Tu ouvris grand les yeux comme si cela allait t’aider à mieux mémoriser l’endroit ; le souvenir de la porte du gymnase volant jusqu’à toi, propulsée par une force animale alors que tu venais de pénétrer dans le lycée vivait par dessus les images qui s’offraient à toi. À vrai dire, tu te demandas même si tu n’avais pas rêvé ta matinée tant ce gymnase avait désormais l’allure d’un petit festival de printemps. Et pour cause ! Plusieurs stands somptueusement décorés trônaient les uns à côté des autres, dans une chaotique harmonie qui te coupa le souffle. Les odeurs se mêlaient aux sons, les bruits de fond aux discussions et toi, petite blonde perdue au milieu des grands poissons, tu ne savais pas par où commencer. Tes pieds prirent le pas sur ta décision quand tu filas tout simplement là où l’animation était la plus forte ; un attroupement de garçons attira ton attention, puisque c’étaient les seuls à posséder des haut-parleurs.
Tu entendais des slogans guerriers, amusants, qui mettaient en avant la grande vivacité de ce qui pourrait être un chef de guerre. Il s’agissait du très fameux club de baseball ; cela t’arracha un haussement de sourcil amusé, puis un peu plus dédaigneux lorsque tu arrivas d’un écriteau blanc où figurait l’interdiction stricte de s’inscrire si vous étiez du sexe féminin.
— Quelle bande de tocards...
Tu continuais, le dos toujours droit comme pour te montrer que cette information ne t’avait pas intimement vexé. Tu étais habituée à te battre pour ta place, pour une reconnaissance ou au contraire pour le fait de manipuler les gens dans l’ombre. Tu savais que tu vivais dans un milieu d’hommes, mais ta mère était la preuve que les femmes avaient autant de capacités ; il suffisait de savoir le montrer et de connaître ses atouts. Tu soufflas du nez, remettant le col de ta chemise couleur tournesol droit, chemise que tu étais d’ailleurs l’une des rares à porter.
C’est décidé, demain, je m’habille comme je veux.
Car il y avait de tout. Des gens tatoués, percés, aux tenues désordonnées ou au contraire très chic ; il faudrait s’habituer, et ce très vite, puisque comme beaucoup de petits détails, cela était rentré dans les normes à Himawari.
Après le club de Baseball et son recrutement agressif, mais très orienté, tu compris vite que l’établissement possédait l’homologue féminin des premiers ; le club de tennis. Tout aussi grandiloquent et extravagant, tu notas d’un coup d’oeil la raquette de métal accrochée sur le stand avant de passer ton chemin. Toi qui cherchais un moyen de t’intégrer ou d’en apprendre un peu plus sur les jeux politiques à Himawari, puisqu’a priori les clubs possédaient une importante significative, la déception commençait peser sur tes épaules qui s’affaissèrent à mesure que tu avançais.
Tes yeux ne se portaient plus sur les visages ou les stands, mais plutôt sur le sol. Compter les fissures du parquet te sembla plus attrayant que tout le reste, ce qui n’était pas bon signe. Impossible de déterminer ce qui te fit lever la tête ; mais à cet instant, tu te sentis si happée par une énergie bizarre que tu t’immobilisas face à la horde de personnes qui te barraient le passage.
Bizarre. Les stands les plus populaires sont les sportifs et je les ai déjà passés, non ?
Les mains fourrées dans la poche de ta jupe, tu levas le nez pour essayer de distinguer un écriteau, une affiche, mais beaucoup de têtes plus hautes que la tienne te cachaient l’horizon. Tu claquas la langue contre tes dents puis remarqua que le stand était plus large que les autres, et que ce qui devait être des spectateurs étaient rivés en direction d’élèves assis autour de tables étroites. Ta curiosité en était piquée ; à quoi jouaient-ils ? Car tu ne vis pas l’écharpe que portait l’un des garçons à quelques mètres de toi. Non, tout ce que tu vis, ce fut la poignée de plateaux de shogi entreposés ici et là. La horde de ce que tu prenais pour de vulgaires imbéciles était en réalité en train de jouer ou de commenter une partie en cours.
Je n’aurais jamais deviné que le club de shogi serait aussi populaire… quoique.
Alors que tu t’approchais, tu te soufflas qu’en effet, les bons joueurs devaient être de parfaits tacticiens. Ton intérêt renouvelé, tu ne réalisas pas que le garçon à l’écharpe et aux cheveux mi-longs passait sa main devant ton visage. Tu sursautas, n’ayant pas saisi que quelqu’un te parlait depuis quelques secondes.
