Sur le chemin du retour, Lauryne marchait silencieuse au côté de Samira, l'une et l'autre perdues dans leurs pensées respectives. Des papillons de nuit virevoltaient autour des lampadaires dont les faisceaux lumineux, clignotants pour certains, éclairaient les trottoirs. Mis à part une ambulance à la sirène stridente les dépassant vive allure, les alentours paraissaient paisibles. Quelques commerces encore ouverts à cette heure tardive abaissaient à présent leur rideau de fer. Les bribes du chant de l'appel à la prière de la mosquée du centre-ville pouvaient s'entendre jusqu'ici telles un écho lointain et poétique. C'était le début de soirée. Les gens rentraient chez eux retrouvés les siens après une dure journée de labeur. Lauryne s'imagina Iris l'attendant, angoissée, en bas de leur résidence. Pour une première journée, elle aura tant de choses à lui cacher !
— Cela a été dur pour toi et ta famille, après l'incident ? Demanda Samira de manière improbable, au détour d'une rue.
Surprise, Lauryne se tourna vers elle pour déchiffrer son expression mais son étrange interlocutrice, les mains dans les poches, gardait obstinément les yeux rivés au sol. Si on lui avait assuré, ce matin, qu'elle finirait sa journée en marchant clopin-clopant au côté de Sam La Furie, elle ne l'aurait pas cru une seconde. Mais, voilà, la vie et son sens de l'humour...
— Oui, finit-elle par dire ; car quitte à se laisser accompagner jusqu'à chez elle, autant combler le silence pesant en discutant ; “les premiers mois après mon renvoi, ma mère et moi sommes retournées vivre chez ses parents. Ce fut une période très pénible pour nous deux. N'étant pas en bon termes avec eux, on a décampé dès qu'elle a retrouvé du travail. Ma mère ne m'a jamais forcé à reprendre l'école publique. J'ai pu suivre des cours par correspondance un petit moment.”
Et, c'est comme ça qu'est née mon anxiété sociale. Songea amèrement Lauryne pour elle-même.
— Qu'en est-il de ton père ?
Lauryne ne put s'empêcher de grimacer.
— Je... Je n'ai pas de père. Enfin, je ne l'ai pas connu je veux dire.
— Bienvenue au club !
Le cynisme tangible de ses paroles la sidéra. Mais, se livrer ainsi, lui soulageait étrangement. Elle n'avait jamais raconté cette histoire à qui que ce soit. À la suite des précédents événements de cette longue journée, se confier ainsi à Samira lui semblait maintenant presque normal. Qu'elles le veuillent ou non, elles étaient liées à présent. Samira se racla bruyamment la gorge. Les mots qui lui vinrent paraissaient difficiles à dire.
— Je t'en ai voulu. Lui dit-elle, enfin. Ton visage était marqué au fer rouge dans mon esprit. J'ai cultivé ma haine attendant patiemment de te faire payer ça un jour...
Ses yeux verts la dévisageaient à présent, brillant d'une lueur qui lui fit froid dans le dos.
— Pour moi, tout était de ta faute.
Face à cet aveu, Lauryne laissa échapper un rire nerveux. Ce qui fit sourciller Samira, sans l'empêcher, toutefois, de poursuivre :
— Mais, pour Eileen, il en était autrement. Et le temps lui donna raison. Te rencontrer à nouveau aujourd'hui, m'a... déçue. Tu es aussi dépassée que nous, sinon plus.
— Eh bien, désolée de ne pas pouvoir te servir de punching-ball. Répondit Lauryne qui ne trouva rien d'autre à dire.
Ce qui — et Lauryne n'en crut pas ses yeux — fit décocher un sourire à son interlocutrice qui déclara du tac au tac :
— C'est bien vrai, ça... Vers qui diriger ma colère, maintenant ?
Colère ? Les mots de Samira permirent à Lauryne d'approcher la situation sous un œil différent. Ne s'est-elle jamais sentie en colère en contemplant sa condition ? Peut-être. Il est vrai que tout ceci était injuste. Ne l'avait-elle pas crié plus tôt dans la chambre d'Eileen ?
— La situation ne m'effraie plus qu'elle m'énerve. Confessa Lauryne.
En entendant ses paroles, Samira resta, quelques instants, silencieuse. Peut-être qu'elle aussi éprouvait de la peur mais était bien trop fière pour le dire à voix haute.
