Chapitre 4 : L'enfant perdue

Kurtis se leva à l’aube pour aller à son office. Depuis qu’Ealys avait eu son totem, ils habitaient tous les deux dans leur propre maison, juste à côté de la hutte des Arsalaïs. 

Le jeune garçon émergea au dehors, l’air frais lui arracha un frisson vivifiant. Il s’étira et contempla le spectacle du village qui s’éveillait. À part les Hekaours de patrouille qui se préparaient, la plupart de ses habitants dormait encore au milieu d’une nature qui commençait à chanter. Le doux magenta de l’aube se faufilait dans les feuillages et venait teinter la scène d’une lumière rosée. 

Kurtis adorait ce spectacle matinal. Pourtant, ce jour-là, une anxiété qu’il ne s’expliquait pas l’empêchait d’être joyeux. Il passa une main dans ses cheveux blonds pour les recoiffer nerveusement. 

La large hutte des Arsalaïs l’accueillit dans son atmosphère étouffante. La pénombre qui régnait, à peine gênée par une petite torche, brouillait les contours et désorientait les sens. La plupart de ceux qui y pénétraient étaient troublés et avaient parfois des hallucinations, mais Kurtis y passait tout son temps depuis ses sept ans et la connaissait par cœur. Il s’avança, pieds nus comme l’exigeait la coutume, jusqu’à une silhouette maigre assise en tailleur.

— Bonjour Moïa, lança-t-il.

La vieille femme ouvrit les paupières et lui sourit. 

— Bonjour mon enfant. 

Il s’assit face à elle. 

Moïa n’était pas son vrai nom mais celui de sa fonction. Personne ne se souvenait du nom qu’on lui avait donné à la naissance, et même si ça avait été la cas, personne ne l’aurait utilisé. Elle était Moïa, et cela suffisait à tous. Mais pour Kurtis, elle était aussi son arrière-grand-mère et son mentor. Il n’était pas son seul petit-fils, car Moïa avait eu beaucoup d’enfants, mais Ealys et lui étaient les derniers maillons de la chaîne des Arsalaïs qui descendaient d’elle.

Elle faisait un merveilleux mentor. Avec son aide, il apprenait à parler aux esprits et à guérir les maux comme sa mère et sa grand-mère avant lui, et ce malgré le fait qu’il soit un homme. 

— Un enfant a quitté nos terres, souffla soudain Moïa alors qu’il attendait les instructions du jour.

Sa voix chaude était lourde.

— Comment ça ?

— Un membre de notre tribu s’est éloigné de la Frontière. 

Kurtis sentit le rythme de son cœur s’accélérer. 

— Tu sais qui c’est ? s’enquit-il, anxieux.

— Un membre qui n’a pas de totem protecteur. 

Ses mains se crispèrent. 

— Asha, réalisa-t-il. 

Moïa hocha gravement la tête.

— Dépouillée de la protection de nos terres, elle court un grand danger. Le malheur pèse sur les enfants perdus de notre peuple. 

Il se passa une main dans les cheveux, fébrile.

— Elle n’aurait pas franchi la Frontière volontairement, si ?

— Si, j’ai senti à de multiples reprises qu’elle aimait traverser la Frontière.

Il lui jeta un regard effaré.

— Vous ne l’avez jamais dit à personne ?

— J’ai senti que je devais la laisser libre. Jusqu’à présent elle était restée proche, si proche de la Frontière que c’était comme si elle était toujours sur le territoire de la tribu. Mais cette nuit elle s’en est considérablement éloignée. 

Kurtis s’affaissa, l’inquiétude lui tordait les entrailles. Maintes histoires relataient le destin tragique de ceux qui se retrouvaient loin de leur terre…

— Il faut prévenir Aedan, qu’il lance une équipe de recherche.

Moïa hocha la tête et le jeune garçon se leva pour sortir précipitamment de la hutte. Il avait un mauvais pressentiment. 

 

*

 

Keira était assoupie, allongée dans l’herbe tendre au pied d’un bouleau aux feuilles chantantes. Elle sentait sur sa peau nue l’humus humide et les battements du cœur d’Oèn blotti contre elle. Cet instant doux régalait tous ses sens, et elle se prit à espérer qu’il puisse durer toujours. 

