chapitre 4 Les couloirs

4/ Les couloirs

Ce matin commence mon intégration. On nous a appris que les Nourrisseurs sont chargés de fabriquer les gélules et bouillies de repas. J’avoue que je ne sais rien de plus. Leur proximité avec la Nature et la terre fait d’eux une caste peu enviée. Proche des maladies, des saletés et des miasmes de la matière organique. Pour trouver ma place dans la caste je vais devoir tester les différents métiers pour définir celui où je serais la plus utile. J’espère tout de même qu’on en est plus à planter des choses dans la terre ! Mon ignorance devant ce qui m’attend ne me facilite pas la tâche. J’aurais dû faire un peu plus attention lors de la visite hier.

Chez les recycleurs j’avais pour missions de dessiner les objets, machines à réaliser, pour aider à la conception. Bon ici je pense que dessiner des écrous ça ne va pas trop m’aider… J’ai beaucoup d’appréhension en rejoignant la salle commune pour le repas matinal. Malgré ma combinaison verte j’ai l’impression de faire tâche dans le paysage.

Tadi vient à ma rencontre et me présente à ses proches. Ils se ressemblent beaucoup avec leur peau mate sans la moindre zébrure, tâche ou fantaisie pigmentaire comme chez nous. Chez les recycleurs c’est moi qui me sentais différente avec ma peau laiteuse et mes cheveux roux.  Sous la bulle, de génération en génération, nous avons changé. Personne n’en parle vraiment ni ne s’y intéresse mais je vois bien que la plupart ont maintenant des pigmentations diverses. J’étais une anomalie parmi les miens avec cette peau si uniforme et pâle. Parmi les Nourrisseurs je me sens presque normale… en décolorée !

Je suis présenté à chacun et j’essaie de mémoriser leurs noms et leurs visages. Ils me semblent tous si semblable ! L’accueil est chaleureux mais je sais que je vais devoir faire mes preuves. Pourtant cela m’importe peu. La nuit m’a permis de réfléchir un peu à ma situation.  Il y a eu une erreur c’est évident ! Je ne devrais pas être là. C’est la seule conclusion plausible à laquelle je sois parvenu. Cette vie n’est vraiment pas pour moi. Mon truc à moi c’est l’imagination pas les plantations ! Plus le moment de franchir les portes de travail approche et plus mon angoisse monte et me tord le ventre. J’ai un mal fou à me concentrer sur les gens qui me saluent et je me contente de hocher la tête comme un automate. Je ne suis pas enfermée ici après tout et j’ai le pouvoir de déposer une requête auprès des tuteurs pour aller voir mes proches. Oui il faut tenir un peu mais c’est sûr je ne vais pas m’éterniser ici ! Lorsque je croise le regard interrogateur de Tadi je me sens fautive comme s’il avait pu surprendre mes pensées. Les yeux baissés, le masque sur mon visage et la capuche relevée personne ne peut deviner mon trouble à cet instant. Au fond de moi pourtant j’entends mes proches qui s’indignent : comment remettre en cause le système de l’affectation ! C’est un blasphème ! Le grand ordinateur ne se trompe jamais ! Et milles autres petites phrases dont on nous gave depuis notre venue au monde.

Je suis docilement Tadi jusqu’à la zone de travail. Il se dirige vers l’une des portes d’accès. Celle-ci est blanche, légèrement irisée. En son centre une sorte de gélule stylisée d’un vert pâle pulse doucement. Il y a ici aussi un protocole strict pour y entrer. Le scan de mon iris est indispensable. Je m’attends presque à ce que la porte se bloque mais le voyant passe au vert : je suis officiellement autorisée à entrer dans la zone des Nourrisseurs. Pleine d’appréhension et de curiosité je découvre de longs couloirs immaculés qui desservent une quantité impressionnante de portes sécurisées. Nous nous dirigeons à l’extrémité et Tadi actionne la serrure de la porte…. Du placard.

