Chapitre 4 : L'orage

 

Les épées claquèrent, la vibration du choc se propagea dans les os des combattants. Conan sentit ses dents tressauter, mais il tint bon. Il se dégagea d’un geste vif pour venir frapper son adversaire au niveau des pectoraux. Celui-ci encaissa le coup non sans mal et répliqua. Mais il ne fut pas assez rapide et le jeune garçon parvint à glisser sa lame de bois sous sa gorge. Le soldat soupira et recula, son torse nu était recouvert de sueur.

— Bravo, tu as fait beaucoup de progrès, concéda-t-il. Tu as le niveau pour entrer dans l’armée.

Conan reçut le compliment sans un sourire. Il hocha la tête avec respect.

— J’ai eu de bons professeurs.

— Ouais, enfin t’es encore beaucoup trop coincé au niveau des pieds, lança Maxima qui avait observé le duel de loin. Face à un officier de Triliance tu ne tiendrais pas deux secondes.

— Alors apprends-moi.

Un sourire étira les bords brûlés de son visage.

— Ça suffit l’entraînement, dit-elle, j’ai d’autres projets pour toi. Va te changer et rejoins-moi aux écuries.

Le cœur de Conan s’emballa. Il alla rapidement s’habiller et courut presque jusqu’au lieu du rendez-vous. Il espérait qu’il ne se trompait pas sur les intentions de sa supérieure.

— Bonjour, lança-t-il au palefrenier qui lui rendit son salut.

Il marcha entre les allées de boxes nauséabondes.

— Maxima ?

L’obscurité s’épaississait au bout des écuries. L’air bruissait du souffle des cheveux et de leurs pas lourds sur la terre. Conan chercha la silhouette de la Porteuse sans la trouver. Il se tint aux aguets, les sourcils froncés.

— Maxima ?

Soudain, la lumière éclata dans les écuries. Le jeune garçon fut aveuglé mais ne se laissa pas surprendre et fit un bond sur le côté. Une lame d’acier passa à un cheveu de lui.

— Tu t’es amélioré, pleurnichard.

Les flammes se résorbèrent autour d’une cage de métal noire de suie où rougeoyaient des braises. Elle était tenue par des chaînes à la ceinture de Maxima.

Le chaos avait englouti les écuries. Les chevaux terrifiés ruaient et hennissaient dans leur boxe. Le palefrenier déboula, les yeux exorbités.

— Nan mais ça va pas ?! Vous voulez qu’ils cassent tout ?!

— Excusez-moi, mais a lieu ici un test de type chacal, répliqua Maxima d’un ton poli mais sec.

— Oui bah la prochaine fois, allez faire ça ailleurs !

Le palefrenier passa rapidement les écuries en revue et retourna à l’entrée de la bâtisse en maugréant.

— Un test de type chacal ? siffla Conan. Tu voulais donc vraiment me tuer ?

— C’est le but du test, te pousser dans tes derniers retranchements. Mais ne t’en fais pas, je savais que tu en étais capable.

Conan foudroya sa supérieure du regard mais ne protesta pas. S’il passait ce genre de test, c’était qu’il allait effectivement arrêter l’entraînement.

— C’est la procédure avant toute première mission, fit Maxima d’une voix plus chaude.

Son interlocuteur eut un sourire sombre. Ce n’était pas trop tôt.

— Bon, le test a été un peu gâché, mais on va dire que tu l’as passé. Félicitations, mon brave, vous êtes désormais agent officiel de la Faction Étoilée. Et je suis chargée de vous faire passer votre tout premier ordre de mission.

— Alors, je dois faire quoi ?

Maxima prit un air malicieux.

— T’emballe pas trop, tu vas juste servir de messager à des agents sur place. Tu vas porter un message top-secret et ramener la réponse, sans regarder bien sûr. Tu dois te rendre à Rivola.

— C’est pas la porte d’à côté !

— N’est-ce pas. Tiens, voici l’explication détaillée de ton itinéraire, avec tout ce que tu dois savoir, notamment sur ta couverture. Apprends-le par cœur et brûle-le avant de quitter la Cité des ombres.

— Je pars quand ?

— Le plus tôt possible. Ton cheval est déjà prêt en tout cas.

Conan saisit les papiers qu’elle lui tendait, les sourcils froncés.

— Tu sais bien que je ne sais pas lire, pourquoi tu me donnes ça ?

— Je vais te le lire, crétin. C’est pour ça que je suis là. Mais tu as intérêt à être bon élève, je ne suis pas très patiente.