Mais la marche du temps était inaltérable. La voix de son père résonna un peu plus loin, appelant son nom. La jeune fille se redressa, confuse, percevant l’anxiété de son géniteur. 

Elle s’étonnait encore d’arriver à sentir aussi nettement les émotions de ses proches, les pouvoirs du totem étaient surprenants. 

— Je suis là !  s’écria-t-elle en réveillant définitivement Oèn qui marmonna dans sa barbe. 

Aedan apparut entre deux buissons. Il jeta à peine un œil au jeune homme qui se redressait précipitamment pour le saluer et planta ses yeux dans ceux de sa fille. 

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle, inquiète. 

— Je pensais que tu étais avec Asha, lâcha-t-il sans vraiment s’adresser à elle. 

Ses prunelles portaient une dureté rare et troublante.

— Oui… heu… désolée de ne pas t’avoir prévenu que je ne dormirais pas à la maison cette nuit… bégaya Keira. En fait je…

— Tu sais où est Asha ? la coupa-t-il sèchement. 

— Heu… non. P… pourquoi ? 

En même temps qu’elle posait la question, la réponse lui apparut. 

— Elle a disparu, fit Aedan. 

Oèn mit une main sur l’épaule de sa compagne qui venait d’avoir un hoquet. Keira sentit soudain une douleur cuisante lui déchirer la cuisse. Elle vit la nuit étoilée se refléter sur du marbre blanc, des cris diffus lui parvinrent. Elle tomba à genoux, se sentant comme engourdie. Elle eut l’impression de chuter dans un gouffre sans fond. 

Son père la prit par les épaules, la tirant de sa vision. 

— Asha… souffla-t-elle, elle s’est fait attaquer… 

Il hocha la tête, la rage enflait dans ses yeux bleu sombre. Kurtis apparut alors, essoufflé. Il n’eut pas besoin de demander pour se rendre compte qu’ils étaient déjà au courant. Keira tremblait. Quelle était stupide ! Si elle n’avait pas festoyé avec Oèn, elle aurait senti plus tôt la détresse de sa sœur. 

Aedan se redressa. 

— Je vais appeler mes meilleurs pisteurs, on part dès que possible. 

Il marqua une pause. 

— Il va falloir se préparer à être confrontés aux humains. 

La jeune fille mit une main sur sa poitrine frissonnante, au niveau de son cœur. Elle sentait le Lien qu’elle partageait avec sa sœur s’effilocher à mesure qu’elle s’éloignait. 

Une angoisse sourde la saisit.

 

*

 

En entrant dans la maison, Ottia jeta un regard réprobateur à son fils, affalé sur la table. 

— Combien de temps vas-tu rester prostré ? 

Il ne répondit pas et cacha son visage dans ses bras. Il ne voulait pas montrer à sa mère qu’il pleurait encore. Celle-ci soupira. 

— Je sais que c’est dur à encaisser pour toi, mais fais un effort ! Va te promener un peu, participe aux travaux, fais quelque chose ! 

— Laisse-moi, lâcha-t-il en un pitoyable gémissement. 

Sa mère le fixa un instant, les sourcils froncés. 

— Tu ne veux même pas rendre visite aux parents de Mona ? 

Il sursauta et releva la tête.

— Ils sont ici ?!

Elle eut un bref sourire.

— Oui, ils sont ici. Cela fait cinq ans qu’ils ont rejoint cette cité. 

— Tu crois… qu’ils me reconnaîtront… ? 

— Bien sûr, voyons. Allez, c’est la fin de la journée, je suppose que je peux t’emmener les voir. 

Conan hésita un moment avant d’hocher la tête et de suivre sa mère.

 

*

La patrouille de recherche partit au zénith. Elle était composée d’une dizaine de Hekaours, dont Aedan lui-même, Keira, Oèn, Artis et les meilleurs pisteurs : Aelig et Baharn. Ealys s’était portée volontaire pour les accompagner, ils avaient besoin d’un relais spirituel en dehors de leur territoire. Sentant leur cavalier nerveux, les chevaux piaffaient et frappaient le sol de leurs sabots. Le groupe partit dans un grondement de tonnerre.

Aelig repéra bien vite les traces de Flaé, ils comprirent alors qu’Asha s’était dirigée vers l’autel sacrificiel. Un frisson secoua Keira à cette découverte, les images du marbre blanc lui revinrent en mémoire, ainsi que celles du jour lointain où elle avait vu une petite fille se faire trancher la gorge.