Je suis affectée à l’entretien du labo. Me voici devenue balayeur…

 

Les labos de conception ne sont pas du tout comme je les avais imaginés. Il semble y avoir surtout beaucoup de couloirs ici ! De longs, longs, longs couloirs blancs à laver et relaver encore... Piloter le robot ménager n’est pas le plus compliqué mais ce sont des heures et des heures d’ennui profond... Le seul avantage est bien d’être un peu seule. Bon s’il faut faire ses preuves en tout cas, ça c’est dans mes cordes. Il me suffit de parcourir inlassablement les quartiers de travail. Perdu dans mes pensées j’avance les yeux dans le vague quand tout à coup mon robot se bloque et refuse d’avancer. Bon qu’est ce qui lui prend à celui-là. Je l’éteins puis le rallume plusieurs fois en vain. Je m’énerve, le secoue, essai de le redémarrer encore une fois mais c’est un échec cuisant. Il ne se passe plus rien !  Je dois me résoudre à demander de l’aide. Je ne sais même pas ou je me trouve. C’est ce qui arrive quand on suit sans réfléchir un robot imbécile. Je pars à l’aveuglette dans une direction espérant trouver quelqu’un. Je marche depuis un bon moment mais sans trouver personne. Inquiète, je fini par retourner sur mes pas. Pas de chance je suis complètement perdue. Ses couloirs sont tellement identique impossible de reconnaitre mon chemin. Bravo ! J’erre encore longtemps quand je tombe enfin sur des gens qui sortent d’une des salles. Je les interpelle mais ils se détournent rapidement et verrouillent la porte. Je leur cours presque derrière quand une main sur mon épaule freine mon élan. Tadi se dresse devant moi. Il s’inquiétait d’avoir trouvé ma machine toute seule. Il a l’air fâché et je me sens bien ridicule face à tant d’incompétence de ma part. Je bafouille des explications pendant qu’il me reconduit à mon robot. Il écoute à peine et fait mine de repartir immédiatement après sa mission exécutée. Je l’arrête, j’ai besoin d’aide !  Ce robot ne marche plus !  Étonné, il s’avance et je lui montre ma déroute. Il prend ma place et lance l’appareil qui se met en marche instantanément… Alors seulement je remarque que j’avais bloqué le système avec mes pieds. Le robot programmé pour éviter les gens détectait mon pied et donc ne voulais pas avancer. Mes multiples allumages n’ont pas été très sains et il s’était mis en erreur. D’un sourire crispé je m’excuse. Il sourit légèrement et repars sans un mot. Ouf ! Quelle bêtise ! Ce premier jour est un peu stressant !

Les jours suivant j’évite les catastrophes et je dois bien dire que j’ai l’impression que tout le monde m’évite aussi. Les gens disparaissent dans les salles rapidement et m’échangent avec moi qu’un lointain salut de la tête. Du coup j’ai énormément de temps, seule et surtout du temps pour reconnaitre les lieux comme si de rien n’était. Plus question de se perdre ! Mentalement j’essaie de dresser une carte des accès. Petit à petit, chaque jour j’étends mon champ de reconnaissance. Je note aussi que certaines portes sont verrouillées avec des accès très limités. Certaines personnes cependant y entrent et j’essaie de les reconnaitre. Petit à petit mon envie de maitriser mon nouvel environnement se mue en envie de découvrir ses secrets. En vérité ce nouveau boulot est vraiment très monotone et je me surprends presque à regretter de n’être pas tombé chez ces Nourrisseurs inquiétants dont parlent les rumeurs. Les jours défilent et c’est le même ballet de travailleur en blouse blanche, les mêmes repas insipides et les mêmes couchers de soleil dans la grande salle. A la place de la grande aventure de ma vie c’est une déception. Ici pas de complots à déjouer ou de grande romance comme dans les vieilles histoires mais une vie différente et en même temps identique à celle que je connaissais. Je ne reconnais personne mais tout ressemble étrangement à chez moi. Etrangère parmi les miens ou nouvelle au sein de la famille ? Je me sens comme coupée de la réalité du monde. Tadi est mon seul point de repère constant, une ancre à laquelle se raccrocher quand il me semble avoir basculé dans une autre réalité. J’élabore des théories farfelues, des enquêtes policières, des secrets inavoués. Je redessine des mondes merveilleux sur les étendues blanches des murs, des engrenages poussent autour des portes et mes machines volent dans les couloirs inhabités. Mon esprit vagabonde sur cette vaste page blanche et la peuple de tous ses fantasmes. Bref je me fais chier.

