« Que la chasse commence. La saison des amours a commencé, le temps du concubinage également. Il est temps maintenant de lancer les hostilités.
Entre recherche du mari parfait, de femmes pour enfanter.
Ou bien encore de dualités entre ces dames qui n’ont d’yeux que pour les hommes les mieux nés. Gâtés par la vie pour qui rien ne peut se refuser et à qui toutes les portes s’ouvrent, ceux qui se trouve en haut de la pyramide sociale.
La saison mondaine, L’évènement le plus attendus de l’année, que toutes les jeunes filles attendent avec impatience. Celle des bals hebdomadaires chez les plus grandes familles de Londres, où la chasse est encore une fois de mise.
Pourtant, prenez garde aux mari trop parfait ou aux familles trop intrusives qui veulent vous inviter à entreprendre quelque sorte de relation avec leurs filles, surtout les mères. Elles sont comme des araignées qui tissent leur toile autour de vous et une fois pris au piège, il est quasiment impossible de s’en défaire.
Signé le corbeau »
Londres était sous les feux des projecteurs, de nombreuses voitures stagnaient dans ses grandes rues et cet article était paru dans le journal clandestin de la ville, pourtant tout le monde avait le nez dedans. La saison mondaine avait réellement débuté. La population aisée d’Angleterre s’était ruée dans cette même ville. Dans un pays où les populations n’étaient pas denses, il était plus compliqué pour les femmes et les hommes de se rencontrer afin de s’allier dans une vie de couple, cette saison en était parfaite. Les parlementaires, tous réunis dans cette saison provoquait inconsciemment ce rassemblement. Il était donc possible de pouvoir tirer le meilleur parti.
Au-devant de certaines maisons, des files d’hommes prenaient place, chacun avec un temps imparti pour que la famille de la demoiselle et elle-même puisse appréhender tous les prétendants. C’est une société de consommation de l’amour ; ne jamais se satisfaire de quiconque pourrait te rendre heureuse, toujours à espérer que meilleur te tombe dessus. En attendant, à trop vouloir, on finir par se perdre soi-même. L’exigence envers les autres provoque sa réciprocité, on exige tout autant de toi-même. Il en va de même pour tous.
* *
Accoudée à ma fenêtre, j’attendais. Je ne saurais dire quoi mais il en était ainsi. L’inspiration ne me venait pas. De plus, je devais attendre dans la salle de réception des jours entiers, écoutant les discours de ces Messieurs. Tantôt arrogant à souhait, qui pensent que ta vie entière ne dépendra que d'eux même, tantôt envieux au possible, ne désirant que le titre de noblesse que je pouvais leur offrir ainsi que de la richesse qui allait avec. Certaines fois, leur intérêt n'était même pas posé sur moi, mais sur le poste qu’occupait père à la Chambre des Lords.
Les doigts souffrant, je continuais de jouer des airs de piano que personne n'écoutait. Quelques fois je parlais, discutant de mon avis, de mon passé, de ce que je pouvais aimer ou non, en étant persuadée que ces informations tombaient dans des oreilles de sourds.
Le salon était empli de fleurs, elles étaient déposées dans tous les vases, elles prenaient place sur tous les meubles, et leurs odeurs embrumaient la pièce. Le ton était haut, chaque homme attendait patiemment leur tour en parlant fort avec leur connaissance. C’était d’un vacarme qui effrayait les plus jeunes ; Bérénice quant à elle c'était réfugier dans les jupons de mère. Les domestiques réalimentaient souvent les stocks de biscuits que l'on prenait plaisir à manger.
Malgré ces activités, je ne pouvais m'empêcher de ressentir un profond ennui, et à vrai dire je n'attendais que le duc. Lui qui avait prétendu vouloir ma main. Cet homme était à la fois brillant et respectueux, il était un bon parti et pourrait être l'homme qu'il me fallait, celui duquel j'aurais pu tomber amoureuse.
C'est à ce moment où je l’ai vu, lui. Il se tenait au même endroit que la première fois, tout près du mur de la salle encore dans l’entrée. Nos regards se sont croisés, la même adrénaline a pris mon corps et dans ma poitrine mon cœur fit un bond. Mère en fut témoin et alla directement chercher le jeune duc. Il s'installa près de moi tandis que tous les autres hommes le regardaient, de la furie dans les yeux.
Je voulus rire mais je dû m'abstenir d'autant plus lorsqu'à contrecœur ils firent tous demi-tour. Je me suis donc retrouvée, nez à nez, avec l’homme que je ne savais expulser de mes pensées. Comme la première fois, nous fîmes absorbés par l’un et l’autre pendant de nombreuses minutes et dès lors où la discussion commença, j’avais à nouveau la certitude de connaître cet homme depuis toujours.
Nous rigolions fort de la soirée qui allait se passer chez Lady McLunski. Grande dame à l’allure exécrable de la haute société et à la voix fort désagréable, qui cherchait tant bien que mal d’engendrer mariage pour ses filles à chaque homme des plus déplaisants qu’elle rencontrait. A force d’année sur le « marché » de l’amour, elle avait perdu espoir de vendre ses filles -qu’elle n’aimait guère- afin d’en être débarrassée.