Ils retrouvèrent Flaé non loin de la Frontière. Le jeune étalon courait en tous sens en hennissant, complètement affolé. Ses flancs trempés de sueur laissaient voir l’angoisse qu’il ressentait en ne retrouvant plus sa cavalière. Il se mit à suivre la troupe, sentant qu’elle avait été missionnée pour retrouver Asha.

Arrivés à l’endroit où la disparue était sortie du couvert de la forêt, les Hekaours se mirent à craindre que des villageois ne les voient. Ealys, seule, n’était pas capable de dresser un Voile suffisamment efficace pour tous les cacher. Ils durent attendre la nuit, fébriles. 

 

Le soir venu, en émergeant de l’ombre protectrice des arbres, Keira sentit un vertige la prendre. Des éclats frappaient son esprit, les yeux de sa sœur l’accompagnaient, lui lançant des visions, des sons et une douleur sourde. La jeune fille tremblait. Elle s’avança jusqu’à l’endroit précis où Asha avait perdu connaissance. Une petite statuette de bois représentant une danseuse avait été abandonnée sur le sol glacial. Tremblante, Keira la saisit. Le bois était doux sous ses doigts. Elle comprit ce que cette objet était censé représenter. Elle le serra contre son cœur et elle fondit en larmes. 

En sentant une main se poser sur son épaule, elle crut qu’il s’agissait d’Oèn. Mais c’était Aedan qui la contemplait de son regard dur. 

— Une guerrière ne pleure pas, souffla-t-il. 

Elle se dégagea avec humeur et il sembla se radoucir. Il porta ses prunelles vers l’horizon moucheté des lumières des villages humains. 

— On va la retrouver et la sauver, déclara-t-il. 

Il y avait la vérité dans sa voix. Une vérité absolue et indiscutable. Ils allaient la retrouver, c’était sûr. Rien ne pourrait les retenir. Keira se jeta dans cette croyance. Elle allait la revoir, la sauver.

Attends-moi, Asha

 

Ils avancèrent toute la nuit durant, mais le chemin qu’avaient emprunté les kidnappeurs d’Asha passait bien trop près des habitations. Aelig et Baharn furent envoyés sur le chemin, avec pour mission de définir le trajet de la disparue tandis que le reste du groupe prenait une route plus sûre à l’abri des arbres. 

Après cinq jours de chevauchée, ils parvinrent aux abords d’une forêt étrange. 

— Elle souffre, murmura Ealys en caressant un arbre. Regardez-la, c’est comme si on pompait toutes ses ressources. On dirait qu’on a coupé les racines de nos grands frères. 

Aedan avait le visage fermé, il hocha gravement la tête et décida qu’il était temps de se reposer. Ils bivouaquèrent dans une ambiance tendue, l’éloignement de leurs terres et la présence d’un ennemi impalpable se faisaient ressentir. Ealys médita ce soir-là, elle décela vite les relents rances des Maudits. 

— Ils sont là, ils habitent cette forêt, souffla-t-elle à Keira. Je sens l’influence des Porteurs de la Marque dans chaque brin d’herbe.

— Tu pourrais trouver leur repaire ? demanda la jeune Hekaour, le cœur battant.

La guérisseuse secoua la tête.

— C’est comme s’ils étaient partout et nulle part à la fois. 

Elles échangèrent une étreinte inquiète. 

— J’ai promis à ma mère de veiller sur vous trois, déclara résolument Ealys. Je ne laisserai personne faire du mal à l’un d’entre vous. 

Keira sourit d’un air triste. Le souvenir de la fratrie lui revint. Après la mort de Séla, les quatre enfants étaient devenus inséparables. Des jeux, des rires et des bêtises affluèrent dans l’esprit de la jeune fille. À cet instant, elle regretta de ne plus être une fillette collée à ses deux grandes sœurs. 

— Dormez, fit la voix d’Aedan dans la pénombre. La journée de demain promet d’être longue.

 

*

 

Ottia mena son fils jusqu’au centre de la Cité des ombres. La Tour dominait la ville, sobre et imposante. Elle avait plus l’allure d’un pilier que d’une résidence administrative.

