Chapitre 5 : Un rêve

Notes de l’auteur : Hey, voici un nouveau chapitre ! Je galère à lui trouver un nom correct, et celui-ci ne mêlait pas du tout, du coup si vous avez des idées, n'hésitez pas !

 

Kurtis se traîna hors des draps, les cheveux en bataille. L’aube éclaboussait de ses rayons pâles l’intérieur de sa nouvelle maison, réchauffant l’air frais de la saison de la pluie. Le jeune garçon alla jusqu’à la fenêtre et décrocha le voile qui en obstruait l’ouverture pour déverser une lumière agressive dans l’unique pièce. Il plissa les yeux et grommela. Le paysage en face de lui paradait de vigueur et de clarté, il se détourna. Il n’avait presque pas dormi de la nuit. Ces heures languissantes avaient amené en lui des pensées sombres et des larmes abondantes.

Il réunit son courage et sortit, contemplant avec tristesse la forêt vide des âmes qu’il aimait. Il se sentait exposé malgré le couvert des arbres, il se sentait seul. C’était cela, la retraite. Il devait se retrouver lui-même pour pouvoir acquérir son totem sans attendre qu’il vienne à lui comme ceux des Hekaours et des Teacs.

Kurtis soupira et chassa les dernières larmes qui glissaient sur ses joues. Il se lava à l’aide d’un linge qu’il humidifia avec l’eau glacée d'un ruisseau qui coulait non loin. Il s’empressa de se vêtir, la peau écarlate et frissonnante. Il avait bien choisi la saison pour vivre seul. Le feu qu’il avait allumé la veille brûlait encore à l’entrée de sa cabane, il s’assit devant pour mettre un à un ses bracelets et tresses de tissus.

Le soleil avait quitté la terre du levant quand il eut fini. Il perçut alors une âme chaleureuse qui s’approchait. Son cœur bondit dans sa poitrine. Il tendit le cou et scruta la forêt. Il vit se profiler entre les arbres un cheval monté d’un cavalier drapé d’une large toge et masqué. Néanmoins, il reconnut sans mal Keira. Un élan lui fit ouvrir la bouche pour la saluer, mais il stoppa net. Il avait interdiction de parler à qui que ce soit durant sa retraite. Il se contenta d’un faible hochement de tête quand Keira posa pieds à terre sans un mot. Elle s’agenouilla devant lui pour déposer sur le sol sept paniers d’osier contenant ses repas quotidiens.

Kurtis fixait sa sœur, espérant déceler dans sa physionomie un message chaleureux qui lui était adressé. Il tenta de deviner les traits de son visage au coin de son masque de bois qui n’avait que deux trous fins pour les yeux. Il guetta un morceau de panthère que ses pans de tissu dévoileraient. En vain.

C’est fébrile qu’il vit Keira repartir sans sortir un seul instant de son attitude protocolaire. Du moins jusqu’à ce que qu’elle se retourne sur Zérif pour le regarder quelques secondes. Cette œillade lointaine fit battre à nouveau le cœur du jeune garçon. Mais ce moment fut fugace et Keira s’en alla sur son étalon.

Kurtis baissa la tête et rejoignit le cercle de méditation qui avait été aménagé à côté de sa cabane. Il s’y assit en tailleur et frappa ses paumes. Ses paupières chassèrent la vision du monde et il se plongea en lui-même. Il devait ressentir l’énergie qui voyageait en lui.

S’il y arrivait aisément d’ordinaire, il perçut très vite qu’il n’y parviendrait pas. Ses pensées chantaient dans son esprit, bousculant sans ménagement sa concentration, le ramenant sans cesse vers sa solitude, ses doutes, et le deuil qui pesait toujours sur lui.

Il resta plusieurs heures ainsi, à tenter d’accéder à une perception supérieure qu’il savait inaccessible. Il finit par frapper le sol de son poing, pleurant encore une fois.

De toutes façons je ne suis bon qu’à ça, songea-t-il en reniflant.

Un hennissement interrompit ses pleurs. Un petit étalon trotta jusqu’à lui, arborant sur sa robe brune des taches blanches semblables à des nuages.

— Flaé !

Le cheval d’Asha le salua d’un mouvement de tête. Il alla nicher ses naseaux dans le creux du cou de Kurtis qui s’écarta dans un rire. Le jeune garçon entoura l’encolure de l’animal de ses mains, les joues soudain sèches. Ils restèrent ainsi pendant de longues mais douces minutes. Puis, Flaé recula, et il perçut soudain une lourdeur dans sa manière de bouger. L’étalon le fixait un instant avant de se détourner lentement.