Le temps passait à une vitesse folle et je ne pouvais croire et qu'il était déjà l'heure de devoir se préparer afin de redorer les plus belles parures pour aller au bal. Ambrose reparti également, cependant ce n'était que partie remise puisque l'on allait se retrouver ce soir.
Olga m'accompagna dans ma chambre et la domestique vint s'occuper de ma toilette. Dans le bain, je fus recouverte d'une légère mousse qui me fit grandement penser à de la neige, à ce fameux jour où j'étais sortie me pavaner dans les rues. Ce fameux jour où je fis la rencontre de cette femme.
Malgré le fait que je ne voulais me l'admettre, je pensais très souvent à elle, j'imaginais son nom, sa voix, les parures qu'elle aborderait lors de son entrée dans la société. Je me demandais si par le plus grand des hasards elle aurait pu devenir une amie, une compagne de vie qui aurait fait volatiliser la solitude. Il était étrange de penser ainsi, mais cela ne me semblait pas me déranger.
J'avais laissé ma domestique s'occuper d’ordonner mes cheveux comme bon lui souhaitait. Entre tresses et chignon, de nombreuses perles et d'autant de fleurs étaient parsemées dans ma chevelure, un diadème posé sur le dessus de ma tête.
J'arborais fièrement le premier présent que le duc avait fait. Un amoncèlement de pierres, plus brillantes les unes que les autres, étaient posé sur le pourtour de ma nuque, parfaitement assortis aux boucles d'oreilles que j'avais à l'heure du premier bal où je l'avais rencontré. L’adrénaline vint se nicher au creux de mon ventre, l’envie était présente. Je savais qu’au vu de mon prétendant, de nouveaux messieurs me feraient la cour. Mais je n’étais pas désireuse de cette situation, le monde aurait pu être à mes pieds, je n’aurais pas voulu autre vie que celle qui m’était destinée, je ne voulais pas non plus d’un meilleur parti. Je savais que c’était ceci dont mon cœur rêvait.
* *
Notre voiture nous amena, mère, Archie, Frederic et moi sur le lieu du bal. Des lueurs illuminaient la rue et des enlacements de fleurs ornaient la bâtisse. Tout était somptueux. Les femmes portaient leurs plus belles parures et les robes les plus resplendissantes de leur garde-robe. Certains arboraient leur plus beau couvre-chef tandis que ces mesdames pour certaines supportaient des coiffures si hautes et ornementés. L’on se demandait même comment était-il possible pour elles de se tenir aussi droites. Ces mêmes femmes se pavanaient les mains tenant un éventail qu’elle utilisait pour ventiler lentement leur doux visage. Puis elles posaient leurs yeux sur leurs cibles. Lorsque tout était acté, c’était fini pour ces pauvres hommes, qui par de vaines tentatives essayaient de fuir.
Jamais personne n’a réussi un jour à détaler loin des mères, les pires chasseuses que le monde pu connaitre. Rien ne peut leur résister et si un jour ce fût le cas, prenez garde, le scandale est tout proche. Entre honnêteté et complot, la ligne est fine pour arriver à ses fins.
Des fils étaient tendus entre la maisonnée et les arbres. De ceux-ci, un ciel de lilas pendait. Ces fleurs violacées étaient illuminées et semblaient presque n’être qu’étoiles. Leurs aromes parvenaient jusque dans nos narines sublimant le décor de ces lieux. Une allée avait été aménagée afin de contourner la maison pour arriver dans les jardins. Aucune feuille ne dépassait de ces grands topiaires taillés, leur surface était plane et toute la précision en découlait. De nombreux buissons s’accommodaient les uns les autres comme un labyrinthe menant à des parterre de fleurs. Une petite cour en arc de cercle se trouvait au-devant des parcs et d’ici, un escalier central l’occupait.
Frederic me tendit son bras et le mien vint s’enlacer autour, ma main reposant sur son avant-bras. Nos pas étaient lents et nous prenions le temps d’être observé pour notre raffinement. Le sommet atteint, un mètre nous séparait d’une balustrade, nous offrant une vue prenante sur la grande salle de réception.
La fête ne venait que de démarrer et pourtant le buffet -qui fut parfaitement rempli quelques minutes auparavant- commençait déjà à se dépourvoir de certains amuses-bouches. Des couples de danseurs prirent place sur le parquet, révérence à la clé, avant de s’élancer dans une quadrille. Cette danse s’exécutait par groupe de quatre, deux femmes et le même nombre d’hommes. Les cavaliers faisaient face aux dames par couple, se donnant la main. Ils s’avancèrent les uns vers les autres, se rejoignant puis repartant à leur place de la même manière.
Entre chassé-croisé, changement de partenaires et de groupes, pirouettes et révérence, lorsque les violons s’arrêtèrent ces messieurs, d’une bonté excise, proposèrent à leur partenaire une bonne limonade.
