Isaure conduit le cheval et prit un chemin de terre, qui ressemblait à la route empruntée par les engins agricole du domaine. De réputation, Tibère savait que Couzières possédait une cinquantaine d’arpents de terre et qu’à l’origine, c’était une résidence de chasse.
— J’aime passer par ici, la route est plus ombragée. Vous pouvez découvrir le lieu, par la même occasion.
Il hocha la tête en silence et regarda autour de lui avec curiosité.
Isaure avança lentement, désireuse de prendre son temps. La journée était si agréable ! Elle était enfin au terme de son voyage et savourait ces derniers pas. Elle secoua légèrement la tête, la chevauchée lui avait donné plus chaud qu’elle ne l’avait pensé.
— Que savez-vous de ce château ? demanda-t-elle, se rappelant que le jeune homme connaissait la demeure.
— Et bien, commença Tibère d’un ton hésitant, je sais qu’il a été longtemps la propriété des ducs de Rohan et que c’était leur résidence secondaire. Marie de Médicis et le Roi, son fils Louis XIII, se sont rencontrés ici par le biais de Mazarin en 1619 pour se réconcilier après… après une dispute.
Il avait brusquement fini sa phrase. Évidemment, il en savait bien plus. Comme le fait que le château fut la dernière demeure du prestigieux Duc de Rohan, gouverneur d’Île-de-France et qu’il avait été racheté il y a quelques années par un riche négociant de Tours, Charles-Antoine Padelinetty. Sans doute un membre de la famille d’Honorine de Sérocourt. Mais il choisit de se taire à temps.
— Vous me surprenez, Térence, sourit la jeune femme.
— Ce n’est rien, tout le monde sait cela…, déclara-t-il en rentrant sa tête entre les épaules.
La route devint pentue, ils ralentirent l’allure. Sous l’effort, leurs bras se frôlèrent plusieurs fois.
Isaure ne bougea pas, continuant d’observer de temps à autre les grains de beauté qui décoraient le cou de Tibère. Le sang afflua ses joues, elle sentait encore ses omoplates pressés contre ses seins et son bassin contre son ventre.
— Il y a beaucoup de sources, dans les environs. Cela conserve la fraîcheur en été, déclara-t-elle sur le ton de la conversation.
Intérieurement, elle se traita d’idiote.
Tu es attirée par lui uniquement parce que tu sais que les dés de ton destin sont jetés ! pensa-t-elle. Tu cherches juste un échappatoire, une issue… Alors qu’il n’y en a aucune.
Tibère découvrit la demeure de Couzières au fur et à mesure de leur avancée sur le chemin de sable. Il vit en premier deux tours rondes, visibles de loin, car les toitures grises se distinguaient entre les arbres. Percées par trois hautes fenêtres rectangulaires chacune, elles encadraient la façade principale.
Ils continuèrent la route d’un pas lent et quittèrent le bois, quelques insectes volants leur passèrent devant les yeux. Ils entrèrent dans un jardin à la française tout en fleur et à la symétrie maitrisée. En son centre, Tibère remarqua un bassin surmonté d’une colonne ou d’une fontaine. Ils étaient à présent en face du château et remontèrent une allée festonnée d’arbustes odorants et de rosiers. Au bout, un large escalier d’une quinzaine de marches, bordé d’une solide rambarde en pierre blanche, menait à une terrasse et à l’entrée principale. La porte était grande, centrée dans le corps du logis et surmontée d’un fronton où était incrustée une horloge ronde. Deux grandes fenêtres à gauche et deux grandes fenêtres à droite ouvraient la façade au rez-de-chaussée. Les combles étaient ouverts de deux lucarnes et quatre cheminées apparentes s’élevaient au-dessus du toit. Un petit clocheton en fer forgé surmontait la demeure en plein milieu, assorti aux épis de faitage pointus des deux tours.
Une petite douve, fort décorative passait sous l’escalier, les grilles en arc de cercle ajoutaient du charme à l’ensemble et rappela qu’à l’origine, le petit château résidentiel était une forteresse.