— Qu’est-ce que tu fais ?

Le cheval baissa la tête. Kurtis sentit l’anxiété monter en lui. Il n’avait pas accès à son esprit comme c’était le cas avec sa propre jument, Liou, mais il sentait nettement que Flaé voulait lui envoyer un message très clair. Ce dernier lança un hennissement puissant et partit au galop.

— Attends !

Il savait que c’était peine perdue, pourtant il lui courut après jusqu’à ce que le blanc de sa robe ait complètement disparu dans le vert de la forêt. Alors Kurtis s’accroupit, essoufflé et sanglotant.

Il avait compris.

Cette visite était un adieu.

Esseulé, le jeune cheval errait sans but depuis la mort d’Asha. Il avait décidé de retenter sa chance ailleurs, de s’éloigner de cette terre de souvenirs.

 

Kurtis ne put méditer ce jour-là. Il n’avait qu’une envie, c’était de retourner auprès des siens, de retrouver les flammes rassurantes de leur cœur.

Mais au lieu de ça, il passerait l’hiver dans une solitude glaciale.

 

*

 

Le convoi avançait à pas lent, prudent sur cette route accidentée. La veille, des tonnes d’eau étaient tombées sur les voyageurs qui traversaient le col. Le risque d’un glissement de terrain ou d’une crue soudaine maintenait Angelus dans une angoisse constante. Le col du Murafase, du nom du mont qui le dominait, était un passage étroit à haute altitude. Une route qui n’en avait que le nom serpentait entre des parois rocheuses qui l’enserraient et la livraient aux éboulements qui parsemaient régulièrement le chemin d’énormes blocs de pierre.

Afin de limiter les risques au maximum, Angelus avait ordonné que le convoi ne fasse pas de pause jusqu’à être sorti du col. Les cochers et les cavaliers se relayaient mais tous affichaient des traits tirés. Leurs yeux furetaient sur les falaises qui les entouraient, habités de la peur d’un danger mortel.

Alors que le sol s’inclinait doucement vers le bas, annonçant la fin de cette traversée périlleuse, un grondement retentit. La troupe se figea, les chevaux hennirent. Angelus vit à quelques pas la terre coulisser, le sol glissant vers la gauche, emportant tout ce qui se trouvait dessus. Trois sapins se déplacèrent horizontalement face au convoi qui était épargné de justesse. Du moins c’est ce qu’ils crurent. Un cri strident hérissa les poils d’Angelus. Il tendit le cou et vit Lucio, le fils du maréchal ferrant, accroché à un rocher qu’il avait sans doute tenté d’escalader, emporté dans le glissement de terrain. Abram et Magnon hurlèrent, se lançant en avant dans l’espoir fou de le rattraper.

Angelus ne réfléchit pas et enfonça puissamment ses talons dans les flancs de son cheval qui bondit en avant. Il dépassa le maréchal ferrant et son fils aîné et parvint à l’endroit où le sol se dérobait. Il entendit Amaya crier son nom, mais sauta de selle pour atterrir sur un rocher jouxtant celui de Lucio.

— Prends ma main !

Le garçonnet fixa la paume tendue du prêtre avec de grands yeux effarés. Ses doigts étaient tellement resserrés sur les prises qu’ils paraissaient soudés à la roche.

— Vite ! le pressa Angelus.

Les flots solides du glissement de terrain s’écrasaient contre une falaise qui cédait déjà des blocs face à cet assaut massif. Le jeune sans-visage ne put détourner ses yeux de cette écume de terre qui frappait la paroi rocheuse dans un mélange de rochers et d’arbres brisés en deux. La mort courait vers lui plus vite qu’un cheval au galop. Figé, il pensa à son rêve.

Il sursauta quand il sentit une petite main agitée de soubresauts saisir la sienne. Il se ressaisit et tira Lucio vers lui avec un cri de rage. L’équilibre précaire qu’il maintenait fut rompu et ils tombèrent tous les deux. Angelus rattrapa le petit garçon avant qu’il ne se fasse emporter par cette rivière tellurique et le remonta sur sa plateforme de fortune.

Le sol stable se trouvait à quelques coudées de là, et c’est en le voyant défiler que le prêtre comprit à quel point ils allaient vite.

