Chapitre 4 : La princesse

Patience était morte. Elle s’était repliée dans un coin de sa toile et, quand un insecte s’y était pris, n’avait pas bougé. Elle n’avait plus bougé.

Conan fixait son petit corps recroquevillé, à peine visible au milieu de la saleté et de la pénombre. Peut-être allait se réveiller, qui sait ? Il ne voulait pas rater ça.

La porte frêle de la mansarde s’ouvrit, projetant un souffle glacial à l’intérieur. Feolan essuya sommairement ses bottes et referma rapidement. Il s’approcha de la couche sans un mot et déposa comme chaque jour un bout de pain, une purée de panais et de l’eau sur son rebord.

— Ça va pas mieux ?

Sa voix brisa le silence serein que Conan avait installé autour de lui. Il frissonna mais laissa son regard accroché au plafond.

— Je te trouve apathique, ces derniers temps.

Il ne reçut aucune réponse.

— Au moins tu n’essaies plus de me tuer.

Feolan soupira.

— Qui est Asha ?

Conan sursauta.

— Ah, j’ai touché un point sensible. Je t’ai entendu prononcer son nom dans tes cauchemars.

Des prunelles brûlantes vinrent le frapper.

— Alors, qui est Asha ?

Un silence tendu passa.

— Bon, je reviens demain.

Feolan fit demi-tour. Sa démarche était sèche. Alors qu’il attrapait la poignée, Conan délia les lèvres.

— Asha…

Le Sylvien se figea.

— Asha, c’est la cause de tout.

— De tout ?

— De tout.

L’archiviste le détailla.

— D’accord, finit-il par lâcher avant d’ouvrir la porte.

Le froid. Vif. Puis le retour de la solitude.

Patience était morte.

 

*

 

Feolan rentra le menton dans son écharpe. Il adopta une démarche féline dans les rues mal famées. Des types d’apparence patibulaire le suivaient du regard. Ils n’allèrent cependant pas plus loin. L’archiviste rejoignit avec soulagement son quartier. Il ne tarda pas à retrouver la chaleur de son foyer.

— Tu es encore allé le voir.

Aquila tapa de son pied sur le sol. Les enfants étaient couchés, c’était donc le bon moment pour une engueulade.

— Oui, je ne vais pas le laisser mourir de faim.

— Il n’aurait que ce qu’il mérite.

Feolan se débarrassa de son manteau de son écharpe en évitant le regard de sa femme.

— Ce n’est pas à moi ni à toi de le décider.

— Livre-le à la justice, alors.

— Je ne peux pas faire ça, il connait l’existence de mon peuple.

Elle claqua sa langue contre son palais.

— Et donc tu le chouchoutes et le nourris à nos frais ? Alors qu’il a essayé de te tuer ?

— On en a déjà parlé.

— Oui, et je ne comprends toujours pas.

— Tu comprends, tu n’es simplement pas d’accord.

— Bien sûr que non, bordel !

Il voulut attraper un verre d’eau, elle lui saisit le bras.

— Tu savais qu’il avait tué des gens ! Mais tu l’as ramené ici ! Ici, Feolan ! Au milieu de nos enfants !

— Je n’étais pas sûr de sa culpabilité.

— La bonne blague.

— Il avait prononcé le mot « sylvien », je ne pouvais pas le laisser au milieu de la rue.

— Donc tu as emporté un tueur en série chez nous en comptant sur le fait que je sois trop intéressée par son armure pour poser des questions ?

— …

— T’es un putain d’enfoiré d’irresponsable, tu le sais ?!

— Je sais.

— Et ça te choque pas plus que ça ?!

— Si, mais je ne peux pas m’en empêcher.

Elle leva le poing. Il eut un mouvement de recul. Elle grimaça de rage avant de le rabaisser, tremblante.

— Dégage, grogna-t-elle. J’en peux plus de te voir lui porter son petit paquet de bouffe. Va le rejoindre, puisque tu ne peux pas t’en séparer. Le froid te fera peut-être revenir à la raison.

