La corruption avait atteint le fleuve Ruvuma sans s’attaquer aux marécages. Les naturalistes se disputaient beaucoup sur la raison. Certains en avaient conclu que l’eau chargée de vie remontait le fleuve jusqu’au lac Lynia, protégeant bien davantage que prévu. D’autres accusaient les mages de la confrérie d’en être responsables. Bintou, trouvant le débat stérile, ne donna pas son avis.
Les bonnes nouvelles se succédèrent. Une fois stoppée dans son avancée, la corruption perdit en énergie. Elle recula, restant partout au bord de l’eau, permettant de libérer de nombreux donneurs qui effectuèrent des roulements, utilisant leurs temps de pause pour danser, chanter, faire la fête, marcher, baiser, profiter de la vie.
Chaque kwanza augmentant en compétence en libérait un autre et augmentait la durée des temps de pause de tous. Ils furent très assidus. Aucun ne rata son massage ni une occasion de méditer. Mehmet suivit tout cela de près, déterminant selon les infimes mouvements du mal noir les compétences de chacun, calculant avec précision la quantité d’énergie donnée et requise.
Les donneurs libérés se rendaient souvent auprès de leurs amis projetant afin de leur apporter des fruits savoureux, de leur faire un spectacle de danse ou de magie. Les naturalistes projetaient de temps en temps des images d’impalas courant dans la savane ou de couchers de soleil sur l’horizon, offrant à tous un moment d’évasion, bien pâle en comparaison de la réalité, certes, mais permettant à l’esprit fatigué et plein d’ennui de tous de surmonter cette épreuve.
Bassma ne s’améliorait guère. La méditation restait légère et la quantité d’huile de massage, certes mauvaise en comparaison de ce que Bintou aurait pu réaliser avec un alambic mais dont la présence aidait tout de même, diminuait de lune en lune. Bientôt, le flacon fut vide.
Bintou en refit avec l’aide de Mamou, sous le regard admiratif de Bassma qui savait que les deux amis continuaient à projeter tous en mixant, touillant, malaxant, hachant, mélangeant.
- Bonjour, Bintou !
- Bonjour, Mehmet ! s’exclama Bintou. Que me vaut l’honneur de ta visite en personne !
Mehmet observa Bassma intensément. Bintou ne pouvant utiliser la magie pour communiquer et projeter en même temps n’avait jamais pu prévenir quiconque du retour de la kwanza, que tout le monde devait supposer disparue. Bassma ayant perdu ses pouvoirs, elle n’avait pas été en mesure de le faire elle-même. Enfin, désireuse de retrouver son lien avec la magie, elle ne s’était pas éloignée de Bintou et de ses massages quotidiens.
- Bonjour, Bassma, dit-il interloqué, et bonjour, Mamou.
- Salut, répondit le shaman. Tu viens aux nouvelles ?
- Je… ne m’attendais pas à ce que vous en ayez, dit-il sans cesser de fixer Bassma.
Il voyait son assemblage, sans aucun doute. Cela expliquait son regard intense vers elle. Dès qu’il partirait, la nouvelle se répandrait.
- Je vois… que je me trompais. Je suis heureux de te revoir, Bassma, indiqua-t-il.
- Elle est arrivée peu après la montée de la barrière, indiqua Bintou.
- Ah… souffla Mehmet. D’accord. Non, je venais t’annoncer que tu pouvais arrêter de projeter, si tu veux, Mamou. Je suppose que cela aurait pu se faire plus tard si Bassma était en capacité de projeter aussi bien que son frère… Je suppose que…
- Elle ne peut pas projeter, en effet, confirma Bintou et Mehmet hocha la tête.
- Tu crois vraiment que la barrière tiendra, même sans moi ? s’exclama Mamou, ravi de pouvoir être libéré de cette horreur.
Mamou détestait utiliser la magie, qu’il ressentait comme un poids terrible, une aberration. Son assemblage luttait pour se débarrasser de l’ancrage forcé qui le maintenait dans une position désagréable.
- Oui, tu peux lâcher, insista Mehmet. La corruption a beaucoup perdu en force. Tous les donneurs sont en piste. C’est ton tour de prendre une pause. Il te faudra revenir, je le crains, mais pour une lune, tu vas pouvoir… faire ce que tu veux.
- Une lune entière ? s’exclama-t-il.
- C’est ta première pause et la suivante risque de ne pas être avant longtemps alors oui, une lune entière.
Bintou sourit.
- J’arrête alors ? Maintenant ? demanda-t-il, abasourdi et inquiet.
- Puisque Mehmet te le dit ! Fais ! rigola Bintou.
Bintou ne sentit aucune différence. Elle ne vit que le profond sourire sur le visage de son ami et le soulagement dans tout son corps.
- La corruption réagit exactement comme prévu. La situation est sous contrôle. Tout va bien, annonça Mehmet. Tu peux… vaquer à tes occupations.
Mamou sourit.
- Tu as besoin de quelque chose, Bintou ? interrogea Mehmet en désignant Bassma du menton.
- Rien que vous ne puissiez m’offrir, indiqua Bintou. Une pause pour moi aussi ?
- On y travaille, promit-il.
Bintou détourna le regard. Elle n’y croyait absolument pas. Elle fournissait le gros de l’énergie nécessaire. Elle ne serait jamais remplaçable.
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« Hum… Il y a… euh... » bredouilla Phyllis sur le canal télépathique global.
