Confortablement installé sur le dos d’Apalla, Soreth laissa son regard vagabonder sur les lointaines murailles de Hauteroche. La ville semblait paisible à cette distance, et rien ne permettait de deviner les tourments qu’elle avait traversés. D’ailleurs, les marchands et marchandes qui s’agglutinaient aux portes sous le soleil matinal, ravis de venir vendre leurs provisions maintenant que les routes étaient défendues, et, comme les dockers avaient repris leur travail, des bateaux couverts de mouettes et de goélands circulaient à nouveau sur le Limes. Un sourire tranquille sur les lèvres, le prince tourna les yeux vers Lyne, qui les avait fait s’arrêter au bord du fleuve afin de saluer une dernière fois la cité.
— Si tu as des regrets, nous pouvons rester quelques jours de plus.
La prétorienne secoua la tête en contemplant l’horizon.
— J’en ai assez vu pour le moment. Tout le monde est en effervescence là-bas, et c’est frustrant de ne pas pouvoir aider.
Elle soupira en regardant son attelle. Soreth ne put s’empêcher de pouffer.
— On vient tout juste d’en finir avec Mascarade. Tu as le droit de souffler un peu, tu sais.
— Sans doute. C’est juste que… je me sens coupable de les laisser comme ça.
Le jeune homme fronça les sourcils et approcha sa monture de celle de son équipière. Arrivé à sa hauteur, il lui caressa délicatement le visage, sur lequel il ne restait presque plus de traces de leurs récents combats, et attendit qu’elle poursuive.
— J’ai beaucoup maugréé contre Hauteroche, mais c’est nous qui l’avons fondée. En créant un bouclier commercial pour garantir la paix, nous avons ouvert la voie à des individus comme Isyse et Yllan. Même si Trisron a raison et que c’est mieux que la guerre, je ne pense pas qu’Erell aurait voulu que notre tranquillité dépende du malheur d’autrui.
— Hélas, nous ne pouvons pas inverser le choix de nos ancêtres. Toutefois, je crois que les choses vont progresser dans le bon sens après cette semaine, et plus encore une fois que le réseau de Mascarade aura été démantelé. D’autant qu’il y a beaucoup de personnes de bonne volonté là-bas.
Lyne acquiesça avant de se tourner vers son ami en souriant.
— Et puis, il n’y a pas que des désavantages à leur système ! Ils n’ont pas de noblesse, et j’aime bien cette histoire de vote. Ce n’est pas tout à fait au point, mais c’est intrigant.
— Des élections, s’esclaffa Soreth en effrayant deux poules d’eau au loin, quelle bonne idée ! Le conseil Erellien n’est pas au bout de ses surprises avec toi.
Riant à son tour, sa partenaire tapota la bourse dans laquelle elle avait rangé la médaille qu’on lui avait remise pour avoir sauvé la ville. C’était Trisron qui l’avait réclamé, en gage de confiance et de reconnaissance, et elle n’avait eu d’autre choix que de l’accepter.
— S’ils ne sont pas contents, il y a deux postes de capitaines qui se sont libérés à Hauteroche. Ils seront ravis de nous avoir, moi et mes « bonnes idées ».
— Une mission et tu veux déjà partir ailleurs, soupira faussement son ami, moi qui pensais que nous ne nous entendions pas trop mal.
— Ne t’inquiète pas. Tu pourras toujours être mon aide de camp.
Un nouveau sourire se dessina sur le visage de Soreth, et il se pencha pour embrasser son interlocutrice. Aide de camp, c’était un travail tentant si cela leur permettait d’être ensemble. Hélas, ils étaient avant tout des prétoriens.
Ils s’écartèrent l’un de l’autre après quelques instants et regagnèrent la grande route, où de nombreuses charrettes allaient et venaient. Un peu de normalité, Soreth ne demandait que cela.
— Je suis contente pour Solveg, reprit Lyne tandis qu’ils dépassaient un groupe de voyageurs, elle fera une bonne capitaine. En y réfléchissant, je n’aurais vraiment pas aimé être à sa place. Crois-tu que…
— Les familles des gardes royaux sont toutes sous surveillance à Lonvois, répondit le prince avant qu’elle formule sa question, nous pouvons cependant inviter la tienne au château si cela te rassure.
La prétorienne arbora un air soulagé avant de secouer la tête.
— Mes parents ne comprendraient pas et ils apprécient trop la ville pour ne plus y vivre. Je vais faire confiance à votre sécurité. De toute façon, je peux compter sur la meilleure arme du royaume en cas de besoin.
Alors que la chaleur lui montait au visage, Soreth leva les yeux au ciel pour dissimuler sa fierté. Même si Lyne plaisantait, il était heureux qu’elle puisse se reposer sur lui. Pour la première fois depuis qu’il était devenu un prétorien, il n’était plus seul.
— J’espère que nous n’en arriverons pas là, mais tu peux être sûr que je ferai tout pour protéger les tiens.
Son interlocutrice se pencha pour lui embrasser la joue.
— Merci ! Notre travail n’est pas simple, mais être à tes côtés est une bonne compensation.
Le prince acquiesça, détaillant en même temps sa partenaire d’un air songeur, puis demanda d’une voix incertaine.
— Je me disais que, mais uniquement si tu le souhaites, nous pourrions peut-être prendre quelques jours de repos. Je connais un refuge près d’un lac sur le chemin du retour. Il te plairait sûrement. Nous pourrions y passer un peu de temps tous les deux pendant que ton bras se remet. Je crois que le monde peu tourner sans nous. Enfin, au moins un peu.
D’abord amusée par sa confusion, Lyne rougit quand elle comprit où il voulait en venir et plongea ses yeux dans les siens. Un magnifique sourire se dessina ensuite sur ses lèvres, et elle répondit avec enthousiasme.
— J’adorerai cela.