— Finalement, dit-elle au bout d'un moment, il n'y a qu'à Eileen à qui ça ne fait ni chaud ni froid, cette histoire.
— Ah oui ? S'enquit aussitôt Lauryne. Elle n'a pas peur ?
En repensant à la mystérieuse brunette, Lauryne songea en effet que ces réactions semblaient à l'opposé des siennes.
— Elle n'est pas en colère non plus. Répondit Samira le regard lointain.
Ni peur, ni colère... Comment était-ce possible ? Quiconque dans cette condition se serait senti bouleversé, perdu... Lauryne réfléchissait. Peut-être que ces soi-disantes visions, même si aléatoires, permettaient à la jeune fille de rester sereine. Après tout, avoir un temps d'avance sur les autres était certainement rassurant.
— Je me demande bien comment sa...capacité fonctionne. Murmura Lauryne.
— Ne me le demande pas. Soupira Samira. Elle a essayé de me l'expliquer une fois, ça m'a filé un mal de tête.
Lauryne pouffa malgré elle. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître en cet instant, en discutant ainsi naturellement sur un sujet qui lui avait toujours paru si obscur et source de crises, Lauryne se sentit, pour la première fois depuis sept ans, capable de sourire sincèrement.
— Je n'ai pas bien compris le tien, cependant. Dit-elle, sautant sur l'occasion pour en savoir plus.
— À vrai dire, moi non plus. Marmonna Samira en faisant la moue. C'est juste que dans des états de forte nervosité, mon corps ne me répond plus et se met à projeter ces... ondes. Pour l'instant, je n'ai encore blessé personne. Dieu merci !
Ah oui, cela viendrait certainement ternir sa réputation, déjà bien mauvaise. Lauryne se mit à observer son interlocutrice du coin de l’œil. Outre sa taille et sa silhouette athlétique, qui lui donnait déjà un air imposant, la jeune fille lui paraissait toujours aussi ... intimidante. Samira avait le charisme de ceux qui attiraient les regards sans avoir à parler. Ses yeux verts mariés à sa peau brune en plus de son incroyable chevelure y étaient certainement pour quelque chose. Mais, il émanait d'elle une aura prononcée, farouche, un peu comme un parfum enivrant couvant un je-ne-sais-quoi de toxique.
— Si je n'avais pas rencontré Yash, je crois que j'aurai sombré. Se confia soudain Samira.
— Yash ?
Lauryne fut surprise de constater l'expression timide sur son visage. Les prunelles vertes se mirent à étinceler. “C'est mon meilleur ami.” Elle avait affirmé ces mots avec une telle fierté dans la voix que la curiosité de Lauryne s'éveilla.
— Enfin, en plus d'Eileen, je veux dire. S'empressa-t-elle d'ajouter, un peu gênée.
Les minutes qui suivirent, Samira entama une longue description animée de son dit meilleur ami. “On se chamaille beaucoup en vrai mais je sais que je peux compter sur lui !” conclut-elle finalement. Lauryne ne put s'empêcher d'envier leur relation qui ne manquait pas de lui rappeler que sa vie sociale à elle était plus stérile qu'un désert arctique. Néanmoins, l'idée d'une Samira plus enjouée et souriante lui parut déconcertante. Après tout ce qu'elle avait appris sur la jeune fille en une seule journée, une question restait, cependant. ...Les rumeurs sur la Furie étaient-elles vraies ? Avant même de pouvoir formuler une question qui satisferait sa curiosité, une acclamation stridente, de l'autre côté de la rue, interrompit brusquement leur échange :
— LAURYNE ! OU ETAIS-TU PASSÉE ?!
Provenant de la pénombre, la voix familière signala à Lauryne qu'elles étaient arrivées à destination. La silhouette d'Iris apparut de l'autre côté de la rue et courut dans leur direction manquant de se faire écraser par un bus de couleur rose. À la vue de sa mère, Lauryne sentit ses entrailles se contracter. D'une certaine manière, elle s'était convaincue qu'elle aurait pu lui dissimuler les événements de cette si longue journée mais l'adolescente, face à l'expression d'Iris, se mit à regretter toutes les décisions qu'elle avait pu prendre jusqu'à maintenant.