Bintou soupira. Elle ne pouvait pas lui répondre, ne pouvant utiliser ses pouvoirs tout en projetant. Elle n’avait qu’une envie : lui dire « Mets de l’ordre dans tes pensées avant de communiquer » avant de frémir. Cette pensée risquait de l’amener vers son maître et à partir de là, elle risquait de perdre tout contrôle de ses émotions et donc du shen. Vite ! Rejeter les images qui venaient à toute vitesse vers elle, les repousser loin, les enfermer, les bannir, sans quoi tout ce travail serait perdu.
Bintou soupira d’aise. Elle était parvenue à garder le contrôle. Elle projetait toujours. Elle gronda contre Phyllis et son intervention totalement inutile.
« Il y a quoi ? » interrogea Gabriel et même en pensées, on sentait son ton las et usé.
Il gérait les naturalistes mais lui aussi était au bout du rouleau, comme tout le monde. Ce calvaire prendrait-il fin un jour ? Ces derniers temps, la corruption avait largement perdu en force. Était-ce parce qu’ayant tout consumé, elle n’avait plus de vie pour la nourrir ? Ou bien parce que la colère de la terre s’adoucissait ? Bintou n’aurait su le dire. Mamou avait totalement cessé de projeter. Il détestait tellement cela ! Il aidait volontiers les naturalistes, adorant s’occuper des plantes et des animaux.
Bintou restait seule avec Bassma, la massant toujours sans succès. La méditation profonde refusait de venir. L’hyper profonde n’était qu’un espoir lointain auquel Bintou croyait de moins en moins.
« Quelqu’un... » annonça Phyllis.
Bintou soupira une nouvelle fois. Phyllis venait de voir quelqu’un. Super…
« De l’autre côté de la barrière… sur les terres sombres... » précisa Phyllis.
Cela méritait davantage d’attention. Cela prouvait deux choses : tout d’abord que la corruption n’avait pas anéanti toute vie de l’autre côté et ensuite que des gens parvenaient à survivre dessus.
Bintou se leva et regarda vers le nord. De ce côté du lac, on n’apercevait l’autre bord que vaguement, à l’horizon. Avec le shen, Bintou aurait aisément pu améliorer sa vision mais elle ne se sentait toujours pas capable de projeter tout en le maniant.
- Bintou ? Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Bassma en sortant de méditation régénérative.
- Phyllis dit que quelqu’un se trouve près de la frontière nord… sur la corruption.
- Quitte à traverser, j’aurais choisi les marécages.
Les marais n’avaient jamais disparu malgré la diminution du nombre de donneurs. La corruption refusait de passer le fleuve Ruvuma. De ce fait, aucun donneur n’était finalement nécessaire à l’est et la zone protégée s’en était trouvée largement agrandie, offrant bien davantage d’espace aux naturalistes enchantés.
- Et risquer de mourir à la première grenouille touchée ? répliqua Bintou.
- S’il survit sur les terres sombres, une grenouille ne doit pas lui faire peur, qui qu’il soit !
Bintou haussa les épaules.
« Il a la peau noire ! » annonça Phyllis.
Un msumbi ? Pourquoi revenait-il par ici ? Ils étaient censés être au nord, bannis dans un désert par les eoxans. En avaient-ils eu assez des mauvaises conditions de vie et avaient cherché à retourner chez eux ?
« Il n’est pas humain » s’étouffa Phyllis. « Ses oreilles sont pointues ! C’est un elfe noir ! »
Bintou blêmit. Le moment était venu ! Ils venaient punir les responsables du mal. Bintou se leva. Si les eoshen attaquaient, elle devrait utiliser le shen pour se défendre. Elle était la seule à être de taille à lutter contre eux. Pour cela, elle devait cesser de projeter.
Bintou s’élança vers la rive, dégoûtée de ne pouvoir prévenir les autres. Bassma était inutile.
« Il a l’air… mal... » annonça Phyllis. « Il boit l’eau du lac. »
Voilà qui allait lui redonner toutes ses forces. L’eau, chargée d’énergie vitale, serait un remède efficace contre tout.
« Va voir Bintou » ordonna Gabriel.
- Merci, Gabriel, murmura Bintou.
Enfin un qui prenait les bonnes décisions ! Phyllis apparut devant la Mtawala quelques instants plus tard.
- L’elfe noir est reparti dans l’autre sens, annonça-t-elle.
- À quoi ressemblait son assemblage ?
- À… euh… rien, bredouilla Phyllis, prise de court par la question.
- Les lignes forment-elles un maillage ou bien sont-elles verticales ?
- Verticales, répondit Phyllis comme si c’était l’évidence même.
Seuls les magiciens pouvaient avoir des lignes horizontales. Le commun des mortels se contentaient de fils droits et alignés. Celui-là n’était donc pas un eoshen. Un éclaireur, probablement. Il fallait agir vite.
- Fais-moi traverser, ordonna Bintou, et rends-moi invisible.
- Comment ? bafouilla Phyllis.
- Je m’en charge, annonça Faïza en apparaissant.
Bintou sourit. Enfin une alliée de poids. Elle aurait aimé que…
- Mamou est en chemin.
Bintou hocha la tête et soupira d’aise. Cela ne se passerait peut-être pas si mal que ça, finalement. Cependant, Bintou donnait presque toute son énergie à l’eau. Si elle recevait la moindre blessure, elle ne serait pas en mesure de se soigner. Faïza le ferait, sans aucun doute, à condition d’en avoir l’opportunité. Mieux valait faire preuve de prudence.
