Personne n’interrompit Mitsuguri, qui avait une manière de chanter particulièrement étonnante ; elle parvint à moduler sa voix pour sembler presque robotique, ce qui expliquait peut-être le choix de l’accoutrement. Ta professeure ne parut ni surprise ni en colère, et s’assit même à son bureau en battant le rythme de son pied. Tout ceci avait une saveur d’exception maîtrisée, d’anomalie tolérée, voire appréciée. Et toi, au milieu, tu admirais ce méli-mélo de fantastique dans un quotidien qui deviendrait vite le tien.
L’heure du déjeuner arrivait et, avec elle, la proposition de venir manger avec le reste du club de chant. Tu acceptas sans broncher et suivis tes trois camarades de la 2H.
Vous descendîtes tous ensemble en bas de votre bâtiment pour suivre le chemin de terre que tu avais remarqué plus tôt. Tu levas machinalement les yeux vers les toits ; heureusement, aucune tache de sang ni aucun corps gisant au sol n’était à déplorer, ce qui devait signifier que le rouquin volant s’en était tiré. Naomitsu repéra ton geste et te sourit, entamant à nouveau la conversation.
— Ah, tu as vu ça en arrivant ? C’était dingue, hein ?
— Dingue, c’est bien le mot. Qui a eu l’idée de construire une catapulte sur le toit d’un lycée ?
— Le club de cuisine, répondit Tatsuya en s’allumant une cigarette, c’est eux qui l’ont commandé au club d’Otakus il y a maintenant deux ans, il me semble.
— Attendez, pourquoi le club de cuisine aurait besoin d’une catapulte, pour commencer ? demandas-tu en fronçant les sourcils. Ils sont si dangereux que ça ?
Naomitsu t’attrapa par les épaules en riant. C’est Mitsurugi qui se plaça devant toi et marcha à reculons pour te répondre.
— T’inquiète pas Sachiko, on va te mettre à jour ! Mais ouais, le club de cuisine ils sont pas commodes, et en plus de ça ils sont avec l’Iteriateikoku qui, avec le combat de ce matin, sont revenus dans le top 1 !
Tu clignas des yeux, plusieurs fois, ralentissant le pas malgré toi à chaque fois que tu ne comprenais pas un mot utilisé. Cette fois, l’hilarité passa de Mitsurugi à Naomitsu ce qui arracha un soupir amusé à Tatsuya.
— Personne ne t’a jamais parlé du classement des dangers à Himawari ? demanda l’adolescente aux longues couettes.
— J’en ai brièvement entendu parler, mais je vais en effet peut-être avoir besoin d’un petit récapitulatif, souris-tu.
D’appétissantes odeurs arrivèrent jusqu’à tes narines, embaumant ton estomac d’une envie dévorante d’avaler ce qui était servi. Tu t’étonnas d’ailleurs de la jeunesse du staff au service, mais tu compris au gré des échanges que le fameux club de cuisine se chargeait des plats quotidiennement.
Je comprends mieux pourquoi elles sont si dangereuses ; commander une catapulte d’accord, mais quand on peut empoisonner la nourriture, ça donne tout de suite une autorité naturelle non négligeable.
Tout ceci était intéressant, mais est-ce qu’au moins elles cuisinaient bien ? Vous vous installâtes à l’une des grandes tables ; le réfectoire était immense, d’ailleurs, et particulièrement bien entretenu.
— Laissez-moi deviner, personne ne se bat jamais à l’intérieur de la cantine sous peine de représailles de la part des cuisinières ? demandas-tu avec un sourire sardonique.
— Tu as tout compris, fit Mitsurugi en avalant une cuillère de purée. Et tu vas vite voir qu’il y a tout un tas de règles tacites à Himawari dont tu devras vite t’accommoder si tu veux survivre, mais là-dessus comptes sur nous, on va t’aider !
La notion de survie revenait régulièrement sur les lèvres ; ça t’intriguait, mais tu préféras ne pas revenir dessus dans l’immédiat. Plusieurs personnes se rajoutèrent à votre table, avec pour chacun la particularité d’être visiblement nés garçons et d’être également cosplayés. Tu ne t’intéressas pas à tous, surtout qu’ils se faisaient discrets par rapport aux filles. Un grand aux cheveux roses et à l’air endormi, le probable jumeau de Mitsurugi qui pleurait sur son sort pour quelque chose qui t’échappa et un dernier très énervé aux cheveux d’un bleu électrique. Ils se greffèrent sans mal aux discussions en cours, jusqu’à ce que tu décides de revenir sur un point évoqué un peu avant votre arrivée.