Tibère ne put s’empêcher d’admirer l’ensemble, bien plus moderne et poétique que Vaufoynard.
Ils ne s’arrêtèrent pas devant l’entrée, réservée aux invités et aux propriétaires. Ils passèrent sur le côté gauche en remontant un petit coteau et arrivèrent dans une cour dégagée. L’espace était en partie couvert d’une pelouse grasse et bien entretenue, décoré par quelques arbustes et par un puits en pierre.
Deux grandes dépendances, adossées à la pente, encerclaient la demeure. Leurs fenêtres étaient presque aussi larges que celles du château. À côté d’une des portes, une dame plumait une poule sur un tabouret.
Cette dernière, en voyant Isaure, se redressa immédiatement :
— Mademoiselle, vous êtes là ! Je suis confuse…
— Tout va bien, je suis arrivée en avance, la voiture de Madame ne devrait point tarder à arriver. Pourriez-vous appeler l’intendant de la maison ? J’ai une lettre à lui confier, ainsi que ce jeune homme.
La servante secoua son tablier de plumes et hocha la tête, en jetant un regard curieux vers Tibère. Elle s’éclipsa ensuite dans le bâtiment, appelant quelqu’un.
En attendant, l’héritier en fuite des Petremand de Frosnier regarda autour de lui. Des brouettes ainsi que des outils et des charrettes étaient entreposés tout au fond de la cour, le long d’une façade basse de plafond.
— Madame de Serocourt compte faire des travaux, expliqua Isaure en lisant dans ses pensées. Cette année, cette aile sera détruite pour ouvrir la cour de derrière et séparer le logis principal des communs.
— Cela ajoutera une certaine intimité à la demeure, concilia le jeune homme.
Il regarda la haute façade du château, également décoré de ce côté. On pouvait y lire distinctement les armoiries des anciens propriétaires, les ducs de Rohan. La famille la plus prestigieuse de Touraine…
Isaure ne put s’empêcher de remarquer la curiosité de Tibère. Sans nul doute, c’était un garçon intelligent, ayant reçu une éducation peut-être plus poussée que la moyenne des paysans.
Un homme fit son apparition, semblant affairé. Une prodigieuse moustache à la hongroise traversait son visage et il portait un uniforme bleu ciel, légèrement tendu au niveau de son estomac. Il vint à eux en marmonnant, mais les salua avec toute la politesse du monde. Sans aucun doute s’agissait-il de l’intendant du Château. D’un geste martial, Isaure lui fourra la lettre dans la main et poussa Tibère devant elle.
— Je vous laisse prendre connaissance de ce courrier.
L’homme bourru ouvrit la lettre et se mit à lire. À la fin, il plia le cachet et le rangea dans la poche de sa veste.
— Monsieur Dignard, au nom de l’ensemble des gens de cette maison, je vous remercie pour l’aide que vous avez apportée à Mademoiselle de Corneilhan. Madame de Sérocourt me demande de vous prendre à l’essai. Ce n’est point l’ouvrage qui va manquer, dans les prochaines semaines, à cause des travaux de cet été… Cependant, je dois connaître vos compétences. Où avez-vous travaillé auparavant et dans quelle maison, je vous prie ?
Le ton légèrement hautain de l’intendant fit serrer les dents de Tibère, qui ne se démonta pas pour autant. Il avait tourné son histoire longuement dans sa tête avant de l’énoncer :
— Je sais un peu lire, écrire et compter, j’ai travaillé comme l’assistant de mon oncle, qui est commerçant. J’ai commencé comme commis. Il m’a rapidement abandonné, car ses charges étaient trop lourdes, la guerre l’ayant appauvri. J’ai travaillé dans une famille, résidant sur la Montagne Sainte-Geneviève, dans le 5e arrondissement de Paris. J’ai commencé un apprentissage pour devenir valet de pied.
Ayant été en pension pendant des années dans ce quartier, Tibère connaissait les lieux. Si les questions devenaient trop pressantes, il saurait répondre avec exactitude.