“Calme-toi.” murmura la voix de Samira, toujours à ses côtés. Ce n'était pas le moment de disparaître, en effet.
À la surprise générale, Iris étouffa Lauryne dans ses bras. S'ensuivirent des remontrances mêlées à des lamentations l'embarrassant fortement. Dans la confusion, Lauryne crut apercevoir Samira les observer, une drôle de lueur dans ses yeux verts. Finalement, ce fut la voix rauque de cette dernière qui permit de mettre fin aux effusions maternelles :
— Bon, ben...à demain, Lauryne.
La jeune fille s'apprêtait à faire demi-tour quand Iris lui agrippa le bras, l'immobilisant. L'expression sévère de la femme s'évanouit alors que le visage de Samira se dévoila dans la lumière du clair de lune. Les yeux ronds, l'air ahuri, Iris dévisageait l'adolescente avec une telle insistance que la situation frôlait l'impolitesse.
— ...Aïcha ?
C'était maintenant au tour des deux jeunes filles de la dévisager, stupéfaites. Lauryne ne reconnut pas le visage de sa mère, tant son expression lui semblait hantée.
— Elle s'appelle Samira, maman.
Aucune réaction.
— Madame, puis-je récupérer mon bras ? S'efforça de demander Samira, visiblement de plus en plus mal à l'aise.
Lauryne se sentit bien obligée de les séparer par elle-même, allant jusqu'à arracher la main de sa mère du bras de Samira. Lui prenant par les épaules, elle la dirigea vers la résidence non sans avoir salué Samira au passage d'un geste embarrassé. Ce n'est qu'en traversant le hall d'entrée de l'immeuble qu'Iris sembla reprendre peu à peu ses esprits. “C'est impossible.” l'entendit-elle dire dans un murmure. Les traits de son visage paraissaient avoir vieilli d'un coup. Inquiète, Lauryne maintint ses mains sur ses épaules alors qu'elles montèrent dans l'ascenseur. Qui pouvait bien être cette Aïcha dont elle entendait le nom pour la première fois ? En pénétrant dans le vestibule, Lauryne constata que sa mère avait oublié d'éteindre les lumières. On entendait même le poste de télévision branché sur la chaîne d'informations. Penaude, la jeune fille s'imagina sa pauvre mère faire les cents pas en bas la résidence. Elle se détacha d'elle pour la regarder dans les yeux.
— Maman, tu as déjà mangé ? Je peux te préparer quelque chose juste après ma douche, si tu veux.
— J'avais commandé une pizza. Répondit Iris émergeant de son état prostré. Elle lui montra le carton posé sur la petite table de la cuisine. “Elle a dû refroidir depuis.”
Puis, comme se souvenant soudainement de qui elle était, elle se retourna vers sa fille l'air maintenant sévère. Lauryne s'arrêta de respirer. “C'est parti.”
— Que fabriquais-tu dehors à cette heure ?! Où étais-tu passée ? Non mais, as-tu seulement vu ta dégaine ?!
Lauryne expira, épuisée. La soirée promettait d'être longue. Mais sa mère, fraîchement éveillée, insista, évacuant sa colère et ses inquiétudes dans un accent créole de plus en plus prononcée :
— Je t'imaginais déjà parmi les victimes de l'attaque du port !
L'adolescente tilta.
— De quelle attaque, tu parles ? S'entendit-elle demander, en s'affalant sur le sofa en cuir.
Son pied cogna contre un carton datant du déménagement qu'elle ignora, préférant jeter un coup d’œil à l'écran de télévision où l'on voyait défiler des images de gyrophares clignotant d'ambulances entrecoupées par des témoignages de riverains.
— On a retrouvé plusieurs personnes inconscientes au port de Terre Sainte. Des pêcheurs. Commenta Iris en poussant le carton loin d'elles. Apparemment, personne n'a rien vu, rien entendu.
— Des gens sont morts ?
— Non, heureusement. Mais le plus glauque dans cette affaire, c'est qu'on a trouvé aucune trace de lutte sur leur corps. Mis à part quelques marques de brûlures.
Lauryne resta muette, les informations tournoyant dans sa tête. Le port de Terre Sainte se trouvait à quinze minutes en voiture depuis son lycée. Samira, qui était à pied, ne se dirigeait certainement pas vers le port. Et, Eileen était bien confinée chez elle. Elles devaient être aussi ignorantes qu'elle sur la situation. Sa mère la sortit de ses réflexions en claquant des doigts.