Elle reprit l’ordre de mission et commença à lire à voix haute.

— Comment ça se fait que tu saches lire, d’ailleurs ? l’interrompit Conan. Avec ton accent, je pensais que tu venais d’un village sur la côte. Il n’y a que les prêtres qui apprennent à lire là-bas.

Maxima resta muette pendant quelques secondes, son regard devint plus brûlant que les braises qu’elle portait.

— De un, tu ne me coupes pas la parole, à moins que tu ne veuilles tirer un trait sur ta mission.

Elle marqua une pause, mais il ne s’excusa pas. Il la fixait en retour avec autant d’intensité.

— De deux, reprit-elle d’une voix plus hachée, je ne viens pas d’un village de la côte mais de Tessela. Et si je sais lire, c’est tout simplement parce que je suis la fille d’un riche marchand.

Conan ne réagit pas tout de suite.

— Toi, une bourge ?

— Et oui.

— Je n’y crois pas.

— Tu fais comme tu veux. Mais pour l’instant tu vas m’écouter et retenir. Je ne tolérerai aucune autre interruption.

Sa dernière phrase se fit acérée. Conan connaissait la limite et décida sagement de ne pas la franchir.

Il eut grand mal à retenir toutes les informations. Il n’avait jamais voyagé en dehors du trajet qui l’avait mené à la Cité des ombres, et Rivola se trouvait bien plus loin au nord-est, le long du fleuve Scilicet.

Maxima n’avait que peu de patience, ses braises crachèrent des flammes à plusieurs reprises. Mais Conan finit par réciter correctement les quatre pages de son ordre de mission.

— C’est pas trop tôt, commenta la Porteuse.

Elle lança le petit paquet de feuilles en l’air. Une gueule de feu s’élança et avala le papier qui fut consumé avant même d’avoir touché le sol.

— Bon, tu vas pouvoir y aller. Ne me déçois pas.

— Je réussirai.

Elle eut un sourire.

— Et fais gaffe aussi, pleurnichard, lança-t-elle en se retournant.

Conan la regarda disparaître au détour d’un couloir qui menait vers l’entrée. Fébrile, il se rendit jusqu’au fond de l’écurie où il trouva une jument grise apprêtée pour le voyage. Il savait à peine monter à cheval mais ne l’avait pas dit à Maxima. Il se débrouillerait. Il n’allait pas laisser filer cette opportunité. Elle était pour lui. Il pourrait monter en grade, gagner de l’expérience. Et bientôt, les missions qu’on lui confierait seraient d’un ordre plus sanglant.

Il talonna la jument et sortit des écuries, saluant à peine le palefrenier. Son cœur frappait sa poitrine plus vite que les sabots de sa monture ne frappaient le sol. Bien plus vite.

Malgré son enthousiasme, tous ses muscles étaient tendus à se rompre. Un frisson le parcourut quand il entra dans le tunnel d’accès sans un regard pour les lueurs de la cité. Il se rendit compte que ses mains tremblaient.

L’espace d’un instant, il crut entendre une voix susurrer à son oreille. La voix d’un fantôme. Mais il resserra sa prise sur les rênes, ses sourcils enfoncés sur ses yeux au point de cacher de leur ombre ses iris pleins de rage. Il chassa le spectre et guida son cheval vers la sortie déjà ouverte du tunnel qui déchirait l’obscurité de sa lumière éclatante.

Une lumière assassine.

 

*

 

Les vagues grisâtres s’écrasaient sur la grève en un concert infini. Les lumières de l’aube, encore timides, effleuraient à peine les tombes triangulaires. Un vent salé vint ébouriffer les boucles blondes d’Angelus qui se mirent à danser sur sa tête. Il ignora les bourrasques, les yeux fixés sur les noms de ses parents et de sa sœur gravés dans le marbre. Voilà seulement deux ans que la Grande épidémie était passée, fauchant un quart de la population de Pusilla déjà fragilisée par la famine. Deux ans qu’il tentait de se reconstruire une vie. Il était proche du but, désormais, mais cela ne le rendait que plus mélancolique. Il se demandait toujours pourquoi le Sinistre l’avait repoussé.

Des pas légers murmurèrent derrière lui. Une étreinte.

Il entoura Amaya de ses bras sans tenter de cacher ses larmes.

Ce départ était l’occasion de recommencer une nouvelle vie, pourtant il avait soudain l’impression de fuir, d’abandonner sa famille, de chercher à les oublier.

