Lorsque Lyne, Morgane et Tolvan redescendirent des remparts de Hauteroche, non sans y avoir laissé des troupes conséquentes, la ville était plongée dans le silence. Tous ceux qui ne s’étaient pas enfermés à cause des émeutes l’avaient fait en entendant le tocsin, et seuls les gardes, les blessés et quelques réfractaires hagards arpentaient encore les rues.
La chambre du conseil, que le trio rejoignit rapidement, faisait exception à cette règle. En plus des militaires mobilisés pour sa défense, de nombreux citoyens et citoyennes s’étaient réfugiés dans ces jardins. Avec les bruits de leurs discussions, de leurs pleurs et, parfois, de leurs rires, ils apportaient une vie bienvenue dans le secteur déserté.
En voyant approcher les deux capitaines et la prétorienne, les gardes de la cour leur adressèrent des regards aussi intrigués que compatissants. Leurs armures étaient ensanglantées, leurs mines épuisées et des bandages couvraient leurs corps endoloris, preuves de l’impitoyable matinée qu’ils venaient de vivre. Morgane et Tolvan la résumèrent en quelques mots aux troupes, puis celles-ci firent à leur tour un rapport succinct sur la situation. Malgré sa fatigue, qui la poussait à écouter d’une oreille distraite, Lyne nota avec soulagement que seul un petit groupe de pillard avait essayé de pénétrer dans le bâtiment. Au moins, il n’y avait pas eu trop de dégâts dans cette partie de la ville.
Une fois le compte rendu terminé, Tolvan salua les militaires, et le trio traversa les jardins de l’édifice. Contempler les centaines de familles réfugiées sous les arbres dégarnis, ici un bébé affamé, là des enfants occupés à jouer, plus loin un couple main dans la main, apaisa davantage Lyne que n’importe quelle victoire. Cela la changeait des blessés et des morts qu’elle voyait depuis que le chaos avait gagné Hauteroche. Elle esquissa même un sourire las lorsque son regard s’arrêta sur la grande tortue de fer et les deux hommes assis en dessous.
Trisron avait une pommette tuméfiée, et la cotte de mailles de Kakeru portait les traces d’un combat récent, mais aucun d’eux ne semblait gravement touché. Comme pour le prouver, le lieutenant bondit sur ses pieds en les apercevant et, après avoir aidé son confrère à l’imiter, les détailla en fronçant les sourcils.
— C’est que vous feriez presque pitié à voir, chevalière. Avez-vous vraiment repoussé une armée ?
Lyne secoua la tête en rougissant.
— Cette rumeur prend beaucoup trop d’ampleurs. Nous avons seulement sonné l’alarme et affronté quelques mercenaires.
— Quatorze, précisa Morgane d’un ton amusée. Alors que nous n’étions que cinq. Ce n’est pas si mal.
Kakeru approuva d’un hochement de tête impressionné, puis de se tourna légèrement vers Trisron.
— Malgré ma curiosité, il va falloir que nous attendions pour que vous me contiez vos exploits autour d’un jus de mangue. Comme le disait notre message, nous avons des informations sur Carassielle.
À l’évocation de la traîtresse, Lyne redressa ses épaules fatiguées et tendit l’oreille tandis que Trisron déclarait.
— Quand les choses se sont calmées dans l’ouest, nous sommes venus voir si nous pouvions nous rendre utiles. C’est ainsi que nous avons aperçu Carassielle entrer discrètement dans les bureaux de l’empire d’Ostrate. J’ai immédiatement envoyé une note à Kalinda, et elle m’a répondu qu’elle la garderait en attendant qu’un capitaine la réclame.
— Parfait, opina Tolvan, je commençais à désespérer de ne pas avoir trouvé cette scélérate dans le quartier sud.
— Moi aussi, grimaça sa consœur, mais je crains ce qu’ils vont nous demander en échange.
Tandis que Lyne acquiesçait, rien n’était jamais gratuit avec Ostrate, le héros secoua la tête, confiant.
— Vous devriez leur accorder plus de crédit. Ils savent que rien n’est plus important que la justice.
Morgane leva un sourcil dubitatif à l’intention de son collègue, mais retint tout commentaire et haussa les épaules avant d’entrer dans le bâtiment. La prétorienne lui emboîta le pas et, sentant son énergie revenir en même temps que sa colère, glissa machinalement la main sur la poignée de son épée. Quoi que l’empire pense de la justice, les machinations de Mascarade s’achèveraient aujourd’hui.
Situé au fond d’un vaste couloir au carrelage constellé d’étoiles, le bureau de Kalinda était gardé par deux militaires à l’armure rouge et or. Elles en ouvrirent la porte sans questions à l’étrange délégation, et ils se retrouvèrent dans une grande pièce garnie de bibliothèques, où Kalinda et Carassielle les attendaient, entourées de deux soldats à la mine sévères.
— Parfait, les salua l’ambassadrice tandis que son invitée se fendait d’une grimace haineuse, la « compagnie » commençait à devenir insupportable.
