Riton, c'était un jeune barbu massif, jovial et bon vivant ; alors il élevait des vaches pour leur fromage et cultivait des vignes pour faire du vin. Il s'agissait d'une piquette exécrable, la traiter de vinaigre serait une insulte à ce dernier.
Tout le monde en buvait, c'était le seul pinard que l'on connaissait. Lors de mes voyages, j'avais pu en boire des grands crus : Figeac, Saint Emilion, Château Neuf du Pape. Présentement, j'écoulais le restant de mes jours avec le détergeant de Riton.
Je ne regrettais absolument rien. J'aimais ce type.
Il était juste un peu... envahissant.
Il arriva avec son panier de victuailles. Il s’assit à mes côtés en sortant une bouteille avec deux verres, il s'en remplit un et me passa l'autre.
Nous festoyâmes en silence en surveillant les moutons. Ma chienne mâchonnait un vieux saucisson sec.
Riton, lorsqu'il est silencieux, ça veut dire qu'il se contient, s'il se contient c'est pour exploser d'un moment à l'autre.
Mais ce jour-là, comme d'habitude, il était heureux.
« Je serai bientôt papa ! » s'exclama-t-il avec son enthousiasme habituel.
« Toutes mes félicitations. » rétorquai-je rapidement dans l'espoir de changer de sujet.
« Merci ! Même pour ce sarcasme, merci ! » Il me regardait avec ses gros yeux qui me balançaient dans la gueule des étoiles filantes. « Je suis tellement heureux ! Aujourd'hui je dis : ''merci au ciel et à la terre !'' »
« Merci pour les nuages-couche-culottes et les rivières de pisse à venir. »
« Merci aux centaines de petits sourires sur sa jolie frimousse qui m'accueilleront tous les matins. »
« Merci aux milliers de braillements qui te réveilleront toutes les nuits. »
« Merci pour la voir grandir et la voir devenir une femme magnifique. »
« Merci pour la voir passer progressivement du maquillage, à l'alcool, puis au crack, avant de la retrouver dans la rue. »
« Et surtout merci à son parrain, qui s'en occupera et lui évitera tous ces malheurs. »
« Ah oui ? Et tu pensais refiler le cadeau poisseux à quel malheureux ? »
« À toi ! »
« ...? »
« ...!!!! »
« Alors là, tu peux aller te brosser. »
« Allez mon vieux, t'es comme un père pour moi ! Ou un grand-père ! C'est comme tu veux. »
« ... Et cela devrait représenter quelque chose ? »
« Cela fait en sorte que je te respecte. »
« Alors ne viens pas me pourrir la vie avec des emmerdes à retardement Riton ! »
« Elle te fera rire. »
« Uniquement si elle tombe et se fait mal. »
« Elle te fera grandir. »
« Ce n'est donc pas grave si je l'écrase en me levant le matin pour m'en servir de chausson ? »
« Elle te fera revivre ta jeunesse. »
« Mais quelle mauvaise idée, elle me servira de souffre-douleur. »
« Et tu pourras savoir ce que c'est d'être parent. »
« Mais arrête ! Arrête ! Ne parle pas de ce que tu ne connais pas ! Je ne serai jamais un père, pas plus que toi ! »
Il fut sonné pendant quelques secondes. Peut-être que j'y étais allé un peu fort... Je détournai les yeux en cherchant une excuse, mais il se reprit et me dit :
« … Qu'est ce qui fait que l'on soit un père, mon vieux ? L'amour et la joie que l'on donne au gosse ? La génétique ? L'avenir qu''on lui offre ? Moi je ne sais pas, c'est le gosse qui le sait. Et pour lui demander, il faut déjà l'élever et en prendre soin. »
« Foutaise ! Tous les gosses te diront avec le temps que c'est l'amour que tu leur donnes qui t'aura rendu père à leurs yeux. Alors que c'est parce que tu leur auras menti en leurs apprenant que tu es leur père. Ils n'oseront jamais dire l'inverse. »
« Au contraire, si un jour ils te disent que tu n'es pas leur père, c'est sans doute parce que tu en as été un très mauvais, ou qu'il s'agit d'adolescents. S'ils disent qu'ils t'aiment, c'est que tu en as été un au moins décent. »