— J’aimerais bien revenir sur deux trois petites choses. Qui est l’Iteriateikoku ? C’est quoi le classement des dangers, exactement ? Et enfin, il s’est passé quoi, ce matin ?
Naomitsu, pédagogue, déposa ses baguettes sur le côté de son plateau avant de lever un doigt en l’air.
— Je vais te répondre, mais dans le désordre, ça sera plus simple. Tout d’abord, le classement des dangers est un classement mis à jour tous les lundis, en dehors de celui-ci puisque c’est la rentrée. On y retrouve trois catégories ; les filles, les garçons, et les intouchables.
— Les intouchables ?
— Ceux qui sont en dehors des règles, reprit Tatsuya en mastiquant un morceau de viande, les futurs sportifs de haut niveau, les gens tellement dangereux qu’il serait suicidaire de les attaquer, et quelques autres exceptions qui seraient trop longues à détailler maintenant.
— OK, ça prend son sens. Comment sont comptabilisés les points ?
Un étrange silence enroba toute la table. Personne ne voulait répondre, ou alors ne savait répondre. Tu optas pour un mélange des deux solutions quand Naomitsu se gratta l’arrière de la nuque.
— C’est compliqué. Un comité spécifique s’en charge, tu les verras la semaine prochaine. Mais sache que tout se sait à Himawari ; chaque victoire est marquée au fer rouge dans les esprits, chaque défaite également. Tu peux voir le tableau des dangers comme un indicateur de réputation, et donc de pouvoir au sein du lycée.
Une histoire de réputation basée sur les actions combatives de chacun ; c’était plus que compréhensible pour toi, et même assez familier. À Wasurenagusa, vous fonctionniez de manière similaire, mais pas aussi assumée.
— Pour ce qui est de ce matin, deux des clans principaux se sont disputé la première place au classement. L’Iteriateikoku d’un côté, et le Namishikon de l’autre. Les premiers ne font que gagner depuis l’an dernier ; ce sont deux garçons qui en sont à leur tête, mais ne t’embête pas trop vite à retenir tous les noms !
S’en suivit une liste d’anecdotes que tu écoutas avec la même attention, mais ton cerveau faisait en sorte d’assimiler et de trier ce que tu venais d’apprendre. Naomitsu termina son repas la première alors que tu gobais la fin de tes onigiris. Elle te tapota la main avec un clin d’œil.
— Bon Sachichan, on a un peu de temps avant le rendez-vous au gymnase de tout à l’heure, ça te dit que je te fasse faire le tour du lycée ?
— Avec plaisir !
Vous saluâtes l’ensemble des personnes à votre table avant de vous diriger vers la sortie. Contrairement à ta traversée des couloirs plus tôt dans la matinée, personne ne prêta réellement attention à vous alors que vous regagniez l’extérieur sale et chaotique de la cour principale. Son aspect extravagant, avec ces montagnes d’objets disposés de manière presque ordonnée un peu partout autour de vous te sauta d’autant plus aux yeux que cela ne contrastait avec la propreté du réfectoire.
Le tour du lycée s’agrémenta de quelques petites réflexions de la part de ta nouvelle amie aux cheveux roses ; il n’y avait pas grand-chose à visiter en dehors des étages supérieurs que tu n’avais pas encore vu, y compris les toits. Ces derniers étaient les domaines spécifiques des rois du lycée, autrement dit les têtes du classement des dangers d’Himawari. Cela tombait sous le sens, même si tu réalisas que pour l’heure, ni Naomitsu ni les autres n’avaient mentionné de filles à la tête du lycée.
— Au fait, Naochin, il y a quelque chose dont tu ne m’as pas parlé concernant les dangers…
— Oui, je sais, les filles.
Sujet sensible, mais il y avait bien un groupe de filles à la tête du lycée. Peut-être gouvernaient-elles le toit du deuxième bâtiment ? Tu n’oublierais pas de poser la question à quelqu’un de moins fâché avec cette partie d’Himawari ; Naomitsu fronçait désormais les sourcils ce qui gâchait quelque peu son air joyeux que tu lui connus toute la matinée.
Ton téléphone vibra dans ta poche ; tu y glissas la main pour récupérer ton cellulaire et y voir un message de ta meilleure amie.
[De ; Umi à ; Moi :
« Hey, je savais pas que tu étais à Himawari ! Trop cool, faudra qu’on se voit ~ »]
Tu pinças les lèvres dans un sourire amusé. Même par message cette grande perche semblait toujours aussi niaise. En tout cas, votre présence mutuelle n’était plus un secret ici. Tu n’eus pas le temps de répondre qu’un second message en provenance du même numéro.