— Désolé pour notre retard, dame. Nous avions des importuns à déloger.
Pendant que Tolvan s’inclinait respectueusement, Carasielle toisa les nouveaux arrivants avant de braquer des yeux noirs sur la diplomate.
— Vous m’aviez promis votre protection ! N’avez-vous donc aucune parole ?
Un sourire narquois se dessina sur le visage de Kalinda, puis, pour le plus grand plaisir de Lyne, elle rendit son regard à la traîtresse.
— Ne vous a-t-on jamais appris que les engagements ne sont pas à sens unique ? Vous avez tué Harien et comploté contre les vôtres. Le seul honneur qui tienne avec les immondices comme vous, c’est de vous livrer à la justice.
— Pouvons-nous en déduire que vous ne voulez rien en échange de votre prisonnière ? demanda Morgane sans trop y croire.
— Il me semble malvenu de négocier quoi que ce soit après vous avoir assuré que je ferai mon possible pour vous aider, capitaine. J’ose néanmoins espérer que la bonne foi et l’amitié d’Ostrate ne seront pas oubliées trop rapidement.
L’héroïne fronça les sourcils devant cette requête qui n’en était pas une, elle n’appréciait pas les dettes, puis, préférant se concentrer sur la raison de leur venue, tourna les yeux vers Carassielle.
— Avez-vous pu l’interroger avant que nous arrivions ?
— Hélas, elle m’a dit qu’elle se montrerait plus bavarde une fois en Ostrate. Comme cela n’aura pas lieu, je n’ai guère de moyen de pression.
— De toute façon, cracha la politicienne, je ne vous révélerais rien. Amusez-vous avec votre honneur et votre amitié, cela ne vous mènera ni à Riil ni à Solveg !
Un frisson parcourut l’échine de Lyne, ils étaient sans nouvelles de la jeune capitaine depuis des heures, et elle serra les poings en dévisageant Carassielle.
— Pourquoi parlez-vous d’elle ? Savez-vous où elle se trouve ?
— Qu’est-ce que vous n’avez pas compris dans « je n’ai rien à vous dire » ?
— Dame Carassielle, reprit Tolvan avant que Morgane ne détruise un nouveau bureau, vous n’êtes pas obligée de vous entêter dans cette voie. Nous avons suffisamment de preuves pour vous inculper et convaincre n’importe quel juge de votre trahison. Si nous vous interrogeons ce n’est pas pour vous tendre un piège, mais pour que vous n’endossiez pas seule la responsabilité des évènements qui ont frappé Hauteroche. Moins nous aurons de coupables, plus le tribunal voudra que la sentence ait valeur d’exemple.
Cette fois, la politicienne ne chercha pas à répliquer. Son visage blêmit, et elle baissa les yeux vers ses mains. Sans paraître le remarquer, le capitaine se lança dans une longue énumération.
— Les habitants de Brevois, Harien et ses protecteurs, les gardes des silos, sept familles du centre, les soldats de Morgane, les centaines de morts de la matinée. Peu de criminels peuvent se vanter d’avoir versé autant de sang. J’espère que vous n’avez pas prévu de sortir de prison un j…
— Je n’ai tué personne ! Je me suis contentée de donner des renseignements et d’agiter la population en échange d’argent et d’une place au conseil. Cela ne mérite pas la perpétuité.
— Ce n’est pas ce que diraient les cadavres que j’ai ramassé tout à l’heure… De toute façon, vous aurez de la chance si les dockers ne vous lynchent pas avant votre procès.
Devant l’inquiétude, maintenant palpable, de Carasielle, Morgane esquissa un rictus amusé.
— Personnellement, je pense que Mascarade se chargera d’elle en premier. Surtout si nous n’arrivons pas à le trouver.
Si elle n’avait pas autant été en colère, Lyne aurait eu pitié de la politicienne livide. Elle se rendait compte que la partie était terminée, et qu’elle ne s’était pas déroulée comme elle l’avait souhaitée.
— Écoutez, déclara finalement-elle d’un ton implorant, je sais où est Solveg parce que je l’ai vu suivre Riil et que je connais sa cachette à lui. Cet idiot avait décidé que si les choses tournaient mal, il irait dans l’œil de la tempête. Il espérait que Mascarade l’y protégerait.
La gorge de la prétorienne se serra. Elle croisa les regards de ses équipiers sans un mot, essayant d’appréhender ce qu’elle venait d’entendre, puis rassembla son courage pour demander.
— Dites-vous que Solveg est dans l’abri de Mascarade ?
— Absolument. D’ailleurs, vous ne devriez pas traîner si vous voulez avoir une chance de la sauver.
Les militaires se considérèrent une nouvelle fois, puis Morgane grimaça et proposa à contrecœur.
— Explique-nous comment le trouver et nous ferons en sorte que tu ne sois pas jugé que pour les émeutes.
Un sourire victorieux apparut sur les lèvres de Carassielle, mais il se volatilisa lorsque son interlocutrice la foudroya du regard. La politicienne s’efforça néanmoins de garder sa contenance et répondit avec un soupçon de mépris.
