Chapitre 4 : Jude Kingsford

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

Il existe un endroit à Hauterive que Lyra aime tout particulièrement, un lieu plein de souvenirs que la sorcière prend plaisir à visiter quand bien même elle n’a pas souvent les moyens d’y faire des achats.

Cet endroit, c’est la Librairie des Merveilles, l’une des plus grandes librairies de la capitale et la boutique dans laquelle Lyra rencontra Jude Kingsford un peu moins de dix ans plus tôt.

À cette époque, la petite Lyra venait de découvrir ce que signifiait le deuil. À tout juste huit ans, elle avait vu, plus que compris, les répercussions d’un tel évènement.

Son père, qui était chasseur d’Ombres, venait de succomber lors d’un combat particulièrement éprouvant. La nouvelle leur fut annoncée par son équipier, un certain Eli Banks, que la fillette avait vu à de nombreuses reprises passer à la maison. Ce jour-là pourtant, le charmant jeune homme qu’il était n’arborait pas son sourire mutin habituel et ses beaux yeux noirs ne brillaient pas de leur éclat coutumier. Il était encore porteur des stigmates de l’affrontement contre l’Ombre, les cheveux ébouriffés et les vêtements en lambeau. Des entailles parcouraient sa peau et gouttaient encore de perles de sang lorsque Laurinda ouvrit la porte.

Il n’eut pas besoin de dire un mot. Son expression lugubre comme son apparence dépenaillée suffirent à la jeune mère pour comprendre.

Lyra s’était réjoui de le voir, après tout il n’avait pas encore rencontré sa petite sœur qui était un horrible bébé, aussi hideux qu’une pousse de mandragore et hurlant presque aussi fort mais qu’elle aimait déjà de tout son cœur de petite fille.

Elle s’était attendue à le voir entrer en souriant et s’émerveiller des livres avancés qu’elle parvenait déjà à lire, bien qu’elle n’en comprenne pas la moitié. Pourtant, dès qu’elle fit un pas dans la petite salle à manger, l’enfant sut que quelque chose clochait. Sa mère, d’abord, avait fondu en larmes et ne put rester debout. Elle ne referma même pas la porte alors qu’oncle Eli la guidait vers un siège.

Aucun des deux adultes n’avaient remarqué l’enfant tapi dans l’encadrement de la porte qui donnait sur l’arrière-cour. C’est ainsi que Lyra apprit que son père avait péri. Oh, bien sûr, elle ne savait pas ce que cela voulait dire et ne comprenait pas même les notions de « bannissement d’Ombre » ou « d’effroyable affrontement » mais elle comprit l’essentiel : son papa adoré ne reviendrait jamais à la maison.

Lyra ne gardait pas beaucoup de souvenirs des jours suivants, si ce n’est la morosité permanente de sa mère et le brusque silence qui avait envahi cette maison jadis si animée.

Une petite cérémonie avait eu lieu, sans aucun corps à enterrer car il semblait que l’Ombre avait emporté Jupiter de l’Autre-côté. Lyra n’avait aucune idée de ce que cela voulait dire, tout ce qu’elle voyait c’était que cette nouvelle attristait un peu plus sa mère.

Comme le voulait la tradition, Laurinda et ses filles portèrent du noir pendant plus d’un an. Lyra n’avait pas bien compris pourquoi elle devait abandonner ses jolies robes pastel pour cette tunique sinistre mais s’était pliée aux exigences de sa mère, ne serait-ce que pour revoir son beau sourire. Un sourire qui ne revint pas avant plusieurs longs mois.

Tante Agathe passait souvent et se montrait étonnement serviable et bonne. C’est elle qui expliqua à Lyra comment aider sa mère, et elle encore qui aida à élever la petite Angie alors que sa mère devait à présent cumuler plusieurs petits emplois pour espérer nourrir sa famille.

Eli Banks n’était jamais revenu au 16 rue de l’Arbre-Chanteur. Que ce soit par culpabilité ou pour autre chose, Lyra n’entendit parler de lui qu’à l’annonce de sa propre mort, un peu plus de cinq ans plus tard. Le journal qui l’annonçait parlait d’un tragique accident durant lequel le sorcier avait tenté d’ouvrir un passage dans le Voile entre les mondes. Une expérience dangereuse qui s’était soldée par l’explosion de son laboratoire et à laquelle ni lui ni son familier ne survécurent.

Lyra s’en sentit un peu coupable en songeant que le pauvre homme avait dû être hanté par la disparition de son père et avait tout tenté pour le ramener à sa famille, sans succès.

