Chapitre 3 - Partie 2

Par Syle
Notes de l’auteur : Le pape qui apparaît dans cette histoire est un personnage fictif. J'espère cependant que les propos que je lui prête n'offenseront personne. Je vous prie par ailleurs de croire en mon respect pour les croyances de chacun.

P.S : Il manquait les dernières lignes du chapitre que j'ai maintenant rajoutées.

Je ne pensais pas le voir en vrai un jour, encore moins que je ne lui parlerais et toujours moins que ce serait lui qui souhaiterait me voir. Et me voilà escorté par un peloton de la garde suisse au travers des jardins vers l’un des monastères de la cité pour le recontrer. La route n’est pas longue avant que je ne perçoive le grand bâtiment de brique dont on m'a parlé. Là où tout ailleurs dans le Vatican est démesuré, je découvre ici un environnement à taille humaine qui me met bien plus à l’aise. Simple mais élégant, le corps du monastère a l’air plus moderne que ce que j’imaginais, mais ce n’est pas là que nous allons. Avant que nous n’atteignions le monastère, Steinhart, qui mène mon escorte, ouvre une petite porte dans le mur que nous longeons depuis quelques mètres.

-  Sa Sainteté vous attend dans le potager. Si vous voulez bien vous en donner la peine.

- Vous ne venez pas ?

- Ce ne sera pas la peine.

Très bien, je laisse Steinhart et je m’engouffre dans la petite porte. Contrairement au jardin magique auquel je m’attendais, je découvre un potager à l’ancienne, tout ce qu’il y a de plus ordinaire. De ma très faible expérience en botanique je crois reconnaître des plantes aromatiques et des légumes en déambulant dans les petites allées. L’avantage de regarder le sol, c’est qu’au moins je ne loupe aucune marche menant d’un étage à l’autre des parcelles cultivables. Arrivé au centre approximatif du jardin, je regarde dans toutes les directions pour trouver le Saint-Père, sans grand succès. Il doit être caché derrière l’un des talus. Ce n’est pas vraiment le cas, quelques allées plus loin j’aperçois une silhouette blanche dans un coin d’ombre projeté par l’un des grands murs, ou plutôt rempart pour celui-ci, qui entoure le jardin. Je le vois qui m’observe les yeux mi-clos, la tête appuyée sur ses mains jointes sur le sommet d’une canne, un anneau doré luisant faiblement dans l’ombre.

- Bonjour très Saint-Père, dis-je en exécutant une légère génuflexion une fois arrivé à sa hauteur.

Son expression lorsqu’il lève les yeux vers moi me rappelle celle de mon grand-père lorsque je venais lui montrer le dessin que je venais de faire. Il semble heureux de me voir, une joie simple, un petit rayon de soleil dans la vie de quelqu’un qui a vécu déjà longtemps et qui, même si plus rien ne l'étonne, semble surpris de me voir.

- Assieds-toi s’il te plaît, m'intime-t-il en joignant le geste à la parole pour m'indiquer l'espace libre à ses cotés sur le banc .

Je suis assez surprise de son comportement, on est aux antipodes de ce à quoi je m’imaginais. Je ne sais pas à quoi je m’attendais en vérité, mais pas à ce qu’il me parle d’un air si détaché et d’une voix si douce. J’obtempère en lissant ma robe et prends place à côté de lui. J’essaie de ne pas me tortiller, mais je suis assez nerveuse, d’autant que le silence s’étend entre nous. Je l’observe à la dérobée pour voir qu’il sourit du coin de la bouche, tout en gardant son regard rivé sur le jardin sans émettre le moindre son. Malgré sa position d’appui légèrement voûté, il ne semble pas diminué ni avachi. J’aimerais voir ce qu’il voit. Là où je vois un jardin, je devinerais presque qu'il voit un miracle et remercie la lumière d’illuminer le jardin pour qu’il puisse en admirer les couleurs. Ou alors je suis trop poétique.

- C’est dur de se dire que tout ceci n’aurait pris que 7 jours à être réalisé, n’est-ce pas ? souffle-t-il soudain.

- Je ne sais pas, j’ai appris que c’était peut-être plus compliqué que ça…

Un nouveau silence s’installe, encore plus long que le précédent. Je me demande si je n’ai pas été maladroite sur ce coup-ci. Je triture mes mains sur mes cuisses en me demandant quoi faire.