— Hum, Paris… Je comprends mieux pourquoi vous ne possédez pas l’accent des gens du coin. Vous avez de l’éducation ? Vous connaissez les règles ? questionna encore l’intendant en se grattant l’oreille.
Il se demandait déjà comme un jeune garçon comme lui avait fini sur les routes de France, loin de la capitale. Isaure, elle, écoutait avec la plus grande attention.
— Oui, bien sûr…, répondit Tibère. En tout cas, celles qui étaient pratiquées par la famille chez qui je travaillais. Je suis retourné en Touraine pour chercher du travail.
— Hum… Exceptionnellement, je ne demanderai pas les raisons qui vous ont poussé à quitter Paris. Je fais confiance au jugement de Madame et je n’ai point mon avis à donner, dans tous les cas. Je vous garderai à l’œil, cependant. Vous serez affecté au service de Mademoiselle d’Haubersart durant son séjour.
Tibère tourna la tête vers la jeune femme, qui avait disparu avec sa monture. Il eut un pincement au cœur de la voir partie.
L’homme en uniforme et à la magnifique moustache ne sembla pas s’émouvoir de le voir abandonné si subitement. Il déclara :
— Entrez, je vais vous expliquer les règles de la maison et vous faire signer votre contrat. Vous logerez dans un des étages, étant donné que vous serez missionné auprès de Mademoiselle. Vous irez ensuite trouver votre uniforme au bout du couloir… Les journées commencent à cinq heures trente.
Le jeune garçon grimaça. Jamais auparavant, il ne s’était levé aussi tôt.
Tibère poussa la porte indiquée et vit dans le couloir une jeune femme en uniforme de bonne. Il la croisa furtivement, mais eut le temps de remarquer qu’elle possédait des yeux verts ainsi qu’une chevelure noisette. Elle le voyant, elle lui adressa un sourire.
— Eh toi ! l’interpella-t-elle soudain, je ne t’ai jamais vu par ici, d’où est-ce que tu viens ? Si tu veux livrer quelque chose, il faut rester dans l’entrée des cuisines. Vous n’êtes pas autorisé à entrer.
— Je ne suis pas un livreur, je viens d’être engagé.
Elle le jaugea rapidement et eut un petit sourire au coin :
— Tu me sembles bien jeune, c’est pour travailler au potager ou en cuisine ? Tu as vu l’intendant ?
— Oui, s’offusqua Tibère, c’est pour faire un peu de tout… et devenir valet de pied. Cependant Mademoiselle, je dois vous dire que je ne suis pas aussi jeune que mon apparence vous le laisse croire.
La servante leva un œil surpris en entendant ses élégantes paroles. Cela faisait bien longtemps qu’on ne lui avait pas donné du Mademoiselle !
— Voyez-vous cela... Je m’excuse, cher Monsieur. Vous êtes Monsieur comment, déjà ?
— Ah, veuillez m’excuser. Je suis Térence Dignard.
— Et moi je suis Marie-Rose, dit la fille d’un ton amusé.
— Ravie de faire votre connaissance, Mademoiselle. Puis-je vous poser une question ?
Elle se sentit flattée.
— Vous pouvez, oui.
— À qui dois-je demander l’uniforme de la maison ?
— À moi, bien sûr ! Venez par là, mon garçon…, elle se rappela de son erreur précédente et s’excusa :
— Puis-je vous appeler par votre prénom ?
Il hocha la tête à l’affirmative.
Elle le guida vers une pièce dans laquelle se trouvait une armoire vernie et l’ouvrit avec une petite clef. Elle retira un ensemble d’un bleu ciel, surmonté d’un foulard vert formant un petit nœud sur le devant.
— Le bleu et le vert, ce sont les couleurs de la maison, expliqua-t-elle en montrant sa propre robe.
Sa robe en coton était du même bleu ciel et son long tablier était blanc, rayé à l’horizontale d’un vert printanier.
Son bonnet était assorti, surmonté d’un ruban bleu.