Une triste routine avait alors commencé pour la fillette. Avec l’assistance de tante Agathe et de quelques voisins à l’âme charitable, Lyra se mit en tête de s’occuper de la maison quand sa mère partait travailler. Elle s’occupait du ménage, de sa sœur quand tante Agathe ne pouvait pas venir et même parfois de sa propre mère lorsque celle-ci rentrait épuisée et oubliait de manger.  

La tâche était ardue, et même si la petite fille faisait bonne figure devant les autres, il lui arrivait de se sentir dépassée. Dans ces moments-là, elle se réfugiait dans le seul endroit où l’ombre du deuil ne parviendrait pas à la hanter.

La Librairie des Merveilles, qui était jusque-là le rendez-vous hebdomadaire de Lyra et son père, se transforma en sanctuaire lumineux, loin du chagrin et des larmes. Elle y passait dès lors, des après-midis entières à dévorer livre après livre, parfois même jusqu’à ce qu’un employé lui signale que la boutique allait fermer. 

C’est pendant cette période que Lyra rencontra Jude. Le petit garçon avait été traîné en ville par sa mère avec ses frères aînés en prévision de la rentrée prochaine de deux d’entre eux au collège. Il ne lui fut guère difficile de remarquer Lyra au milieu des livres. La petite fille était assise à même le tapis du coin lecture, entourée de coussins moelleux aux couleurs un peu passées. Ses cheveux étaient en bataille et sa vieille robe noire jurait avec les tons chaleureux de la boutique. Ignorante au monde qui l’entourait, elle compulsait avec attention un ouvrage presque aussi gros qu’elle. Mais le plus étrange, en dehors du fait qu’elle le tenait à bout de bras, c’était qu’elle l’étudiait à l’envers.

— Tu lis ton livre à l’envers, lui avait-il fait remarquer.

Jude s’était approché sans même le remarquer et s’était retrouvé planté devant elle, aussi intrigué que perplexe par le troublant personnage. Les yeux verts qu’elle avait alors posés sur lui l’avait d’autant plus dérouté qu’ils étaient cerclés d’une très fine auréole émeraude autour de la pupille. Elle cligna des paupières, un peu surprise, et chercha autour d’elle, comme pour s’assurer qu’il s’adressait bien à elle – à sa décharge, c’était la première fois en deux mois que quelqu’un d’autre que les employés de la boutique venaient lui parler.

Elle lui répondit alors d’une voix très sérieuse :

— C’est parce qu’il est écrit à l’envers.

Jude sourcilla et se demanda un instant si elle n’était pas un peu folle. Étant fils de bonne famille, il avait entendu de nombreuses histoires de personnes étranges et peu recommandables dont il fallait se méfier. Il se demanda si elle n’en faisait pas partie et s’il n’aurait pas mieux fait de rejoindre ses frères au comptoir. Une décision qui aurait sans doute été plus sage mais que pour une raison qu’il ignorait, il ne prit pas.

À la place, et par curiosité, il se pencha pour étudier le livre qu’elle inclina vers lui. Sa surprise fut complète : le livre était effectivement écrit à l’envers. Il songea d’abord à un défaut de conception avant de remarquer le petit miroir qu’elle avait plaqué sur la page opposée à celle qu’elle étudiait. Il s’inclina un peu plus pour voir les mots se refléter et fut encore plus étonné de voir que les mots apparaissaient à l’endroit dans le miroir.

— Wouah, comment tu as découvert ça ? demanda-t-il avec admiration.

Elle hésita un instant – sûrement à cause des habits très propre et très onéreux du garçon, avant de lui proposer de s’asseoir à côté d’elle. Loin d’être incommodé, Jude se joignit à elle de bonne grâce et elle lui montra l’entête du livre.

— C’était écrit dans le titre, expliqua-t-elle d’une voix étonnamment éthérée.

— Mais le titre fait seulement mention d’un manuel de contre-sort, fit remarquer Jude avec scepticisme.

— Exact, répondit-elle simplement.

Le petit garçon fronça les sourcils.

— Je ne vois rien de logique à ça.

— Mais les sort se lèvent en les récitant à l’envers, fit-elle remarquer.

Il la dévisagea comme si elle avait perdu l’esprit et elle lui retourna un regard interrogateur. Lorsqu’elle se perdit dans ses pensées et se mit à le tapoter la couverture d’un doigt distrait, Jude remarqua enfin le nom de l’auteur.