- On m’a dit que je devais être spéciale, et que ça devait être pour ça que j’étais ici.

C’est la seule chose un tant soit peu dans le propos que je trouve pour relancer la conversation.

- C’est sans doute le cas, et c’est sans doute pour cela que dans sa sagesse Dieu aura appelé ton nom pour que tu assistes son envoyé.

Sans relever son menton de sa canne, il a tourné légèrement la tête et les yeux vers moi.

- Tu as peur… moi aussi en quelque sorte. Je suis peut-être trop vieux ou trop fier pour que cela se voie, mais c’est le cas.

Il se racle la gorge avant de reprendre.

- Permets à un vieil homme quelque divagation, si tu le veux bien. "Heureux celui qui croit sans avoir vu", c’est la raison pour laquelle le Christ a donné à Pierre la tâche de guider son église et que des papes se succèdent à cette tâche depuis 2000 ans. Maintenant que tout le monde peut voir, je crois que mon utilité est arrivée à sa fin, c’est pour ça que je me suis retiré dans ce monastère et que certains cardinaux en ont fait autant. Nous avons été choisis par des hommes, pour assurer la liaison entre le temporel et le spirituel. Toi, tu as été choisie par Dieu.

Il prend ma main et y glisse quelque chose. Lorsqu’il retire la sienne, je découvre dans ma paume un anneau doré.

- J’espère que le libre arbitre qu’il nous a donné m’a fait faire le bon choix en remettant les rênes de notre église entre tes mains.

- C’est…

Je regarde ses mains désormais dépourvues du moindre bijou, puis je le regarde, lui.

- Mais c’est votre anneau ! Je ne peux pas…

Je ne peux que bégayer, c’est trop énorme. Je le dévisage, je cherche une réponse, une raison.

- Tu as été investi d’un devoir sacré, ne vois pas cet anneau comme une charge, mais comme un moyen de mener à bien ta quête. Si je doute de mon choix, je ne doute pas de toi, j’ai confiance en Dieu et ainsi j’ai confiance en toi. Tu iras aux côtés de l’Ange qui nous a été envoyé, car tu en auras la force.

Il parle avec une conviction tellement tranquille que c’est dur pour moi d’arranger la moindre idée pour le contredire. J’en ai de moins en moins envie en réalité. Je commence à regarder le jardin comme lui.  C’est tellement paisible. Je comprends pourquoi il est venu ici, c’est le calme dans la tempête.

- Tu m’as dit en arrivant que c’était peut-être plus compliqué que cela, garde cet état d’esprit, si tu marches aux côtés d’un ange, ne prends pas nos canons pour… eh bien, parole d’évangile. Garde l’esprit ouvert, ne t’enferme pas dans l’obscurantisme et le fanatisme, reste tel que nous t’avons découverte. C’est tout ce que je te demanderais.

Je quitte le pape en remontant le potager tel un spectre. La journée est toujours aussi belle, mais je suis incapable de le remarquer. Tout est devenu flou. J’avance mécaniquement l’anneau posé au creux de ma main, me figurant le pouvoir qu’il représente et qui m’a été transmis. Je commence à comprendre que par-delà l’objet, c’est bien plus de choses que je pourrais avoir reçues. On ne sait même pas encore ce qu’il pourrait vouloir de moi, que l’on place déjà tant d’espoir en moi.

Steinhart ainsi que tous ses hommes se mettent en alerte dès qu’il me voit passer le bout du nez par la petite porte par laquelle je suis passé il y a quoi ? une heure ? Dix minutes ? Je n'arrive plus à faire la différence.

- Alors ?

Je leur montre ce que je tiens dans ma main.

- Il m’a fait don de l’anneau du pêcheur.

J’ai essayé de le dire sur le ton le plus badin possible et tout ce que j’obtiens ce sont six gardes suisses qui me regardent avec des yeux comme des soucoupes. Un ange passe, puis soudain, les uns après les autres je les vois s’agenouiller sur l’impulsion de Steinhart. Je suppose que posséder cet anneau fait que je les commande. Toute la façade que je me suis construite manque de s'écrouler, alors que je sens une goutte de sueur rouler contre mes reins. J’ai envie de courir.