— Tu te trompes, souffla Amaya comme si elle lisait dans ses pensées, tu ne fuis pas, tu te donnes une nouvelle chance. Ils voudraient que tu sois heureux, pas que tu te morfondes.

— Tu as raison…

Il inspira. Sa femme le prit par la main et il la suivit entre les allées funèbres. Ils s’arrêtèrent devant la tombe de plusieurs autres personnes.

Seule rescapée d’un naufrage mystérieux, amnésique, Amaya n’avait pas de famille à proprement parler. Mais elle avait elle aussi perdu beaucoup durant la Grande épidémie.

— Tu sais…

Elle hésita à parler, il l’encouragea du regard.

— C’est horrible, mais… parfois je me dis que la Grande épidémie a aussi eu des aspects bénéfiques… nous ne nous serions jamais rapprochés si nous n’avions pas eu à affronter cette épreuve… Je sais, je ne devrais pas penser ça…

— Non, tu as raison. J’ai perdu beaucoup de choses il y a deux ans, mais j’en ai aussi gagné, je le reconnais sans honte.

Amaya enfouit sa tête au creux de son cou.

— On va reconstruire, tu vas voir, on va y arriver. Là-bas, on aura des enfants, on mènera notre vie loin des famines. Une nouvelle vie.

— Oui…

L’aube sembla jaillir soudainement, dessinant d’un rose nébuleux le contour des montagnes derrière lesquelles ils fonderaient leur famille. Cette vision fit naître de nouvelles larmes au coin des yeux d’Angelus. Après un long moment de contemplation, il tourna définitivement le dos à la mer et son crépuscule, au cimetière et au passé, pour faire face au jour qui se levait.

 

*

 

Keira saisit les mains de Kurtis dans les siennes.

— Tu vas me manquer, dit-elle.

Il eut un sourire timide.

— Toi aussi, vous tous.

— Combien de temps durera ta retraite ?

— Six lunes, c’est ce que prévoit Ma, mais ça peut varier…

— Pour Ealys, ça n’a duré que quatre lunes.

— Ealys est une femme. C’est plus difficile pour moi d’atteindre le niveau spirituel suffisant.

— Tu es aussi doué que les autres Arsalaïs, je suis sûre que tu peux y arriver aussi vite qu’elles.

Kurtis sentit le rouge lui monter aux joues.

— Me… merci, bégaya-t-il.

Sa sœur adoptive lui ouvrit ses bras et il s’y blottit avec gratitude.

— Six lunes tout seul… ça fait beaucoup, souffla-t-il. J’ai un peu peur.

— Tu en as parlé à Ealys ?

— Je n’ai pas eu l’occasion, elle a l’air tellement occupée, en ce moment…

— Kurtis ?

Ealys passa la tête par la fenêtre.

— Tu es prêt ?

Keira lança un regard appuyé au jeune garçon qui opina discrètement.

— Est-ce… est-ce qu’on peut parler un peu avant d’aller à la cérémonie ? s’enquit-il.

— Bien sûr, viens.

Il fut soulagé de déceler dans son regard cette tendresse qui lui manquait. Elle se faisait rare depuis la mort d’Asha.

— Comment tu te sens ? demanda Ealys alors qu’ils se promenaient entre les maisons.

— Je suis… stressé… j’ai peur…

— Peur de quoi ?

— Je ne sais pas trop…

— De te retrouver seul ?

— Oui enfin… des pensées qui pourraient m’habiter.

Ealys resta un instant muette, fixant l’émeraude de la forêt.

— Je vois ce que tu veux dire.

Elle soupira.

— Pendant ma retraite, je pensais tout le temps à Maman. Dès que j’essayais de méditer, elle apparaissait. C’était… difficile. Pourtant, ça faisait déjà quatre ans qu’elle s’en était allée, à ce moment-là.

Kurtis sentit les larmes lui piquer les yeux.

— Moi je pense déjà tout le temps à Asha… ça fait tellement mal…

— Je sais…

Ealys baissa la tête pour que ses cheveux cachent son visage.

— C’est mieux quand on a quelque chose à faire, pour s’occuper l’esprit…

— Mais je n’aurais rien à faire…

Elle redressa le menton pour le considérer avec chaleur.

— Si, je te l’assure. C’est difficile, mais une fois les pensées personnelles balayées, une fois que tu atteints la méditation, tu apprends peu à peu à te connecter au monde des Esprits comme tu ne l’as jamais fait auparavant. C’est une expérience incroyable. Certains parviennent même à dialoguer avec eux, il parait.

— Tu crois que j’y arriverai… ?