— Ah, fit-il comme s’il venait de comprendre, c’est un parle-à-l’envers.

— Un quoi ? s’étonna-t-elle en se tournant vers lui.

— Un parle-à-l’envers, fit-il comme une évidence. Un sorcier qui parle à l’envers. C’est en général à cause d’un sortilège. Mon frère Aristide en a été victime pendant sa première année de collège.

Puis, après un silence :

— Je pensais que tu le savais, dit-il lentement.

Elle le considéra avec surprise avant de reporter son attention sur le livre.

— Ah… souffla-t-elle. Je comprends mieux maintenant.

— Parce que tu ne le savais vraiment pas ? s’ébahit-il ne se redressant.

— Bah… non, dit-elle lentement à son tour, j’ai juste cru que c’était à cause des anciennes manières de défaire des sorts.

Tous deux se dévisagèrent avec confusion quand Jude s’éclaira d’un sourire.

— T’es super bizarre, déclara-t-il avec amusement. Ça te dit qu’on soit amis ?

Lyra cligna des yeux.

— Amis ?

Il opina vivement. Alors qu’elle y réfléchissait avec sérieux, Mme Kingsford appela son fils.

— Ah, on dirait qu’elle s’est enfin rendu compte qu’il lui manquait un fils, marmonna Jude en se levant.

Sans vraiment y penser, Lyra l’imita.

— Je vais devoir y aller. Au revoir.

Lyra ouvrit la bouche mais ne sut que dire quand, sur une impulsion, elle le retint par la manche de sa veste indigo. Il la considéra avec surprise alors qu’un sourire timide se dessinait sur son visage de poupée.

— Je veux bien qu’on soit amis, lâcha-t-elle tout de go.

Jude rayonna.

— Je m’appelle Jude Kingsford.

— Lyra Oakwood, répondit-elle en serrant la main qu’il lui tendait.

Et alors que sa mère l’appelait depuis l’entrée de la boutique, les enfants se promirent de se revoir bientôt.

À partir de cet instant, Lyra et Jude ne se quittèrent plus. Le garçon s’enfuyait de la maison quand il le pouvait et allait la rejoindre dans la librairie où ils passaient des heures à étudier de gros volumes en essayant d’imaginer ce que pouvait bien signifier certains jargons techniques de haute magie. Lyra lui décrivait son quotidien, Jude se plaignait de sa famille.

Le temps avait passé, leur amitié avait perduré.

Après l’examen d’entrée pour Aubelune de l’été dernier, Jude avait rapidement eu une réponse favorable. Lorsqu’il le lui avait annoncé et que Lyra s’en été réjoui, il s’était contenté de hausser modestement des épaules.

— Bah, ça fera seulement le cinquième Kingsford à y passer, rien de bien extraordinaire. Eh puis ça reste une école, l’ennui, tout ça, tout ça…

Lyra savait qu’il minimisait beaucoup son enthousiasme pour ne pas la froisser. Et plus les jours passaient sans nouvelle, plus il avait l’air de marcher sur des œufs avec elle, allant même jusqu’à se demander s’il ne ferait peut-être pas mieux de ne pas y aller finalement.

— Une année scolaire sans toi, c’est du temps perdu, prétextait-il. Ça n’aurait aucun intérêt.

Tous ces souvenirs la submergèrent, lorsqu’elle passa le pas de la porte de la librairie.

Une délicieuse odeur de papier et de livre neuf embaumait l’air, chargé de nostalgie et de chaleur. De l’extérieur, on ne pouvait voir que les premiers rayonnages et les bels œuvres savamment exposées en vitrine. La boutique paraissait alors minuscule avec sa petite devanture jaune canari et son nom peint dans un magnifique vert forêt. La librairie cachait en réalités dans ses entrailles de nombreux rayonnages pareil à un labyrinthe miniature et même un étage supplémentaire tout récemment aménagé et réservé aux tous petits. Depuis l’entrée, on pouvait même entrapercevoir les enfants parcourir les allées qui bordaient la balustrade de la mezzanine.

Un lampion en forme de livre surplombait l’entrée, déversait des flots de lumière chaleureuse sur les visiteurs. Lyra l’observa battre mollement ses fausses pages avec admiration. En faisant abstraction des cordes qui le retenait, on pourrait presque le croire en train de voler.

— Bon, je te laisse chercher de ton côté, annonça brusquement sa mère, ce qui eut pour effet de la ramener au présent, moi je m’occupe de l’autre. Tiens, ajouta-t-elle en lui remettant la liste.