— Ils travaillent pour la princesse ? s’enquit Conan.

— Tout le monde travaille pour la princesse, corrigea sa mère. Mais eux, ils ont un travail spécial. 

Elle l’invita à entrer sous le regard lourd des gardes, arborant fièrement l’étoile du mérite sur sa poitrine. Les couloirs de la Tour étaient sombres, le jeune garçon sentit la sueur couler le long de sa nuque. Il n’aimait pas cet endroit. Il n’aimait pas cette cité. Il voulait retrouver son village tranquille et sa meilleure amie. 

Ils empruntèrent un escalier sinueux pour descendre encore plus bas jusqu’à se retrouver dans un boyau noir. Il fallut un long moment à Conan pour distinguer les contours nébuleux de ce couloir au plafond bas. Le silence dominait dans le corridor, écrasant. Ottia s’avança prudemment, tenant son fils par la main. 

Un cri déchira soudain le calme des lieux et les fit tous deux sursauter. Le jeune garçon resta figé. Il avait reconnu au travers de ce hurlement désarticulé la voix d’Asha. 

Sa mère toqua à la lourde porte de bois. Après quelques instants, une femme lui ouvrit. 

— Ottia, quelle bonne surprise ! déclara-t-elle, ravie. 

Des cliquetis retentirent à l’intérieur, Conan avait l’impression de suffoquer. Un faible gémissement lui parvint. 

— On a bientôt fini, ajouta Melina. 

Elle aperçut soudain le jeune garçon. 

— Conan ! Ça faisait longtemps ! Tu as bien grandi, dis donc ! Un vrai jeune homme !

Elle le serra dans ses bras. Son mari apparut à la porte et eut un grand sourire. Il portait une sorte de tablier taché de sang. 

— Eh bah, fiston, Mona aurait été impressionnée de ta carrure ! commenta-t-il avec une tape dans le dos. 

Le jeune garçon ne répondait pas, les yeux fixé, exorbités, sur la porte qui laissait filtrer une lumière douce et des bruits de chaînes. 

— Ça va pas ? demanda soudain Melina en avisant sa mine. 

Il se mit à trembler. Le regard d’Ottia se durcit. 

Le sol sembla s’effondrer sous les pieds de Conan. Les murs se tordirent tandis que l’écho du cri d’Asha frappait ses oreilles par vagues. Il fut pris d’un vertige irrépressible. Il regarda les parents de Mona, le visage livide. Il était essoufflé sans avoir couru. Sans même s’en rendre compte, il s’était mis à pleurer.

— Conan ? 

L’air était empli de l’odeur du sang et de la peur. Il ne pouvait plus supporter d’être ici. Il fit volte-face et s’élança vers les escaliers qu’il gravit quatre à quatre. Les genoux bringuebalants, il continua de courir jusqu’à sortir de la Tour. Il traversa la place du Soleil, les rues qui l’entouraient, et se retrouva dans son quartier. Mais il ne s’arrêta pas là, il parvint aux limites de la ville. Là, face à une grande paroi de roche brune, ses jambes crièrent grâce et l’abattirent au sol. Il se recroquevilla sur lui-même et pleura longuement. Il voulait disparaître, s’enterrer, ne plus exister. 

Pourtant, quelques heures plus tard, il fut retrouvé par ses parents et grondé. Traîné sur le chemin du retour, il ne put que fixer de ses yeux vides la Cité des ombres et son allure usurpée de ciel étoilé. 

 

*

 

Depuis combien de temps suis-je enfermée là ? Des minutes, des heures, des jours, des semaines ? Une éternité ? 

Au début, mes sens semblaient avoir disparu, j’évoluais dans un marais de sensations diffuses, de paroles que je ne pouvais retenir, d’échos d’odeurs et de lumière. Mais même dans la brume qui s’agglutinait dans mon esprit, j’ai perçu la détresse de Conan, et cela n’a fait qu’amplifier la mienne. 

Puis, on m’a laissée sur une table de bois. Le brouillard s’est dissipé, rentrant sa langue duveteuse, laissant la clarté réveiller mes sens. Alors, je les ai reconnus. Le souvenir de leur humiliation, de leur fille se vidant de son sang m’est apparu clairement. Mais ils avaient bien changé. Leur regard était orageux, plein d’une haine qui m’assaillait, leur sourire était obscur. Je souffrais déjà de leurs yeux avant même de souffrir de leurs mains. 