— Accroche-toi à moi, on va sauter, d’accord ?

Le garçonnet dut fournir un immense effort pour hocher la tête, il était déjà agrippé de toutes ses forces à son sauveur. Angelus se redressa et fléchit les genoux. Il n’avait jamais été très sportif, et chargé de ce poids il ne pensait pas pouvoir franchir une telle distance en un saut. Il ferma les yeux l’espace d’une seconde. Peu importe la distance, il devait y arriver. Pour lui, Amaya, Abram, Magnon et leur rêve à tous.

Il s’élança avec un cri de rage. Le monde perdit tous repères. Sa vision, comme tous ses sens, se suspendit en un flou indescriptible. Il eut la sensation très nette que son cœur sortait de sa poitrine.

La terre les frappa sans prévenir. La violence du choc écrasa Lucio contre Angelus. Ils roulèrent sur le sol rocheux qui déchira leur peau. Cette terre terrible brisa le bras du garçonnet sans que celui n’émette un son.

Lorsqu’ils se furent totalement immobilisés, ils échangèrent un regard. Alors Lucio serra Angelus dans son bras valide. Les larmes jaillirent de ses yeux et il enfouit sa tête dans la toge du jeune homme.

Le grondement du glissement de terrain décru et les deux survivants purent contempler avec un bonheur effaré la terre retournée qui n’avait pas réussi à les happer.

Les premiers cavaliers du convoi déboulèrent. Parmi eux, Amaya qui bondit sur son mari pour l’étreindre. Abram et Magnon arrivèrent essoufflés, et en firent de même avec Lucio qui ne se plaignait même pas de l’angle improbable de son bras.

Amaya posa une attelle au rescapé et pansa les coupures d’Angelus qui n’avait que des blessures légères. Le convoi encore choqué demeura plusieurs secondes face au reste du glissement de terrain. La coulée leur barrait la route et ils durent prendre leur courage à deux mains pour oser s’y aventurer. Par chance, le sol ne se déroba pas sous leurs pieds. Ils traversèrent par petits groupes, déchargeant les charrettes et les portant afin de ne pas risquer une nouvelle catastrophe.

 

Le lendemain, après une nuit éprouvante, ils purent admirer la vallée qui s’étendait sous l’aube naissante. Angelus avait cédé au sommeil après son sauvetage. Il fut réveillé par un tendre baiser de sa femme. Celle-ci lui désigna le lac, petit point miroitant à l’horizon, où ils avaient prévus de s’installer. Des forêts d’un vert flamboyant l’entouraient, sous un ciel qui s’éclaircissait à vue d’œil. Le jeune homme tourna le dos au col et sourit à ce paysage plein de promesses.

 

*

 

— Tiens.

Lohan saisit la pomme qu’Asha lui tendait.

— Je les ai ramassées en me levant.

— Tu es sortie alors que tu es malade ?

Elle eut un léger rire.

— Il faut bien manger. Et puis, je vais mieux.

Elle croqua avec vigueur dans la pomme qu’elle avait gardée pour elle. Lohan l’imita, il contempla le paysage humide. La terre exsudait une puissante odeur d’humus tandis que le décor se diluait entre ombre et lumière, argenté et or. Le crépuscule des feuilles mourantes le teintait d’une couleur chaleureuse.

Le regard du jeune homme dériva sur la clairière et il aperçut les fondations d’une maison étrange.

— Qu’est-ce que c’est ?

— C’est pour l’hiver, il faut que je me protège du froid. Mais entre la chasse, la cueillette et la fatigue je n’avance pas.

Lohan s’approcha pour étudier l’ébauche de bâtiment. Un gros tas de boue entre deux poteaux de bois plantés dans la terre attira son attention. Il fronça les sourcils.

— Et ça ?

Asha le rejoignit en finissant sa pomme.

— Comme je n’ai pas d’outils pour couper correctement le bois, c’est très difficile. Du coup j’ai décidé de construire une maison sur un modèle ancien dont mon frère m’avait parlé. Les murs sont composés d’un mélange de glaise et d’herbe séchée. Avec ce temps, ça a du mal à sécher, mais je n’ai pas trop le choix.

— Quand penses-tu avoir fini ?

— Je ne sais pas… Peut-être deux lunes, ou plus.

Lohan soupira.

— Et si nous sommes deux ?

Asha s’immobilisa pour le fixer. Ses grands yeux s’étaient embués.