[De ; Umi à ; Moi :
« Tu savais qu’Ikuo avait déjà perdu un combat ce matin ? »]
Ton visage se figea dans une expression de doute mêlée d’incompréhension. Surtout que plusieurs questions restèrent en suspens ; s’étaient-ils déjà vus ? Tu ne pus réprimer une légère jalousie qui te vrilla l’intérieur de l’estomac, sans pour autant savoir de qui tu étais jalouse exactement. Ensuite, comment ça Ikuo s’était déjà battu ?
Naomitsu te pinça violemment la peau du bras ; tu couinas de surprise, ouvrant grands les yeux pour la regarder, l’air hagard.
— Ça ne va pas, non ?
— Mais Sachichan ! Je te parle depuis tout à l’heure et tu répondais pas. Je t’ai fais mal ?
— Non, grognas-tu en te frottant énergiquement le bras, ça va.
— Oh regarde ! s’écria soudainement la rose, on dirait qu’il y a eu du grabuge ici.
Tu suivis du regard le doigt pointé en direction du milieu de la cour ; ta surprise était d’autant plus grande que tu reconnus le grand blond ensanglanté, entouré d’une dizaine de corps inertes autour de lui. Il se tenait assis, courbé vers l’avant, sur ce qui avait dû être un jour une machine à laver. De la fumée de cigarette s’échappait de ses lèvres. Tu t’emparas du bras de ta camarade pour l’entraîner à ta suite ; elle ne protesta pas, mais émit un petit « mmh » interrogatif, sans toutefois t’interrompre.
Arrivée à proximité du blond dont le gilet noir sur chemise blanche ne ressemblait plus à rien, il capta enfin ta présence et siffla un juron entre ses dents.
— Oh, mais putain c’est pas vrai, toi aussi tu es à Himawari ? Et évidemment il fallait que je vous revoie aujourd’hui…
Ses épaules s’affaissèrent et tu ne pus t’empêcher de sourire.
— Ouais, contente de te revoir aussi Ikuo !
— Vous vous connaissez, tous les deux ? demanda Naomitsu en évitant de marcher sur un des garçons à terre.
— On a passé la moitié de notre première année de lycée ensemble, répondit le blond.
Tu l’observas alors qu’un léger filet de sang coulait droit vers le sol en partant de son front. C’était une véritable scène de carnage sous tes yeux, mais un carnage peut-être à sens unique.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demandas-tu finalement avec un sourire taquin.
Tu ne l’avais quand même jamais vu aussi mal et à l’air aussi abattu.
— On s’est battu contre le club de mécanique.
Il avait de la difficulté à articuler, comme quelqu’un qui s’était fait déboîter la mâchoire.
— Pardon ? Mais ils étaient combien ? s’enquit Naomitsu de manière particulièrement agressive.
Le ton employé par la rose te fit cligner des yeux. C’était quoi, le problème ? Tu allais l’interrompre en lui demandant de baisser d’un ton quand tu remarquas le regard fuyant d’Ikuo.
— Trois, lâcha-t-il enfin en baissant la tête.
— Et vous étiez ? continua la rose en croisant les bras contre sa poitrine.
Tu commenças à te mordiller la lèvre inférieure, prise d’une envie de rire.
Non, mais c’est pas vrai, il plaisante !
—… dix. Mais on a envoyé la fille à l’hôpital, ajouta-t-il comme pour se justifier.
Cette fois, l’envie de rire fut trop forte et ta voix éclata dans l’air jusqu’à ce que tu en perdes ton souffle. Naomitsu leva les yeux au ciel sans cacher son « eh bah bravo » ; tu tapotas l’épaule de ton ami avec un sourire amical et presque désolé.
— Bon, tu devrais aller te faire soigner et peut-être emmener tes copains à l’infirmerie également. On se recroisera plus tard !
Ce dernier te fit un vague geste de la main avant que vous ne repartiez. La prochaine étape était le rendez-vous au gymnase, mais avec ce que tu avais cru comprendre de la situation de la matinée, tu n’étais pas certaine d’avoir envie de t’y rendre.
— Bon, allons à notre dernière excursion de la journée ! C’est la présentation des clubs, c’est ça ? J’espère que ça sera amusant, fis-tu sur le ton de la conversation.
— Heu, ouais, mais pour le coup je vais te laisser y aller toute seule, j’aime pas trop ça et puis on a déjà notre club ahah. Bon allez à demain !
Tu ouvris la bouche pour répondre, mais la rose lézardait déjà au milieu des élèves pour partir. Tu réceptionnas à peine le petit morceau de papier qu’elle t’envoya sur lequel était inscrit son numéro de téléphone.