— Hélas, je ne sais pas ce que je ferai de ces années gagnées si les dockers me pendent avant mon procès.
— Alors nous nous assurerons que cela n’arrivera pas. Si Tolvan leur demande de se calmer, ils l’écouteront.
La marchande resta un instant songeuse, puis acquiesça lentement ; même elle faisait confiance au héros.
— Isyse et Rampegral étaient chargés d’acheminer les armes et les provisions, mais c’était Riil et moi qui indiquions comment les répartir en fonction des nécessités des brigands, des fortifications et de nos milices. Un soir, Riil m’a fait remarquer que l’un des abris réclamait peu de nourriture et jamais d’équipement. Constatant qu’il n’était pas abandonné, nous en avons conclu que Mascarade le gardait pour lui. Cet idiot a décidé qu’il irait s’y cacher en cas de besoin. Comme si notre « ami » le protégerait autrement qu’en lui tranchant la gorge.
— Épargne-nous tes états d’âme, gronda Morgane en guise de réponse, où est cet endroit ?
— C’est un vieux hangar au milieu du quartier sud, entre le comptoir des îles Viccina et l’auberge du blé noir. Je suis passé plusieurs fois devant, mais la porte était toujours fermée.
Tolvan se tourna vers ses collègues.
— Je devrais pouvoir vous y mener. Il y a eu des plaintes il y a quelques mois, des histoires d’odeurs et de cris. Jarrett devait s’en occuper… pourvu que les riverains soient indemnes.
Lyne opina, murmurant au passage une courte prière pour les victimes du renégat, puis Morgane salua Kalinda d’un mouvement de tête et se dirigea vers la sortie.
— Ne traînons pas. Solveg doit nous attendre.
Tandis que la prétorienne lui emboîtait le pas en espérant qu’il ne soit pas trop tard, le regard Tolvan glissa sur leurs autres interlocuteurs, et il leur demanda d’un ton qu’ils ne pouvaient qu’accepter.
— Conduisez Carassielle dans les cellules de la caserne principale s’il vous plaît. Je suis sûr qu’elle appréciera la compagnie d’Isyse jusqu’à notre retour.
Le trio arriva devant l’entrepôt trois quarts d’heure après avoir quitté la chambre du conseil. Ils s’étaient dépêchés autant que possible, mais avaient tout de même pris le temps de recruter des renforts, deux hommes et deux femmes, avant de regagner le quartier sud. Ils étaient épuisés et ne comptaient pas encourager leurs adversaires à se battre. Lyne redoutait d’ailleurs son prochain combat, et ne continuait d’avancer que dans l’espoir de retrouver Solveg et d’arrêter Mascarade. Après tout ce qu’il avait fait, elle ne pouvait pas le laisser s’enfuir.
Tandis que la prétorienne accompagnait Tolvan jusqu’à la porte de l’abri, les autres soldats se répartirent autour d’eux, indifférents aux mouettes qu’ils dérangeaient. Elle surveilla ensuite les environs, les mains serrées sur son épée et son bouclier, prête à bondir au moindre mouvement suspect, pendant que le capitaine donnait un violent coup de pied dans la serrure rouillée.
À leur grande surprise, il n’y eut pas de fracas de bois, pas d’explosion de charnière, pas même un tremblement de planches vermoulues. Juste un bruit mat, comme l’aurait fait un caillou sur une souche.
Après un instant d’hésitation, passé à considérer sa botte et la porte usée, Tolvan jeta un regard stupéfait à Lyne. Elle hocha la tête, incrédule elle aussi, pour lui confirmer qu’elle avait assisté à la même scène. Derrière eux, une voix rocailleuse s’éleva depuis une ruelle voisine.
— Si vous désirez entrer par la force, Tolvan, il va vous falloir un bélier.
Un sourire se dessina sur le visage de la prétorienne, et elle se retourna pour voir Beorthne se frayer un chemin parmi les soldats étonnés.
— Que voulez-vous dire par là ? Est-ce une histoire de lignes ?
— De nombreux flux solidifient la structure de cet entrepôt, acquiesça le conseiller royal. C’est du très bon travail, même un incendie n’en viendrait pas à bout.
Si le compliment de Beorthne ne le laissait aucun doute sur les compétences de galweid de Mascarade, Lyne mit de côté cette information et demanda à la place.
— Étiez-vous ici durant les émeutes ? L’armée de Joyce a failli rentrer. Vous auriez pu vous faire massacrer.
— Il y avait beaucoup de blessés, répondit nonchalamment le conseiller, et je vous faisais confiance pour les pillards. Il semblerait d’ailleurs que j’ai eu raison.
Un sourire malicieux se dessina sur le visage du vieil homme, faisant comprendre à Lyne d’où Soreth tirait son impertinence, puis il balaya la petite troupe du regard.
— Pourquoi essayez-vous d’enfoncer cette porte ?