L’instant d’après, Laurinda disparaissait derrière les rayonnages.

Lyra ne fut pas surprise que sa mère lui laisse la liste : d’abord parce qu’elle devait bien connaître les livres qui y été noté – ayant elle-même possédé ces ouvrages à une lointaine époque – ensuite parce que Lyra avait l’art et la manière d’oublier ce qu’elle n’avait pas sous le nez.

Il était triste qu’elle ne puisse pas simplement se servir des manuels de ses parents. Ceux de sa mère avait été confisqué par sa famille au moment de la jeter dehors, il aurait été peu probable de réussir à se les procurer. Ceux de Jupiter en revanche… Avant de partir faire leurs achats, Lyra avait demandé à sa mère s’il ne serait pas possible de simplement réutiliser les livres de son père. La réponse de sa mère l’avait un peu surprise.

— Oh, nous ne les avons plus, avait-elle dit, l’air aussi perplexe que préoccupée. J’ignore pourquoi mais quelqu’un est venu les réclamer peu de temps après son décès. Je pensais que peut-être il les avait empruntés à quelqu’un… Je suis désolée ma chérie, j’aurais dû mieux faire.

Lyra n’avait pas insisté, pas après avoir vu sa mère reprendre cet air lugubre qu’elle lui avait connu à cette époque. Mais les questions demeuraient. Lyra savait que son père était entré à Aubelune grâce à une bourse, mais elle n’avait jamais su laquelle, ni pourquoi il aurait dû rendre ses livres. Les avaient-ils vraiment empruntés ? Cela lui parut absurde, quel libraire louerait un lot de livres aussi précieux à un boursier ? Ou s’était-il adressé à quelqu’un d’important ayant lui-même fait ses études à Aubelune ? Là encore, cela lui paraissait peu probable.

La haute société ne donne pas à la plèbe, se dit-elle en parcourant un premier rayonnage dont la pancarte indiquait « Potions, plantes et encyclopédies ». Elle prête encore moins.

Le plus triste était sans doute qu’elle en avait parcouru certains avec son père. La jeune fille se souvenait particulièrement du Petit guide des herbes, racines et champignons enchantés pour en avoir scrupuleusement mémorisé les illustrations dans l’espoir de dénicher certaines de ces plantes dans son jardin. Il était donc étrange qu’un mystérieux propriétaire – si propriétaire il y avait vraiment – vienne si tard récupérer ses ouvrages.

Lyra étudiait une étagère portant sur les potions lorsque son regard fut attiré par une silhouette sur sa gauche. En tournant la tête, elle découvrit un jeune homme dont les boucles d’ébène chatoyaient de bleu et d’argent comme les plumes d’un corbeau. Elle les admira un moment, songeuse, avant que son attention n’abandonne pour de bon le livre qu’elle venait de déloger de son étagère.

— Jude ? appela-t-elle à brûle-pourpoint.

Le jeune homme eut un sursaut si violent que le livre qu’il tenait faillit lui échapper des mains. Le regard qu’il tourna vers elle était d’un bleu très pâle, comme un ciel d’hiver. La surprise qu’elle y lut la fit sourire.

— Lyra ? s’étonna-t-il en se tournant tout à fait vers elle. Qu’est-ce que tu fais là ? Est-ce que j’ai oublié notre rendez-vous du vendredi ? s’inquiéta-t-il tout de suite en tâtonnant les poches de sa veste vert empire à la recherche de sa montre.

— Dans la mesure où je crois bien que nous sommes mardi, je ne crois pas, non, s’amusa-t-elle alors qu’il soupirait de soulagement.

Il allait reprendre lorsqu’elle inclina la tête.

— Tu t’es laissé pousser les cheveux ? questionna-t-elle tout de go.

Jude porta une main à l’une de ses mèches qui lui mangeait le visage. Il la repoussa, un peu embarrassé. La dernière fois qu’ils s’étaient vu, ses boucles n’aurait jamais pu être noué en catogan. À cet instant cependant, il les avait lâchés, ce qui lui donnait une aura mystérieuse tout à fait attrayante. Lyra l’imagina sans mal attirer une foule d’admiratrices lors d’un bal.

— Hum… Oui, j’ai pensé que ça m’irait mieux. Et comme ça on arrêtera de me confondre avec cet idiot d’August, ajouta-t-il avec un haussement d’épaules.