— Beaucoup moins… murmura-t-elle.

— Alors qu’est-ce qu’on attend ?

Un immense sourire fleurit sur le visage de la jeune fille.

— Que tu te sois lavé, répondit-elle en tirant la langue.

Surpris de la pique, il ne réagit pas tout de suite. Il se pinça les lèvres et finit par esquisser un sourire incertain.

— C’est d’accord, j’y cours.

 

*

 

Deux semaines s’écoulèrent dans la sueur. Ils achevèrent les fondations et la plus grande partie des murs. Asha avait souvent des vertiges et des faiblesses qu’elle cachait à Lohan. Elle continuait le travail sans relâche, elle savait qu’il en allait de sa survie.

Elle était heureuse néanmoins. L’aide de l’Ombre était précieuse.

Et sa compagnie aussi.

Mais après des jours d’efforts communs, Lohan dut se résigner à rentrer à la Cité des ombres avant d’être déclaré mort. La veille de son départ, au coin du feu, Asha osa enfin poser la question qui lui brûlait les lèvres dès qu’on évoquait la ville de la Faction Étoilée.

— Tu… tu connais un certain Conan ? Je l’ai vu le jour de mon exécution et…

Elle suspendit sa phrase en le voyant se tendre.

— Tu le connais, constata-t-elle.

Lohan ne répondit pas et posa son regard sur le foyer.

— Comment il va ? s’enquit Asha.

Le jeune homme se pinça les lèvres.

— Je le connais de loin, j’en ai entendu parler, disons.

— Et ?

— Et rien, il a l’air d’aller bien.

Asha fronça les sourcils. Elle sentait nettement que son interlocuteur était mal à l’aise.

— Qu’est-ce que tu me caches à propos de lui ?

— Rien.

Elle demeura un instant silencieuse, ses iris accrochés aux siens. Elle agrippa soudain le poignet de l’Ombre et le propulsa dans son Sanctuaire.

— Tu ne peux pas me mentir ici, fit-elle.

Lohan plissa les yeux, il se tenait face au soleil qui réchauffait le dos d’Asha.

— Qu’est-ce qu’il y a à propos de Conan ?

Il soupira avec humeur.

— Ce qu’il y a c’est que ce garçon est fou et aussi vindicatif que moi.

Asha sentit son cœur être enserré d’angoisse.

— Il n’est pas comme ça.

— Maintenant si. Je ne connais pas vos liens, de ce que j’ai pu comprendre il t’aimait. Mais ce n’est plus le cas.

— Montre-moi tes souvenirs.

— Asha… ça va te faire du mal.

— Montre-les moi.

— Je ne sais pas comment faire.

Elle s’approcha. Elle savait qu’elle commettait une erreur mais elle avait besoin d’éprouver les paroles de Lohan.

— Pense très fort à un souvenir, dit-elle en lui saisissant les mains.

Le jeune homme obéit, le visage fermé.

Le décor se dissolut pour laisser apparaître une scène plus sombre. Asha remarqua immédiatement Conan, plus net que le paysage ambiant. Son teint terreux soulignait des cernes noirâtres, ses cheveux gras avaient poussés dans un désordre sauvage qui ne lui ressemblait pas. Ses mains aux longs doigts désormais noueux étaient plaquées sur son visage déchiré. Il hurlait, il pleurait. Il souffrait.

Asha ne put en supporter plus et regagna la réalité. Des larmes glacées coulèrent sur ses joues.

— Merci de me l’avoir montré.

Lohan la considéra avec inquiétude.

— C’est de ma faute, dit-il. S’il est devenu comme ça.

Elle sourit tristement.

— De la mienne aussi.

Elle releva la tête vers le ciel étoilé qui perçait par endroit la couverture grisâtre des nuages.

— Ça a été un ami précieux, et mon premier amour. Je ne peux pas le laisser comme ça.

— Tu as d’autres choses à faire pour l’instant. Je garderai un œil sur lui.

De nouvelles larmes affluèrent.

— Merci, souffla Asha.

— Arrête de me remercier, je t’ai fait trop de mal pour ça.

Le ton sec du jeune homme était étrangement chaleureux. La jeune fille le contempla avec d’autant plus de gratitude.

— Il est l’heure de dormir, fit-elle d’une voix douce, tu pars tôt demain.

— C’est vrai, bonne nuit.