- Relevez-vous, vous me faites flipper là.

Ils obéissent malgré l’usage que j’ai fait d’un vocabulaire peu protocolaire.

- La garde suisse est à vos ordres, Mademoiselle.

Évidemment, c’est bien ce que je craignais, la passation de l’anneau représente réellement la passation de pouvoir au Vatican.

- Je ne sais pas si c’est possible, mais est-ce qu’on pourrait éviter de… je ne sais pas … rendre ça trop officiel ?

C’est ma stratégie de survie, si je ne peux pas nier quelque chose qui me met mal à l'aise, j'essaie de le regarder avec des œillères pour ne pas avoir envie de m’enfuir. Une chose à la fois. J’ai que ça pour que le yoyo que j’ai dans la tête, ou dans le cœur, ne me fasse pas péter un câble. Sa sainteté a peut-être fait tout ce qu’il pouvait pour ne pas que je panique, mais c’est raté. Ou pas. Je ne sais pas. Je me demande si sa sainteté ne me l’a pas fait à l’envers, mais je repense à son regard et à mon grand-père : c’est impensable. "Grand-père" m’a fait un cadeau, un cadeau inestimable dont j’aurais peut-être besoin. Il faut que je le voie comme ça.

 

- Nous pouvons limiter la diffusion de l’information à la garde si vous le souhaitez.

- Oui, s’il vous plaît.

Comme du pouvoir qu’il me donne, je me retrouve bêtement avec l’anneau dans ma main sans savoir qu’en faire. Je pense une seconde le mettre dans ma poche, mais je pense que ce serait mal venu de la même manière que si je le mettais à mon doigt, d’autant qu’il est trop grand pour moi. Steinhart voit bien que je ne sais pas quoi en faire, mais ne fait pas le moindre commentaire. À défaut de mieux, je le garde dans ma main.

- Je dois retourner à la garde prévenir le Colonel Ehrlich.

Ah, évidemment qu’il doit prévenir son supérieur de la nouvelle.

- Mais je peux l’appeler et rester à vos côtés si vous le souhaitez.

- Non, allez-y, je dois parler à Sam.

À son regard interrogatif, je me sens obligé de préciser.

- Monsieur Ter.

- Bien sûr, mes hommes vont vous accompagner.

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AlaindeVirton
Posté le 02/01/2025
Salut, bonne année et chapeau ! C’est captivant et très osé. Cette idée est pleine de potentialités. As-tu fait des recherches pour voir si un ou des auteurs auraient déjà approché ce filon, dans la littérature ou au cinéma ? Perso, je n’en sais rien. Mes connaissances sont insuffisantes. Si c’est totalement inédit, il faut protéger cette idée et en tirer le meilleur au plus vite.

Une remarque. « C’est tout ce que je te demanderais », « dont j’aurais peut-être besoin. » : je me demande si le futur ne serait pas mieux dans ces deux phrases.

À bientôt.
Syle
Posté le 03/01/2025
Bonsoir !

Bonne année à toi également !

Ton commentaire fait du bien à l’égo. Pour répondre à ta question : entre autres recherches sur le sujet qui m’ont mené vers des œuvres comme le Paradis Perdu de Milton ou la Comédie de Dante, j’ai été bercé par les livres de Dan Brown (Ange & Démons, Da Vinci Code, Le Symbole Perdu, Inferno et Origine pour ne pas les citer) et leurs adaptations cinématographiques, donc je ne pense pas avoir particulièrement réinventé l’eau chaude. Est-ce que certaines idées sont inédites ? Peut-être mais c’est dur à dire, la base de l’histoire étant particulièrement universelle (Idée du monomythe ?). Après, j’aime à croire que je donne un nouveau souffle à ces idées dans la confrontation d’un monde prosaïque à un monde insondable où tous les acteurs sont tangibles de la même manière. C’est mon postulat de base après tout : Qu’est-ce qu’on ferait de purement pragmatique dans ce cas ? Mais je divague.

Encore merci pour ton commentaire, la suite bientôt : ça va bouger dans la cité éternelle !
AlaindeVirton
Posté le 03/01/2025
Parfait Hâte de lire la suite.
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