— Nous pensons que Mascarade s’est réfugié à l’intérieur, maugréa Morgane, et il a probablement Solveg avec lui.
Le galweid secoua la tête, une moue contrite sur les lèvres.
— Il va falloir briser la structure des lignes pour entrer. Heureusement qu’il est plus facile de détruire que de créer.
Rassurée par les propos de Beorthne, il y avait au moins quelqu’un qui savait ce qu’il faisait ici, Lyne le suivit des yeux pendant qu’il se dirigeait vers la gauche de l’entrepôt. Il s’y arrêta aussi droit qu’un « i », puis, sous les regards intrigués des militaires, leva son bâton d’un demi-mètre. Au bout de quelques secondes, la pierre d’Eff qui l’ornait se mit à luire. Puis, comme pour lui répondre, ses anneaux d’orichalques vibrèrent à l’unisson. La pointe de l’instrument redescendit alors vers le sol et claqua sèchement sur les pavés enneigés.
Tandis que le bruit de l’impact se dispersait dans la rue, Lyne eut l’impression de perdre l’équilibre et arqua les jambes pour ne pas chuter. Morgane, Tolvan et deux des gardes l’imitèrent. Les autres, plus proches de Beorthne, tombèrent à ses pieds.
Toujours aussi droit, malgré la sueur qui perlait sur son visage, le galweid leur adressa un regard amusé.
— On ne peut pas disloquer des lignes d’Eff sans troubler ceux qui s’y enracinent.
Il se pencha ensuite pour les aider à se relever et ajouta.
— Au moins, cette vieille porte ne devrait plus être un problème.
Tolvan le remercia d’un signe de tête respectueux et s’approcha à nouveau de l’entrée. Lyne lui emboîta le pas, à l’instar des autres soldats, et s’efforça de repousser sa curiosité pour se concentrer sur la protection du héros.
Le premier coup de pied fit trembler les clous de la serrure. Le second arracha le métal rouillé du bois et ouvrit la porte dans un nuage de poussière. Tolvan s’engouffra aussitôt dans la pièce sans lumière, suivi de près par Morgane, qui annonça d’une voix forte leur arrivée, et Lyne, scrutant les ombres. La prétorienne constata ce faisant que Beorthne s’était faufilé derrière elle, sa répugnance des combats ayant cédé devant son envie de découvrir son alter ego maléfique. Elle ne s’en inquiéta pas, il était largement capable de se défendre, et garda son attention focalisée sur les caisses et tonneaux alignés autour d’eux. Ceux ouverts contenaient du fer ou de la roche. D’autres, fermés, empestaient la nourriture avariée et l’eau croupie.
Tandis que les militaires avançaient prudemment au milieu des rangées de provisions, redoutant ce que les ténèbres y cachaient, Beorthne fit tournoyer son bâton, créant une douce lueur son extrémité. Quelque peu rassurés, les soldats fouillèrent plus rapidement la pièce, sans y trouver la moindre trace de danger, avant de se regrouper à son coin nord, au-dessus d’une vieille trappe en bois.
— J’ai comme une impression de déjà vu, soupira Morgane à l’idée de redescendre dans un tunnel.
Empoignant l’anneau d’acier à ses pieds, Lyne ajouta pour se montrer optimiste.
— Au moins, nous savons ce que nous allons y découvrir.
Tandis que les gonds de l’ouverture grinçaient sinistrement, Tolvan ordonna à un militaire au visage buriné et une militaire bouclée de protéger l’entrée en attendant les renforts. Ceux-ci opinèrent malgré leur déception de ne pas poursuivre une arrestation qui terminerait dans les annales et, après un dernier coup d’œil à l’échelle que Lyne venait de révéler, se dirigèrent vers la porte.
Loin de partager leur enthousiasme, elle avait atteint son quota d’aventure pour les prochaines semaines, la prétorienne jeta un regard à la rampe obscure, puis au jeune soldat à la peau brune et à la garde blonde restés avec eux. Si Mascarade souhaitait garder l’anonymat, il était peu probable qu’il ait des mercenaires avec lui. Six contre deux. C’était en leur faveur pour fois.
— Une fois en bas, déclara Morgane en scrutant les ténèbres, considérez tous le monde comme des suspects dangereux. Nous ferons le tri quand Solveg sera sauvée.
Les militaires acquiescèrent, puis l’un d’eux, Valian, examina l’entrée d’un air motivé.
— Permission de passer en premier, capitaine ? J’ai une bonne vision nocturne.
— Très bien, mais fait attention. Nous ne savons pas ce qu’il y a en dessous.
Il hocha une nouvelle fois la tête, puis posa le pied gauche sur le premier barreau. Tandis que l’obscurité l’engloutissait, sous le regard anxieux de Lyne, sa camarade Corallia murmura.
— Que nos ancêtres nous protègent.
Au bout d’une minute, l’échelle cessa de vibrer, laissant les soldats se dévisager avec inquiétudes. Ils ne pouvaient plus qu’attendre.