— Je vais vous guider jusqu’au couloir des hommes, Térence. Vous a-t-on expliqué les règles de la maison ?
— Oui, répondit-il simplement.
Il essayait déjà de mémoriser les couloirs qu’il arpentait. En silence, Marie-Rose l’observait. Quelle chance, d’avoir un nouveau collègue si joli garçon ! Un peu maladroit et jeune, peut-être… mais si agréable à regarder !
Elle pensa aux autres servantes, qui sans aucun doute, se précipiteront sur lui.
Il a l’air si candide, elles n’en feront qu’une bouchée ! pensa-t-elle.
— Et voilà mon garç… Térence, annonça-t-elle aux pieds des escaliers qui menaient au quartier des hommes. Je vous laisse vous changer, je vais vous attendre, pour ensuite vous faire visiter le reste de la maison.
Elle papillonna des yeux et lui adressa son sourire le plus éblouissant.
Tibère l’observa se trémousser sans réaliser que ces manières lui étaient adressées et la remercia d’un signe de tête, avant de grimper les marches grinçantes.
Comme indiqué par le majordome, il entra dans la quatrième chambre sur sa droite. Deux des trois lits étaient déjà occupés, deux armoires et trois tables de chevets en bois vernis habillaient la pièce, il y avait également une cruche remplie d’eau fraîche, une bassine en faïence pour se laver et un miroir, sans doute pour se raser. Le jeune homme posa nonchalamment son baluchon sur le parquet et s’assit quelques minutes sur son nouveau lit. Le matelas était effroyablement mou et les draps rêches. Il remarqua qu’une vieille tasse entreposée dans un angle servait à recueillir une fuite au plafond et la lucarne qui servait de fenêtre laissait passer des courants d’air.
— Allons, se dit-il, c’est toujours mieux que cette horrible maison aux murs moisis et tout cela est temporaire. Ce n’est l’affaire que de quelques mois.
Malgré tout, il ne put réprimer un frisson : que cela devait être horrible, de loger ici en plein hiver ! Sans intimité ni lumière, avec ce matelas horrible et ces couvertures élimées ! Il poussa un profond soupir et réalisa combien la chevauchée de ce matin l’avait épuisé. Le souvenir d’Isaure lui arracha une grimace. Il pouvait encore sentir son parfum et la sensation de sa peau contre la sienne. Il renifla, quelle effrontée !
Il bâilla et regarda l’uniforme d’un œil brûlant de fatigue. Dès le lendemain, il devrait commencer à travailler.
Je ferais mieux de me presser, Marie-Rose est en train d’attendre.
Mollement, il se déshabilla et fit sa toilette afin d’enlever la poussière de son voyage. Une fois propre, il enfila l’ensemble bleu et fit de son mieux pour nouer le foulard vert. Pendant de longues minutes, il s’observa dans le petit miroir suspendu à une poutre.
Le jeune homme se découvrit totalement, depuis son départ de Vaufoynard, il n’avait pas eu l’occasion de regarder véritablement son reflet. Ses joues s’étaient creusées, ses yeux enfoncés et puis ses cheveux… ils s’étaient transformés en un véritable nid d’oiseau. Son visage était aussi rouge que celui d’un paysan, passant ses journées sous le soleil de midi, et cela contrastait d’autant plus fort avec le vert de son uniforme. Vêtu de la sorte, il se sentit déguisé et un doute s’empara de lui.
Seigneur Dieu, je ne sais rien faire, mis à part monter à cheval et étudier… Ils vont me renvoyer, lorsqu’ils vont découvrir à quel point je suis un novice sur tous les sujets ! Non, impossible… Je ne dois pas retourner sur les routes, les hommes de Ravignant finiraient par me retrouver et ce sera alors la fin de tout.
Il se regarda un instant droit dans les yeux et repris courage. Rapidement, il rangea ses quelques affaires et descendit les marches afin de rejoindre Marie-Rose.
Cette dernière l’attendait en compagnie de deux autres bonnes, curieuses de découvrir le nouvel arrivant. En le voyant vêtu des couleurs de Couzières, elles se mirent à glousser.