— Hum, je peux t’aider ? demanda le membre du club avec un air un peu endormi.
Endormi ou lassé, telle était la question que tu ne lui poserais pas. Ses cheveux sombres camouflaient en partie son regard, ne donnant que peu d’indices sur l’intérêt qu’il portait à son environnement. Tu finis par te reprendre, élargissant ton sourire sans trouver quoi lui répondre d’intelligent.
— Je suis Yasutoki Hikutaka, reprit le brun en voyant que tu ne disais toujours rien, je me charge de l’accueil du club de shogi.
— Ah ! Zetsu Sachiko, mais je préfère que l’on m’appelle par mon prénom.
— Ouais.
Il balaya l’information d’un geste de la main. Piquée au vif, tu sentis l’amusement égaré poindre dans ton estomac. Il reprit comme si de rien n’était, comme si tu n’étais qu’un moustique dont il avait le devoir de s’occuper car on le lui avait demandé.
— Il y a un test contre l’un de nos membres pour évaluer ton niveau avant de pouvoir t’inscrire. Ça t’intéresse ?
— Oui, avec plaisir !
Tu dus paraître soudainement excitée puisque Yasutoki haussa un sourcil et fit un pas en arrière.
— Ouais, bon.
Il soupira, se retourna avec une lenteur qui te parut pénible pour faire un tour d’horizon. Tu remarquas alors que les tables étaient quasiment toutes prises, à part deux ou trois en plein milieu du stand. Le garçon finit par grogner quelque chose que tu ne compris pas avant de s’approcher d’un élève aux cheveux d’un rouge sang étonnant ; surtout que ce même garçon, probablement en troisième année, était vêtu d’un ensemble de smoking blanc et bleu. Il avait une jambe croisée sur l’autre et observait d’un œil impérieux une partie qui se déroulait devant lui.
— Yutaka, fit le brun que tu n’avais pas suivi par prudence, il n’y a plus personne pour faire jouer l’élève devant le stand, tu veux bien t’en charger ?
Ta respiration était retenue jusque là ; tu manquais d’air, et cette sensation s’aggrava alors que les yeux vairons du dénommé Yutaka se posaient sur toi. Le sol aurait pu se dérober sous tes pieds que tu ne l’aurais pas lâché tu regard, hypnotisée.
Il pourrait me pousser du haut d’un immeuble que je le laisserais faire, et avec le sourire !
Ce garçon était dangereux. D’une dangerosité que tu recherchais depuis des années, mais il était encore trop tôt pour être formelle. Le garçon aux cheveux rouges qui te souriait opina du chef envers son camarade, se leva avec la grâce d’un aigle et arriva à ta hauteur. Il n’était pas si grand physiquement et pourtant, il paraissait prendre toute la hauteur du stand. Son énergie venait jusqu’à lécher ta peau et toi, gourmande, tu en redemandais.
— Bonjour, je m’appelle Yutaka Isuke. Je dirige le club de shogi et comme mon collègue a dû te le dire, nous organisons un petit test, pour les curieux et curieuses qui souhaiteraient nous rejoindre.
— Oui, il me l’a dit. Je m’appelle Zetsu Sachiko… j’imagine que vous avez de nombreuses demandes d’adhésions ? demandas-tu en suivant ton interlocuteur jusqu’à une des tables vides.
Il hocha la tête avant de reprendre la parole et de commencer à disposer les pièces sur le plateau.
— Oui, et notre test est une manière de filtrer les entrées au club. Ce n’est pas que nous n’aimons pas les faibles. Il y a juste trop de demandes, et il fallait bien trouver un moyen de distiller quelque peu… dis-moi, connais-tu les règles du jeu ?
— Un petit rappel ne me ferait pas de mal !
Tu n’étais pas une grande amatrice de ce que les Occidentaux nommaient « les échecs asiatiques » ; d’ailleurs, tu ne voyais pas en quoi il y avait une telle similitude, puisque les deux jeux ne possédaient pour seul point commun que le fait qu’un camp doive conquérir l’autre. Mais n’était-ce pas le but de chaque être et de chaque chose à un point de sa vie ? Cela dit, tu préférais le jeu de go, plus visuel, plus complexe dans sa manière d’exister et pourtant plus simple dans ses règles.