Il se voulait désinvolte, mais Lyra percevait l’éclat d’agacement briller dans ses prunelles et le léger tic nerveux qui agitait son sourcil lorsqu’il faisait mention de son frère.

— Ça te va bien, sourit-elle en levant distraitement une main pour repousser une nouvelle mèche vagabonde. Mais il faudra penser à les attacher pendant les cours de potion.

— Heureusement pour moi, fit-il l’air mutin, je ne suis certainement pas aussi tête en l’air que toi.

Et se disant, il lui tapota le milieu du front comme il avait coutume de le faire lorsqu’elle oubliait quelque chose.

— J’aimerai d’ailleurs bien savoir ce que tu fais là, s’interrogea-t-il alors qu’elle allait répliquer.

— Lyra, je crois que j’ai tout de mon côté, tu as pu trouver les autres ? questionna Laurinda en apparaissait au coin du rayonnage.

Elle avait les bras chargés d’épais volumes et faillit tous les faire tomber en découvrant Jude. Un sourire radieux illumina alors son visage et elle lâcha sans ménagement les livres qui restèrent miraculeusement suspendu dans les airs alors qu’elle avait tiré sa baguette de nacre.

— Jude, quelle joie de te voir ! lança-t-elle en le serrant dans ses bras.

— Bonjour Mme Oakwood, sourit ce dernier en lui rendant son étreinte.

— Quand vas-tu enfin te décider à m’appeler Laurinda ? s’agaça-t-elle gentiment en s’écartant.

— Quand les phénix cesseront de ressusciter, sourit-il avec assurance, ce qui lui valut une petite tape sur l’épaule – Laurinda n’étant pas assez grande pour atteindre sa tête.

— Comme tu es élégant, apprécia-t-elle sans pouvoir s’empêcher de remettre sa veste en place. C’est un nouveau costume ?

— Fraîchement sorti de l’atelier de Mme Flanelle, approuva-t-il avec amusement.

De là où elle était, Lyra aurait juré voir une mère et son fils. Laurinda rayonnait quand, apercevant les livres qui flottaient également derrière le jeune homme, elle fronça les sourcils et se mit à étudier alentour.

— Tu fais tes commissions pour la rentrée ? demanda-t-elle avec souci. Tout seul ?

Jude haussa des épaules.

— Je suis le cinquième fils, Mme Oakwood, sourit-il avec une certaine résignation dans la voix, je pourrais disparaître qu’ils ne le remarqueraient même pas.

— Ne dis pas ça… se désola Laurinda.

Mais tout trois savaient qu’il avait plus ou moins raison. Mme Kingsford aimait chacun de ses fils, profondément, mais tous savaient qu’elle avait ses préférés comme Jonas, l’aîné qui venait d’avoir une promotion au palais de Justice, ou même August qui s’était récemment illustré aux courses de vouivres. Alors évidemment, en petit dernier de la fratrie, Jude n’avait pas les faveurs de ses parents, bien qu’ils nourrissent chacun plein d’espoir pour son avenir.

— Le petit diable n’est pas avec vous ? demanda-t-il pour détourner le sujet.

— Tante Agathe a eu l’amabilité de la garder, lui apprit Lyra avec légèreté.

Jude ouvrit de grands yeux horrifiés.

— Si vous vouliez à ce point démolir votre maison, vous auriez dû me demander ! s’exclama-t-il avec un léger accent scandalisé. Je me serais fait une joie de vous aider.

Lyra lui donna un petit coup de coude amusé alors qu’ils échangeaient un sourire complice. L’un comme l’autre savait pertinemment qu’il l’aimait beaucoup, cette petite mansarde mal fichue, comme il l’appelait.

— Je crains que la démolition ne soit pas pour tout de suite, répondit Laurinda mi amusée, mi résignée. Mais je te ferais savoir si nous changeons d’avis. En fait, plutôt qu’un service de démolition, j’accepterais plus volontiers de l’aide pour une rénovation.

— Bien moins amusant, plaisanta-t-il. Mais je serais ravi de pouvoir vous prêter main forte si cela est dans mes cordes, ajouta-t-il rapidement devant l’œillade acérée de Laurinda.

Elle approuva d’un sourire et il se reprit.

— D’ailleurs, j’aimerais bien savoir ce que vous faites ici ? interrogea-t-il. Pas que ça me déplaise, se dépêcha-t-il d’ajouter, c’est toujours un plaisir de vous croiser Mme Oakwood, mais vous êtes drôlement loin de vos boutiques habituelles.

