Méjaï n’y arrive pas, je désespère.

D’un pas confiant, je lui tends la main.

— Bienvenue au DMS. Je suis Jarod Oser, le médecin de la base.

— Merci. Moi c’est Hartz et voici Visuel, Boom et Gunners. Nous sommes la nouvelle équipe.

Je ne peux que sourire devant ses paroles, même si Marco se fait un plaisir de me maltraiter et de me déranger. Tant que je serai présent, Méjaï restera en sécurité. Ses paroles sonnent comme une promesse dans mon esprit. Il ne reste plus qu’à espérer que mon idée fonctionne.

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