— Bien sûr, Ki. Je te fais entièrement confiance pour ça. Je crois en toi.

Kurtis chassa quelques perles au coin de ses yeux.

— Merci…

Elle l’étreignit.

— Je serai avec toi en pensée, souffla-t-elle.

Il se blottit contre elle. Il trembla quand , au bout d’un temps bien trop court, elle le repoussa doucement, au bout d’un temps.

— Il est temps, fit-elle doucement.

Ils rejoignirent Keira qui les attendaient devant la maison et se rendirent à la hutte des Arsalaïs. Moïa, Saoirse, Isbail, Daïré et Oanell les attendaient ainsi qu’une majeure partie de la tribu. Ealys se joignit à ses aînées tandis que Kurtis s’agenouillait au centre d’un cercle de bénédiction. Les six Arsalaïs dansèrent autour de lui, exhibant leur totem sur leur peau peinte et sertie de pierres. Moïa portait une biche sur le ventre, Saoirse une chouette effraie dans le dos, Isbail une abeille sur chaque bras, Daïré une chauve-souris sur les clavicules, Oanell un raton laveur sur le visage et Ealys un délicat papillon sur la joue. Kurtis se demanda quel serait son totem, où il se situerait, et ce qu’il représenterait. La deuxième question possédait déjà une réponse : sur l’épaule. Mais Moïa l’avait prévenu qu’il pourrait s’étendre sur le bras et le torse, voir plus loin.

Oanell aimait bien raconter que plus le totem prenait de place sur la peau, plus il était puissant. Pourtant, la biche qui parait celle de Moïa n’était pas très grande, elle bondissait au-dessus de son nombril, ses oreilles effleurant la poitrine de la vieille femme. Au milieu de cette danse, elle donnait l’impression de s’élever toujours plus haut. Kurtis la trouvait magnifique malgré les rides qui la striaient.

Lorsque la danse fut terminée, un cortège se mit en place pour l’accompagner jusqu’à sa demeure provisoire. Moïa menait la marche, suivie de Kurtis qui était entouré des autres Arsalaïs, puis de Keira et d’Aedan, de ses amis, et du reste de la tribu. La procession dura presque une demi-journée. Le jeune garçon était épuisé quand il découvrit la cabane que les Teacs venaient juste de lui construire. Elle était modeste mais avait l’air confortable, ce qui le rasséréna un peu.

Le cortège fit le tour de la maisonnette au son de la voix de Moïa qui chantait les paroles rituelles. Enfin, la troupe s’immobilisa face à l’entrée. Moïa, Ealys, Keira et Aedan vinrent déposer dans les mains de l’apprenti un objet qui leur appartenait afin qu’une part d’eux l’accompagne dans son voyage solitaire.

— Que les étoiles te guident vers l’Éveil, dit Moïa. Et que vienne à toi ton esprit protecteur.

Sur ces dernières paroles, la tribu repartit dans le même ordre. Ealys et Keira lui adressèrent un dernier regard avant de disparaître derrière les arbres.

Lorsque le chant des oiseaux couvrit totalement le bruit des pas de ses proches, Kurtis eut un pincement au cœur.

 

*

 

La pluie s’était abattue sur lui à mi-chemin. Depuis, elle le suivait sans répit.

Lohan guida son cheval au milieu d’un rideau aqueux qui semblait infini. Cela faisait longtemps que plus aucun de ses habits n’était sec, et il n’avait pas dormi depuis presque deux jours afin d’arriver au plus vite à destination. Une destination qui demeurait encore floue.

Il venait d’apercevoir le lac, marée grisâtre agitée de soubresauts, quand une nausée le prit. Il sut que ce n’était pas la sienne et parcourut le paysage indistinct du regard sans savoir dans quelle direction aller. Il sentait qu’Asha était proche, mais sa présence était diffuse tels les contours des arbres qui l’entouraient.

Lohan mit pied à terre dans l’espoir de repérer une trace et s’enfonça dans la boue jusqu’aux chevilles. Alors qu’il chassait une mèche dégoulinante de sa vision, il aperçut une grande silhouette sombre à quelques mètres de lui. Il dégainait aussitôt et fixa l’ombre qui approchait d’un pas lourd. Un hennissement qui ne provenait pas de sa monture lui fit baisser sa lame.

— Nuit !

Sa jument trotta vers lui en secouant sa crinière trempée. Il lui caressa l’encolure tandis qu’elle mordillait affectueusement ses cheveux.

— Où est Asha ? s’enquit Lohan.