D’abord les orteils à la pince. 

Je n’ai pas trop compris ce qu’ils voulaient, au début. Mais ils s’arrêtaient de temps en temps pour me demander un moyen de passer la Frontière. J’ai compris qu’ils voulaient faire du mal à ceux que j’aime. 

Ça m’a terrifiée. 

Ensuite le fer rouge sur le torse 

J’ai cessé de parler. Les mots n’existaient plus. Les cris animaux, les gémissements, les râles, étaient tout ce que je me permettais. Je ne parlais plus. Et ainsi, je protégeais mes proches. 

Je déteste le bruit de la pince qui claque, et celui de ma chair qui brûle. Je déteste les relents du métal chauffé à blanc. Je respire tant l’odeur du sang que j’en ai le tournis. 

Après, le poison d’une araignée. J’ai eu l’impression qu’on plantait une aiguille incandescente dans chaque pore de ma peau. 

Je les vois, avec leur regard fiévreux. Ils s’énervent sur mon corps. Ils ne comprennent pas pourquoi je ne cède pas. Ils me promettent le repos, mais je ne peux pas leur apporter satisfaction. J’ai oublié comment parler. 

Mes doigts sous le hachoir. 

J’ai oublié la joie, le rire, l’enthousiasme, le soleil, les étoiles. J’ai oublié la tristesse, la colère. Seuls la peur et la douleur persistent, encore et toujours. Elles reviennent me percuter avec violence, me tordre en tous sens, me noyer avec fureur.

Embourbée dans mon propre sang, je tente d’imaginer ma forêt natale, le visage de mes sœurs qui me sourient, celui, sévère, de mon père, celui, timide, de mon petit frère. Je tente de me rappeler la sensation que procure la caresse du soleil sur ma peau, et le chant doux des feuilles verdoyantes. 

Je les vois, en rêve, quand on me laisse un peu de répit. Mais les arbres sont morts, et le sol jonché de crânes. J’appelle, mais personne ne répond. 

Leur sourire. Leur haine. C’est pire que tout.

Ont-ils existé un jour, ces gens que j’aime ? Ne sont-ils pas un mirage que je me suis inventé ? De quelle couleur sont les cheveux d’Artis, déjà ? Et Keira, a-t-elle eu son totem ? Leurs visages se diluent, s’effilochent jusqu’à disparaître. Je fixe le plafond de la chambre de torture qui semble absorber ma conscience. 

N’ai-je pas toujours été ici, avec mes bourreaux ? 

N’ai-je pas toujours été seule ? 

 

*

 

Lohan évita avec souplesse l’attaque que lui portait son adversaire. Il répliqua et les bâtons sculptés en sabres se percutèrent avec un bruit sec. Bénen souffla, se dégagea et attaqua de nouveau le jeune homme. Ils se défiaient du regard autant que par les armes. Le conseiller de la princesse avait dépassé les quarante ans, mais il était toujours un excellent combattant. Lohan se retrouva en difficulté. Il était svelte, et les bras de Bénen frappaient fort. Après avoir de nouveau esquivé, il manqua de se faire désarmer. La rage de vaincre le prit.

Les ombres se densifièrent et s’agrandirent sur le terrain d’entrainement. Elles s’élevèrent du sol et emprisonnèrent momentanément les pieds de Bénen. Lohan profita de l’ouverture et, aussi vif qu’un serpent, arracha le sabre de son adversaire et le poussa en arrière. 

Ce dernier se rattrapa comme il put, alors que les ombres vibrantes semblèrent vouloir le noyer. Lohan dut fournir un effort considérable pour qu’elles disparaissent. Le vaincu lui jeta un regard réprobateur. 

— Ce n’est pas comme ça que tu vas progresser, lâcha-t-il.

— Dans une vraie bataille, je ne vais pas me contenter de mes bras, répliqua Lohan.

Bénen fronça les sourcils. 

— Cette chose est dangereuse, fit-il avec un regard vers son ombre, tu ne devrais pas la laisser sortir. 

Le jeune homme serra les dents. Il se détourna du combattant qui se relevait et attrapa une chemise sombre. La spirale noire et large entre ses deux clavicules disparut sous le tissu. Il sentait sur sa nuque le regard brûlant de Bénen. Bien qu’ils s’entraînent ensemble depuis des années, ils n’avaient jamais réussi à s’entendre. 