Il déglutit.

— Ma chérie…

— Dégage !

Elle attrapa une botte de rutabaga, son écharpe et son manteau, et les fourra dans ses bras.

— Dégage, répéta-t-elle froidement.

Il la dévisagea un instant. Puis, il enfila de nouveau ses vêtements, se saisit d’une besace dans laquelle il mit le rutabaga ainsi que des draps et de l’argent et ouvrit la porte. Il lui jeta un dernier appel muet, mais elle secoua la tête.

Il se résigna alors à affronter l’hiver.

 

*

 

Amaya fit crisser ses bottes dans la neige. Ce bruit étrange lui arracha un faible sourire. Elle ressentait une satisfaction étrange à marcher sur le grand manteau blanc. Cet instant de chaleur passa cependant bien vite. Son ventre la tirailla en une gêne presque douloureuse. Elle respira profondément pour chasser cette sensation désagréable.

Elle tapa ses chausses l’une sur l’autre pour en détacher les morceaux de neige. Elle n’avait pourtant pas fait un long chemin depuis sa maison jusqu’au temple, mais la poudreuse s’accrochait partout. Il avait encore neigé, beaucoup. Seuls les chemins de Lulla restaient praticables.

La pyramide était vide. Sulpicia, la seule prêtresse encore en état de remplir son rôle, se contentait de l’entretenir de temps en temps. Chaque habitant craignait la fureur des dieux face à ce trio clérical déchiré. Et à raison.

Amaya alla jusqu’à la salle de repos. Son cœur eut un sursaut quand elle vit Angelus assis sur sa couche, occupé à lire une tablette de cire. L’air calme qu’il affichait s’évanouit cependant vite. Il foudroya sa femme du regard.

— Ça… ça a l’air d’aller mieux, commença-t-elle.

Il ne répondit pas. Elle serra les poings.

— J’ai entendu dire que tu avais reparlé, ta mâchoire guérit bien…

Toujours ce silence. Il fixait la tablette comme s’il pouvait lui faire croire qu’il était absorbé par sa lecture. Elle vrilla.

— Angelus !

Son cri ramena le regard de son mari sur elle.

— Angelus, je suis proche du terme. Tu veux que notre enfant naisse au milieu d’une dispute ?

— Non…

Elle sursauta. Elle n’avait pas entendu sa voix depuis des semaines.

— Mmmais…

Il articulait difficilement.

— Mais tsu… tu es…

— Je suis ?

— Kr… tr… traî…

— Traître.

Il hocha la tête.

— Pas pa… pardon.. an… né.

— Tu ne peux pas me pardonner ?

Il détourna la tête.

— Mais pardonner de quoi ? s’énerva-t-elle. D’avoir une amie ?

— Mmo…

— Ce n’est pas une Maudite ! Combien de fois il faudra que je te le dise ?!

Les yeux du prêtre restèrent accrochés à ses genoux, bouillonnants.

— C’est toi qui l’a blessée, qui a failli tuer sa fille ! C’est toi qui as tort !

Des larmes de rage coulèrent sur ses joues.

— Angelus ! Regarde-moi !

Il n’obéit pas.

— Ça fait des semaines que je lutte ! Pour ne pas me dire que tu n’es qu’un assassin ! Un tueur d’enfants !

Cette fois il se tourna vers elle, troublé et furieux.

— Mais au fond je sais que j’ai raison !

Elle retint un sanglot.

— Tu n’as jamais été qu’un fanatique !

Sa voix se brisa. Elle se sentit ployer, s’appuya contre le mur.

— Je… je ne peux pas aimer un meurtrier…

Angelus se mit à trembler. Il voulut s’approcher d’elle. Elle le repoussa sèchement.

— Je ne peux pas, répéta-t-elle.