Nuit caracola autour de lui, soufflant bruyamment en direction de l’autre équidé.

— Pourquoi je parle à un cheval, moi.

Il se passa une main fatiguée sur le front. Il reçut un coup qui le fit presque tomber.

— Qu’est-ce que tu fais ? râla-t-il.

Sa jument lui présenta son dos. Lohan hésita, mais une étincelle dans ses yeux l’intrigua. Il attrapa les rênes du cheval qui l’avait mené jusqu’ici et grimpa à crue sur sa vieille compagne. Nuit se mit aussitôt en marche. Elle prit rapidement de la vitesse, au risque de se tordre les chevilles dans les tourbières. Elle semblait savoir exactement où elle allait, il décida donc de la laisser faire.

L’animal longea une petite rivière qui alimentait le lac en direction des montagnes. Très vite, le cours se réduit à un ruisseau et la pente se fit plus raide. Le chemin était accidenté mais Nuit ne ralentit pas la cadence.

Lohan plissa les yeux lorsqu’ils arrivèrent dans une petite clairière. Il aperçut une cabane de bois adossée contre un arbre. Son cœur fit un bond dans sa poitrine, il sauta sur le sol.

— Asha ?

Il s’avança vers la bâtisse de fortune qui prit peu à peu des contours. Il entendait à peine le son de sa propre voix tant le martèlement de la pluie était fort.

— Asha ?

Une flamme vacillante était visible dans le foyer, luttant contre la pluie qui perçait au travers du toit.

Lohan perçut soudain un froissement de tissu. Il se retourna et sentit sur sa gorge la froideur d’une lame acérée. Il se tendit, la main sur son sabre.

Le bras pâle qui tenait la dague trembla un peu face à lui. Il reconnut les boucles aplaties par la pluie qui masquaient à moitié un visage piqué de taches de rousseur. Des lèvres bleuâtres tremblèrent.

— Lohan ? Dé… désolée, je ne t’avais pas reconnu…

— Asha, tu…

La silhouette de la jeune fille ploya soudain, un réflexe lui fit tendre les mains vers elle pour la rattraper. Il saisit ses épaules qu’il sentit brûlantes au travers de la fine robe qu’elle portait.

— Mais… tu as de la fièvre…

— J’ai attrapé froid…

— Dans cette tenue aussi…

Il la mena à l’intérieure de la cabane qui était à peine moins trempée que l’extérieur. Là, face au feu, le teint d’Asha se réchauffa. Ses yeux étaient néanmoins vitreux. Elle se recroquevilla sur elle-même en fixant les flammes.

— Pourquoi tu es venu ? s’enquit-elle d’une voix à peine audible.

— J’ai vu ta lumière décliner dans mon Sanctuaire… j’ai senti que tu n’allais pas bien.

— Ah…

Les lèvres de la jeune fille se soulevèrent légèrement.

— Tu arrives à sentir ça, c’est super… normalement seuls les Sylviens le peuvent.

Elle fut prise d’une quinte de toux. Instinctivement, il se rapprocha d’elle. Il remarqua alors que son ventre s’était arrondi. Un frisson le parcourut.

— Tu n’aurais pas dû partir toute seule, souffla-t-il.

— Je sais…

— Tu peux toujours rejoindre les tiens…

— Non !

Sa voix était cassée.

— Ça marche, tu sais, ajouta-t-elle plus bas. J’ai plus de pouvoir en étant morte que vivante.

— Si tu continues tu vas être morte pour de bon.

— J’ai encore huit vies.

— Asha…

— Je sais.

Un sourire mi-triste mi-amusé s’était dessiné sur le visage de la Sylvienne.

— Je ne voulais pas tomber malade, bien sûr, seulement je ne sais pas me faire de vêtements. Je suis en train de me confectionner un manteau en peau de lapin, mais ça prend du temps…

— Prends ma cape quand elle aura séché, alors. Dis-moi ce dont tu as besoin, je te l’apporterai.

Il suspendit son vêtement non loin du feu qu’Asha n’avait toujours pas quitté des yeux.

— J’ai besoin…

— Oui ?

— D’entendre la voix de quelqu’un d’autre.

Ses prunelles mouchetées du reflet des flammes se levèrent lentement vers lui.

— Merci d’être venu.

Une larme solitaire coula sur sa joue. Lohan se sentit terriblement coupable. Il maudit en silence le jour où il avait jeté sa lame contre elle.