- Tu peux avancer. L’eau te portera, annonça Faïza et Bintou marcha sur l’eau, ses pieds à demi sous la surface afin de ne jamais perdre le contact avec le liquide de façon à pouvoir projeter.
Faïza avança à ses côtés. Ensemble, elles rejoignirent l’autre rive, Bintou restant les pieds dans l’eau. Toutes les deux demeurèrent sagement du côté sud de la barrière, peu désireuses de nourrir la corruption en traversant.
- Il doit nourrir le mal, maugréa Faïza.
- L’énergie vitale d’une personne ne doit pas changer grand-chose au regard de l’immensité de l’ombre.
Faïza acquiesça.
- Tu t’attends à ce qu’il revienne ?
- Pas seul, annonça Bintou. Prépare-toi à devoir nous rendre invisible aux yeux de nombreux adversaires.
- Je n’en serai pas capable seule. J’appelle à l’aide.
Bintou et Faïza furent rejointes par d’autres kwanzas, positionnés un peu partout. La prédiction de la Mtawala se produisit rapidement. Une centaine d’elfes noirs apparurent à l’horizon. Les kwanzas se répartirent la tâche.
- Ils sont nombreux mais j’arrive à en contrôler quatre à moi toute seule, annonça Faïza.
- Il y a un humain parmi eux, annonça Amadou.
Un humain ? Pourquoi les eoshen se trimballaient-ils un humain ? Pensaient-ils l’amadouer de cette manière ?
Chaque pas rapprochant les elfes noirs permettait à Bintou de mieux discerner les vêtements et elle dut se rendre à l’évidence : seuls des Tewagi composaient l’armée venue la détruire. Aucun eoshen n’avait daigné participer à l’intervention. Ils n’avaient envoyé que de la troupaille. Quel déshonneur ! Quel mépris ! Elle, l’esclave, la nuisance, ne méritait pas qu’ils se déplacent. Elle se sentit insultée par un tel geste.
- Je vais aller à leur rencontre, annonça Bintou. Je vais devoir cesser de projeter. Vous devriez tous vous y mettre pour contenir la corruption.
- Bintou ! Tu es folle ! Si tu passes la frontière, tu vas nourrir le mal ! Nous n’arriverons pas à le contenir. Nous ne sommes pas capables de projeter à ta place.
« Créez un ruisseau d’eau entre elle et le lac » proposa Gabriel depuis l’autre bout de la zone protégée.
« Elle ne pourra pas projeter une fois sur la corruption. Elle devra s’en protéger » rétorqua Faïza.
- Je supporterai ses assauts, assura Bintou avant de s’avancer.
Elle monta sur la rive mais ses pieds restèrent mouillés tandis que les kwanzas poussaient l’eau du lac à la suivre, un mince filet à peine visible, suffisant pour transférer l’énergie vitale jusqu’au lac.
Bintou ressentit l’attaque des terres sombres, mais de manière lointaine. Dire que c’était supportable aurait été mentir. En réalité, Bintou ne voyait pas franchement la différence. Le mal avait beaucoup perdu en vigueur.
« Ça tient sans problème » annonça Mehmet. « Rien ne bouge. Tout va bien partout sur la frontière ».
Bintou se plaça devant le chef des Tewagi qu’elle reconnut aisément à son emplacement dans le groupe. L’humain se tenait à côté de lui. Son esclave personnel, probablement. Étonnant qu’il survive à une telle épreuve. La corruption avait vraiment beaucoup faibli !
- Rends-moi visible, Faïza, murmura-t-elle.
Le sursaut sur le visage du chef des Tewagi indiqua à Bintou que Faïza avait obtempéré. Elle avait confiance en la kwanza qui s’était toujours montrée d’une fidélité et d’une loyauté à toute épreuve.
- C’est tout ce qu’ils ont trouvé ? dit-elle en amhric. Quelques combattants classiques et un humain ? C’est insultant et déshonorant pour eux. Ils croient quoi ? Que je vais me laisser attendrir parce qu’un humain est présent ? Allez vous faire foutre. Barrez-vous !
« C’est quoi cette langue ? » s’exclama Amadou.
Des centaines d’autres remarques et questions fusèrent mais Bintou les ignora. Une colère enfouie depuis des années ressortait. La situation la mettait hors d’elle. Comment pouvaient-ils l’insulter de cette manière ?
- J’ai commis une erreur, d’accord, hurla-t-elle. Je le regrette. Je suis rongée de remords et oui, j’aurais dû les écouter. J’ai essayé de réparer mon erreur. J’ai dévoué ma vie à protéger ce monde et ils me méprisent de cette façon ?
L’elfe noir resta muet de stupeur face à ce monologue rageur. L’armée gardait le silence, interloquée.
- Retournez d’où vous venez et transmettez leur mon message : j’ai compris. Je reconnais mes erreurs. Protéger cette jungle est tout ce que je peux faire pour essayer de réparer le mal que j’ai fait. Puisque vous êtes là, c’est qu’ils possèdent la solution, alors qu’ils viennent me l’enseigner au lieu de tenter de me détruire d’une manière aussi pitoyable ! Ils valent mieux que ça et moi aussi !