— Arrêtez de vous chamailler, siffla Adhara en émergeant de la Tour qui jouxtait le terrain.

Malgré son ton acerbe, un petit sourire amusé soulevait ses lèvres charnues. 

— J’ai une nouvelle pour toi, lança-t-elle à son second. 

Lohan haussa un sourcil. La princesse s’avança jusqu’à lui de sa démarche ample, traînant sa longue robe blanche. 

— Je t’ai choisi pour être l’exécuteur de notre invitée spéciale. 

— La Sylvienne ? 

— Exact. 

Adhara eut un air de dégoût. 

— Melina et Caron n’arrivent pas à en tirer grand-chose, que des propos incohérents et incompréhensibles. Alors j’ai décidé que, tant pis, on se débrouillerait sans informations. L’exécution est prévue pour après-demain. 

Lohan sentit son cœur accélérer légèrement. 

— À tes ordres, dit-il en hochant la tête.

L’excitation perlait dans sa voix.

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Bleumer
Posté le 16/05/2024
Plusieurs petits détails intéressants: la première chose est que les Sylviens parlent des "humains" signifiant qu'ils ne se considèrent pas comme tels, ça semblait évident, mais ça m'a fait shboom là-dedans!^^
Secundo, comme évoqué précédemment, j'avais l'impression que la rencontre entre l'émissaire et les parents de Conan s'étaient passée très vite, mais les pisteurs sylviens mettent 5 jours à retrouver la trace d'Asha?
Tertio, Conan n'en veut-il pas un peu à ses parents leur traitrise? Il n'a pas l'air agressif? N'a pas l'air de demander ce qu'ils ont fait de son amie? et accepte de sortir pour voir les parents d'une fille morte il y a près de 10 ans qu'il a peut-être à moitié oublié...?
Aussi bien écrit que dérangeant, les parents de Mona quand ils revoient Conan: "Tiens, c'est le petit Conan! Oui, on torture ta copine comme des malades depuis plusieurs heures, mais sinon, ça va toi?"
Je me demande à ce stade si Asha même va survivre, elle semble si mal en point. Ce serait un sacré rebondissement qu'elle ne s'en sorte pas!
A voir.
Bleumer
Posté le 16/05/2024
Et au fait, Keira ne ressent pas la torture sur Asha? Un peu sélectif comme lien...?
AudreyLys
Posté le 18/05/2024
Eh oui, les Sylviens ne se considèrent pas comme humains ^^
Le voyage jusqu'à la cité des ombres a effectivement duré à peu près 5 jours, ce n'est pas la porte d'à côté (pour nous, pour eux les distances sont différentes).
Conan est dans un état de dissonance cognitive, de choc, d'abattement, il n'en est pas encore à la colère. Par contre il n'a pas oublié Mona, c'est un traumatisme pour lui.
Le Lien lui permet de savoir qu'Asha va mal, mais pas beaucoup plus. Surtout qu'Asha est dans un état de dissociation elle-même par rapport à ce qu'il se passe (comme c'est montré par le changement de narration et l'utilisation de l'italique). (et aussi les Sylviens ont moins de perceptions avec la distance, surtout quand ils sont hors de la Frontière, comme c'est sous-entendu avec le fait qu'Ealys serve de relais spirituel)
J'espère que ça apport des éclairements !
EmelineDony
Posté le 12/10/2021
Hey!
Je suis de retour pour te jouer des mauvais tours (non) ; j'ai enfin un peu de temps pour continuer de lire DE !

Même si ce chapitre est particulièrement angoissant / glaçant, à cause de ce que subit - ou va subir - Asha, je le trouve vraiment bien écrit. C'est très fluide, même lorsque tu passes d'un "point de vue" à un autre. J'ai été assez émue de lire et découvrir le lien "spirituel" entre les deux sœurs. Par contre, Conan m'agace un peu et je n'arrive pas à avoir de pitié pour lui.

Ça semble plutôt mal parti pour Asha et les Sylviens, j'espère cependant que les choses vont s'arranger.
AudreyLys
Posté le 12/10/2021
Hey ! Merci pour ton gentil com' <3
Pour Conan on me le dit souvent, et pour tout t'avouer ce n'est pas un drame si tu ne t'attaches pas à lui, ce n'est pas sa vocation !
_HP_
Posté le 21/06/2020
Coucou !

