☼ Chapitre 4 ☼
Mes respirations se sont faites plus lentes malgré la gêne de le sentir tout près de moi, comme si je refusais que Zek ne les sente contre son cou. Cette proximité m'échappe et me pétrifie bien plus que les autres, même si toutes me sont peu familières. Peut-être que c'est surtout sa réponse, qui me rend si confuse.
- C'est ce que tu crois ? Que je te déteste ?
Oui ? En tout cas, j'ai bien du mal à me persuader du contraire. On se connait depuis dix ans, Zek et moi, et si au début, j'étais un peu blessée de voir qu'il trouvait la compagnie d'Arlo et de Zoé bien plus agréable et divertissante que la mienne, j'avais fini par me rendre à l'évidence. Ce que je peine à comprendre, ce sont les quelques mots qu'il vient de m'adresser, en omettant complètement le fait que je viens de l'agresser avec un abricot. Ce n'est pas son genre, lui qui préfère me lancer des piques dès qu'il en a l'occasion, il laisserait passer sa chance là-dessus ?
Et l'émotion dans sa voix, l'ai-je imaginée ? A ce stade-là, j'ai du mal à distinguer la réalité de mon imagination, cette distance si réduite entre nous n'aidant en rien.
- J'en sais rien, Zek. Honnêtement, en dix ans, je n'ai jamais compris pourquoi on s'entendait si mal tous les deux. On a les mêmes potes, les mêmes centres d'intérêt... Éclaire-moi un peu, s'il te plait, parce que j'aimerais bien profiter de mon dernier été ici avec mes amis sans que tu ne me fasses continuellement la gueule.
Wow, c'était peut-être un peu trop violent, Pia. Bon, en même temps, il ne fait aucun effort. Mais les mots que je viens de prononcer déclenchent chez Zek une réaction que je ne parviens, encore une fois, pas à analyser. Je vois dans ses yeux passer une lueur de... détresse ? Pourquoi serait-il inquiet ? Je n'y comprends plus rien. Il ne relève encore une fois pas tous mes mots, aussi durs soient-ils.
- Pourquoi, dernier été ? Tu les passes tous ici depuis que tu vis à Paris.
- Je voulais vous le dire à tous les trois en même temps. Mais puisque tu me poses la question... J'ai fini mes études, comme tu le sais peut-être, et j'ai trouvé un super contrat.
- Dans la traduction, ce qui te permettait de revenir par ici et de bosser à distance, comme tu nous l'a toujours dit ?
Je hausse les sourcils, surprise que Zek ait retenu les détails de mes projets d'avenir.
- C'était le plan. Mais non, là c'est de l'interprétariat. Beaucoup de déplacements, à l'étranger principalement, à des dates un peu aléatoires. Mais c'est la chance de ma vie, c'est un domaine que j'adore alors...
Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression qu'il a arrêté de m'écouter dès les premiers mots, son regard s'est voilé et il fixe un point dans le vide, derrière mon épaule. Qu'est-ce qui lui prend ? Je me rends compte que nous n'avons pas bougé depuis plus de trois minutes, et que nous sommes toujours face à face, à quelques centimètres à peine l'un de l'autre. J'ai envie de reculer d'un pas et de respirer un grand coup, mais je n'y parviens pas. J'ai l'impression, pour la première fois, d'être rentrée dans la bulle de Zek. Et j'ai envie de voir ce qui s'y cache. Qui s'y cache.
- Tu te rappelles de la seconde, Pia ?
Mon prénom dans sa bouche fait sauter un battement à mon cœur, pour la simple et bonne raison qu'il ne le prononce jamais. Je le sais, car je l'avais déjà remarqué par le passé. C'est bizarre, ça me surprend, et à la fois... Je trouve que ça sonne bien. J'acquiesce silencieusement en guise de réponse à sa question.
- On s'entendait bien, au début. Tu ne t'es jamais demandée pourquoi ça avait changé ?
Je tressaille. Je sais pertinemment de quoi il parle. Je pensais qu'il ne s'en rappelait pas, ça avait duré quoi, deux semaines ? A l'origine, Zoé, Arlo et Zek se connaissaient depuis l'enfance, et je m'étais liée d'amitié avec Zoé au collège. J'étais un peu la pièce rapportée dans leur trio déjà soudé, presque fraternel, lorsque nous nous sommes retrouvés tous les quatre dans la même classe au début du lycée.
Mais Zek a raison sur ce point. Les premières semaines, nous nous étions découverts beaucoup de points communs. J'en étais même venue à questionner mes sentiments pour lui, tant nous nous étions si rapidement rapprochés. Bon, à cet âge-là, le cœur s'emballe tous les trois jours, j'avais vite compris qu'il n'était pas intéressé lorsqu'il avait adopté cette attitude froide et distante à mon égard du jour au lendemain.
- Non, pas plus que ça... Je me suis dit que je t'avais agacé. J'avais dû trop parler, comme d'habitude. Ou te raconter trop d'anecdotes sur les One Direction, puisque je savais que tu les détestais, ça m'amusait beaucoup à l'époque.
J'essaie d'alléger la conversation. L'air est électrique, comme si un nuage gris s'était formé au-dessus de nous, enveloppant nos corps d'une chaleur lourde et étouffante. Ezechiel plonge son regard dans le mien. Son regard de métal en fusion, qui me fait tout à coup me sentir toute, toute petite.
Je ne lui laisse pas le temps de répondre et j'enchaine d'un ton calme, étonnamment ferme, ce qui me surprend un peu.
- Où veux-tu en venir ?
- J'avais eu le temps de goûter à notre amitié, Pia. Et j'étais à peu près sûr que je n'en voulais pas.
Merci, Sherlock. Toujours aussi aimable. Je roule des yeux et m'apprête à lui répondre de ramasser sa caisse et son casque. Puisqu'il veut jouer à ça, autant se remettre à bosser, on a déjà perdu assez de temps. Mais, à peine ai-je le temps d'ouvrir la bouche que je la referme aussitôt, ébranlée par ce que j'entends au même moment.
- J'en voulais plus.
Ses mots ont glissé le long de mon corps. Je me dis que si je baissais la tête, là, maintenant, je les retrouverais à mes pieds sous la forme d'une petite flaque de lettres. Pourquoi est-ce que ça me fait cet effet-là ? Pourquoi est-ce que j'ai l'impression d'avoir quinze ans ? Est-ce que Zek est vraiment en train de me dire qu'il m'aimait bien, de la même manière que j'avais pu le considérer un temps, adolescente ? Je ne parviens pas à lui répondre, tout paraissant si incohérent. Comme s'il lisait dans mes pensées, Zek répond à ma question silencieuse. Je sens à sa voix éraillée que ces mots étaient coincés en lui depuis un certain temps. Peut-être même depuis dix ans?
- J'adore ce qu'on a avec Zoé et Arlo. Je préférais qu'on reste tous amis. C'était beaucoup plus simple et moins risqué.
Je tombe des nues, alors je ne peux m'empêcher d'accompagner ma réponse d'un petit rire nerveux.
- Ok, imaginons que tu ne sois pas encore en train de te payer ma tête. Ça fait dix ans, Zek. Pourquoi est-ce qu'on s'entend toujours aussi mal alors que...
Je m'interromps. Et merde. J'arrête presque de respirer. Zek est impassible.
- Ça m'aide à tenir, Pia.