Soudain, un grondement de tonnerre retentit au loin. Asha se crispa et ramena ses yeux sur le feu comme pour s’accrocher à sa chaleur bienfaisante. Le silence se lova entre eux, à la fois doux et plein de tensions.

L’orage enfla, grondant de plus en plus proche. La lumière blafarde des éclairs frappait l’air, éclatante et terrifiante. Nuit se plaça devant l’entrée de la cabane, les oreilles plaquées sur le crâne. Lohan tendit la main pour la rassurer mais un gémissement lui fit tourner la tête alors que le tonnerre s’abattait encore, plus fort que jamais.

Asha s’était tassée sur elle-même et pleurait doucement. Le jeune homme, après un instant d’hésitation, se blottit contre elle et passa un bras fébrile autour de ses épaules.

— Je suis désolée, souffla-t-elle, je déteste les orages.

Elle renifla et s’essuya les yeux, mais les larmes jaillirent de nouveau.

— C’est que… poursuivit-elle, les lèvres tremblantes, ma mère est morte pendant un orage…

Asha écarquilla les yeux sur les flammes dansantes, comme si une vision d’horreur s’offrait à elle.

— On était tous contre elle dans le lit… moi, Keira, Kurtis et Ealys… Moïa nous avait laissés, on était tout seuls pour la veiller… Les Arsalaïs étaient impuissants contre cette maladie.

Elle frissonna.

— Dehors, ça n’arrêtait pas de gronder, alors on avait la tête sur sa poitrine pour écouter son cœur qui battait si faiblement… Elle était maigre, si maigre… elle était inconsciente, elle avait l’air de faire des cauchemars, mais elle était trop faible pour remuer, elle avait juste cette expression…

Lohan regardait Asha, sentant sa tristesse imbiber son esprit. Il eut la vision fugace d’une chambre de bois plongée dans la pénombre. Il aperçut au milieu des draps et des cheveux, des yeux qui brillaient d’inquiétude. Il entendit, l’espace d’un instant, un battement tenu, à peine audible.

Il serra sa main autour de l’épaule de la Sylvienne.

— Puis, il y a eu un grondement tonitruant, bien plus fort que les autres, et en même temps, un éclair qui nous a aveuglés. C’est là, à ce moment précis, qu’on a tous senti le Lien se rompre… c’était comme si on nous avait coupés en deux à l’intérieur… Il n’y a qu’Ealys qui a compris, sur le coup, même si on entendait plus son cœur… Moi…

Les larmes submergèrent ses paroles et elle s’arrêta un instant, tremblante.

— Moi j’ai compris en voyant mon père débouler, trempé, échevelé, dans la maison… je l’ai vu dans ses yeux…

Asha reprit un peu contenance et secoua la tête.

— Je ne sais pas pourquoi je te raconte ça…

— Parce que tu en as besoin.

— Peut-être…

Elle semblait s’être calmée, même si elle sursautait à chaque rugissement orageux.

— Je pense beaucoup à elle, en ce moment… à ma mère, à mes mères… celle qui est morte en accouchant… et celle qui a guidé mes premiers pas… J’aimerais qu’elle soit là pour me conseiller… pour ne pas que…

Asha eut une inspiration douloureuse.

— Mais j’ai décidé que j’enfanterai seule, et je m’y tiendrai. Je me débrouillerai.

— Je t’aiderai. Dis-moi ce qu’il te faut, je ferai des aller-retours…

— Juste ta cape, ça suffira.

Elle releva la tête et lui offrit un sourire morcelé.

— Tu as déjà fait énormément en venant ici.

Lentement, elle baissa la tête et la reposa sur son épaule. Elle ferma les yeux.

Malgré la pluie, le tonnerre, et les battements rapides de son propre cœur, Lohan entendit nettement la respiration de la jeune fille prendre de l’ampleur. Elle s’endormit en quelques secondes.

Un peu tendu, il reporta son regard sur les flammes. Elles ondulaient, caressantes, l’arrosant de leur chaleur si douce.

Il ne se sentit pas glisser dans le sommeil.

Lorsqu’il se réveilla, la lumière du soleil déchirait les nuages. Asha s’étirait devant sa cabane. Elle se tourna vers lui.

Malgré sa pâleur, ses cernes, malgré la cicatrice qui lui ceinturait le cou, malgré l’épreuve qui se profilait sur sa silhouette, son sourire lui parut plus vivant que tout.

Alors, il sourit lui aussi.