— Et bien, Térence, s’étonna Marie-Rose, vous êtes impeccable ! J’ai rarement vu des hommes nouer aussi bien ce nœud que vous !
— Ah bon ? s’enquit-il avec nervosité, j’ai fait une erreur… C’est aussi un peu grand par endroit.
— Non, non…, répondit la bonne en secouant la tête, vous êtes parfaitement tiré à quatre épingles. Nous ferons repriser ce qu’il faut, mais vous êtes très bien ainsi.
Les autres filles opinèrent du chef et lui jetaient des regards curieux.
— Vous devez avoir faim, je parie ? questionna Marie-Rose en faisant signe à ses collègues de déguerpir, mais qui ne bougèrent pas d’un cil. Venez, je vais vous conduire aux cuisines ! Une bonne terrine et des tartines de fromage vous attendent.
Le convoi fit son retour quelque temps plus tard. Bien sûr, Tibère ne fut pas convié à accueillir Louise ni à s’enquérir de sa santé. Il était à présent un laquais comme un autre, œuvrant dans cette confortable demeure de campagne. Ses deux compagnons de chambre étaient aussi des domestiques au service des Sérocourt et logeaient sous les combles à l’année. Souriants et affables, ce furent eux qui lui posèrent le plus de questions sur sa précédente vie. Il répondit à leurs interrogations haut la main, et agrémenta son récit de réelles anecdotes qu’il avait eu pendant ses années d’études à Paris. Il put leur décrire les boutiques, les rues et les bâtiments tout à loisir et cela renforça la fausse histoire de sa vie.
Comme prévu, il devint le domestique d’Isaure. Une femme de chambre, silencieuse et rabougrie par l’âge, était également à son service lors de ses séjours à Couzières. La jeune femme y avait sa chambre ainsi que plusieurs effets personnels.
Et bien, le jeu commence maintenant, songea-t-il, il va falloir que je me souvienne de tout ce que mes propres valets devaient faire… Ou ne pas faire.
Déterminé à réussir son plan, le jeune héritier fit de son mieux pour intégrer son nouveau rôle.
***
Isaure n’était pas habituée à l’idée d’avoir des gens à son service. Elle se fit pourtant violence, car ce genre de chose allait de pair avec son nouveau rang à tenir. À peine arrivée dans sa chambre, elle fit sa toilette et fit une sieste, exténuée par sa journée et par la nuit qu’elle avait vécu.
Elle se réveilla finalement à l’aube, l’estomac gargouillant de faim. Immédiatement, elle pensa à Louise. Après avoir déjeuné en compagnie de ses amis les Sérocourt, elle visita la jeune femme.
Louise dormait encore profondément, sans doute à cause des médicaments prescrits par son médecin de famille.
— Ne vous en faites pas, ma chère, je rejoindrais ma nouvelle maison dès que vous serez remise sur pieds. Je ne vous quitterai pas avant.
Elle tapota la main de la malade et quitta la pièce. Sur le palier, elle eut un sursaut. Térence Dignard lui faisait face, les yeux écarquillés de surprise. Il portait comme les autres domestiques de la maison, l’uniforme bleu ciel et vert pâle. Elle ne put s’empêcher de songer que cette tenue lui allait à ravir, comme s’il était né dans des draps de soie.
— Bonjour, Térence, dit-elle dans un sourire.
Elle réalisa qu’elle était heureuse de le croiser ici.
— Mademoiselle…, répondit ce dernier d’un ton froid.
— Que faites-vous ici ?
— Je viens garder la porte de Mademoiselle de Corneilhan, en l’absence de sa garde-malade. Si elle se réveille, je pourrais appeler Madame de Serocourt.
— Je vois…
Il y eut un petit silence. Isaure songea que le jeune homme ne pouvait passer ses journées à attendre d’être appelé par elle.
Qu’attend-elle pour décamper ? se questionna Tibère avec agacement.
— Cet uniforme vous va bien. Mais les manches sont un peu longues, je crois.