Sans attendre, l’Ombre se coucha sur une natte d’osier tressé qu’il avait apportée et s’endormit aussitôt. Asha se glissa jusqu’à lui et l’observa avec un sourire. Elle le trouva beau dans la sérénité qui parait ses traits.

Elle se leva et alla elle-même se coucher entre les murs de sa nouvelle maison. Elle savait qu’un toit serait nécessaire pour se protéger des rigueurs de l’hiver, mais elle ne put s’empêcher de penser que la voûte céleste était trop belle pour être masquée.

 

Le lendemain, Lohan partit à l’aube.

— Si tu as le moindre problème, fais-le moi sentir.

— Bien sûr.

— Et ne fais pas de folie.

— Évidemment.

Il soupira.

— Cou… courage.

Il monta en selle. Nuit hennit bruyamment en constatant que c’était sur l’autre cheval. Les oreilles plaquées sur le crâne, elle se détourna en renâclant.

— Désolée, je vais devoir encore te garder avec moi, lui souffla Asha.

— Je reviendrai dans six mois ! lança Lohan.

— Au printemps, alors.

— Au printemps.

Le silhouette de l’ombre disparut derrière un saule aux feuilles flamboyantes. Asha tut la peur dans son cœur et se tourna vers sa demeure en construction. Malgré le vide laissé par Lohan, un nouveau regain d’énergie l’avait saisie.

Elle se mit au travail avec le sourire.

 

*

 

Conan avait passé une semaine exécrable. Il n’avait jamais voyagé à cheval et avait par conséquent beaucoup souffert de ces quelques jours de chevauchée. Les douleurs provoquées par cette position remontaient jusque dans son cou et tous ses muscles hurlaient leur désaccord. Et c’était sans compter la nourriture immonde qu’on lui avait fournie et les nuits à la belle étoile pendant lesquelles le froid se faisait féroce et l’empêchait de dormir.

Le jeune garçon était d’une humeur massacrante en arrivant à Rivola bien qu’il soit très content d’être enfin parvenu au terme de ce voyage éprouvant.

La cité située au bord de l'eau était entourée de vignes qui venaient probablement d’être vendangées. Elle bordait le fleuve Scilicet qui serpentait dans cette vallée, rejoint à cet endroit par un de ses affluents sous une petite falaise nommée Voïla. C’était sur cette falaise qu’était nichée la vieille ville de Rivola dont la périphérie longeait le fleuve plus en contrebas. C’était aussi sur cette falaise qu’était située le temple de la cité, pyramide pâle bien visible, le point de rendez-vous de Conan et de son contact.

Le rebelle retira sa capuche pour passer les portes de la ville, cacher son visage ne ferait qu’attirer les regards. Avant d’arriver aux murailles, il traversa les quartiers les plus pauvres qui y étaient adossés, comme c’était souvent le cas dans les grandes cités des Triétats. La puanteur de ces lieux lui fit froncer le nez. Bien qu’il ait emprunté la route principale, fréquentée par des voyageurs hétéroclites, il sentit peser sur lui les yeux de personnes tapies dans des recoins d’ombre. Il se promit de faire attention à sa bourse et à son cheval et espérait que ces hommes qui l’examinaient ne le prendraient pas pour cible. Du reste, les enfants couraient ici comme dans tous les quartiers, même si leurs habits étaient pour la plupart sales et déchirés.

Conan avait entendu parlé de ces quartiers délabrés dans son village natal, mais il fut surpris de constater à quel point celui-ci était étendu. Il pourrait parier qu’il y avait ici plus d’habitants que chez lui. C’en était effrayant.

Le jeune garçon arriva au pied des remparts. De ce point de vue, elles paraissaient dix fois plus grandes que depuis l’entrée du quartier. Elles étaient grises contrairement à la majorité des bâtiments. Des rumeurs couraient sur leur composition, certains chuchotaient qu’elles étaient faites d’une roche rare, le basalte. Du moins, c’était ce qui était marqué sur le papier que lui avait lu Maxima.

Conan fut scruté par les gardes lorsqu’il passa l’immense Porte Grave située à l’ouest de la ville. Néanmoins, il traversa sans être arrêté.