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Bleumer
Posté le 30/05/2024
Ah la la! Elle m'agace un peu la Asha, même si c'est la chouchoute de tout le monde! On fait pas de camping quand on sait pas faire de camping!
Ma petite Asha, écoute Tonton Bleumer! Il y a une différence entre indépendance et inconscience. Il n'y a pas de honte à demander de l'aide! Tout ce que tu gagnes, c'est de mettre ta santé en jeu et celle de ton enfant. Maintenant, tu es raisonnable, tu vas te réfugier dans une vraie maison en te faisant passer pour une pauvre orpheline fille-mère ou je ne sais quoi au lieu de t'abriter sous trois bouts de bois assemblés à la va-vite. Rah! Qu'est-ce que tu ferais sans moi? J'espère juste que Lohan va rester dans le coin, sinon, elle va pas tenir deux chapitres de plus!
Après, tout le monde s'étonne de la confiance qu'on semble accorder, mais je ne peux m'empêcher de me demander si le message qu'on lui a confié est un "vrai" message ou juste un test pour vérifier sa loyauté.
La partie d'Angelus est toujours actuellement un ensemble de tranches de vie, j'ai hâte de le voir interagir avec les autres persos.
AudreyLys
Posté le 01/06/2024
Tu me fais rire x)
Tu te poses les bonnes questions pour Conan!
Merci pour ta lecture et ton com' ^^
Guimauv_royale
Posté le 24/08/2020
Coquilles

- Soudain, la lumière éclata dans les écurie
- Les cheveux (chevaux) terrifiés ruaient
- Conan saisit les papiers qu’on (qu’elle ?) lui tendait
- où il trouvait (trouva) une jument grise
- tous ses muscles était (étaient) tendus à se rompre
- quand il entra dans la (le) tunnel d’accès
- Mais il resserrait (resserra ?) sa prise sur les rênes
- de ses parents et de sa sœurs (sœur) gravés
- Lohan mit pieds (pied) à terre dans l’espoir
- normalement seuls les Sylviens (le) peuvent.
- - Prends ma cape, (j’aurais pas mis la virgule) quand elle aura séchée, alors.
- Ses prunelles mouchetée(s) du reflet des flammes
- on était tous (tout ?) seuls
- Les Arsalaïs étaient impuissant(s)
AudreyLys
Posté le 24/08/2020
Ok merci !
_HP_
Posté le 19/07/2020
Hi !

Mon coeur fond 🥺🥺 Asha et Lohan sont si choouuuus ♥ Moi j'dis, peut-être que... 😏🤷‍♀️ (sauf que y a Conan qui va débarquer à cet instant et tout gâcher 🙄)
J'ai hâte de savoir ce qui va se passer lors de la mission de Conan ainsi que lors du voyage d'Amaya et Angelus ^^

• "Une lame d’acier passa à un cheveux de lui" → cheveu
• "Les cheveux terrifiés ruaient et hennissaient dans leur boxe." → je crois que c'est "box" ^^
• "C’est la procédure avant tout première mission, fit Maxima" → 'toute', peut-être plus ^^
• "Bon, le test a été un eu gâché, mais on va dire que tu l’as passé" → 'un peu', je pense 😄
• "et s’enfonça dans la boue jusqu’au chevilles" → aux
• "Ses prunelles mouchetée du reflet des flammes se levèrent lentement vers lui" → mouchetées
AudreyLys
Posté le 29/07/2020
Hey !