À ces mots, Bintou leur tourna ostensiblement le dos, traversa la barrière pour se retrouver sur le lac. Elle fit quelques pas sur l’eau puis se tourna vers Faïza qui comprit le message. Bintou redevint invisible.
- Les mages ne sont pas humains, murmura Faïza. C’est auprès des elfes noirs que tu as appris la magie.
Bintou ne la contredit pas.
- Ils s’approchent du lac, annonça Amadou.
Bintou se retourna pour voir à deux pas d’elle quelques elfes se pencher pour boire l’eau.
« Si la nouvelle se répand qu’une eau miraculeuse protège une forêt magnifique, nombreux sont ceux qui afflueront et nous perdrons ce sanctuaire », pleura Gabriel. « Ils détruiront ce refuge, réduiront à néant des décennies d’efforts ».
L’éclaireur ayant bu en premier l’eau du lac se mit soudain à suffoquer, à vomir du sang avant de s’écrouler, mort. La réaction de ses compagnons fut immédiate. Ils s’éloignèrent précipitamment du lac.
- Qui a tué cet elfe ? interrogea Bintou. Lequel d’entre vous l’a tué ?
Aucun kwanza ne répondit. Ils se soutenaient les uns les autres, soudés devant cette décision, refusant de dénoncer le coupable.
- L’eau est empoisonnée !
Cette voix désincarnée, Bintou la reconnut. Elle n’était pas réelle. Le shen venait de la faire résonner. Les kwanzas se lançaient ensemble dans un jeu de peur.
- Cette jungle est maudite ! lança de nouveau le shen.
Bintou fut soudain fière de ses compagnons. Ils n’avaient tué qu’un seul adversaire, laissant la peur faire le reste afin de limiter l’intervention de la magie dans cette affaire.
De plus, les phrases avaient été lancées en amhric, ce qui signifiait qu’ils avaient d’abord pris la peine de pénétrer l’esprit des elfes noirs pour y apprendre leur langue, tout cela en un instant.
Ils étaient doués, à n’en pas douter, une puissance sur laquelle elle pouvait compter. Obligée de projeter, elle était démunie, vulnérable, mais ce soutien autour d’elle la rassura et elle se sentit mieux.
L’effet fut saisissant. Les elfes noirs regardèrent, terrifiés, autour d’eux. Des voix bien réelles commencèrent à répéter les mots magiques envoyés par les kwanzas. La terreur se répandit au sein du groupe et en quelques instants, les Tewagi avaient fui.
Seul l’humain resta debout, immobile, un peu hagard, regardant autour de lui, son visage exprimant trop d’émotions en même temps pour que Bintou puisse déceler la pensée prédominante.
Il cligna plusieurs fois des yeux, soupira puis lança un « Merci » vers le lac. Il n’attendit aucune réponse. Il se tourna vers l’est, soupira encore puis commença à s’éloigner.
- Merci de quoi ? s’énerva Bintou. Pourquoi est-il satisfait ? Pourquoi ne fuit-il pas comme les autres ? C’est quoi cette merde ?
- S’il était leur esclave, il nous remercie de l’avoir libéré, remarqua Faïza.
- Vu ses vêtements et les armes qu’il porte, je doute de sa qualité de serviteur, répliqua Amadou.
- Que faisait-il parmi eux en ce cas ? s’écria Bintou. Je vais lui parler. Remouillez-moi les pieds. Faïza, fais-moi apparaître à côté de lui.
Bintou retraversa la barrière magique et marcha pour se retrouver à la hauteur de l’humain.
- De quoi ? gronda-t-elle en ruyem après avoir fait signe à Faïza de la faire apparaître.
Il ne sursauta pas. Très calme et sûr de lui, il restait stoïque face à cette magicienne capable d’apparaître et de disparaître à volonté.
- D’avoir terminé d’exterminer les elfes noirs pour moi. Je ne savais pas comment me débarrasser de ces créatures maléfiques. Aujourd’hui, j’ai enfin davantage de vies d’elfes noirs sur les mains que d’êtres humains. La balance penche enfin dans le bon sens et tu y as un peu contribué alors merci.
Bintou en fut soufflée. Exterminer les elfes noirs ? Mais de quoi parlait-il ? Elle se reprit assez pour répéter :
- Tu as… exterminé les elfes noirs ?
- C’était les derniers, indiqua l’homme en désignant le désert noir dans son dos.
- Comment as-tu pu vaincre les eoshen ?
- Je les ai réduits au silence, précisa l’homme en souriant. La magie est contre nature. Elle ne sait que détruire, tuer, faire souffrir. Elle doit être contrainte à l’inexistence.
Un connard de falathen, sans aucun doute. Aucune peur. Il disait cela avec aplomb malgré la magicienne lui faisant face. Ceci dit, elle ne pouvait pas projeter et utiliser son shen en même temps alors devant lui, elle était démunie. S’il sortait ses armes, le combat serait honorable. Bintou fronça les sourcils. Vu la façon que cet homme avait de se mouvoir, difficile d’affirmer avec certitude lequel sortirait vainqueur d’une lutte loin du shen.
Cela dit, elle ne le croyait pas. Nul ne pouvait vaincre les eoshen. Ils étaient immortels. Bintou ferma les yeux et se concentra. Il s’agissait de ne pas perdre la projection tout en réalisant un appel à très longue distance. Elle devait savoir. Elle devait vérifier. N’était-elle pas celle qui, si elle voulait, pouvait ?