Elle fit volte-face et s’enfuit aussi vite que son ventre lourd le permettait. Elle le serra contre elle, rapidement essoufflée. Une douleur fusa dans son abdomen, mais elle ignora. Elle se rendit simplement compte que son mari ne chercha pas à la retenir.

Elle sortit du temple, le froid mordit les trainées de larmes sur ses joues.

Elle ne rentra pas chez elle.

Au lieu de ça, elle bifurqua vers l’écurie.

Elle sella un cheval, profitant que personne n’ose mettre le nez dehors par ce temps. Elle le monta. Agrippée à son crin, elle tenta de garder son équilibre avec son abdomen proéminent. Elle faillit basculer alors qu’une nouvel éclair de douleur agitait son corps. Mais elle tint bon et talonna sa monture.

La neige fut très vite un obstacle. Le cheval avançait péniblement, ses pattes s’enfonçant de plus en plus profond dans la couche de poudreuse. Mais Amaya le poussa en avant.

— Asha, appela-t-elle à mi-mots.

Le soleil fragile fut bientôt chassé par des nuages. Des flocons se mirent à danser autour de la jeune femme. Elle se frotta les mains pour se réchauffer.

— On peut y arriver, lança-t-elle à sa monture déjà épuisée.

Une sensation vint cependant la contre-dire. Une décharge qui traversa son ventre. Elle le caressa.

— Du calme…

Le cheval la mena tant bien que mal jusqu’à la forêt.

— On a fait la moitié du chemin, allez…

Elle se sentit inconfortable. Elle gigota sur la selle. Elle se rendit alors compte qu’elle était mouillée, au niveau de l’entre-jambe.

Le sang quitta son visage. Elle fourra la main sous ses vêtements. Ses bas étaient trempés d’un liquide transparent.

Une vague de douleur la percuta. Son cœur se mit à galoper.

Les flocons sifflèrent autour d’elle.

 

*

 

— C’est Dagmar ?

Le profil de Wilhelm frémit à peine, ciselé par la lumière de la fenêtre. Ses yeux parcouraient la tablette, alourdis de sourcils froncés.

— Oui, Dagmar.

Adhara changea de position dans le lit, mettant son corps en valeur. Il ne la regardait toujours pas.

— Il est très bavard, remarqua-t-elle.

— Oui.

Elle se pinça la lèvre.

« — Et le Wiccan, que donne-t-il comme nouvelles ? Il veut toujours que tu me contrôles ? » eut-elle envie de lancer. Mais elle n’était pas censée le savoir. Et elle n’allait certainement pas faire cette précision à son ennemi.

Son ennemi… ? Il n’avait pourtant rien tenté pour obéir au Wiccan. L’assemblée de nobles commençait à s’impatienter, et à raison. Quel mauvais pantin. Adhara ne savait pas exactement pourquoi le prince ne suivait pas les ordres de ceux qui avaient le pouvoir de lui refuser le trône. Était-il assez stupide pour avoir développé des sentiments pour elle ?

— Il me raconte chacune de ses journées, soupira Wilhelm en repliant la lettre. Son écriture est impeccable.

— C’est le parfait petit prince.

Son amant ne répondit pas, l’air sombre. Il n’était pas bête mais pas non plus doué pour cacher ses émotions. Il pensait aux votes que le Wiccan pourrait accorder au gentil garçon qu’était son frère. Adhara devrait tout recommencer si Dagmar devenait roi.

— Viens, souffla Adhara. Mange-moi un peu.

Il tourna enfin son regard vers elle. Ses iris ambrés qui brillaient parfois d’une pureté confondante. Il semblait trop doux pour les complots, pourtant il y participait activement. Elle devait se méfier de cette innocence, il n’était pas dans son camp. Ce camp qui n’était réservé que pour trois personnes.

— Il va falloir se dépêcher, fit-il, je suis attendu pour la cérémonie de bénédiction.

— Viens, ordonna-t-elle d’un ton plus ferme.

Il s’immergea dans ses bras tendus.

— Tu sais quoi faire, lui susurra-t-elle.