Mais bon. Un petit jeu intellectuel restait distrayant, et tu n’allais clairement pas louper l’occasion de jouer contre le président du club en personne !
Yutaka entama un bref, mais complet rappel des règles du shogi. Particulièrement pédagogue, tu te surpris à te souvenir d’un certain nombre de choses qui s’étaient collées dans un coin de ta mémoire, comme ces vieux objets que l’on cale dans un fond de tiroir, que l’on oublie puis que l’on ressort comme s’ils n’avaient jamais disparu de notre environnement. Et quand cela fut terminé, Yutaka ferma ses jolis yeux vairons. Quand il les rouvrit, la partie se lança, et tu sentis que le regard du rouge avait changé ; tu n’étais plus face à la même personne. Ce n’était plus le président pédagogue et charmant ; c’était désormais un aigle. Et toi, tu étais le lapin.
Yes on en découvre un peu plus sur les différents clubs. J'aime beaucoup que ce soit distillé petit à petit comme ça au cours de l'histoire.
Je me demande si un club vraiment farfelu sortira dans plusieurs chapitres, juste pour le fun. :')
Pendant un instant, j'ai bugué sur les "shogi". (Mes connaissances sur la culture asiatique = au ras des pâquerettes :v) J'ai quand même vérifié vite fait sur Google pour juste voir une image sans chercher plus, du coup, j'ai bien apprécié la mention "de ce que les Occidentaux nommaient « les échecs asiatiques »". Au moins, ça m'a clarifié le tout en une phrase :3
Et encore une fois, un chapitre qui se lit trèèès facilement. J'étais même choquée d'arriver aussi rapidement à la fin du chapitre, c'est pour dire. :')
Peut-être que le paragraphe le passage devant les autres stands mériterait d'être un peu étoffé, car lorsque tu as dit qu'elle était déçue, je me suis demandée de quoi elle était déçue exactement.
Mis à part ce détail, j'aime beaucoup Yutaka, et aussi la phrase de fin "c’était désormais un aigle. Et toi, tu étais le lapin."
Etoffé dans quel sens ? Car pour le coup je le trouvais déjà assez long à la relecture :x
(après, c'est peut-être juste moi qui me suis imaginé un gros truc alors que non ? Il y a combien de stands ?)
Il faut en effet que j'améliores ce point, mes descriptions sont un peu faible sur mes premiers jets et j'ai parfois du mal à ajuster
Je t'avoue que par moment c'est quand même un peu confus dans les explications et on s'emmêle un peu les pinceaux avec tous les noms qui nous arrivent dans la tête. Mais j'ai quand même réussi à m'accrocher, grâce à l'ambiance et à Sachiko aussi. J'ai vraiment hâte d'en apprendre plus sur elle, et là je me demande si elle va éveiller l'intérêt du club de Shogi :D
Trop hâte de te montrer la suite ~
Malgré le fait qu'il soit plus court que les précédents, j'ai beaucoup aimé ce chapitre. Au début, la présentation des différents stands ne semble pas importante : et pour cause, le plus intriguant arrive à la fin du chapitre ! Joli ! Pour autant, le début ne m'a pas ennuyée, loin de là.
Les expressions que tu utilises, ou la manière de nous faire visualiser certaines choses (comme la mémoire), c'est vraiment sympa et surtout ça nous permet de créer un lien encore plus fort avec le personnage.
En tous cas, j'ai hâte de découvrir la suite ! Bon courage !
Contente de voir aussi que la construction du chapitre t'a plu ; j'avais vraiment envie d'installer une sorte de lassitude fasse aux grosses têtes d'affiches pour faire monter la sauce jusqu'au club de Shogi ; je m'étais pas rendue compte que le chapitre était plus court, pour te dire, en général je ne suis pas très regardante ; je m'arrête quand ça me semble opportun héhé.
Mardi prochain je tâcherais de ne pas être en retard dans mes publications, merci de m'avoir lu !
Merci pour ce commentaire ♥ j'avais peur que le chapitre ait un effet "too much" mais ça a l'air d'aller sur les quelques retours que j'ai eu, donc je suis contente.
Et oui pour la mémoire et les tiroirs, c'est une image que je garde depuis un bon moment et pour en avoir discuté avec d'autres personnes, je saurais pas te dire si c'est universel mais en tout cas on est pas les deux sales perdues à penser de cette manière x)
Merci !