Il comprit alors pourquoi le point de rendez-vous était un lieu si proche des soldats de la Trinité. La cité était un méli-mélo de ruelles étroites qui n’obéissaient à aucun ordre logique. S’y orienter tenait du casse-tête et c’était d’autant plus vrai pour Conan qui n’avait jamais pénétré dans une cité si grande. La pyramide sacrée, elle, était visible depuis n’importe quel poste d’observation dans Rivola. Il la garda donc toujours en vue, espérant arriver rapidement à destination malgré les probables détours qu’il faisait sans s’en rendre compte.

Il était impressionné par le nombre de personnes qui se croisaient sans cesse dans les rues. Scilicet était le plus grand fleuve des Triétats, aussi était-il une importante route commerciale. Ici se mêlaient des personnes venues des quatre coins du pays, et même du continent. Dans cette agitation bruissante, Conan entendit des langues qu’il supposa être des dialectes de l’helmët, ainsi que l’helmët de Triliance qui servait de langue commune. Il crut même percevoir sans en être sûr de l’elrandien et du réorois.

La fraîcheur de l’automne était balayée ici, le jeune garçon retira son écharpe. À ce moment un vieil homme heurta son cheval. Il faillit tomber mais se rattrapa. Il commença alors à gronder Conan dans le dialecte local qu’il ne comprit qu’à moitié. Il s’excusa platement en triliancien et poursuivit son chemin sous le regard plein de reproche de l’homme.

Il atteignit enfin la place qui entourait le temple de Voïla. Cette pyramide immense surplombait tous les bâtiments. Conan eut un frisson en voyant un large autel sacrificiel et serra les dents. Il avait admiré la ville depuis son arrivée, oubliant à quel point cette cité sous le joug de Triliance était nauséabonde. Le visage fermé, il guida son cheval jusqu’à une écurie de garde qu’il aperçut.

— Combien pour entretenir ce cheval pendant deux jours ? s’enquit-il.

Le palefrenier le considéra d’un air hautain.

— Quarante-cinq trilions. Vingt maintenant et le reste quand vous viendrez chercher l’canasson.

Conan trouva ce prix extrêmement élevé mais ne fit aucune remarque. Il paya et laissa sa monture. Il consulta l’heure sur le grand cadran solaire au centre de la place, il était un peu en retard. Il guetta alors parmi les nombreuses tavernes présentes celle qu’il cherchait. Quand enfin il la repéra, il ne put s’empêcher de sourire. Il était proche du but.

Les Trois pinards n’étaient pas la plus grande des auberges ni la plus propre. Conan pénétra dans une atmosphère moite et suintante d’alcool. Mais le lieu était sombre et parfait pour une rencontre discrète, même si l’odeur qu’il porterait en sortant le serait sans doute beaucoup moins. Comme prévu, un homme l’attendait, immobile, au comptoir. Le rebelle s’installa non loin de lui et demanda au tavernier de lui servir une « étreïte ». En entendant le nom de cette boisson qui n’existait pas, l’homme assis près de lui remua. Le tavernier complice posa une chope de bière face à Conan avec un regard morne qui ne laissait rien deviner. Le jeune garçon en profita pour glisser l’enveloppe vers son contact qui la fit prestement disparaître derrière les plis de sa cape.

— La réponse demain, souffla Conan, et l’autre hocha la tête. Vous hébergez ici ?

Cette question était destinée au tenancier.

— Douze trilions la nuit, indiqua-t-il sans une expression.

Conan posa l’argent sur le comptoir, on lui tendit les clés. Il monta dans sa chambre sans échanger un mot de plus. Alors qu’il atteignait le haut des escaliers, il aperçut la lettre qu’il avait amenée sortir de la sécurité des poches de son contact pour être transmise au tavernier. C’était étrange, sachant que ce message secret ne lui était pas destiné. De ce que Conan avait compris, l’information devait aller au chef de la Faction Argentée qui contrôlait le Scilicet, et à personne d’autre. Mais après tout, ce fameux chef était peut-être le tenancier lui-même. Il ne s’en préoccupa donc pas plus.

Il fut ravi de pouvoir se laver et dormir dans un lit. Épuisé, il sombra rapidement dans le sommeil après s’être sustenté. Les rues de Rivola se mirent à danser sous ses paupières fermées.

 

Il fut réveillé par le bruit d’une respiration sourde. Il ouvrit brusquement les yeux. Le clair de lune traça les contours d’une lame dans la pénombre.

Une lame qui s’abattit sur lui.