Il répondit pas un baiser, et, sans même laisser le temps de faire monter le plaisir, introduisit ses doigts en elle. Elle se cambra. Il la titilla un peu, puis se retira. Elle lui jeta un regard frustrée. Il lui rendit un sourire taquin. Elle passa à l’attaque jusqu’à ce qu’il se mette à gémir.

— Continue ce que tu as commencé, petit prince, dit-elle en stoppant brusquement.

Il s’exécuta avec une grimace.

Leur petit jeu de frustration et de plaisir ne dura cependant pas bien longtemps. Le soleil hivernale s’élevait dans le ciel, annonçant l’heure de la cérémonie. Ils durent se séparer.

— Pense à moi pendant la cérémonie, l’enjoignit-il, car je vais te sauter dessus juste après.

— Ce ne serait pas possible.

Il cligna plusieurs fois des yeux.

— J’aurai quelque chose à faire.

— Quelque chose ?

— Je suis servante ici, je ne chôme pas, moi.

— Ah.

Il ne la croyait pas. Pas si bête.

— À plus tard.

Elle disparut par une porte dérobée. Elle s’enfonça dans les couloirs des domestiques qui reliaient presque toutes les chambres du château à leur quartier. Le bâtiment semblait avoir été conçu pour faciliter les adultères.

Elle referma sur son visage celui de l’impassible Trürig. Elle croisa d’autres serviteurs affairés. La venue d’un Artrê à Elvett les faisait bouillir. Impatients autant qu’anxieux, ils couraient en tous sens. Adhara se glissa dans la masse pour accomplir quelques tâches. Elle était calme. Mais pas son cœur.

Elle avait peur de s’être trompée. D’avoir espéré en vain.

Elle lava et rangea des marmites avant de s’éclipser. Elle courut presque jusqu’à la coure où des trompettes annonçaient l’arrivée de l’invité religieux. Elle se cacha dans un coin, son pouls tapait ses tempes. Elle mit un temps interminable à revêtir une apparence de noble elvarrienne. Enfin, elle put émerger à la lumière et se glisser dans la foule.

Au bout de l’allée formée par la foule, devant la porte du château, Wilhelm et sa laideronne de femme attendaient, raides comme des piquets et tout aussi joyeux. Le roi ne faisait pas l’honneur de sa présence à l’Artrê, trop malade pour quitter sa chambre. Les poisons qu’Adhara avait glissé dans ses soupes n’y étaient sans doute pas pour rien.

En face des deux futurs monarques, une digne silhouette descendit de son char. Ses étoffes noires et or de la Trinité flottaient dans l’air glacial. Une longue cape brodée du triangle suprême chuchota sur le sol de terre battue. L’Artrê marcha solennellement jusqu’au couple royal, caché sous son voile. Adhara ne put rien distinguer de son visage.

— Bienvenue dans notre demeure, Votre Sainteté, l’accueillit Eldrid. C’est un immense privilège de vous recevoir.

— Je vous remercie. Je suis moi-même honoré de bénir un enfant de si haute lignée.

Sa voix n’était pas la même. La mue, sûrement. Adhara résista à son envie de se ronger les ongles. Tant pis, elle irait tenter le tout pour le tout.

Valerius Adrianus Trinitæ s’accroupit alors devant le ventre à peine arrondi de la princesse. Il posa une main aux doigts fins dessus. Le silence déjà épais se fit absolu dans la cour.

— Puisse le Père accorder à cet enfant toutes les bénédictions. Qu’il soit doté des valeurs des plus grands monarques : la sagesse, la fermeté, la bienveillance.

Il laissa planer une pause théâtrale. Adhara trépignait.

— Puisse le Sinistre épargner son âme tant qu’il demeurera dans le monde des vivants. Qu’Il reconnaisse son ascendance pure pour qu’il ne soit jamais souillé.

L’Artrê avait les cheveux noirs. C’était bien un indice, non ?