— À la douche, jeune fille ! Et que ça saute !
Cinq minutes plus tard, Lauryne se sentit revivre sous l'eau chaude. Elle y passa plus de temps que prévu. La mousse dégoulinant de ses cheveux, elle se remémora sa journée mouvementée. Sa perte de conscience. Sa conversation surréaliste avec les deux autres. Elle coupa l'eau.
“Et maintenant ?” songea-t-elle dans le silence de la petite salle de bains, uniquement troublée par l'égouttement de l'eau s'échappant de ses cheveux. Toute sa vie, elle n'avait fait que fuir sa propre personne. Qu'adviendra-t-il d'elle maintenant qu'elle partageait son secret avec d'autres personnes ? Pouvaient-elles prétendre à une vie normale ? Elle s'essuya frénétiquement, l'air absent. Le miroir recouvert de buée ne lui renvoyait qu'un reflet flou de son visage. Contrairement à ce matin, elle ne s'attarda pas à le contempler. Elle enfila un survêtement, un vieux t-shirt et sortit de la salle de bains, laissant la serviette humide sur ses épaules.
Dans le salon, la télé était désormais éteinte. Lauryne retrouva sa mère assise sur le sofa, le carton de tout à l'heure ouvert à ses pieds. Un étrange sourire étirant ses lèvres, Iris était plongée dans l'admiration d'un bout de papier. Une photo, semblait-il. La jeune fille trouva le moment plutôt inapproprié pour la contemplation d'albums. Elle se racla la gorge pour marquer sa présence. Sa mère sursauta avant de se lever précipitamment, glissant la pellicule dans la poche arrière de son pantalon. Trop maladroitement, cependant, car Lauryne vit la photo retomber sur le sol alors qu'Iris se dirigeait vers la cuisine.
— Allons manger. J'ai réchauffé la pizza pendant que tu te douchais.
Lauryne se pencha, récupérant la photo d'une main hésitante. L'image qu'elle découvrit ne fit que grandir sa confusion. Elle y reconnut sa mère, vingt ans de moins, ses cheveux coupés courts avec un jeune homme qu'elle n'avait jusqu'alors jamais vu. Ils se tenaient, enlacés, souriants. Le garçon ne regardait pas l'objectif. Son visage brun, incliné vers celui de sa mère semblait lui murmurer un secret à l'oreille. Ce portrait respirait l'innocence et l'amour de jeunesse. En regardant de plus près, elle reconnut le jardin de leur ancienne maison. Cet arbre, derrière le couple, elle se rappelait avoir passé ses temps libres à lire dans l'ombre de ses feuilles, enfant. Cet homme. Était-il ce qu'elle pensait être ?
Si c’est une blague, elle n’est pas drôle.
Il ne s'était passé qu'une seconde, entre les dernières paroles d'Iris et la découverte du cliché, pourtant, un raz-de-marée d'émotions s'empara du coeur de Lauryne, la paralysant sur place. Mille questions fusèrent dans sa tête, tandis que sa mère, inconsciente du choc qu'elle venait de provoquer, s'affairait à quelques mètres de là. Pourquoi était-ce la première fois qu'elle tombait sur cette photo ? Pourquoi Iris l'admirait-elle avec autant d'émotion ? Elle la revoyait éloigner le carton de ses pieds quelques minutes plus tôt. Cette découverte était le coup de grâce de cette journée sans fin. Elle, l'enfant docile, qui ne s'était jamais autorisé la moindre révolte, se sentit sur le point d'exploser.
Électrifiée par une colère aussi nouvelle que confuse, Lauryne se posta devant le carton et se mit à le fouiller sans ménagement. Mais, elle ne trouva rien d'autres qu'un vieil agenda jauni par le temps. Une forte exaspération se lisait à présent sur son visage quand elle releva brutalement la tête et croisa le regard d'Iris qui était revenue sur ses pas. Un simple coup d'œil avait suffi pour lui faire perdre son sourire.
— Qui est-ce ? Sonda Lauryne, d'un ton ferme.
Une ombre passa sur le visage de sa mère qui lui répondit avec une fausse désinvolture.
— Tu es bien curieuse, jeune fille. C'est un vieil ami du lycée.