Elle se rendit au foyer en pensées et découvrit un lieu entièrement silencieux, vide, mort. Pas de shen, pas de hurlement, pas de communication. Elle se rendit ensuite au village où elle était arrivée la première fois. Des pensées, elle en capta mais toutes en ruyem. Des humains sans aucun doute, aucun elfe noir ne pensant dans cette langue impure !
Elle lança son fil télépathique plus loin, vers l’océan, captant tout au passage. Du ruyem, partout, où que ses pensées se portent, au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, dans les plaines fertiles, sur les rives boueuses en cette marée basse, dans les oasis des déserts ou au fond des mines au centre des montagnes.
Il n’était nulle part. Il avait disparu. Il était… mort. Bintou perdit totalement pied. L’émotion violente qui la traversa la priva de tout accès au shen. La tristesse l’envahit. Une terrible angoisse s’empara d’elle. Jusque-là, elle se gardait cette possibilité, cet espoir, ce rêve, ce filet de sécurité. Voilà qu’il disparaissait. Elle se retrouvait seule.
Le cœur explosé, elle tomba à genoux, incapable de retenir ses larmes. Le monde disparut. Il n’y avait plus qu’elle et le néant, cette noirceur envahissante, accablante, étouffante. Il n’était plus.
- Le temps s’est arrêté pour lui, annonça Amadou près d’elle. Je contrôle son esprit. Il te voit toujours debout face à lui, calme et tranquille. Faïza contrôle tes pouvoirs pour t’obliger à projeter.
Elle réalisait un pont de projection ! Bintou ne l’en savait pas capable. Cela serait à fêter, sans aucun doute. L’homme, de son côté, se tenait debout, immobile, figé, comme éteint. Amadou l’avait indiqué hors du temps. Il contrôlait son esprit telle une marionnette. Ce qui se passait dans sa tête était entre Amadou et lui. Que voyait-il ? Qu’entendait-il ? Bintou n’en avait aucune idée.
- Il accuse la magie de tuer, pleura Bintou. Les eoshen étaient dévoués à leur peuple. Ils les soignaient, les aidaient, résolvaient leurs disputes, guérissaient les malades et les blessés. Jamais je n’ai croisé d’être plus altruistes qu’eux.
- La magie engendre le mal, dit l’homme en regardant dans le vide, au-dessus de Bintou, toujours à genoux. Vois ce qu’elle a fait à ces terres !
- Les eoshen connaissaient les limites et la manipulaient avec toutes les précautions néc…
- La magie engendre le mal, répéta l’homme. Toute magie se doit d’être détruite, tout utilisateur tué, brûlé vif de préférence.
- Les elfes noirs sont morts parce qu’ils acceptaient l’usage de la magie ?
- Non, précisa l’homme. Ils sont morts parce que ce sont des démons maléfiques, des marchands d’esclaves aimant le sang et la mort.
Des marchands d’esclaves, Bintou ne pouvait le nier, l’ayant elle-même subi. En revanche, « aimant le sang et la mort » ? Certains, peut-être, mais Bintou n’en avait jamais croisé.
- D’une minorité il a…
- J’ai également permis que les orcs disparaissent, se vanta l’homme, apparemment très heureux de pouvoir se confier à quelqu’un.
- Les orcs ? répéta Bintou abasourdie. Ces bêtes loyales, fidèles, fortes et puissantes ? Ce sont des animaux. Pourquoi a-t-il…
- Elles sont sales, puantes, répugnantes, malsaines et perverses. Elles méritaient leur sort. Ce monde est enfin pur, débarrassé du mal qui l’habitait.
- Il accuse la magie de tuer mais combien de morts a-t-il sur ses mains ?
- Deux peuples entiers, se réjouit-il.
Cet homme s’accusait lui-même d’être responsable de la mort des orcs et des elfes noirs, eoshen y compris.
- Que souhaites-tu, Bintou ? interrogea Amadou.
Il lui proposait son soutien. Il lui tendait la main. Il serait le bourreau exécutant les ordres. Il ne comprenait pas pleinement ce qui se passait ni ne saisissait toutes les implications. Il voyait simplement son mentor au fond du trou et venait lui proposer son aide.
- Je veux qu’il paye pour ses crimes, murmura Bintou, l’esprit retourné.
- Tu souhaites que je le tue ? proposa Amadou.
- Non ! lança rapidement Bintou. Cette punition serait bien trop douce. Je veux… qu’il voit mourir des humains, des proches, des amis, des enfants, des êtres aimés. Je veux qu’il souffre, que son cœur saigne.
Amadou réfléchit un instant puis hocha la tête, avant de s’avancer vers l’homme, toujours statufié. Bintou devait admettre que le contrôle d’esprit d’Amadou était d’excellente qualité.
Le kwanza attrapa le fil principal très lumineux et l’envoya d’une pichenette d’un ongle vers l’assemblage principal. Le fil s’enchâssa et la construction se mit à vibrer, brillant plus fort que jamais.
Bintou ressentait un certain malaise à voir l’assemblage de cet homme sans même avoir accès au shen. Faïza, en utilisant les pouvoirs de Bintou, lui offrait cette possibilité. Bintou ne s’opposait pas à son amie, lui rendant la vie facile, mais la Mtawala grimaçait de déplaisir.