« Tu peux aussi les brutaliser jusqu'à ce qu'ils te disent "Je t'aime Papa" à chaque fois que tu leur demandes. »
Il se tut pendant quelques secondes et frotta sa barbe, avant de décréter, l'air affirmatif : « Oui c'est vrai. C'est plus simple. Je ferai peut-être ça. »
« Et je promets que si tu touches sans raison à un cheveu de ta fille, je te tue. »
Au lieu de jeter un froid, ma remarque illumina les yeux de Riton et il répliqua du tac au tac :
« Et c'est pour ça que je veux que tu sois son parrain. Tu es peut-être bourru et grincheux, mais tu es une personne droite et honnête. J'ai confiance en toi. Maintenant n'en parlons plus et buvons au bonheur de la vie. C'est une occasion trop présente pour que l'on sache l'apprécier à sa juste valeur, alors fêtons la dès maintenant ! »
« Ça c'est une parole censée, passe-moi donc la piquette ! »
Il est juste un peu envahissant...mais des fois ça tient chaud.
Je reprend ma lecture avec plaisir.
Les dialogues sont savoureux, (surtout ceux du vieux) c'est dynamique comme passage, comme un échange au tennis. Qu'il n'y ai pas de descriptions ne me gène pas du tout. C'est juste un instantané de vie, brut, mais avec une certaine poésie
J’ai trouvé les réjouissances de Riton sur la paternité à venir trop drôles (merci pour les rivières de pisse à venir 😂). Je me suis un peu perdue dans leur débat sur être un père par contre >< ça m’a laissé l’impression que ce passage était moins maîtrisé, moins « en tension » que le reste du chapitre?
Hâte de découvrir la suite, le pauvre héros va voir sa retraite bien bouleversée je pense ...
Ce chapitre a été mon premier essai de chapitre tout en dialogue, il y a moins de description et je me suis amusé à jouer sur le rythme de Riton qui donne des raisons d'être heureux d'être un père et sur les arguments ronchons du narrateur.
Ça m'intéresse, qu'est ce que tu as trouvé moins travaillé ? Certains propos ou la tension du chapitre qui n'est pas la même que les chapitres différents, ou bien alors la dynamique générale qui ne précise pas qui est entrain de parler ?
Ha monsieur le solitaire a donc bien un gros cœur sous son veston râpeux !
Le personnage de Riton et sa relation avec le vieux est vraiment drôle et attachante et tous les deux forment un duo qui nous promet bien des aventures...
Encore un super chapitre, bien écrit, attachant et amusant.
J’ai juste été un peu perdu lors du dialogue :
« Merci pour les nuages-couche-culottes et les rivières de pisse à venir. »
« Merci aux centaines de petits sourires sur sa jolie frimousse qui m'accueilleront tous les matins. »
« Merci aux milliers de braillements qui te réveilleront toutes les nuits. »
etc...
J’ai mis un peu de temps à comprendre qu’il s’agissait d’un échange puisque ç’aurait aussi pu être de l’ironie de la part de Riton ( malgré la deuxième personnelle du singulier discrète ) ou des réflexions internes... Bref, ce n’est peut être que moi, mais peut être y a t il quelque chose à éclaircir pour être l’effet soit encore plus évident mais ce n’est qu’un mini détail.
Je vais de ce pas lire la suite !
« Riton, c'était un jeune barbu massif, jovial et bon vivant ; alors il élevait des vaches pour leur fromage et cultivait des vignes pour faire du vin. »
=== le « alors » qui induit la conséquence, un délice !
Pour l'échange j'avais peur de manquer de dynamisme si je précisais qui parlait à qui. Je comptais beaucoup sur le "je" et le "tu". Mais je vois ce que tu veux dire. Je trouverai bien quelque chose.
Tout le monde aura un nom dans la série, ce n'est que temporaire pour l'instant, patience =)