Lauryne se dit qu'il valait mieux rester calme pour obtenir le plus d'informations. C'est pourquoi elle demanda, l'air de rien :
— Où est-il aujourd'hui ?
— Pourquoi tu veux savoir ça ?
— Parce qu'il me paraît familier.
Bien qu'elle bluffât, elle appuyait sur chaque syllabe de ce dernier mot ne lâchant pas sa mère des yeux. Celle-ci haussa les épaules. Si elle essayait de cacher son trouble, elle s'y prenait mal. Lauryne connaissait les expressions de sa mère par cœur et en cet instant, son visage traduisait une forte émotivité. La voix d'Iris sonna si faux quand elle reprit la parole que Lauryne se vit avoir de plus en plus de mal à contenir sa colère.
— Je t'ai déjà dit que j'ai été une adolescente un peu frivole dans le temps. Je ne connais pas ton père. Tous mes prétendants étaient bien trop jeunes pour assumer quoi que ce soit de toute façon.
Toujours cette même excuse.
Pourtant, Iris ne lui mentait pas. Elle l'avait effectivement mis au monde, jeune. Ses traits peu marqués par les rides, les documents de la mairie, tout ça était des preuves irréfutables d'une grossesse précoce. Malgré les remarques désobligeantes de ses grands-parents, Lauryne n'avait jamais ressenti de manque ou d'une gêne particulière dans la manière dont elle avait été éduquée. Qui plus est, sans présence paternelle. Elles n'avaient toujours été que toutes les deux et cela l'avait toujours paru naturel. Il lui était arrivé cependant de penser que sa mère aurait été plus heureuse avec une compagnie autre que la sienne. Mais, aussi loin que ses souvenirs remontaient, Iris n'avait jamais laissé approcher aucun homme. Avec le temps, l'adolescente avait appris à ne pas aborder le sujet. Elle en avait déduit qu'Iris n'était pas prête à oublier la relation avec son père quoi qu'elle fût. Elles auraient pu poursuivre leurs petites vies sans problème. Après tout, n'étaient-elles pas devenues, toutes deux, maîtresses dans l'art de se voiler la face ? Mais, elles étaient revenues sur cette île maudite ! Et, s'il y devait avoir une coupable dans cette histoire, Lauryne décida que ce n'était pas elle.
— Ce n'est pas plutôt pour dissimuler sa véritable identité que tu me sors ce prétexte à chaque fois ?! Explosa-t-elle.
Iris la regarda alors, interdite. Il y avait de quoi : elle n'avait pas l'habitude de voir sa fille s'emporter ainsi. La jeune fille la vit tituber en arrière, portant une main tremblante à sa bouche.
— Lauryne, non.
Sa voix était si faible qu'on eut cru à un simple gémissement. Lauryne n'en démordit pas pour autant. Les paroles d'Eileen lui revinrent même en mémoire. “J'ai déjà envisagé l'hypothèse génétique...” avait-elle dit.
Bouillonnante, Lauryne se décida d'attaquer autrement :
— Tu te rappelles cet incident au primaire ? La fois où on m'avait expulsée, moi, une simple gamine pour avoir traumatisé une cour entière d'enfants ! Parce que je m'en rappelle très bien. Surtout de ta réaction, à vrai dire. Tu ne m'as jamais posé aucune question. Jamais démenti les accusations qu'on me portait... à croire que TU SAVAIS que ça allait arriver un jour !
Elle crachait ses mots, devenue aveugle au désarroi de la femme en face d'elle. Des larmes coulaient maintenant sur leurs deux visages. La mère et la fille se dévisageaient comme si elles se voyaient pour la première fois, dans un silence assourdissant.
Ne supportant pas plus longtemps de la voir dans un tel état de détresse, la femme s'avança et enlaça sa fille dans un élan de tendresse. Lauryne s'écarta promptement en reniflant. Ses mots, étouffés par les larmes se firent accusateurs :
— M'as-tu seulement jamais parlé de lui, maman ?
Essuyant ses larmes d'un revers de main, et de l'autre, lui rendant la photo, Lauryne se dirigea vers la porte d'entrée. Laissant tomber sa serviette sur le sol et sans un regard pour Iris, elle sortit de l'appartement sur ces dernières paroles.
— Je n'en peux plus vivre dans l'ombre d'un fantôme.