- Tu viens d’attacher son fil principal à l’ensemble ? Tu viens de lui faire trouver son moi intérieur ! s’exclama Bintou qui n’en revenait pas.
Amadou, concentré, ne répondit rien. Il attrapait les fils habilement, les liait entre eux, créant des nœuds, cousant minutieusement et avec précision.
- Ça ne te fait pas mal ? s’inquiéta Bintou qui souffrait atrocement lorsque son client était éveillé.
- Il dort profondément, indiqua Amadou.
- Il est debout les yeux ouverts, le contra Bintou.
- Je contrôle son esprit. Je t’affirme qu’il est dans un sommeil intense.
Bintou était impressionnée.
- Qu’est-ce que tu fais ?
- Je tisse, annonça Amadou. Chaque fil a une signification. Si on sait les allier, on peut maudire le porteur.
- Le maudire ? frémit Bintou.
- Le sujet ne peut pas se défaire du tissage. Il doit subir l’effet voulu par le tisseur.
- Tisseur… murmura Bintou, apeurée.
Elle ignorait tout de cette forme de magie.
- Où as-tu appris ça ?
- À Eoxit, auprès de sectes de marabouts. J’en ai rencontré énormément, des bons, des mauvais, des doués, des ratés, des gentils, des méchants. J’ai réussi à m’infiltrer dans un de ces groupes très secret et à y apprendre leurs secrets.
- Tu me raconteras ? demanda Bintou, curieuse.
- Tu me raconteras ta vie auprès des eoshen ? répliqua Amadou qui tissait toujours.
Bintou se crispa. Cela, elle ne comptait pas le faire, non.
- Pardonne-moi, dit Bintou. Je n’aurais pas dû demander.
- Je peux t’enseigner l’art du tissage, si tu veux.
- Je veux bien, oui. Et… je te demanderai une faveur… après…
- Bien sûr, dit Amadou. J’ai presque fini, de toute façon.
- Tu as fait quoi ?
- J’ai fait en sorte qu’il voie mourir beaucoup d’êtres humains tout en le privant de ses griffes.
- Comment ça ?
- La fidélité. C’est une saleté mais ça marche toujours bien. Les malédictions du genre « Tous les gens qui tomberont amoureux de toi mourront la lune suivant leur coup de foudre ». Tu vois, ça n’interdit pas au porteur de tomber amoureux mais qu’on l’aime.
- Tu lui as mis ça ? s’étonna Bintou qui ne voyait pas bien l’intérêt.
- Non, je lui ai mis la fidélité à la terre.
Bintou envoya un regard interrogateur.
- Si quelqu’un qui lui est fidèle quitte ses terres, il meurt, annonça Amadou.
Bintou fronça les sourcils. Elle ne comprenait pas bien.
- En raccrochant son moi intérieur, expliqua Amadou, j’ai doublé ou triplé son espérance de vie, qui était par ailleurs déjà haute pour un humain, c’est surprenant, mais bref. Ce faisant, il va vivre plus longtemps, assez pour survivre à la traversée des terres sombres et retourner chez lui, où que cela puisse être.
Bintou hocha la tête.
- Il vivra ensuite beaucoup plus longtemps qu’un être humain classique, deux à trois vies environ.
- Assez pour voir ses descendants mourir de vieillesse les uns après les autres, sourit Bintou. C’est parfait.
- Sauf qui je m’étais contenté de cela, qui sait ce que ce salopard en aurait fait ? En augmentant sa régénération naturelle, je lui offre la santé, le soin régénératif et une très longue vie… Assez pour tuer des centaines de milliers de gens. Je ne veux pas qu’il profite de mon cadeau pour prendre le pouvoir et exterminer des peuples entiers.
- Il ne pourra jamais utiliser des armées ou s’appuyer sur des amis fidèles, comprit Bintou.
- Condamné à vivre entouré de traîtres, susurra Amadou. Cela te convient ?
- Carrément, dit Bintou.
- Il t’a entendue lui faire un magnifique discours dans lequel tu lui proposes de revenir ici si un jour sa vie lui pèse trop. Il faut un espoir, une échappatoire sans quoi il risque de devenir fou.
Bintou hocha la tête. L’homme frémit légèrement avant de partir plein est, droit sur le fleuve Ruvuma, disparaissant rapidement à l’horizon.
- Il est vengé, murmura Bintou.
- Et si tu reprenais ta projection ? Faïza ne va pas pouvoir tenir beaucoup plus longtemps, indiqua Amadou.
Bintou se sentait tellement mal. Elle aurait voulu pouvoir faire son deuil et qu’on lui fiche la paix, se mettre en boule et pleurer pendant des lunes, hurler, détruire des choses, crier.
Elle eut envie de sortir sa dague et de se blesser, partout, profondément. Depuis combien de temps n’avait-elle pas eu ces envies auto-destructrices ? Depuis qu’il lui avait dit sa peine de la voir le faire. Il était mort. Ça ne servait plus à rien. Pour qui ? Pour quoi ?
Bintou vomit sur le sol, le visage couvert de larmes. Elle ferma les yeux et se força, dans un profond désespoir, à rejeter ses émotions, à les enfermer. Ne pas ressentir, se calmer, respirer profondément. La forteresse dans son palais mental mit sous clefs les éléments perturbateurs et Bintou retrouva l’usage du shen. Elle reprit la main sur la projection.