Les secondes s’égrainèrent alors aussi lentement des années, ponctuées par les cris lointains des mouettes, puis deux coups brefs résonnèrent dans le conduit. La voie était libre. Soulagée de savoir leur équipier sauf, Lyne descendit la première, rapidement suivie par ses autres compagnons.
Comme dans l’abri précédent, le couloir était vide, dénué de la moindre source de lumière en dehors de celle qui provenait de sa bifurcation, une dizaine de mètres plus loin. Cette fois, Lyne et Morgane avaient néanmoins l’avantage d’avoir des renforts, ainsi que l’éclairage rassurant de Beorthne pour leur garantir qu’il n’y avait aucun danger autour d’elles. Profitant de celui-ci, la troupe progressa silencieusement jusqu’au tournant, puis, avisant que la porte qui protégeait la pièce n’était pas fermée, la franchit au pas de course.
La salle dans laquelle ils arrivèrent était construite dans le même style que les autres cachettes ; la seule différence notable étant la pierre posée au centre du dispositif, encore plus grosse que celle qui ornait le bâton de Beorthne. Les corps ligotés de Riil et Solveg gisaient au pied l’autel, sans qu’il soit possible de dire s’ils respiraient toujours. Dans l’ombre des colonnes, une silhouette était nonchalamment assise, une coupelle à la main. Elle la leva pendant que les cinq militaires se déployaient, le galweid restant derrière eux, et déclara d’une voix étrangement familière.
— Bienvenue dans mon jardin secret.
Lyne sentit son sang se glacer. Morgane jura entre ses dents. Une grimace de dégoût déforma le visage de Tolvan.
— Toi !
— Comment as-tu pu ?
— Assez facilement, je dois dire.
Le cœur battant la chamade, les jambes flageolantes, manquant de lâcher son bouclier, Lyne s’efforça de garder son calme et de ne pas crier. Mascarade n’attendait que cela. Ce fut d’ailleurs pour les provoquer qu’il se leva dédaigneusement, ramassa son épée sans se presser et, sans reposer son verre, avança dans la lumière dansante des torches. Son tabard bleu était déchiré, sa barbe grise tachée de sang, et un hématome grossissait sur sa joue, mais il était impossible de ne pas reconnaître Yllan, le troisième héros de Hauteroche. Il vida sa coupelle, un air narquois sur le visage.
— Trop facilement, même. Cette ville n’est plus ce qu’elle était. Autrefois, nous étions unis. Aujourd’hui, nous préférons nous diviser sur les cadavres de nos sauveurs plutôt que de les honorer.
Trop stupéfaite pour répondre, Lyne regarda l’un des hommes qui l’avaient poussée à s’enrôler toiser ses prisonniers immobiles avant de plonger ses yeux dans ceux des capitaines.
— Nous avons donné nos vies pour cette cité, mais certains n’ont pas la force de leur sacrifier un parent. Nous avons saigné plus que nous le pouvions pour ces habitants, mais il suffit de leur susurrer quelques promesses de pouvoir pour qu’ils abandonnent leur morale. Est-ce vraiment ce dont vous rêviez pour Hauteroche ? Sommes-nous morts pour sauver des lâches et des vénales ?
— Cesse de parler ainsi de nos camarades défunts ! rétorqua Morgane sans ciller. Tu as perdu ce droit le jour où tu as décidé d’assassiner les nôtres. Tu désires seulement le pouvoir et ne trompes personne en prétendant le contraire. Si tu voulais aider la cité, tu ne comploterais pas contre des innocents dans l’ombre.
— Comme si qui que ce soit était innocent ici ! Riches, pauvres, ils sont aussi égoïstes les uns que les autres. Rien ne les motive en dehors l’argent. Je n’ai eu qu’à remplacer l’avidité par la peur, la monnaie par l’acier, et la fortune par la force pour qu’ils me mangent dans la main. Cette ville mérite sa chute.
Yllan prenait soin de rester à distance des militaires tandis qu’il parlait avec conviction. Maintenant que colère et dégoût avaient repoussé son émoi, du moins pour le moment, Lyne s’impatientait de le faire taire. Toutefois, elle savait que, en dépit de la situation incertaine de Solveg, le temps jouait en leur faveur. Les renforts finiraient par arriver et, à ce moment-là, même les discours immondes du traître ne pourraient plus le sauver. Conscient de cela, Tolvan répondit moins désagréablement que Morgane à son ancien confrère.
— J’ai l’impression d’entendre Darsham et son relativisme malsain. Comme s’il n’y avait pas de différence entre se goinfrer et manger. D’autant que, si la corruption de Hauteroche vous ennuis, pourquoi l’avez-vous autant développée ?
— Parce que j’en avais besoin pour la relever ! Si nous voulons une ville forte, nous devons être l’être aussi. Cela implique inévitablement des sacrifices.
Sans plus se préoccuper des capitaines, dont il avait peut-être compris la stratégie, Yllan se tourna vers Lyne et plongea ses yeux gris dans les siens. Elle sentit un frisson la parcourir, sans savoir s’il usait de ses talents sur elle, et mobilisa toute sa fureur afin de lui tenir tête. Il avait tué trop d’innocents pour qu’elle lui concède la moindre victoire.
