Sam n’a pas changé, d’ailleurs pourquoi l’aurait-il ? Mon escorte en costume tiré à quatre épingles m’a mené directement à lui et à la chambre qu’il a occupée cette nuit. Tout ce temps elle était au même étage que la mienne. Je ne sais pas si c’est parce que je me sens égoïste de l’avoir oublié, mais j’ai du mal à le regarder dans les yeux.
- Tu es bien installé ? je lui demande.
- Je n’ai pas à me plaindre.
Effectivement, il n’a peut-être pas ma « suite » mais il a quand même une chambre spacieuse avec un bureau qu’il a déjà investi.
- Et toi ?
- Je n’ai pas à me plaindre non plus.
Sachant ce que j’ai toujours dans la main, je ne me sens pas de lui dire où précisément je suis logé. Un blanc s’installe comme si aucun de nous n’avait plus aucune banalité en stock.
- Je voulais m’excuser de t’avoir laissé en plan, dis-je pour relancer la conversation.
- Ce n’est pas grave, ce n’est pas comme si cela ne faisait que deux jours que l’on se connaissait.
Il essaie de paraître détaché en le disant comme une plaisanterie, comme si cela ne l’avait pas plus dérangé que cela, en fait il n’a pas quitté des yeux son ordinateur qui pour l’instant le fascine plus que moi.
- Mais on était venu comme une équipe, pour moi ça compte.
Il soupire lentement avant de se retourner vers moi.
- Je peux te parler franchement ?
Je hoche la tête.
- On est venu en équipe sur le prétexte d’un reportage, ma venue elle-même était juste une condition qu’a négociée Laurence pour qu’elle accepte que tu viennes. Ne te fais pas plus de problème que tu n’en as déjà pour quelque chose comme ça.
Après une pause durant laquelle il cherche peut-être ses mots, il reprend de manière plus solennelle.
- J’ai couvert des guerres, des révolutions, des élections, des découvertes, des expéditions… Là, on est sur quelque chose de bien supérieur. On ne pourra peut-être pas raconter cette histoire-là, mais j’aimerais quand même pouvoir la suivre de près. Si ça ne te dérange pas, j'aimerais pouvoir continuer à t'accompagner, même si tu n’as pas besoin de moi. Pour une raison que j'ignore, ils semblent t’écouter.
Ça, c’est sûr qu’ils m’écoutent… ou m'écouteront.
- Moi, je veux bien… mais … Je verrai ce que je peux faire.
Ce n’est pas grand-chose pour le sourire qui s'étend sur son visage.
- Enfin pour l’instant je n’ai pas saisi grand-chose, soupire-t-il. J’étais en train de consulter les mails de Laurence d’ailleurs. Elle me demandait si on avançait, je lui réponds quoi ?
- Essaye de trouver quelque chose d’élégant qui nous fasse gagner du temps, je lui réponds. Que ce sera peut-être plus long que prévu… que l’on essaye de faire quelque chose de complet … qu’il ne nous accorde pas beaucoup de temps … Je ne sais pas si on peut dire grand-chose sur ce qu’il se passe ici, les cardinaux sont déjà sur les nerfs. Tu n’as pas eu l’occasion de les voir ce matin… ce n’était pas loin de l’anarchie.
- Intéressant…
- Justement non, j’aimerais éviter de me retrouver aux milieux de fanatiques avec un « ange » pas loin, dis-je en plongeant ma tête dans mes mains.
Cette fois, il est passé, non sans mal, mais il est passé. Ça paraît tellement irréel. En relevant les yeux vers Sam, je sais déjà ce qu’il s’apprête à dire.
- N’évoque même pas le sujet.
- D’accord, d’accord, se défend-il en levant les mains en signe d'abandon.
Comme il est presque une heure, il propose que nous allions déjeuner. Je me décide enfin à fourrer l’anneau du pêcheur dans une de mes poches, dans celle qui ferme, à défaut de mieux. Que je ne le perde pas, que je ne le perde pas, que je ne le perde pas…
Le repas se déroule bien et c’est encore sœur Emilie aux fourneaux et au service. J'espère qu'elle n’a que nous à servir, sinon j’ai peur qu’elle ne se tue à la tâche. Je n’ai pas vraiment le temps de m’y attarder car je vois Steinhart me faire signe depuis la porte, alors je mange sur le pouce pour voir ce qu’il se passe.
- Ils ont fini de monter le dossier en Sumérien, me chuchote-t-il.
Ah. Je jette un regard à Sam qui discute steak avec Emilie. Elle a l’âge d’être sa fille et pourtant je l’imagine plus mature sur certains points que lui. Je peux bien les laisser ensemble pour voir ce que je peux faire de l’autre côté.
- Je peux vous demander où est l’anneau ? m'interroge le Suisse.
Je tapote ma poche pour toute réponse en me demandant comment j’ai pu l’entendre tellement il me l’a dit bas.