— Lyra ne t’as pas dit ? s’étonna Laurinda et il secoua la tête négativement. Elle a décroché la bourse Everglow et rentrera à Aubelune en septembre. Montre-lui ! ajouta-t-elle à l’adresse de sa fille.

Lyra sortit fièrement la lettre d’admission de sa sacoche et la tendit à un Jude particulièrement médusé. Il la parcourut de longues secondes avant de siffler avec admiration en la lui rendant.

— Ça veut dire qu’on sera dans la même classe, lâcha-t-il avec un soulagement évident. Tant mieux, je me voyais mal y aller sans toi. Mais… quand as-tu reçu ça ? questionna-t-il en fronçant les sourcils.

— Il y a trois jours.

Jude croisa les bras, l’air mécontent.

— Et tu n’as même pas pensé à me prévenir ? grommela-t-il.

Lyra ouvrit la bouche, la referma.

— J’ai oublié… confessa-t-elle et il secoua la tête.

— Un jour tu oublieras ta tête, la sermonna-t-il en lui tapotant à nouveau le front.

Elle chassa sa main et s’apprêtait à lui répondre lorsque Laurinda se redressa.

— Ça me fait penser, n’était-ce pas ton anniversaire la semaine dernière ? Comment cela s’est-il passé ?

Jude se renfrogna, enfonçant les mains dans les poches de son pantalon. Seule sa baguette en quartz fumé en ressortait, crachant une discrète fumée argentée qui enveloppait ses affaires pour les faire léviter.

— Comme on pouvait s’y attendre d’une fête organisée chez les Kingsford, souffla-t-il avec morosité. Une grande soirée, des centaines d’invités qui ne doivent même pas se souvenir de mon nom, une montagne de cadeaux dont je ne me servirai sans doute jamais et un vague discours de mon père notifiant à peine mon anniversaire mais félicitant grassement mon frère avant que tout le monde ne se jette sur le buffet. Une fête à mourir d’ennui, en somme.

— C’était si horrible que ça ? souffla doucement Lyra.

— Si voir une floppée de gens que je ne connais pas passer leur temps à féliciter mon frère pour sa dernière course de vouivre sans même m’adresser un mot est horrible, alors oui, répondit-il platement.

Nouveau haussement d’épaules.

— J’aurais bien voulu le fêter avec vous comme l’an dernier, mais selon ma mère « dix-neuf ans est un âge important pour tout jeune homme de bonne famille », récita-t-il dans une parfaite imitation du ton guindé de sa mère. J’aurais pu disparaître qu’elle ne l’aurait de toute façon même pas remarqué, conclut-il avec défaitisme. En fait, c’est même ce que j’ai fait, ajouta-t-il après un instant.

— Tu n’as même pas pris une part de gâteau ? interrogea Lyra.

Un sourire malicieux étira les lèvres de son ami.

— Tout le gâteau, tu veux dire ? J’ai invité les domestiques à le partager avec moi, c’était assez plaisant. Le chef a paru un peu horrifié de me voir revenir avec, mais quand il a entendu ce qu’il se passait, il a semblé un peu moins réfractaire à l’idée.

— Personne n’a rien remarqué ? insista-t-elle avec l’intuition qu’il avait dû jouer un nouveau tour à tout ce beau monde.

— Oh, si, mais seulement en goûtant le faux que j’avais laissé. Une belle réussite, si tu veux mon avis. Il a fallu trois bouchées à mon frère pour réaliser qu’il mangeait de la terre. Je n’ai jamais vu Oliver rire autant, il a failli rouler sous la table.

Laurinda fit mine de s’offusquer alors que Lyra riaient aux éclats. Elle n’avait aucun mal à imaginer la scène.

Il était de notoriété que les frères Kingsford ne s’entendaient pas, en particulier August et Jude qui se vouaient un mépris et une haine sans pareille. Fut un temps où ils s’entendaient plutôt bien, certains oseraient même affirmer les avoir connus complices. Mais depuis son admission à Aubelune, cinq ans plus tôt, August n’avait plus été le même et s’était transformé en parfait petit bourge, le champion chéri à sa maman, comme aimait à le qualifier Jude dans ses moments les plus amers. Il n’y avait plus qu’avec Oliver, de deux ans son aîné, qu’il s’entendait relativement bien. Certainement grâce à leur passion commune pour les plaisanteries de mauvais goût, bien que celles de Jude soient d’ordinaire plus subtiles.