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Bleumer
Posté le 30/05/2024
Les quatre histoires se poursuivent en parallèle et, contrairement à tout le monde qui semble le détester, c'est celle de Conan qui m'intéresse le plus. J'espère juste que sa naïveté ne le perdra pas et ne lui fera pas prendre trop de mauvaise décision.
Kurtis est sympa, mais sa retraite, même si je ne doute pas qu'elle serve plus tard, est un peu longue à suivre, il fallait qu'on garde un lien avec les Sylviens, mais c'est avec celui qui s'est isolé!^^
Asha continue son petit bonhomme de chemin, mais comme évoqué précédemment, je trouve son désir de vivre en ermite dans la forêt un peu comme un caprice. J'espère qu'elle ne va pas vivre d'histoire d'amour avec Lohan, même si, techniquement, ils ont un enfant ensemble! Ca me donnerait l'impression d'un couple qui ne veut pas divorcer à cause du petit!^^
Enfin, Angelus, le périple de son peuple m'apparait un peu comme un épisode filler en attendant qu'ils arrivent à destination et qu'il commence à se passer quelque chose de plus palpitant.
Désolé d'être aussi critique, ce ne sont que des impressions, mais je continue avec plaisir.
AudreyLys
Posté le 01/06/2024
Ah c'est bien que tu apprécies celle de Conan ! C'est un peu le mail-aimé oui ^^'
Asha ne prend pas forcément que des bonnes décisions on est d'accord, même si je n'utiliserais pas le terme "caprice".
Je comprends que tu aies cette impression de "filler", clairement cette partie de DE est sans doute la moins palpitante, mais il y a beaucoup de choses établies et développées pour plus tard. C'est aussi une partie de "transition" entre deux (et plus) intrigues plus dense
Guimauv_royale
Posté le 26/08/2020
Coquilles
- ou d’une crue soudain(e) maintenait Angelus
- Une route qui n’en avait que le nom serpentait entre des parois rocheuses qui l’enserrait (l’enserraient) et la livrait (livraient) aux éboulements
- Angelus ne réfléchit pas (et ?) enfonça puissamment
- Le convoi encore choqué demeura plusieurs (secondes) face au reste du glissement de terrain.
- Celle-ci lui désigna le lac, petit point miroitant qui (sans “qui”) à l’horizon, où ils avaient prévus de s’installer
- Lohan ne répondit (pas) et posa son regard sur le foyer
- Elle bordait le fleuve Scilicet qui serpentant (serpentaient) dans cette vallée,
- les yeux de personnes tapies dans des recoin(s) d’ombre.
- et poursuivit son chemin sur (sous ?) le regard plein de reproche(s) de l’homme.
AudreyLys
Posté le 26/08/2020
Merci !
_HP_
Posté le 19/07/2020
Hey !

Hin hin intéressant tout ça 🤔 J'me demande si le tavernier ou le contact seraient pas un ptit peu impliqués là-dedans 🤔
Et c'est super cool de voir l'évolution de Kurtis, j'aime bien ce personnage et je suis curieuse de voir ce qui va lui arriver ^^