Gêné, il cacha ses poignets derrière son dos et attendit de la voir partir.
— Monsieur Dignard ! s’exclama soudain une voix dans le couloir.
Ils se retournèrent en sursautant. L’intendant à l’énorme moustache venait à eux, tenant un document à la main.
— Pardonnez-moi, Mademoiselle d’Haubersart.
Il fit une rapide courbette avant de se retourner vers le jeune homme, qui se tenait raide comme un piquet.
— Vous avez oublié de signer votre contrat, mon garçon !
Il posa la feuille sur un guéridon, poussa légèrement un vase et lui tendit sa plume.
Tibère avala sa salive et se rappela que Marie-Rose n’avait fait que lui faire lire les pages. Rouge de confusion, il signa le document.
Isaure écarquilla des yeux en voyant sa main tracer son nom. Son écriture était si fine, si déliée ! Impossible qu’il sache à peine lire et écrire !
— Et bien, Monsieur Dignard, siffla l’intendant, vous allez m’aider aux rédactions ! Vous avez un sacré coup de plume !
— Ah, merci…
Quel imbécile ! s’insurgea-t-il contre lui même, pourquoi n’ai-je pas pensé à trembler !
— Je demanderai au maitre s’il a besoin d’un assistant, pour son courrier. Il n’ose le dire, mais sa vue baisse. Allons, je ne vous dérange pas plus.
Aussi vite qu’il était arrivé, l’intendant disparut dans le couloir, visiblement enchanté. Tibère avala sa salive et son regard bascula sur Isaure, qui demeurait aussi immobile qu’une statue de pierre.
Ce matin-là, elle portait un chemisier rouge en soi, au col relevé, ourlé de dentelle. Sa jupe blanche était piquée d’un plumetis vert foncé et découvrait légèrement ses chevilles. Encore une fois, il était surpris par sa haute stature. Elle sembla le toiser en silence pour finalement prononcer :
— Térence, dites-moi… Puis-je compter sur vous, ce soir ?
— Comment ? demanda-t-il, les yeux écarquillés.
Elle le fixa durant quelques secondes droit dans les yeux. Elle avait les lèvres légèrement entrouvertes, comme si sa réponse était l’issu d’un enjeu fort important.
Il s’entendit répondre :
— Oui, bien sûr, Mademoiselle.
Elle se pencha sur lui et lui chuchota à l’oreille :
— Parfait, à deux heures du matin, j’attendrai votre arrivée. Vous vous souvenez de la route que nous avons empruntée hier ?
Il se recula et sentit le pied du guéridon cogner contre sa jambe.
— Oui.
— Parfait, je vous donne rendez-vous là-bas. Soyez à l’heure.
Isaure eut un magnifique sourire et lui fit un signe de tête, avant de quitter les lieux.
Enfin seul, il put de nouveau respirer. Dieu, son parfum lui vrillait les sens !
Isaure descendit les quelques marches du seul étage de la maison et se rendit à la bibliothèque, contente de pouvoir mener sa mission à bien.
Elle poussa la porte et entra dans la pièce, où se reposait Isidore de Serocourt. Le voyant déjà assoupi dans son fauteuil, un livre ouvert sur l’estomac, elle passa devant lui à pas de loup.
Rapidement, elle trouva du papier et une plume et s’installa au bureau afin d’écrire une missive à Camille. Avec soin, elle raconta son voyage et la maladie de Louise, tout en rassurant l’enfant qu’elle serait vite rétablie. Elle lui narra ensuite leur nuit dans la chaumière ainsi que sa rencontre avec Térence, puis son arrivée à Couzières.
« Je viendrai te retrouver dès que Louise se sentira mieux, je t’apporterai de sa part de la pâte de fruits et je suis sûre qu’Honorine glissera dans mes bagages quelques caramels à ton intention. Elle t’invite d’ailleurs très bientôt, j’espère que cela sera possible avant la fin de l’été. Je prévois de rester quelques jours avec toi, avant de retourner sur Paris. Bien sûr, je t’écrirai tous les jours. Tu pourras me raconter tes aventures au bord de l’Indre… »
La jeune femme se surprit à soupirer, dès son retour à l’Islette, elle devrait repartir pour la capitale… Il lui restait tant à faire !