— Puisse la Mère porter l’enfant jusqu’au monde. Qu’elle lui accorde la vie, la santé, et le bonheur.

À ce dernier mot, un frisson sembla parcourir Eldrid. La pauvrette était presque en transe. La princesse fit un triangle avec ses mains et ferma un instant les yeux, perdue dans une prière fébrile. Lorsqu’elle les rouvrit, la foule se répandit en applaudissements et félicitations

— Venez vous attabler à nos côtés, proposa-t-elle à l’Artrê.

Il hocha la tête sans un mot de plus. Ils pénétrèrent ensemble dans le château, suivi par un Wilhelm impassible.

Adhara fit demi-tour. Elle retrouva l’apparence de Trürig et fit claquer sa robe en une course empressée. Elle monta quatre à quatre les marches qui la menaient aux plus hauts étages de la tour royale, jusqu’aux quartiers attribués à l’invité. Des servantes étaient occupées à enlever le moindre grain de poussière de la suite. Trürig se mêla à elles.

La jeune femme passa un temps interminable à récurer la chambre avant qu’enfin une des servantes arrive en courant.

— Sa garde personnelle est là, ils veulent inspecter la chambre avant qu’il n’arrive !

Les filles s’affolèrent, finissant de donner quelques coups de chiffons avant de se retirer prestement. Adhara suivit le mouvement mais ne descendit pas toutes les marches. Elle se laissa distancer par ses camarades avant de s’arrêter à un pallier. Elle se tapit alors dans un recoin d’ombre.

Fermant les yeux, elle prit de longues et amples inspirations. Elle saisit délicatement le peu de lumière qui l’éclairait pour l’orienter ailleurs. De ce fait, sa silhouette disparut contre la pierre grise, ainsi que la pâleur de son visage.

Les Prêtres Noirs ne tardèrent pas monter les marches de la Tour pour vérifier qu’aucun piège ou assassin ne se cachait dans les quartiers de leur commandant, lequel n’allait donc pas tarder.

Adhara eut le plus grand mal à maintenir l’illusion quand Valerius passa à son niveau. Elle se força à se calmer. Si elle se faisait prendre maintenant, cachée dans un recoin, on l’accuserait immédiatement d’être une tueuse à gages.

Elle attendit impatiemment que l’Artrê ait rejoint ses appartements et que la majeure partie de sa garde soit redescendue pour enfin bondir de marches en marches jusqu’à son étage. Sans surprise, elle avisa deux soldats qui campaient devant la porte. Il n’y avait pas d’entrée de domestiques dans ces quartiers, pour protéger justement des tentatives d’assassinat qui avaient dernièrement visé le souverain religieux. Il n’y avait qu’un seul accès.

Elle se pinça les lèvres. Elle pouvait redescendre réfléchir à un plan pour l’atteindre sans risque plus tard. Mais elle ne le ferait pas.

Elle se concentra. Ces deniers temps, elle avait perfectionné sa techniques d’illusion, mais tout autre visage que celui de Trürig était difficile à matérialiser. Elle revêtit les traits d’Eldrid et s’avança, rigide. Heureusement que c’était là une des caractéristiques de la véritable princesse.

— Je viens m’entretenir avec Sa Sainteté, déclara-t-elle en priant pour qu’ils ne connaissent pas assez bien la voix de l’Elvarienne pour la différencier de la sienne.

— Vous êtes ? fit l’un des prêtres.

Tiens, elle les avait surestimé, visiblement.

L’autre lui donna un coup de coude.

— C’est Sa Majesté Eldrid Elmardaut, grinça-t-il.

Le fautif se confondit en excuses et toqua à la porte.

— Son Altesse la princesse souhaite s’entretenir avec vous.

— Qu’elle entre.

Le cœur d’Adhara était sur le point d’exploser quand elle franchit la porte. Le bois claqua derrière elle. Ses poings serrés au bout de ses bras crispés la laissait pantelante.