Les bals se trouvaient être le moment parfait pour faire de nouvelles rencontres. A raison de vingt danses dans la soirée, toutes femmes présentent se voyaient être invité plusieurs fois. A dire vrai, lorsque l’on était invité, on ne pouvait le décliner et tandis qu’une femme faisait tapisserie, l’hôte de la fête pouvait aisément prier à quelques hommes de venir lui demander sa main le temps d’un menuet.
La main posée sur la balustrade, j’observais le monde et lâcha le bras de mon frère avant de descendre les escaliers menant au lieu de la fête. A peine un pied était posé sur les marches en pierre blanche, les visages s’étaient tournés pour me scruter. Je connaissais les rumeurs circulant à mon égard sur mon engagement prochain avec monsieur le Duc mais je n’imaginais pas que cela me faudrait ceci. Je profitais de cet élan pour me ventiler lentement mon visage et l’origine de ma gorge.
Une foule d’homme se bouscula à ma rencontre quand je fus à leur hauteur. Mon carnet de bal n’étant que peu chargé, je dû concéder quelques danses au cours de la soirée. Monsieur McAby cru plus judicieux de ne vouloir me garder que pour lui. Mais tandis qu’il me rapportait un verre de rafraichissement, les promis vinrent me retrouver pour que je leur offre leur dû. C’est ainsi que je passai la soirée, les pieds meurtris par des partenaires peu habiles des leurs et sous les coups des farandoles endiablées.
Alors que monsieur McAby posa ses mains sur mes côtes durant une valse, j’aperçu, au loin, cette même femme que j’avais vu quelques jours auparavant. Toute de bleue vêtue, se tenant debout hors de la piste, elle ne bougeait pas d’un pas. Sa chevelure brune était relevée dans un bas chignon laissant transparaitre ses yeux couleur noisette. Ces mêmes yeux ne se détachaient pas de ma personne et je ne comprenais pourquoi. Le temps passait et je continuais de sentir la chaleur de son regard sur moi. Partout où j’allais, elle me suivait de ses prunelles. Je n’avais jamais vu quelqu’un se défaire tant que cela des conventions attendues. Par ailleurs, aucun homme ne s’empressait de la retrouver. Elle était juste seule. Cependant, aucune solitude ne semblait l’atteindre.
Je fus prise d’une fatigue frappante et le besoin de trouver un lot de consolation rafraichissant devint mon ultime quête. Je me faufilais donc entre les danseurs endiablés, les tapisseries humaines et les hommes acheminés au bout de la salle, tabac en main. Je tendis mon gant vers le verre de limonade, il heurta l’un de ses confrères. De fins doigts virent se décalées gracieusement avant qu’un mot d’excuse ne viennent se déposer au creux de mes oreilles. Une voix mélodieuse au possible venait de s’offrir à moi et je portai mes yeux sur cette jeune femme. Je reconnu instantanément la soie bleue de son vêtement. La voyeuse de la soirée se tenait pour la première fois seule avec moi. Elle m’adressa un sourire tel que je n’en avais jamais vu de pareil. Il semblait dépourvu de toute malhonnêteté. Elle était si belle et je me demandais comment aucun de ces hommes ne cherchaient à obtenir une danse avec elle.
De ce que je compris, Judith pratiquait le piano forte et le violon, connaissait le latin et le grec, parlait l’allemand et le français, apprenait la physique et les sciences, et par-dessus tout aimait l’imagination débordante de l’art et de la beauté des images. Cette Judith avait toutes les qualités demandées par tous les hommes les plus exigent de ce monde et pourtant personne ne se précipitait à ces pieds. Si j’avais été un homme, je lui aurais offert les plus belles merveilles que ce monde avait à offrir.
Sa compagnie avait fait fuir le temps qui s’était dérobé si rapidement. Dans la voiture, mère me fit les plus beaux compliments sur ma prestation du soir. Tous les regards étaient posés sur moi et j’en fut ravie. Si mon concubinage prochain avec le duc attisait tant l’attention durant cette saison, je n’avais pas à m’inquiéter de ma réputation ainsi que des prétendants.
Je repassais chaque moment dans mon esprit et plus je le faisais, plus la soirée me semblait radieuse. Je ne sentais pas les coups du peigne dans les nœuds de mes cheveux, pas même la chaleur de mes joues rougies, ni même la sensation agréable du corset à peine tombé.
Alors qu’Olga vint faire ma toilette pour la nuit, je fus prise d’une envie incontrôlable. Je me ruai à mon secrétaire, pris une plume qui restait sur l’étagère et de l’encre et j’écrivis un message. Elle était à destination de Judith McAby :
« Chère Mademoiselle McAby,
Je voulais vous remercier pour cette soirée. Cela peut vous paraitre étrange mais je n’avais pas ri de la sorte et de façon si sincère depuis bien longtemps, alors merci à vous. J’espère que ceci est réciproque et que la journée vous a été agréable.
Mademoiselle Harington »