C’est un mal pour un bien, pensa-t-elle, le cœur serré. Je rejoindrai Camille, je me trouverai un époux riche et enclin à partager mon domaine équitablement et nous vivrons ensemble dans le plus grand bonheur. Mais en attendant…
En attendant, elle devait en savoir plus sur ces hommes étranges qui sillonnaient la Touraine. La veille, Isidore avait été bien plus explicite que sa femme à ce sujet :
— Je pense que nous devrions nous en soucier, avait-il dit en plissant les yeux derrière ses lunettes. L’armée est loin, ce ne sont pas des déserteurs ni des voleurs… Ils n’en sont donc que plus suspects. J’ai demandé à Monsieur Bassereau, le maire de Montbazon, de veiller au grain. Selon moi, ils cherchent quelqu’un.
Isaure avait compris ce que voulait dire son vieil ami. Elle devait se montrer prudente et savoir qui étaient ces hommes et pour qui ils travaillaient. Si elle était découverte, elle risquait sa vie… Et celle de Camille.
La jeune femme cacheta sa lettre et la posa parmi les enveloppes à envoyer. Ensuite, elle retourna dans sa chambre pour y retrouver son pistolet. Machinalement, elle le démonta et se mit à le nettoyer, comme le lui avait appris son défunt père. Que dirait-il, en la voyant aujourd’hui ? Sans doute, de là-haut, était-il satisfait de la voir accomplir ses dernières volontés… Mais sa mère ? Son estomac se serra, sa mère n’aurait jamais voulu la voir ici, une arme entre les mains.
Isaure tripota sa médaille de baptême en soupirant. Elle était prête à tout pour protéger ce qu’elle avait mis en place depuis des années.
***
À la nuit tombée, une silhouette encapuchonnée se détacha d’une des fenêtres du rez-de-chaussée. Elle passa sans un bruit devant le premier logis et prit la direction des écuries. L’énorme chien de garde de la demeure de Couzières ne daigna même pas lever une oreille. Quelques secondes plus tard, l’ombre masquée fit son apparition, tirant un cheval par la bride. Elle prit soin passer par la pelouse, afin de ne point faire claquer les sabots du cheval sur le pavé. Arrivée sur le chemin de terre, la silhouette monta en selle et disparut entre les arbres, camouflés d’obscurité.
Je te fais un retour sur ce nouveau chapitre :)
Alors je trouve que c'est bien, l'histoire s'étoffe. Je suis curieuse d'en savoir plus sur le passé et l'histoire d'Isaure !
Les descriptions sont chouettes aussi, j'ai bien aimé l'arrivée au domaine de Couzières.
Voici quelques remarques sur la forme :
- "Il se demandait déjà comme un jeune garçon comme lui avait fini sur les routes" -> Je dois dire que je suis toujours un peu déroutée par ses pointes omniscientes. Je trouve que tu es à cheval entre un récit omniscient et une vue interne xD
- "Elle le voyant" -> en le voyant ?
- "Si tu veux livrer quelque chose, il faut rester dans l’entrée des cuisines. Vous n’êtes pas autorisé à entrer." -> sur ce passage, tu alternes entre tutoiement et vouvoiement, ça m'a fait curieux.
-"eut un petit sourire au coin" -> en coin ?
- "Un peu maladroit et jeune" -> je n'ai pas compris pourquoi "maladroit", il ne m'a pas semblé particulièrement maladroit dans ce passage. Mal à l'aise, sans doute, mais pas maladroit.
- "se précipiteront sur lui." -> se précipiteraient ?
- "repris courage" -> reprit
- "Les autres filles opinèrent du chef et lui jetaient des regards curieux." -> et lui jetèrent pour respecter la concordance des temps.
- "Elle prit soin passer par la pelouse" -> soin de* passer
À bientôt ! :)