He he alors toi aussi tu pour le ship LoSha ? Suspeeeens

Merci pour ton relevage de coquilles et ton com !
Alice_Lath
Posté le 17/05/2020
Eh bien, mmmh, ils font vraiment vite confiance à Conan quand même, pour un traître. L'envoyer en mission comme ça, seul, c'est tendax je trouve. Puis son test aussi, je le trouve un poil trop "rapide" et peu "vraisemblable" haha. En dehors de ça, c'est encore une très bonne partie. Kurtis prend de l'importance et c'est vraiment un régal de le voir grandir comme ça. Asha et Lohan ont un côté touchant, puis j'ai hâte de voir où Amaya et Angelus vont croiser leur chemin hahaha
AudreyLys
Posté le 17/05/2020
Mais ils ne savent pas que c’est un traître, justement. Je note pour ce qui est du test, je savais pas trop quoi faire à la base.
Merchi <3
El
Posté le 13/04/2020
Je sais pas trop quoi penser de Conan..Il est devenu so dark. Déjà, je l'apprécie moyen à la base x) Ceci dit, je le trouve particulièrement humain, plus qu'Adhara par exemple.
Bon, ça fait trois ou quatre chapitres qu'on a des pov Amaya/Angelus non ? Eh ben j'aime toujours autant :p Je trouve ça super intéressant d'être du côté de ceux qui subissent, dans l'ignorance, la guerre d'autres.
Et sinon, le p'tit Kurtis, il va se plonger dans le passé via les échos et découvrir des trucs importants non ? è.é Parce que j'imagine que tu n'as placé la scène avec Moïa au chap d'avant pour des pâquerettes (quoique je comprendrais, les pâquerettes, c'es très jouli).
Oh, et une question : comment Lohan il a trouvé si facilement le bled dans lequel Asha est allée se paumer ? O.O
AudreyLys
Posté le 13/04/2020
Bah, il a pas vraiment vocation à être attachant, je trouve plutôt sain de ne pas l'aimer x)
Cool^^ par contre "subir" c'est peut-être pas le verbe que j'aurais choisi...
Et si je te disais que si, j'ai écrit la scène un peu pour des pâquerettes ? XD En fait c'est plus compliqué que ça, mais j'avais pas prévu de faire apparaître les choses si tôt dans le récit. Mais ça m'est venu comme ça et du coup j'ai décidé de me plier à l'inspiration plutôt qu'à mon plan.
Il est allé au lac parce qu'Asha lui avait dit qu'elle s'installerait dans le coin, et Nuit l'a guidé à l'endroit précis. Tu penses que je devrais préciser ?
Merci pour ta lecture et com' ~
El
Posté le 13/04/2020
Quelles belles pâquerettes :p Oui, je pensais plutôt aux gens qu'on égorge pour que dalle et à leur famille pas chaude à ce propos... Mais en quelques sortes, ils subissent aussi, ces prêtres. C'est juste qu'ils en ont pas conscience. Parce que, imaginons qu'un jour ils apprennent que tout ça c'est de la grosse grosse bullshit en fait, ils vont virer zinzin d'avoir tué tous ces gens pour rien du tout. C'est ma manière de voir les choses. Après, effectivement, rien ne les obligeait à zigouiller des gens.
AudreyLys
Posté le 17/04/2020
Tu as raison, ils subissent aussi. Quelques part, tous les habitants de ce monde subissent cette situation, même les Sylviens.
Keina
Posté le 25/01/2020
Oooh c'est trop mignon les retrouvailles entre Lohan et Asha ! Je m'en doutais, qu'il allait lui arriver des bricoles, à vouloir se débrouiller toute seule. Bon, s'agirait pas qu'il l'abandonne à nouveau, maintenant ! Quoi qu'elle dise, il a intérêt à rester avec elle jusqu'à l'accouchement !
En tout cas, je disais dans le chapitre d'avant que j'étais perdue dans les liens de parenté des Sylviens, et là, en un récit d'Asha, j'ai reconstitué le puzzle ! Merci ! Comme quoi, il suffisait d'être patient...
À voir ce que va donner la suite, entre Conan et sa mission, Kurtis qui fait sa retraite spirituelle et le couple Amaya/Angelus...
AudreyLys
Posté le 25/01/2020
<3 j'ai adoré écrire cette scène, j'aime beaucoup la dynamique entre eux. Je dis ça mais c'est la même chose pour les scènes Adhara/Lohan, va falloir que je choisisses un jour :'(
Ah bah du coup mon explication embrouillée n'aurait servie à rien XD du coup contente que ce soit redevenu clair pour toi !
Yep^^
Merci pour ce petit marathon DE, je poste la suite demain !
Sorryf
Posté le 21/01/2020
Purée Conan a complètement sombré du côté obscur, maintenant il veut du sang è.é
J'espère qu'il va se perdre dans la foret et mettre 7ans à retrouver son chemin ! (mais pas la forêt ou est Asha, il manquerait plus que ça x.x)
Lohan a retrouvé Ash-Ash... t'es beaucoup dans les thèmes de la maternité en ce moment ! je suis contente et soulagée qu'elle soit plus toute seule, en plus tout était trop mignon ! je suis quand meme team princesse plan-cul, mais bon c'est dur de résister au lien entre Lohan et Asha.
Je trouve toujours Maxima aussi cool !
AudreyLys
Posté le 21/01/2020
(Ouah mais t’as commenté vite en fait !^^)
Ouais c’est devenu Dark Conan, XD il tomberait peut-être sur Clervie !
La maternité c’est le thème de cette partie <3 j’espère que je suis pas trop lourde avec ça
« Team princess plan-cul » XD tu me tues
Yeah !

Merci pour ton com Sorryfounette !
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