Drôle de réaction.
Tu t’y dirigeas donc seule, puisqu’aucun autre membre du club de chant n’avait l’air disposé à t’accompagner. Quelque part, tu devinais pourquoi ; si tout était une question de jeu de pouvoir, y compris et surtout au travers des clubs, et que celui de chant ne fût pas dans les plus populaires ou les plus puissants, peut-être avaient-ils perdu un conflit l’an dernier qui les mettait au rang de parias.
Cette année va vraiment être intéressante !
Tout d'abord, je m'impressionne moi-même aussi rapidement tes chapitres. Je suis dans une bonne phase de lecture en ce moment, mais je trouve aussi que c'est très fluide à lire.
Je le vois notamment quant à l'introduction du club de cuisine. Direct, la catapulte pour un club de cuisine, ça interpelle. Pourquoi ils sont considérés si dangereux que ça ? Et puis on a la réponse assez rapidement dans les paragraphes suivants. J'aime beaucoup cet enchaînement :D
Du coup, pour en revenir sur la petite note d'auteur, je ne trouve pas du tout l'introduction trop longue. Je ne suis pas familière non plus avec les univers japonais, donc je suis pas contre quelque chose qui pose mieux le décor. Surtout que c'est bien le bordel dans ce lycée et ça m'intrigue. :')
Par contre, comme je suis pas familière avec les noms japonais, j'ai vraiment du mal à les retenir et je commence à me mélanger entre les personnages par moment. Mais bon, je suis pas douée là-dessus. J'espère que ça ira rapidement de mon côté. :')
En tout cas, j'aime beaucoup ma lecture jusqu'à maintenant et j'ai hâte de voir ce que va provoquer toutes ces guerres de réputation et de pouvoir. :3
Petits corrections :
- "Je t’ai fais mal ?" > fait*
Cela devient de plus en plus intéressant ! Et je viens de remarquer qu'avec le style de l'histoire et les mots japonais, quand je lis c'est comme si je regardais un animé :)
Effet que je trouve très sympa :D
Ah j'avoue que l'aspect très animé est aussi présent dans ma tête ! J'ose imaginer que c'est une bonne chose :p merci ♥
L'histoire des clubs promet d'être plus qu'intéressante ! Il reste un certain flou autour de tout ça qui n'empêche pourtant pas de se rendre compte des enjeux. Le passage des "trois contre dix" m'a arraché un sourire. Après une tension grandissante depuis le premier chapitre, une détente ne fait pas de mal ! On est donc sur un chapitre qui malgré certaines longueurs tend à être essentiel pour la suite. Déjà les intrigues se nouent et j'ai hâte d'en découvrir plus.
J'ai hâte de lire la suite ! Bon courage !
Contente de voir que ça t'ait fait sourire !
Et c'est gentil pour lma fluidité ; l'écriture des chapitres a été un pue espacée dans le temps, du coup c'est presque cohérent que le style évolue rapidement. Merci encore en tout cas ♥
D'abord, je trouve que cette phrase : "Et toi, au milieu, tu admirais ce méli-mélo de fantastique dans un quotidien qui deviendrait vite le tien." sonne particulièrement bien et c'est surement pour ça qu'elle faisait partie de l'extrait que tu as mis sur twitter, mais c'est important de le noter.
Dans un autre registre, je trouve que la deuxième personne du pluriel au passé simple, ça me donne une sensation de rater une marche quand je lis. Je sais que bah, c'est la langue française, c'est normal, c'est comme ça et il n'y a rien à faire, mais ça contraste beaucoup avec la fraîcheur de la deuxième personne du singulier (même si c'est juste, ça reste très... désuet ?). Je ne suis pas fan de ça, mais en même temps il n'y a pas forcément de solution pour y remédier et si ça ne dérange personne d'autre, ça n'est pas quelque chose à corriger de toute façon. Fais comme tu veux avec cette remarque là, je la mets là parce que j'y ai pensé mais ça n'est pas franchement pertinent, je pense !
J'ai hâte d'en savoir plus sur tous les clubs (je cheer pour le club de cuisine pour l'instant hihi), et l'intrigue qui commence à se mettre en place a l'air très tordue, ça me plait. Des bisous, bon courage pour la suite !
Ouais je sais que les îtes et les âtes ça fait tache, mais c'est la langue française sadly x) cela dit je prends note quand même ! C'est vrai que ça peut rapidement tranché.
Et merci de noter la pertinence de mon extrait T_T j'avais peur que personne ne le remarque !