Chapitre 4 - L'histoire de la vieille dragonne

Tout avait commencé un soir d’automne particulièrement pluvieux. Je n’étais qu’une petite dragonne, mais je me souviens de cette affreuse nuit. Chez nous on l’appelle encore la “nuit du cauchemar”. L’enclave étant proche du royaume des hommes, il y avait à l’époque toute sorte d’allers et venues autour du lac inférieur, et les vieux disaient que cela avait entrainé un changement dans nos automnes. Ils étaient devenus pluvieux et froids. Les autres saisons n’étaient pas concernées, mais les automnes se comportaient comme des mouches folles, disait mon grand-père à l’époque.

Toutes les maisons étaient éclairées, personne ne voulait sortir de chez soi. Les adultes avaient fait des provisions à la fin de l’été, la réserve de bois était haute, et les gardes manger bien remplis. Nous les enfants avions pour mission de veiller à ce que les seaux récupérant l’eau des fuites, soient vidés et remplacés avant de déborder. Tandis que je balançais à l’arrière de la maison mon dixième seau de la soirée, je regardais au-dessus de la barrière en bois qui séparait notre cour de la rue principale. Je n’ai jamais su ce qui avait attiré mon attention, mais la suite est gravée dans ma mémoire.

La pluie avait éteint tous les éclairages. C’est alors que j’ai vu apparaître des formes lumineuses. Qui, étrangement, me faisaient penser à des grenades trop mûres. J’ai d’abord cru à une hallucination à cause de la fatigue, mais après avoir posé mon seau, j’ai levé une patte au-dessus de la barrière, et j’ai pu voir se refléter ce rouge affreux sur mes bijoux. Les hallucinations ne font pas de reflets.

J’ai alors mis le seau contre la barrière pour m’en servir comme d’une petite marche, et j’ai tenté de comprendre d’où venait ces lumières. Je voulais être sûre de mon coup avant d’aller révéler ma découverte et surtout je ne voulais pas passer pour une idiote. Au moment où j’allais redescendre de mon seau pour aller dire à tout le monde “venez voir il y a quelque chose de pas banal là dehors”, j’ai entendu un cri affreux venant du haut de la colline, celle qui surplombe le lac inférieur. Un cri qui semblait venir de loin, et que l’on n’avait pas du entendre dans les maisons où la pluie étouffait tous les sons du dehors.

Une partie des formes lumineuses s’est envolée à toute vitesse en direction du cri. Celles qui étaient restées semblaient inspecter la rue principale, en voletant entre les maisons. Je faisais bien attention de rester cachée. Je les observais par un trou dans la barrière.

Je sentais mon cœur battre très fort, le comportement de ces lumières était très étrange. Elles semblaient parler entre elles, mais sans que je puisse entendre aucun son. Ma vue brouillée par la pluie, je tentais de mieux comprendre leurs mouvements. Quand j’ai vu une des formes se diriger vers ma cour, j’ai senti tout mon corps se figer, et le seau trembler en dessous de moi.

C’est alors qu’est arrivé de la colline, entourée par les premières formes et rejointes par les autres, une de ces créatures étranges qu’adorent les humains. Mais d’un genre que je ne connaissais pas, et trois fois plus grande que toutes celles que j’avais déjà vu. Le nom de ces créatures m’échappait sur le moment, mon grand-père me l’a rappelé ensuite, les humains les appelaient des chiens.

Il y avait donc cet énorme chien noir au milieu de la rue, ses affreux poils étaient si lisses que les lumières rouges se reflétaient sur lui aussi. Il y avait quelque chose sur son dos, une silhouette couchée. Il se mit alors à hurler vers ciel, et je compris que c’était le chien qui avait hurlé comme ça depuis la colline, mais cette fois-ci tous les voisins avaient entendu, toutes les portes s’ouvrirent autour de nous et toutes les lumières rouges se sont éteintes d’un seul coup.

 La créature, qui s’était arrêtée juste en face de chez nous, s’est alors couchée, et a délicatement fait basculer son dos pour déposer ce qui y était couché. C’était la jeune dragonne du nom de Brume, celle qui avait disparu au tout début de l’automne après la mort de ses parents. Tout le monde avait alors pensé qu’elle était partie pour vivre avec les humains, comme elle l’avait toujours souhaité.

 Et pourtant ce jour-là, on l’a retrouvée allongée sur le dos, avec le ventre plus rond que le jour de son départ. Dès son fardeau déposé, le chien gigantesque repartit vers la colline, pour se confondre avec la nuit, et on ne l’a plus jamais revu, ni entendu.

Dès que le chien quitta la rue principale, ma mère se précipita près de Brume, et cria « Elle est blessée ! Aidez-moi à la rentrer chez nous. »

Brume fut bien soignée par ma mère, la guérisseuse du village, qui fit passer le message à tout le monde qu’elle devait prendre beaucoup de repos, même si ses blessures n’étaient pas si graves. La jeune dragonne resta quelques temps chez nous. Elle parlait peu, semblait très préoccupée et n’avait qu’une idée en tête, partir avant d’avoir son bébé.

Un matin on trouva sa chambre vide et rangée, elle était partie sans rien dire à personne.

Dans l’enclave on parle encore de la nuit de son retour, parce que le lendemain tous les plus petits, qui dormaient au moment de l’incident, ont dit avoir fait le même cauchemar. Un cauchemar dans lequel un grand chien noir venait hurler au pied de leurs lits.

Quelques années plus tard, j’ai appris par un marchand ambulant, que c’était dans votre enclave qu’elle habitait. Je suis désolée d’apprendre que je ne pourrais pas aller la saluer, ou lui poser quelques questions, parce que depuis cette nuit personne n’a jamais su où elle avait été après la mort de ses parents, et comment elle avait pu faire pour arriver sur le dos de ce grand chien.

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