Après notre repas, nous étions revenus dans notre maison pour y déposer le seau, celui-ci était à nouveau rempli d'eau, il servirait pour les taches de la journée.
Nous retrouvâmes les moutons dans leur enclos.
J'en avais 94, et je les comptais religieusement tous les matins. Il arrivait que les loups m'en croquent un gentiment de temps à autre, alors il m'arrivait aussi de leur envoyer des mots d'amour avec mon arc.
Nous entretenions ce genre de relation épistolaire.
Ce jour-là, j’emmenai mes moutons brouter sur le versant ouest. J'aimais finir ma journée avec le Soleil. Observer le brasier qui s'éteignait à l'horizon, puis remonter la colline et redécouvrir les flambeaux du village. La lumière qui animait la vie, de jour comme de nuit.
Je trouvais un coin confortable pour m'installer et j'observais.
Je regardais mes bêtes manger paresseusement ; je remarquais que celle à l'oreille grise se frottait à ses congénères à la recherche d'affection ; les agnelets suivaient leur mère même s'ils n'avaient plus besoin d'elle pour se nourrir, l'habitude peut-être ; je suivais du regard ma chienne qui regroupait les brebis un peu trop curieuses ; une pie se posa non loin de moi.
Je la regardais, elle me regardait, je ne bougeais pas, elle ne bougeait pas.
Qu'est-ce qu'elle me voulait ? Je n'avais rien à lui donner à manger, et je n'allais pas me la servir pour mon quatre heures. Pour avoir déjà essayé la pie rôtie, je vous garantis que ce n'est pas fameux. Plus de plumes que d'os. Plus d'os que de chair.
Dans mon village natal, l'ancien disait que les pies servaient de montures aux fées, et que celles-ci nous volaient toujours quelque chose si l'on détournait le regard. Même cligner des yeux suffisait, alors on perdait ce qui était important pour nous.
Alors je continuais d'observer l'animal.
Elles sont jolies ces sales bêtes.
Noir sur blanc, ténèbres et lumière, charbon incrusté d'ivoire, le mal contre le bien, la neige mélangée à la cendre, présente été comme hiver, intemporelle.
La vie et la mort.
Quand j'étais jeune, j'avais essayé d'en attraper une.
Je l'avais amadouée avec du pain, elle était à quelques centimètres de ma main, et avant que je ne puisse réagir, elle s'était envolée. Je n'avais même pas réussi à la frôler.
Elle me vola même la clé de la remise. Pour se venger ou me narguer. Peut-être les deux.
J'avais dû la poursuivre jusque dans son nid, au sommet d'un bouleau. Je l'avais escaladé malgré les assauts de l'oiseau qui protégeait son butin. Ça a de sacrées serres ces bestioles-là.
Il est vrai que j'étais curieux de voir ce qu'elle gardait comme trésor.
Jamais je n'aurais pensé trouver un poignard dans le nid d'un oiseau. Il servait de support à ce dernier.
Je ne me rappelle plus des autres babioles qu'il y avait mais le poignard m'avait fasciné. Pourquoi l'avait-elle pris ? Et à qui ?
La garde était en acier trempé avec un pommeau ambré. Ce n'était pas un couteau de chasse. Peut-être celui d'un noble.
Je le pris en même temps que la clé. Et le nid tomba.
Je n'avais rien à me reprocher, voler à un voleur, c'est une juste rétribution.
« J'ai toujours ce poignard, il est accroché à ma taille. Et je le garderai jusqu'à la fin » dis-je à la pie.
Elle continua à me fixer pendant quelques secondes, puis elle poussa un cri et s'envola.
Tout de même, pourquoi s'était-elle embêtée avec un poignard ?
Avait-elle sauvé quelqu'un ce jour-là ?
Peut être voudra -t- elle se venger de monsieur solitaire (c'est comme ça que j'ai surnommé notre protagoniste 😁) à travers ses bêtes. :(
J'ai hâte de lire la suite !
Ce début d'histoire est vraiment, tu réussis un poser un rythme.
Merci pour le rythme, ça me fait plaisir =)
En ce qui concerne ce petit format, ça doit sûrement venir de mon addiction aux manga et à leur format de chapitres très courts. Je ne sais pas comment ça rendrait dans un livre mais sur un site internet ça passe très bien.
très intéressant cette anecdote sur la pie et le poignard, qui permet d'en apprendre un peu plus sur le héros et (peut-être ?) sur la suite de l'histoire ? (ça sent l'indice ^^)
J’aime décidément énormément ton personnage, à la fois bourru et à la recherche d’on ne sait quoi, rustre, dans l’action, solitaire et pourtant recherchant la compagnie en toutes choses. Son dialogue continuel avec les choses qui l’entourent et ne peuvent lui répondre, mais toujours accompagné de beaucoup d’humour et de rusticité me plaît énormément. ( Du moins, c’est ainsi que je le vois ! )
Les images que tu fais surgir et qui sont si proches du conte ( la majuscule à Soleil, toujours ) sont très belles et amorcent un univers complexe et plein de promesse.
Ce chapitre m’a encore énormément plu !
Juste, puisque je suis un peu mono maniaque sur certains accords ( tandis que les fautes fleurissent dès que j'écris : le paradoxe merci ) :
« Elles sont jolies ces sales bêtes.
Noir sur blanc, ténèbres et lumière, charbon incrusté d'ivoire, le mal contre le bien, la neige mélangée à la cendre, présente été comme hiver, intemporelle.«
= pluriel pour « présenteS » « intemporelleS » ? Car « elles » « ces sales bêtes » ?
PS: très jolies paragraphes comme bien d’âtres
Merci !
J'ai eu beaucoup de plaisir à écrire ce chapitre, ce fut mon préféré pendant longtemps, après j'en ai écrit d'autres =)
Il est assez paumé dans ce qu'il veut dans sa vie, mais il est très réfléchi ce personnage, ce qui lui pèse d'ailleurs...