• "et il perçut soudain une lourdeur dans sa manière bouger" → "de bouger", je suppose 😄
• "Les cochets et les cavaliers se relayaient mais tous affichaient des traits tirés" → "cochers", non ?
• "mais sauta de scelle pour atterrir sur un rocher jouxtant celui de Lucio" → selle
• "Angelus rattrapa le petite garçon avant qu’il ne se fasse emporter" → petit
• "Le convoi encore choqué demeura plusieurs face au reste du glissement" → plusieurs quoi ? ^^
• "Ils traversèrent par petite groupes, déchargeant les charrettes" → petits
• "Asha ne put en supporter plus regagna la réalité" → "et regagna", peut-être ? ^^
• "qui perçait par endroit la couverture grisâtres des nuages" → grisâtre
• "Elle savait qu’un toit serait nécéssaire pour se protéger" → nécessaire
• "Il monta en scelle" → selle
• "la nourriture immonde qu’on lui avait fourni et [...] la froid se faisait féroce" → fournie / le froid
• "et espérait que ses hommes qui l’examinaient ne le prendraient pas" → 'ces hommes', peut-être plus ^^
• "Le jeune garçon arriva au pieds des remparts" → 'au pied' ou 'aux pieds'
• "le reste quand vous viendrez cherche l’canasson" → "chercher", non ? ^^
• "Il guetta alors paris les nombreuses bars présents celui qu’il cherchait" → "parmi", non ? ^^ (+ répétition de "qu'il cherchait dans la phrase suivante)
• "n’étaient pas la plus grande des auberge ni la plus propre" → auberges
AudreyLys
Posté le 29/07/2020
Hi !
C’est marrant ma soeur aussi aime beaucoup Kurtis^^
Merci <3
Alice_Lath
Posté le 17/05/2020
Aaah, voilà qui est intéressant pour Conan du coup, je comprends bien mieux le chapitre précédent en effet. Du coup, j'ai une petite idée du pourquoi et du comment haha. Sinon, c'est toujours aussi bon. Je croise les doigts pour Kurtis. Y'a juste Lohan et Asha qui font vraiment couple tout-gentil-tout-choupi un peu trop à mon goût hahaha, mais ça c'est une question de pref personnelle. Juste un point de détail au niveau du pov d'Angelus: ne pas dormir pendant trois jours, c'est devenir timbré. À la rigueur, il a dormi en fractionné ou il somnole, mais trois jours sans dormir, je déconseille y compris aux soldats d'élite haha
AudreyLys
Posté le 17/05/2020
Ah oui ? Tu me rends curieuse^^
Ah tu veux parles de quand ils traversent le col ? Je me souviens plus trop ;-;
Merchi na toi <3
El
Posté le 14/04/2020
Eh bien, eh bien.... J'avoue que je pensais pas que Lohan repartirait si vite O.O (remarque, il avait dit 3 jours à la base... à ce niveau, il est pas déjà considéré comme mort ? xD) Il aurait pu au moins attendre qu'ils aient fini le toit !
Dis, qu'est-ce qu'il se passe si les sylviens rencontrent des fanatiques ? Parce qu'ils ont pas de marque à proprement parlé, mais ils ont quand même le tatouage de leur animal... ça fait des étincelles ou c'est pacifique ?
AudreyLys
Posté le 14/04/2020
En fait ça fait des jours qu'il se dit qu'il doit partir mais il veut pas, du coup il repousse XD Effectivement là faut s'imaginer que les rebelles se posent des questions
Eh bien tu auras la réponse à cette question dans quelques chapitres ~
Merci pour ta lecture et ton com' ^^
Sorryf
Posté le 28/01/2020
QUOOIIIII ? Purée je pensais que Lohan resterait pour toujours, ou au moins pour l'accouchement, ou au moins pour finir de construire la maison T.T
Pourquoi il s'en va ? Ou est le problème a ce qu'on le croit mort ? Moi je pense qu'il est parti parce qu'il avait besoin d'une partie de galipettes avec son plan cul <3

Je pense que c'était pas un adieu, Kurtis ! tu aurais suivi le cheval d'Asha il t'aurait menée a Asha T.T

Asha n'est plus amoureuse de Conan... tant mieux ! Et Conan est dans la merde... tant pis xD!
AudreyLys
Posté le 28/01/2020
Nan mais... il a des responsabilités quand même XD Après la thèse de la libido qui le rattrape reste plausible xD

Kurtis n’a pas passé son doctorat de language équestre malheureusement T-T

XD ce pauvre perso aura décidément du mal à gagner ta sympathie !

Merci pour ta lecture et ton com’ Sorryfounette !
Keina
Posté le 26/01/2020
Ohlà, les ennuis commencent pour Conan... en même temps, vu ce qu'il devient, j'ai peu de pitié pour lui là à l'instant. J'ai beaucoup plus apprécié la petite cohabitation toute mimi entre Asha et Lohan ! :) Quant au couple qui poursuit son périple dans les montagnes... j'ai de plus en plus peur qu'il tombe sur elle et son abri. Mais il y a aussi Kurtis qui va partir... est-ce que tu ne nous préparerais pas une réunion entre tous ces personnages dans pas longtemps ? En tout cas, c'est comme ça que je vois les choses. Et je me demande quelle sera la réaction de Kurtis quand il verra Asha, bien vivante... ^^
AudreyLys
Posté le 26/01/2020
Ah... c'était pas trop le but... Je pense que t'auras moins pitié dans le prochain chapitre XD en vrai c'est un perso très délicat, j'ai du mal avec lui, du coup ça ne m'étonne pas qu'il fasse un peu pitié vu comme je le gère mal le pauvre XD
JEDISRIEN ! Par contre Kurtis ne part pas, il reste sur un territoire en périphérie de celui de la tribu.
^^
Merci pour ce com' éclair !
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