Sincèrement, je m'y attendais :( Mais c'est quand même pas bien à lire 😄🙁
Cette Cité des Ombres est très intrigante, inquiétante, elle complexifie encore plus ton univers que je ne le pensais ! C'est pas un endroit tout beau tout calme tout paisible, c'est super intéressant !
Bon, la famille, z'avez jusqu'à après-demain pour venir sauver Asha ! Fin, évidemment, je me doute que ça va pas être siii simple :(
'Fin bon, toujours la même chose, bon chapitre, envie de lire la suite 😜

• "un marais de sensations diffuses, de paroles que je ne pouvait retenir" → pouvais
• "orageux, plein d’une haine qui m’assaillait, leur sourire était obscure" → obscur
• "celui, sévère, de mon père, celui, timide, de mon petite frère" → petit
• "Ne sont-ils pas un mirage que je me suis inventée ?" → inventé
• "Leur visage se diluent, s’effilochent jusqu’à disparaître" → "leur visage se dilue, s'effiloche" ou "leurs visages se diluent, s'effilochent" ^^
AudreyLys
Posté le 21/06/2020
Koukou !
Justement tu trouves que la partie en italique s'intègre bien dans le texte ?

Merci <3 tu avances vite dis donc ! ^^
_HP_
Posté le 21/06/2020
Oui, je trouve que ça s'intègre parfaitement ! ^^
(héhé jte l'avais dit 😜)
Alice_Lath
Posté le 07/05/2020
Oh, eh bien, un sacré chapitre en effet. J'aime beaucoup cette rébellion trouble, loin d'être parfaite, qui porte des valeurs ambivalentes. Bon, pour le coup de la torture d'Asha, jm'y attendais un oilp huhu, j'espère juste que sa famille va réussir à la sauver à temps. Même si j'ai tendance à penser qu'ils vont se faire capturer par les humains et que l'un d'entre eux va parler et que tout le monde va y passer. Quoi, je suis pessimiste? Okaaaaay, j'avoue, mais l'ambiance prête à penser à ce genre de choses héhé
AudreyLys
Posté le 07/05/2020
Tu as raison d'être pessimiste...
Keina
Posté le 25/09/2019
Je ne trouve pas qu'il y a du melo dans ce chapitre, du tout ! Cest assez inquiétant cette cité des ombres... J'ai l'impression qu'il y a beaucoup de rancoeur et d'incompréhension entre les peuples. Pourquoi les sylviens demandent aux humains de sacrifier ceux qui sont marqués d'une spirale? Quels sont les pouvoirs de la spirale ? A suivre...
AudreyLys
Posté le 25/09/2019
Ah cool tu me rassures^^
J’espère que les réponses apportées dans les chapitres suivants seront claires, c’est un monde très complexe que j’ai du mal à expliquer en me mettant à la place du lecteur.
Oui, à bientôt ^^
cirano
Posté le 25/08/2019
Et bien c'est un chapitre glaçant ... il reste très compréhensible et fluide malgré les nombreuses voix. Je trouve juste que la scène de torture est un peu trop gentille (oui les mots sont mal choisis :/ ) et en lisant je n'avais pas vraiment l'impression qu'Asha souffrait vraiment (mais bon c'est peut être juste moi qui ais un problème ^_^' )
Je trouve ça aussi bizarre qu'on puisse avoir accès sans problèmes la sale de torture d'une prisonnière aussi important (de ce que j'ai compris elle est importante )
Bon allé en tout cas il était très bien, je vais continuer ma lecture ^_^
AudreyLys
Posté le 22/09/2019
Pouloulou mais j'avais pas vu ton commentaire !
j'ai l'impression que tu aimes quand on décrit bieeeeeen la souffrance, tu m'as fait la même remarque pour l'exécution. XD
C'est cool que la pluralité des narrateurs ne rende pas l'historie confuse, c'est un des défis de livre pour moi.
Bon bah, merci pour ta lecture et ton com' en retard !
cirano
Posté le 24/09/2019
Haha xD c'est vrai je m'était pas fait le réflexion xD C'est juste que pour moi quand tu évoque la torture dans une histoire, ou une exécution c'est quelque chose de très marquant, et peut être que j'ai l'impression que le récit ne s'attarde pas assez sur des éléments aussi violents xD Mais bon ça c'est complètement subjectif comme avis ^_^'
Et de rien ne t'inquiète pas pour le retard ^_^
AudreyLys
Posté le 24/09/2019
Bah pour moi j’en ai fait assez XD c’est vrai que c’est très subjectif. Après la gravité de ce qui se passe se voit aussi par la réaction des personnages et ce que ça va entraîner en terme d’intrigue.
^^
cirano
Posté le 24/09/2019
Alors n'ajoute rien ! C'est ton roman et tous les avis ne sont pas bons à prendre. Et pour ce qui est de la gravité tu as complètement raison, c'est un aspect que j'oublie souvent de prendre en compte ^_^'
El
Posté le 22/08/2019
Conan.... comme Sorryf, il me laisse un peu de marbre. Mais en même temps, je peux comprendre. Par contre, il ne doit pas se sentir comme le pire des cacas à l'heure actuelle ? Parce qu'il n'a pas eu la force de s'opposer à ses parents, Asha est devenue un blob de douleur et... Il a livré sa seule amie ? Argh, comme il doit s'en vouloir et se haïr. Le passage du point de vue d'Asha passe tout seul pour moi, il ne fait pas tâche. Il met en lumière les horreurs qu'on peut faire par vengeance, et que la solution choisit par les ancêtres d'Asha n'était pas du tout la bonne . J'ai d'ailleurs toujours trouvé ça assez égoïste. Pour que les uns vivent, ils ont imposé la mort aux autres. D'un point de vue moral, on est pas ultra haut ;-;
AudreyLys
Posté le 22/08/2019
C'est pas très grave s'il te laisse de marbre, du moment que ça te t'ennuies pas et que tu comprends. Oui il s'en veut, il s'en veut terriblement.
Oui c'est totalement égoïste, mais les ancêtres d'Asha faisaient face à l'extermination de leur peuple, alors ils n'allaient pas être tendres.
Merci pour ta lecture et ton commentaire^^
El
Posté le 23/08/2019
Au final, c'est la marque d'un problème : aucun des deux parties n'a eu raison, et n'a raison. De rien, c'est toujours un plaisir de commenter ! ^w^
AudreyLys
Posté le 17/09/2019
^^
Sorryf
Posté le 22/08/2019
Pardon pour le mélo ? T.T Ce n'est plus du mélo à ce stade c'est du gore T__________T
Bon, euh... en occultant le passage en italique : bon chapitre ! j'ai beaucoup aimé comme les Sylviens s'organisent, l'expédition, le "relais spirituel" etc, j'ai vraiment beaucoup aimé cette partie