- Vous pouvez vérifier s’il vous plaît ?
Je me sens obligé de lever les yeux au ciel. Je glisse deux doigts dans la poche pour vérifier qu’elle est toujours là puis je lui hoche la tête. Il a l’air satisfait et nous nous rendons vers le vestibule de la chapelle Sixtine. Des cardinaux nous y attendent encore, le cardinal secrétaire à leur tête.
- On vous a écrit les questions en phonétique, me dit ce dernier en me tendant un cahier dès notre arrivée.
C’est le cas, je balaye le questionnaire relié de quelques pages, regardant les questions plus ou moins évidentes : elles y sont décomposées en français, en Sumériens, c’est-à-dire en cunéiforme, des sortes de petites accumulations de bâtons étriqués, et enfin en phonétique. J’essaie de prononcer la première phrase demandant s’il me comprend, et j’ai l’impression de commettre un massacre.
- C’est proche de l’arabe, non ? Ça sonne oriental en tout cas…
Bien sûr que ça sonne oriental, pauvre cloche. Sumer, c’est plus ou moins l’Irak actuel il me semble, en plein dans le croissant fertile.
- Et pour ses réponses, je fais comment ?
- Un son pour oui, deux sons pour non.
- Vous vous foutez de moi ?
- Non, c’est la seconde chose que vous devrez lui dire.
J’ai tellement balayé le document que je n’ai pas vu l’encart en première page à ce sujet.
- C’est bien qu’on ait bientôt des réponses. Avec le pape qui s’est retiré en prière, il nous fallait impérativement du nouveau avant l’Angelus de dimanche. Évidemment, on a essayé de prévoir à toutes les éventualités et la place Saint-Pierre est nettoyée et prête à être rouverte.
Le Cardinal Secrétaire est bien plus nerveux que d’habitude, c’est pour cela qu’il parle autant.
- Donc l’idée c’est que je rentre, j’essaie de me faire comprendre, et je ressors avec des oui et des non ?
- Oui.
- Et si je cette fois je n’en ressors pas vivante ? Vous y avez pensé ?
- Oui, me répond sèchement un second cardinal.
Je l'ai déjà vu. Je ne sais pas encore pourquoi mais il semble sortir du lot. Le secrétaire détourne les yeux comme si la situation lui échappait.
- Et alors ?
- De la même manière que pour le Cardinal Alfieri, ce ne pourra être que la volonté du tout-puissant si vous « n’en ressortez pas vivant » pour reprendre vos propres mots.
Ce nouveau venu m'est particulièrement antipathique. Dans le groupe d'hommes en soutane qui m'entoure, je sens la tension et peut-être la méfiance, tout autant que l'incertitude. Ils essaient peut-être de s’ignorer les uns les autres pour l'instant, mais je vois bien qu’il y a de l’eau dans le gaz dans la curée, peut-être plus encore maintenant que ce matin.
Je quitte ces hommes pour me placer en quelques pas devant les lourdes portes de la chapelle Sixtine que gardent deux soldats. Je respire profondément pour calmer le flot des mille pensées qui passent dans ma tête. Steinhart est là, à mes côtés. Est-ce qu'il attend ma décision ? Je triture mes fiches et je me rends compte qu'au milieu de toutes mes réflexions, c'est à ma famille que je pense. J’hésite à l'appeler comme j'aurais dû le faire déjà. Si ça se passe mal… La dernière fois je n’en suis pas ressortie consciente après tout. Je me ravise. Malgré la peur qui revient en moi j’ai le sentiment que ça va bien se passer. D’un signe de tête, je fais signe aux gardes suisses qui gardent les portes de les ouvrir et après une dernière inspiration, je pénètre dans la chapelle. Ce ne sera jamais que l’interview la plus palpitante de ma vie.
Très osé de faire intervenir le Pape, je me demande où tout cela va mener.
La tension est redescendue dans ces deux chapitres mais il me semble que c'est très bien, et ça permet de respirer autant que le personnage.
J'avoue être un peu inquiète quant à la tournure des évènements (en terme de croyance, etc.) mais pour l'instant je me laisse bien porter par l'intrigue ! Le rythme et l'humour bien dosé sont selon moi une vraie force du récit.
J'ai trouvé quelques longueurs sur le début du chapitre 3 mais rien de bien méchant, surtout que les détails permettent une bonne immersion dans l'histoire.
Je crois que le Pape est la seule figure de ce genre que je ferais brièvement intervenir parce qu’effectivement, c’est un peu “osé” pour ne pas dire autre chose. C’est le calme avant la tempête peut-être ?
Sans divulguer particulièrement la suite, mon histoire traite plus de mythologie que de “croyances” pures selon moi, mais qu’entends-tu lorsque tu dis être “inquiète quant à la tournure des événements” ? Ce serait d’un point de vue interne ou externe à l’histoire ?
Merci de ce troisième commentaire, le rythme va bientôt s'accélérer.