Faïza perdit connaissance mais les kwanzas à côté d’elle la soutinrent et lui prêtèrent un peu de leur énergie, lui permettant de reprendre conscience presque immédiatement.
Bintou se releva et repassa la frontière, Amadou à ses côtés.
- Merci, Faïza.
La kwanza sourit en retour.
- Et bravo ! Belle maîtrise du pont de projection ! continua Bintou.
Faïza rayonna.
- Excellente raison de faire la fête ! annonça Nazir. Nous allons mettre ça en place. Ça fera du bien à tout le monde.
- Ça ne te dérange pas ? demanda timidement Faïza.
- Quoi donc ? demanda Bintou, surprise.
- Qu’on danse et qu’on chante alors que…
Faïza désigna l’autre côté de la frontière, où son maître n’était plus. Bintou secoua la tête. Les émotions étaient sous clef. Bintou resterait neutre. Faïza méritait qu’on la félicite.
Chacun s’éloigna pour retourner à ses occupations. Bintou retourna à son emplacement initial, Amadou et Faïza sur les talons.
- Qu’est-ce qui s’est passé ? interrogea Mamou qui, n’ayant pas accès à la toile, ne savait rien des évènements qui venaient de se produire.
- Nous venons d’avoir la confirmation que ce ne sont pas les eoshen qui empêchent l’avancée de la corruption au delà du fleuve Ruvuma et du lac Lynia, indiqua Bintou. Ils ne peuvent pas le faire puisqu’ils sont tous morts.
- Eoshen ? répéta Mamou.
- Les mages de la confrérie de Bintou sont des elfes noirs… étaient des elfes noirs, se corrigea Faïza.
- Les mages qui t’ont formée sont morts ? s’exclama Mamou, interloqué. Comment est-ce possible ?
Amadou rejeta la question d’un revers de la main. Il considérait cela comme sans importance. Ils avaient disparu, voilà bien la seule information essentielle.
- C’est nous, indiqua Amadou en se tournant vers Bintou, enfin, vous, les donneurs… je dirai même vous deux. Votre énergie remonte le fleuve et se répand, protégeant les territoires du nord.
- Hum… marmonna Bintou. Ou pas…
- Comment l’expliques-tu en ce cas ? gronda Amadou.
- Il y a peut-être d’autres forces en action, dont nous n’avons pas idée, murmura Bintou en se tournant vers Bassma qui restait dans l’ombre.
- D’autres forces ? répéta Amadou.
Bintou n’en dit pas davantage. Bassma avait-elle réussi à transmettre son savoir aux elfes des bois ? Ces derniers luttaient-ils, à leur manière, de leur côté, à la préservation du monde ? Bintou n’en avait aucune idée. Elle préférait garder cette information pour elle.
- Je t’ai dit avoir besoin de ton aide, annonça Bintou en changeant ainsi totalement de sujet. Ton savoir sur les assemblages pourrait m’aider. Bassma ?
La kwanza s’avança.
- Salut ! s’exclama Amadou. Comment tu vas ?
Bassma grimaça. Difficile pour elle de répondre gaiement à cette question.
- Peux-tu faire quelque chose pour son assemblage ? interrogea Bintou.
- Pourquoi ? Il a quoi son…
Amadou se figea. Il venait sans aucun doute d’activer le shen et de découvrir l’ampleur des dégâts.
- Oh la vache ! Tu t’es fais ça comment ?
- As-tu besoin de le savoir pour intervenir ? interrogea Bintou.
- Non, mais j’apprécierais autant qu’il ne m’arrive pas la même chose ! Quelle est la cause ?
- Bassma s’est frottée à plus fort qu’elle, indiqua Mamou. Elle a tenté un contrôle d’esprit sur une créature visiblement très bien protégée mentalement.
- Créature ? répéta Amadou qui tiqua sur le terme choisi.
- Ne t’inquiète pas, annonça Bintou, il n’y en a pas dans la zone protégée.
- Ils n’ont pas d’assemblage, gémit Bassma. J’ai cru que, comme avec les hyènes ou les lions, ça serait facile.
- Pourquoi vouloir entrer dans l’esprit d’un animal ? interrogea Amadou.
Bintou sourit. Autant de découvertes liées à la vie personnelle de chacun des kwanzas du groupe. Des pans entiers de la magie étaient aisés pour certains et totalement inconnus d’autres. Se regrouper et échanger ne pourrait que faire du bien.
- Amadou est capable de tisser, annonça Bintou. Il manipule les assemblages. Il sait quel fil prendre pour obtenir telle ou telle conséquence.
Bassma ouvrit de grands yeux surpris. Apparemment, elle non plus n’en avait jamais entendu parler.
- Tu pourrais m’aider ? demanda-t-elle pleine d’espoir.
- Je ne sais pas, avoua Amadou. Je n’ai jamais croisé un tel champ de ruines.
Bassma grimaça à la métaphore choisie. Amadou s’approcha d’elle et toucha un fil.
- Tu ressens quoi ?
- Rien, annonça Bassma. Absolument rien, confirma-t-elle alors qu’il touchait plusieurs points.
- Je la masse quotidiennement depuis l’arrivée des terres sombres à la zone protégée, indiqua Bintou. Je n’ai vu aucune différence.
Amadou acquiesça. Il toucha encore un peu avant de s’éloigner en secouant négativement la tête.