— Vous critiquez la politique de Hauteroche depuis votre arrivée, dame Lyne. Ne désirez-vous pas une ville plus égalitaire et unie vous aussi ?
Les poings serrés, écœurée de voir ses propos réutilisés de la sorte, la prétorienne s’entendit répondre avant d’y avoir réfléchi.
— Je connais les gens comme vous. Vous ne souhaitez l’égalité que dans l’obéissance et l’oppression. Vous confondez harmonie et uniformité. Vos rêves sont des cauchemars couverts de sang. Comment avez-vous pu tuer toutes ces personnes sans ciller ?
Le silence retomba un instant dans la pièce, puis un rictus se dessina sur le visage d’Yllan et un ricanement glauque s’éleva de sa gorge.
— De la même manière que vous, ma chère. J’avais un but et j’ai éliminé ceux qui étaient en travers de mon chemin. Vous devez l’avoir compris maintenant Plus on fauche, plus c’est aisé. Chaque mort est une raison supplémentaire de ne pas revenir en arrière.
Il recula d’un pas et posa sa coupe sur la table derrière lui.
— En parlant de cela, je crois qu’il est temps que vous quittiez la scène. Je vais devoir recommencer mon plan, et je n’escompte pas retomber sur des fouineurs comme vous la prochaine fois.
Malgré les provocations du traître, Morgane prit sur elle pour lui adresser un ultimatum.
— Ne sois pas stupide, Yllan, nous sommes trop nombreux. Rends-toi et nous ferons en sorte que tu aies un procès équitable.
Un sourire passa sur le visage buriné du soldat. Lyne resserra sa main sure de son épée. C’était un excellent stratège, qui ne les avait pas laissé entrer sans raison. Même s’il était désespéré, ils devaient rester méfiants.
— J’allais vous offrir un monde meilleur ! cracha Yllan avec fureur. Un monde honorable pour lequel vous auriez pu vous battre. Mais non, il a fallu que vous veniez ici. Bande d’idiots !
Une lueur d’inquiétude dans les yeux, Tolvan avança d’un pas, immédiatement suivit par ses camarades.
— C’est notre dernière sommation, Yllan. Rends-toi !
Le vieux héros éclata de rire en attrapant quelque chose dans sa poche. Beorthne cria.
— Attention !
Il y eut un bruit de verre brisé. Une rafale sans vent. L’obscurité malgré la lumière.
Lyne sentit ses jambes fléchir et son estomac se nouer. Ses lèvres se mirent à trembler. Son visage se couvrit de larme. Subitement, elle voulut s’enfuir loin des regards et des moqueries. Partir à cent lieues de Lonvois et de ses habitants condescendants. Oublier sa chambre solitaire et, avec elle, l’idée tenace qu’elle n’avait jamais mérité qu’on l’aime.
Elle avait ruiné la réputation de sa mère. Son père l’avait abandonnée. Elle n’était qu’une brute, indigne de son beau-père ou de ses frères. Même Soreth la considérait comme un fardeau. Pourtant, le visage sincère du prétorien s’accrocha dans sa mémoire. Ses lèvres souriantes. Son front déterminé. Ses iris remplis d’amour, pour elle.
Égarée dans une éternité de désespoir, Lyne serra les dents et banda sa volonté. Ses yeux s’ouvrirent peu à peu, remplaçant les ténèbres par des torches vacillantes. Ses muscles recroquevillés se détendirent. Les gémissements de ses compagnons se superposèrent aux cris des mouettes.
Ils étaient tous aussi mal en point qu’elle, à l’exception de Beorthne, qui s’accrochait en tremblant à son bâton. Yllan marchait pour sa part nonchalamment vers eux. Son épée dans la main et une dague dans l’autre, il les regardait avec la détermination de ceux qui n’avaient plus rien à perdre. S’ils lui en laissaient l’opportunité, il les tuerait jusqu’au dernier.
En dehors de ses yeux gris, les traits flous du capitaine ne cessaient de changer. Lyne y reconnut Mascarade, mais aussi l’un des soldats qui l’avait rabaissé à l’académie, et même sa grand-mère paternelle, dont elle n’avait jamais vu qu’un vieux tableau. La seule chose qu’ils avaient en commun, c’était la peur qu’ils faisaient ressortir chez elle. Ses camarades à côté d’elle devaient ressentir la même chose, car aucun n’osait s’en prendre à Yllan malgré le danger qu’il représentait.
Perdue et hésitante, la prétorienne s’enlisait à lentement dans l’apathie, se résignant à leur défaite, lorsqu’elle entendit Beorthne chuchoter derrière elle.
— Je n’ai jamais purifié autant de berdaris. J’ai besoin de temps.