 

La routine mortifère des jours est soudain bousculée. Des pas résonnent dans le fond du couloir. Je me fais toute petite et me cache dans un recoin. Deux hommes en blouse passent non loin. Je jette un œil rapidement : deux gars qui ont accès aux salles fermées. Ils discutent en me tournant le dos. Je me penche un peu plus. Que tiennent-ils dans leurs mains ? Il y a du sang sur leurs gants ? Je lâche un petit cri de surprise. J’ai l’impression que l’un d’eux m’a vu. J’ai peur et me rencogne contre le mur. J’attends en me retenant même de respirer. J’ai l’impression que tout le monde peut entendre mon cœur qui s’affole dans ma poitrine. J’attends que plus rien ne bouge et que les voix s’éloignent. Quand j’ose enfin sortir de ma cachette il n’y a plus personne. Je m’avance pour coller mon oreille contre la porte. Pendant longtemps il n’y a que le silence puis un sifflement étrange me fait bondir et déguerpir sur le champ. Je n’ai jamais entendu quelque chose de semblable et mon instinct me pousse à m’enfuir sans un regard en arrière. Il y a des fois où ma curiosité me joue de mauvais tour. Je retourne haletante à mon travail, le plus loin possible de cette zone effrayante. Voilà ma réponse à mes prières d’aventure. A l’avenir je crois que je vais m’abstenir.

 

Les heures suivantes je me fais discrète comme je sais le faire. C’est un soulagement de pouvoir regagner mes quartiers en fin de journée. Après une session de nettoyage intégral de mes vêtements et de mon corps je me sens mieux. Je continu de dessiner dans ma cellule afin d’éviter de penser à ce que j’ai vu ou cru voir et entendre cette après-midi. Il est plus sage de s’interdire de ressasser le présent. Une fois la peur endormie, la fatigue me saisit et me fait replonger dans la nostalgie du passé. Je dessine le visage souriant de grand père, mes amis, les inventions de Gérald. J’anime les images d’un geste et ils se détachent de la page et flottent doucement dans le vide. La tristesse est trop forte et je n’ose plus les regarder en face. Comme si j’étais coupable de les avoir abandonnés. Sans un adieu, sans une explication. Je les balaie d’un geste rageur et ils regagnent l’immobilité de la page. Pourtant je n’ai rien fait pour que cela arrive. Je suis douée chez les recycleurs. Le grand Ordinateur à dû se tromper ! Toute la tension de ces dernières heures me submerge et je me peux plus retenir mes larmes. Je pleure longtemps, sanglotant sur mon lit. Je pleure sur mon sort injuste, je pleure sur ma peur devant tous ces changements, sur la perte de mes amis et de ma famille. Je pleure même de ne plus revoir cette peste de Constance car enfin je pleure sur cette vie d’avant qui m’a été arrachée. A cette première vie que je dois oublier et qui s’efface peu à peu à mon corps défendant. Car oui je ne peux pas baisser les bras, le grand ordinateur m’a donné une mission. Une mission qu’il me faut accomplir. Une place que je dois saisir, que je dois réclamer et investir sous peine de rester seule et inutile, oubliée des miens. Oui c’est que me répète dans ma tête mon grand-père et les Passeurs de mon enfance : « Lié Assemblé Connecté, sous la bulle chacun a sa place destiné ». Telle est la devise des enfermés. Il me frappe alors que je n’ai même pas demandé quelles étaient les affectations de mes amis… Décidément je fais une piètre amie. Peut-être sont-ils même soulagés de s’être débarrassés de moi.

 

Une semaine passe sans que je revoie les hommes qui m’ont tellement effrayé. Je regarde discrètement lors des moments de restauration mais je ne les ai vu que trop peu de temps et je n’arrive pas à les reconnaître. Je me suis encore fais des idées, c’est le risque de vivre avec la tête dans les étoiles.

Je poursuis ma tâche en essayant de ne plus me faire remarquer.

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