— Enfin bon, soupira le jeune homme, si j’avais su, je serais venu avec vous. Il n’y a rien de plus barbant que de courir de boutique en boutique.

— Lesquelles as-tu déjà visité ? questionna Laurinda en vérifiant la liste que tenait toujours sa fille.

— Voyons voir, réfléchit Jude, jusqu’à présent je suis allé voir la maison de couture et la Boîte de Pandore. Il me faut encore passer chez l’apothicaire et à la boutique de divination.

— Tu as perdu ton pendule ? s’étonna Lyra.

— Cassé, pour être précis, grinça Jude. August manque cruellement d’humour et manger de la terre ne lui a pas plu, il a donc fait tomber la foudre dans ma chambre et réduit en poussière mon pendule en émeraude, a fait exploser mon télescope que je venais tout juste d’acheter et a réduit en poussière la quasi-totalité de mon nécessaire de potion en cristal. Ah, il a également fendu la boule de cristal que vous m’aviez offert il y a trois ans.

— Grands dieux, souffla Laurinda, une main épouvantée portée à ses lèvres.

— Je ne vous le fait pas dire, grimaça Jude. Si Aristide n’était pas intervenu je crois que je me serais chargé de brûler l’intégralité de son équipement de monte de vouivre et lui avec.

— Tes parents n’ont rien dit ? s’étonna tristement Lyra.

— Mon père était absent et comme je m’apprête à faire ma rentrée, ma mère était furieuse qu’il détruise mes fournitures. Elle lui a donc forcé la main pour qu’il me rembourse l’intégralité des dégâts et je compte bien en profiter pour acheter ce qu’il y a de plus cher, conclut-il avec un sourire mauvais.

— Je te reconnais bien là, s’amusa Lyra.

— On dirait donc qu’il nous faut aller aux mêmes endroits, intervint Laurinda, Angie a cassé le nécessaire de potion de Lyra.

— Ah, toi aussi, soupira Jude avec considération.

Lyra haussa les épaules à son tour.

— Aussi aimables entre sœurs qu’entre frères, philosopha-t-elle.

— Tu m’en diras tant… marmonna-t-il avec un demi-sourire.

— Hmm, fit songeusement Laurinda. Jude, pourrais-tu me rendre un service, s’il te plait ?

— Tout ce que vous voulez, madame, répondit-il un peu surpris.

— Pourrais-tu accompagner Lyra dans ses commissions ? Vous allez plus ou moins aux mêmes endroits, ainsi tu n’auras plus à souffrir de la solitude. J’ai rendez-vous dans le Quartier d’Ivoire et je dois encore passer à la mercerie. J’aimerai terminer tout cela au plus vite.

— Oh, euh, bien sûr ?

— Merci, Jude, sourit Laurinda. Donnons-nous rendez-vous au salon de thé de Mme Fraîcheur dans deux heures.

Jude eut tout juste le temps de reprendre le sortilège de lévitation engagé par Laurinda avant qu’elle ne passe la porte en coup de vent. Le carillon résonna une éternité avant qu’il ne reprenne ses esprits.

— On dirait que tu es coincé avec moi, lança malicieusement Lyra.

 Le jeune homme se passa une main sur le visage.

— Je n’arrive pas à savoir si j’en suis ravi ou déconfit, avoua-t-il en ramenant ses cheveux en arrières.

Lyra haussa les épaules.

— Vois le bon côté, tu auras tout le temps de te plaindre de tes frères et des courses à faires.

Jude réfléchit un instant et parut satisfait.

— Ça me va, décida-t-il. Quels livres te manquent encore ? questionna-t-il en se penchant sur la liste.

— L’Encyclopédie des fées et autres êtres extraordinaires, Le petit guide des herbes, racines et champignons enchantés et Potions et remèdes, lut-elle.

— L’encyclopédie est juste dans le rayon voisin, lui indiqua-t-il. Potions et remèdes est … là, ajouta-t-il en délogeant un livre au-dessus de leur tête. Quant au petit guide des herbes, il se trouve un peu plus loin dans l’allée.

— Au fait, que regardais-tu tout à l’heure ? demanda-t-elle en se penchant pour voir.

Jude lui barra aussitôt la vue.

— Rien d’important, éluda-t-il avec un sourire un peu forcé avant de la conduire le plus loin possible.

Derrière lui, elle parvint tout de même à lire Mille et un usages du philtre d’amour, ensorcelez votre moitié, ce qui la fit sourciller.