côté humains, Conan qui déprime me laisse de marbre maintenant. Je lui en veux trop.

et sans occulter le passage en italique :
T_______________________________________T
je veux paaaaaaaas lire des trucs comme ça ! je veux pas je veuxpasjeveuxpajevepaaaaaaa T.T Dans quel état ils vont la récupérer T.T
AudreyLys
Posté le 22/08/2019
Oui, c'est vrai...
Ah oui ? Pour moi c'était la partie la plus chiante XD
Conan... pour moi c'est les siennes les parties mélo

Ah oui... désolée c'est... comme ça. DE n'a jamais eu la vocation d'être une histoire joyeuse...

Sinon pour parler écriture, tu n'as pas trouvé bizarre le passage en italique justement, vu que c'est à la première personne et que c'est au présent/passé composé ? Ça s'intègre bien dans le récit ?

Merci de supporter mes histoires, bisous
Sorryf
Posté le 22/08/2019
Franchement... j'étais trop horrifiée pour porter un regard critique ! j'ai lu le plus vite que j'ai pu et possiblement sauté quelques lignes (et malgré ça, tout est gravé dans ma mémoire, merci beaucoup) T.T
Pour te répondre, l'intégration syntaxique du passage en italique ne m'a pas choquée... contrairement à TOUT LE RESTE xDD
ya une différence entre joyeux et hardcore T.T mais bon je te connais maintenant :p
AudreyLys
Posté le 22/08/2019
Ok ok
Chasser le naturel, il revient au galop :P
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