- J’ai l’impression que si j’essaye de tirer sur un fil, il se délitera sous mes doigts, comme du papier brûlé. Je préfère autant ne rien toucher. J’ai trop peur de tout casser, admit Amadou.
- Merci d’avoir essayé, murmura Bassma, triste. Je vais retourner à mes tentatives d’entrer en méditation hyper profonde.
- Parce que tu peux entrer en méditation malgré ton assemblage mort ? s’étonna Amadou.
- Grâce à mes massages, oui, annonça Bintou.
- Et tu penses que la méditation lui offrira la guérison, comprit Amadou. Oui, pourquoi pas. Bon courage !
Bassma s’éloigna tristement. Elle avait clairement besoin d’un peu de solitude.
- Pour m’enseigner l’art du tissage, il faudrait des sujets d’étude, n’est-ce pas ? supposa Bintou.
Amadou hocha la tête.
- Il n’y a personne de disponible dans le coin, maugréa Bintou.
- Je peux au moins t’enseigner la théorie, indiqua Amadou. Ça sera déjà un début même si en effet, l’entraînement reste primordial.
- D’accord, je veux bien, annonça Bintou.
- Ça risque de prendre du temps, intervint Faïza. Pourrais-je te parler avant ?
Bintou hocha la tête. Amadou se sentit de trop et s’éloigna avec Mamou afin de bavarder. Nul doute qu’il allait l’interroger sur les créatures ayant cramé l’assemblage de Bassma.
- Pourquoi m’avoir caché que ton maître était un elfe noir ? commença Faïza. Je ne t’aurais ni jugée, ni critiquée !
- D’abord parce que c’était leur volonté, indiqua Bintou. Si les humains laissaient les elfes noirs tranquilles, c’était avant tout par peur de l’inconnu. En restant lointains, flous, inaccessibles, ils entretenaient ce sentiment et s’en réjouissaient. Ainsi, on les laissait tranquilles et ce bien qu’ils ne soient en majorité que des paysans, des artisans et des pêcheurs, comme nous.
Faïza hocha la tête.
- L’autre raison est que je n’ai pas été très bien accueillie à M'Sumbiji. Nombreux ont été les doutes. Les shamans ont été pour la plupart réticents. Les anciens et le Mtawala ont attendu longtemps avant de reconnaître mon savoir. Leur prudence venait sans aucun doute du fait que j’étais une femme…
- Pas seulement, la coupa Faïza. L’origine inconnue de tes connaissances était également un frein.
- Et dire que cela venait des elfes noirs aurait aidé, tu crois ?
Faïza fit la moue.
- Hum… Tu as raison… Probablement pas. Ça aurait été pire, en fait.
- Ce n’est pas à toi que je cherchais à cacher quoi que ce soit, mais au monde entier, précisa Bintou. Et puis, franchement, ça change quoi ? Qu’il ait des oreilles pointues aurait modifié radicalement ta façon de…
- Non, la coupa de nouveau Faïza en souriant. Non, bien sûr que non. Je… Je suis désolée. Je me suis sentie… trahie mais c’était stupide. Tu as le droit à ton jardin intime et tu as totalement raison, ça n’importe pas vraiment. Tu m’as toujours dit qu’il était loin et… à bien y réfléchir, tu nous l’as dit, en fait. Nous n’avons juste pas pensé que s’il n’était ni à M'Sumbiji, ni à l’ouest, ni à Falathon et ni au nord, c’est qu’il était à L’Jor.
Bintou sourit.
- Nous avons été aveugles mais en réalité, tu nous l’as dit, il y a bien longtemps, lors de l’exil de notre peuple. Pris dans nos missions, nous n’avons pas su en retirer la vérité mais elle était là, sous notre nez.
- Peu importe, maugréa Bintou. Ils sont tous morts maintenant.
- Essaye de ne pas trop y penser, supplia Faïza. Je ne sais pas si je pourrai refaire un pont de projection tout de suite. Je suis très fatiguée.
- Va faire la fête et reprendre des forces, ordonna Bintou. Tu le mérites !
Faïza et elle s’enlacèrent puis se séparèrent. Amadou resta quelques lunes, expliquant à Bintou les secrets théoriques du tissage, utilisant souvent Mamou comme exemple parfait, puisqu’il avait un assemblage simple, n’ayant que l’ancrage apposé par Bintou pour contrarier l’ensemble de fils parfaitement verticaux.
Je suppose que les terres noires perdent de leur puissance parce qu'elles ont tout mangé jusqu'aux frontières naturelles de l'eau ?
On n'a pas la preuve formelle que les eoshens sont morts, si ? Pour moi ils étaient allés se cacher ailleurs.
Et le tissage, c'est ce que faisait Bintou avec les assemblages, mais en beaucoup plus complexe et sans avoir besoin d'entrer en méditation ?
Les mages de la confrérie de Bintou sont des elfes des noirs => des elfes noirs
Bintou a cherché les eoshens en L'Jor et au foyer, sans les trouver. Ils ne sont nulle part depuis des siècles. Bintou ne ressent qu'un puissant vide. Alors d'accord, ça ne prouve rien. Ils se cachent peut-être super bien mais quand même, ça pue, non ?
Pourquoi les terres noires perdent de leur puissance ? Je crois que comme on ne peut pas communiquer avec cette chose, la réponse ne sera jamais donnée. Des hypothèses seront formulées par les uns et les autres et celle que tu proposes en fait partie.
Encore merci pour tes supers commentaires !