Bizarre, Jude ne s’intéresse pourtant pas beaucoup aux potions, encore moins à ce qui touche à ce genre de philtre. Lyra y songea un moment, mais s’abstint de poser la moindre question. L’expression embarrassée de Jude l’intriguait grandement mais elle sentait qu’il ne lui répondrait pas.

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Lora-Rose
Posté le 07/01/2025
Un chapitre avec pas mal de choses que je n'ai pas compris.
" Leur amitié avait perduré jusqu’au collège et même lors de l’examen d’entrée pour Aubelune où Jude avait rapidement eu une réponse favorable. Lorsqu’il le lui avait annoncé et que Lyra s’en été réjoui, il s’était contenté de hausser modestement des épaules." --> la
Lora-Rose
Posté le 07/01/2025
Dsl bug !
Donc, dans l'extrait, tu dis qu'ils sont restés amis jusqu'au collège et même lors de l'examen d'entrée. Ils ont arrêté de se parler après le collège et se sont retrouvée à l'examen d'entrée ? Ou sont ils restés en contact ? De plus, tu dis " Est-ce que j’ai oublié notre rendez-vous du vendredi ?" Ce qui fais penser que c'est hebdomadaire mais, après, elle dit "La dernière fois qu’ils s’étaient vu, ses boucles n’aurait jamais pu être noué en catogan". Les boucles n'ont pas poussé en a peine une semaine ? ( Sauf si ils ont un sortilège ). Des incohérences dans le contexte temporelle je trouve. Je les voyais aussi plus jeune, pas à l'université en tout cas.
Sinon, un bon chapitre.
Lunatique16
Posté le 10/01/2025
Coucou et merci pour ton commentaire !

Et oui, en effet c'est assez flou, mais pour faire simple : ils sont amis d'enfance mais comme ils sont de caste différentes il aurait été plus logique qu'ils s'éloignent à leur entrée au collège magique, mais ils ne l'ont pas fait.
Donc ils ont toujours été en contact, d'ailleurs Jude a passé de nombreux Noël chez Lyra.
Désolée pour l'incompréhension, je relierai ça attentivement.

Encore merci et à bientôt ! ^^
blairelle
Posté le 02/01/2025
Ooooooooh c'est meeeuuugnon
(plagiat Luna Lovegood avec le livre à l'envers ?)

Je ne m'attendais pas à ce qu'ils aient déjà 19 ans. (D'ailleurs, s'ils sont adultes, en quoi est-ce étonnant que Jude ne soit pas accompagné par sa mère ?)
Donc Angie a 11 ans si je sais compter ? Elle me semble carrément immature pour son âge.

"elle avait vu, plus que comprit, les répercussions" => compris
"Lyra n’avait pas bien comprit pourquoi elle devait abandonner ses jolies robes pastel" => idem
"La Librairie des Merveilles, qui était jusque-là le rendez-vous hebdomadaire de Lyra et son père où ils passaient leurs après-midis à lire des livres qu’ils ne pourraient jamais acheter dans le petit coin lecture de la boutique, se transforma en sanctuaire lumineux, loin du chagrin et des larmes." => pas de coquille mais je trouve cette phrase inutilement longue
"En faisant abstraction des cordes qui le retenait" => retenaient
Et à quoi bon des cordes si on a la magie ?
"Je n’arrive pas à savoir si j’en suis ravi ou déconfis" => déconfit
Lunatique16
Posté le 02/01/2025
Re-coucou !
Et non, pas plagiat, grosse inspiration plutôt ! En fait, le personnage de Lyra est très inspiré de celui de Luna.

Pour ce qui est de l'âge, beaucoup ne semblent pas le comprendre tout de suite, mais oui, ils sont dans leur dix-neuvième année et Aubelune est un peu comme une université magique privée, d'où la lettre et la bourse (en fait j'ai imaginé cette histoire en mode post-Poudlard). Je le pensais assez clair à cause de l'entête de la lettre, mais peut-être que je devrai préciser le therme université, à voir...

Jude fait parti d'une famille assez huppée et sa maman aime bien tout contrôler, à minima il devrait être au moins accompagné d'un valet, c'est l'usage, devrais-je le préciser ?

Côté Angie, elle a 10 ans, si mes calcules sont bons, elle rentrera au collège magique l'an prochain.

Encore merci pour les coquilles, je corrigerai ça !

A bientôt !
blairelle
Posté le 03/01/2025
Oui je pense qu'il faudrait préciser qu'ils sont adultes + l'usage du valet
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