La détresse du galweid faisant écho à celle de ses autres compagnons, aux visages crispés ou larmoyants, Lyne laissa son dévouement la guider, rassembla ses forces autour de la bague que lui avait remise Soreth, et avança d’un pas en levant son bouclier.
— Pour l’Erellie !
Le coup d’Yllan lui coupa le souffle, résonnant dans toute la pièce, et ses jambes cédèrent sous sa vigueur surhumaine. Heureusement pour elle, l’impact repoussa le capitaine en arrière, donnant à Valian le temps de l’éloigner avant la prochaine attaque. Morgane la remplaça immédiatement, malgré son corps tremblant, et para une frappe qui l’envoya rouler au sol. Tolvan s’interposa alors, le visage blafard et la mâchoire crispée, et réussi à dévier trois assauts avant qu’Yllan n’enfonce son genou dans son flanc et le fasse reculer. Corallia, qui s’était faufilée dans le dos du traître, essaya de l’estoquer. Il l’esquiva comme s’il l’avait senti venir et percuta son casque d’un violent coup de pommeau. La militaire chancela, à moitié inconsciente, puis le bâton de Beorthne rencontra la terre battue.
Une odeur d’humus frais gagna la pièce. L’écho d’une cascade se réverbéra entre ses murs. La chaleur d’un soleil d’été caressa la peau des combattants.
Presque aussitôt, l’estomac de Lyne se détendit, ses muscles cessèrent de crier, son esprit s’échappa des peurs qui l’étreignaient. Balayant d’un regard neuf la salle, elle constata que ses camarades se ragaillardissaient eux aussi. L’impuissance avait disparu de leurs yeux, remplacés par une colère sourde et la soif d’une justice qui ne pouvait plus attendre.
La garde royale serra la main autour de son épée et se rua sur Yllan, qui venait de saisir Corallia à la gorge. Remarquant qu’il n’aurait pas le temps de l’achever, il la jeta comme une vulgaire poupée de chiffon sur Beorthne et se tourna pour affronter Lyne, ses iris brillants de pouvoir. Un frisson parcourut la jeune femme. Même si elle avait retrouvé ses capacités, lui n’avait rien perdu des siennes. Le combat était loin d’être gagné.
Elle réussit toutefois à dévier une première attaque de son bouclier abîmé, puis para de justesse la dague qui fondait vers son cou. Elle voulut ensuite riposter en donnant un coup de pied dans la cuisse de son adversaire, mais il se déroba d’une volte et tendit subitement la main pour attraper sa gorge. Elle ne l’évita que grâce à l’arrivée de Tolvan, qui frappa le bras du capitaine renégat de son pommeau avant de se mettre en garde à ses côtés.
Yllan esquissa un rictus amusé, peu inquiet à l’idée de les affronter simultanément, et tailla en direction du visage du héros. Celui-ci esquiva d’un pas en arrière, abattant en même temps son épée pour trancher le poignet de leur ennemi. Le traître s’effaça au dernier moment, mais Lyne en profita pour se fendre vers son aisselle gauche. Elle le rata de peu, sa lame raclant contre la cotte de mailles, mais réussit à offrir à Morgane et Valian l’opportunité d’une attaque coordonnée. Ils frappèrent à l’unisson, l’une visant la gorge, l’autre la jambe.
Contre toute attente, Yllan ne chercha pas à échapper à l’assaut et se rua à la place sur Valian, qui s’était trop engagé. Acceptant la blessure que lui promettait le jeune garde, dont l’acier lui mordit la cuisse, il la troqua contre une bien pire et, avec une force surhumaine, lui transperça l’abdomen. Le soldat eut un soubresaut quand la lame déchira son armure et ses chairs, puis son meurtrier le jeta sur Morgane, qui roula au sol avec lui. Sans prêter attention au sang qui coulait le long de sa jambe, Yllan s’avança vers les deux militaires encore debout.
Pendant de longues secondes ils échangèrent des passes d’armes sans qu’un des camps prenne le dessus, Tolvan escrimant avec dextérité pour trouver une faille chez leur ennemi et Lyne faisant au mieux pour le protéger de ses contre-attaques furieuses, puis Yllan fit une erreur, s’ouvrant plus qu’il ne l’aurait dû. La prétorienne s’engouffra aussitôt dans l’espace qu’il avait libéré, taillant en direction de son flanc. Son adversaire l’évita d’un bon maladroit et, instinctivement, abattit son épée sur son bouclier levé. Le choc plia l’acier en deux et arracha un cri à Lyne, dont le bras se brisa, mais déstabilisa aussi le capitaine, qui ne put esquiver l’assaut de Tolvan. Sa lame acérée frappa une partie abîmée de la cotte de mailles du traître, laissant une trace vermeille sur son pectoral.
Yllan retraita avant qu’ils ne puissent pousser leur avantage, puis les toisa avec dégoût. La vue brouillée par la douleur, luttant pour se relever, Lyne aperçut une silhouette avancer discrètement derrière leur adversaire pour l’estoquer, comme l’avait fait Corallia auparavant. Il esquiva à nouveau et serra la main qui l’agressait d’une poigne de fer. La voix de Morgane retentit dans la pièce alors que la peine la submergeait, puis Yllan percuta son casque contre le sien. Il y eut un bruit de métal plié, et l’héroïne s’écroula à terre, inconsciente.