— Qui y a-t-il, Votre Majesté ? s’enquit l’Artrê en farfouillant dans ses papiers.

— Val’.

Cette simple syllabe s’était étirée avant s’étioler dans sa bouche. L’illusion se froissa avant de se retirer. L’intéressé, lui, s’était figé.

— C’est moi.

Il pivota lentement. Ses yeux s’agrandirent au-delà de ce qui semblait possible.

— A… Ana ?

Elle hocha vivement la tête.

Elle fut alors presque renversée par une étreinte brutale et vibrante.

— Je savais que tu étais vivante, balbutia-t-il, je… je le savais…

Elle ne répondit pas, se contentant de l’enserrer de toutes ses forces. Il était là. Il ne l’avait pas oublié. Elle en aurait presque pleuré. Val, lui, ne s’en privait pas. Il n’avait pas tant changé finalement.

— J’aurais voulu partir à ta recherche… je suis désolé…

— Je ne t’en veux pas. Tu étais prisonnier. Viens t’asseoir.

Elle le guida doucement jusqu’au lit.

— Je ne suis pas simplement vivante, déclara-t-elle fièrement. Je suis sûre que tu as entendu parler de moi.

Il la dévisagea un instant.

— L’Étoile… comprit-il. C’est toi.

— Exact.

— Et tu as rallié les différentes Factions, dernièrement ?

— Tu es bien informé.

— Et toi tu es fantastique.

Il l’étreignit encore, puis se détacha d’elle pour la détailler.

— Je… tu as grandi tu es devenue…

— Une femme. Et toi un homme. Ta nouvelle voix est étrange.

Il s’esclaffa.

— J’ai compris que tu étais du côté de la rébellion, continua-t-elle plus sérieusement. Tu travailles avec mon père.

— « Avec », c’est un grand mot… Julius ne m’a pas prévenu pour toi.

— Il ne sait pas. Nous échangeons, mais je ne lui ai jamais révélé mon identité.

— Pourquoi ?

Elle haussa les épaules.

— Je voulais que tu sois le premier à l’apprendre, je crois.

Il se fendit d’une expression à mi-chemin entre le sourire et le sanglot. Elle lui prit la main.

— C’est incroyable, non ? s’enthousiasma-t-elle. Regarde-nous, les positions que l’on a conquises. Et nous avons le même objectif…

— … Chasser ta mère de son trône.

— Ensemble, rien ne nous est impossible !

— Je ne te savais pas si optimiste.

— Quand on veut gravir les échelons, il le faut bien. Maintenant, il ne me reste plus qu’une marche à grimper.

Il hocha la tête.

— Mon père ? s’enquit-il.

— Il s’appelle Bénen maintenant. Il est à Befestburg, c’est mon bras droit.

Valerio sourit encore.

— J’aimerais tant le revoir.

— Bientôt, mais avant nous avons beaucoup de choses à planifier. J’ai un plan pour faire basculer la population d’Elvarri de notre côté…

— Ana.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Est-ce qu’on peut oublier la rébellion quelques instants ? J’aimerais juste qu’on fasse une partie de rexorion, tous les deux.

Elle soupira.

— On ne peut pas. Ce serait trop louche qu’Eldrid reste dans ta chambre aussi longtemps.

— C’est vrai. Comment t’es-tu fait passer pour elle, d’ailleurs ?

— Je t’expliquerai. Pour l’instant, je dois partir.

Il la contempla longuement, effleurant le bord de sa joue du bout de son doigt.

— À plus tard, souffla-t-il.

— À plus tard.

Elle ressortit. Elle passa devant les gardes. Elle descendit les marches d’escalier.

Elle se sentait lourde et légère à la fois. Elle n’y croyait pas vraiment, en fait. C’était trop beau. Alors, elle ne se répétait comme un mantra.

J’ai retrouvé Val.

J’ai retrouvé Val.

J’ai retrouvé Val.

 

Et…

 

Nous allons conquérir le monde.

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