Sans avoir le temps de l’achever, le renégat para une tranche haute de Tolvan et riposta en essayant de planter sa dague sous son bras. Le jeune capitaine se déroba d’une volte et frappa deux fois au niveau de la tête de son adversaire, sans toutefois parvenir à le blesser. Il s’apprêtait ensuite à enchaîner avec une coupe verticale, lorsque Yllan lui jeta sa lame courte au visage. L’arme traça une balafre sanglante sur la pommette de Tolvan, qui chancela un instant, et le traître en profita pour lui enfoncer son pied dans l’estomac. Le héros heurta de plein fouet l’un des murs de la pièce avant de glisser à terre sous le regard impuissant de Lyne.
Les yeux d’Yllan se posèrent alors sur elle, qui se relevait à peine, et un sourire victorieux apparu sur ses lèvres. Incapable de manier son bouclier, les jambes flageolantes, la prétorienne dressa néanmoins son épée devant elle et s’élança sur le renégat. Il para nonchalamment une première frappe dirigée vers sa cuisse, en dévia une seconde au niveau de sa tempe, et esquiva de peu une troisième, proche de sa gorge. Énervé par son entêtement, il la désarma d’une passe et lui brisa l’arcade sourcilière d’un coup de pommeau. Brusquement projetée en arrière, Lyne le vit lever sa lame à travers le sang qui lui coulait dans les yeux et comprit qu’elle ne pourrait pas l’éviter à temps.
Les secondes se suspendirent tandis que la rage lui nouait les tripes, il y avait eu trop de pillages et de morts pour qu’Yllan triomphe ainsi, puis son épée fendit l’air alors qu’elle poussait un cri désespéré, et le capitaine la rata de plusieurs centimètres, hurlant de douleur sans qu’elle sache pourquoi. Malgré sa surprise, elle saisit l’occasion au vol et envoya son pied dans son pectoral blessé. Il recula en vociférant, grimaçant et tremblant, ce qui permit à de Lyne d’apercevoir la flèche qui lui transperçait la main droite. Elle sentit aussitôt son moral remonter, son intuition corroborée par la silhouette d’un archer à l’extrémité de son champ de vision. Soreth était arrivé.
Sans laisser à Yllan l’opportunité de retrouver ses esprits, elle dégaina sa dague et la lui jeta au visage. Il l’évita sans mal, mais oublia l’espace d’un instant Tolvan, qui se rappela à lui en lui tranchant le mollet. Le capitaine grogna autant de douleur que de surprise et, saisissant une nouvelle lame à sa ceinture, tenta d’égorger le héros. Ce dernier l’esquiva d’une roulade et reprit sa distance, tandis qu’un trait sifflait dans la pénombre pour empêcher Yllan de le poursuivre.
Déstabilisé et affaibli, le galweid se retourna vers Lyne, qui s’approchait ostensiblement, et n’avisa la vraie menace que lorsque Morgane lui sauta sur le dos. Elle passa son bras droit autour de sa gorge, bloqua sa main gauche de la sienne, et serra de toutes ses forces, luttant avec hargne contre les capacités surhumaines de leur adversaire. Elle l’emporta durant une poignée de secondes. Ce n’était pas beaucoup, mais suffisamment pour permettre à Soreth de viser. La flèche atteignit Yllan à l’œil, mettant aussitôt fin au combat.
Il fallut un long moment à Lyne pour se détacher du corps que Morgane avait étendu sur le sol. Elle ne savait pas si elle s’attendait à le voir se relever, disparaître, ou même s’embraser, mais il lui semblait impossible qu’un être aussi infâme meure si banalement. Il ne se passa toutefois rien, et elle finit par se résigner. Il n’y aurait pas d’autre fin. Détournant le regard du spectacle morbide de son héros d’enfance, elle serra les dents pour oublier les douleurs qui la tiraillaient et se dirigea vers Beorthne, agenouillé au chevet de Corallia. Sur sa droite, Tolvan prenait les pouls de Riil et de Solveg, assommés d’après lui. En face d’elle, Morgane s’occupait du cadavre de Valian. La prétorienne sentit son cœur se pincer. La victoire leur avait coûté cher.
Assis non loin de son maître, Soreth lui adressa un clin d’œil à travers sa cagoule et pencha la tête dans sa direction, comme pour savoir si elle tenait le coup. Elle répondit en opinant et s’installa à côté de lui. Ils ne pouvaient pas se parler, mais elle était rassurée qu’il n’ait pas l’air blessé. Ils avaient réussi et ils étaient en vie. Ce n’était pas si mal. Un sourire sans joie se dessina sur son visage et des larmes se mirent à rouler le long de ses joues. Elle n’essaya pas de les retenir. Elle n’en avait plus besoin. Tout était terminé maintenant.