« Freyr est l'un des rares vanes auquel tu puisses te fier et le seul qui soit prêt à t'accueillir. N'aies pas peur de ses étranges manières ; Ne le dévisage pas lorsqu'il ouvrira la bouche et qu'aucun mot n'en sortira. Freyr oublie encore parfois que sa langue n'est plus là. C'est un être doux mais bien plus robuste qu'il n'y prétend. Tu pourras reposer dans sa demeure. Son refuge sera le tien. Une place te sera gardée à sa table. Il te servira à manger, il veillera sur ton repos et se fera une joie de se nommer ton père. Cependant, je ne puis te forcer à être son fils si tu ne le désires pas. Si à ses côtés, tu ne trouves pas ton aisance alors ne reste pas, Lokten. Promets-le moi. Freyr connaît mon caractère et il acceptera le tien. Il ne voudra pas te voir te tourmenter. Tu as connu suffisamment d'obscurité et de portes closes pour te permettre une part de son indulgence. Ne te met pas seul dans une cage pour lui plaire et ne sois pas triste de ne plaire à personne si cela devait contrarier ta nature. Tu es sauvage, comme je l'ai été. Tu es sauvage parce que Heimdall t'y a contraint. Ta place pourrait être sur une île vierge ou au fond d'une forêt, loin de toute créature pensante ; elle pourrait aussi se trouver auprès d'autres êtres qui te seront semblables. Vois-tu, il existe des loups qui se plaisent à imiter les chiens pour quérir les caresses de leurs maîtres, et il en existe d'autres qui préfèrent errer seuls. D'autres encore, qui ne se plient à la docilité que pour des maîtres mûrement choisis. Aucune de ces races n'est supérieure aux deux autres et je ne puis te dire à laquelle tu appartiens. Tu es mon fils et tu es né de l'union de deux natures versatiles. Toutes deux pourraient s'être apprivoisées, avoir trouvé un équilibre en toi ou au contraire, s'être renforcées. J'aurais voulu te connaître plus, mon fils, mon enfant, ma chair. Je me blâme chaque jour d'avoir été trop faible pour empêcher l'obscurité de ces murs se refermer sur toi.. Tout ce que je peux faire à présent, c'est te donner des griffes et des crocs : pour défendre ceux que tu choisiras de chérir ou pour t'échapper des pièges qui te seront tendus. Explore le monde qui t'entoure et garde de la méfiance là où nul ne pourra te protéger. Ne pleure pas, Lokten. Ta vie est sur le point de commencer. Ne tremble pas, mon fils. Le soleil chauffera bientôt ta peau blanche et il éclairera ton esprit. Il y a du beau par delà les ténèbres, il y a la liberté, de l'autre côté et tu les verras bientôt. Bien sûr, je ne peux pas davantage t'obliger à aimer cet astre qu'à aimer Freyr. Alors au cas où tu ne t'entendrais ni avec l'un, ni avec l'autre... tends l'oreille Lokten ! Prête attention à la confession que je suis sur le point de te révéler. C'est un secret, tu ne devras le confier à personne. Cela doit rester dans le noyau de notre famille. Jure-le. Bien. Allons. Si tu ne trouvais pas un père en Freyr, alors quitte-le et quitte son royaume ainsi que je te l'ai dit. J'adorerai que tu trouves l'épanouissement en sa demeure, car elle est sûre, plus qu'aucune autre mais je n’oublie pas que les prisons sont toujours les endroits les plus sûrs et que les endroits sûrs ne sont pas faits pour toutes les créatures. Alors, si tu étais de celles-ci, suis les courants et rends-toi là où tu es né. Je t'ai mis au monde dans une source chaude de Svartalfheim, au pied de son plus ardent et de son plus imposant volcan. C'est une terre lointaine, torride et tranquille. Tu t'y plairas si tu tiens de moi et tu aimeras te prélasser dans les nuages de vapeur si tu tiens davantage de ton père. Ton père véritable, j'entends. Patiente là-bas. Ne redoute pas Svartalfheim. Les hivers n'y sont pas rigoureux. La faim ne t'y tuera pas plus que la soif. Si ce lieu est désert, c'est parce que la couleur de son ciel effraie. Il y a longtemps, les armées d'Odin ont semé la mort et tous ceux qui vivaient là ont disparu. Tu entendras peut-être leurs lamentations, tu verras peut-être leurs spectres emportés par le souffle des montagnes de feu. Ne les crains pas Lokten. Ils ne sont pas mauvais. Comme toi, ils cherchent seulement leur foyer. Ils te frôleront, ils te parleront et passeront leur chemin sans te blesser.
J'envie plus que tout ces esprits, sais-tu. Car moi, je ne pourrais te trouver là-bas. J'aurais voulu te montrer ces terres et partager avec toi toute leur majesté. Me souvenir avec toi de leur beauté, Je ne le pourrais pas mais Lui, si. Celui qui m'a aimée, celui qui aurait voulu t'aimer aussi. Lui, sera ton semblable. Attends-le car c'est un être de parole et il a promis de me retrouver un jour chaque année, là-bas. Jamais je n'ai pu honorer ce rendez-vous car cette journée, j'ai toujours préféré te la consacrer ; malgré cela, j'ai ouï dire que ton père n'a pas manqué un seul pèlerinage. Je ne nourris aucun regret vis-à-vis de mon choix, mon pauvre fils. Pardonne mon impuissance, Lokten. C'était là tout ce dont j'étais capable. Je t'en prie. Pardonne-la-moi. Je ne saurais trouver le repos tant que tu ne m'auras pas accordé ton pardon. Je te hanterai, je t'implorerai aussi bas que tu le désireras. Pardonne-moi. Je t'ai jeté sans défense dans ce monde sans amour. Délivre-moi de ce Mal qui écrase mon âme Lokten, j'en t'en supplie. Pardonne-moi. »
Lopten s'était tue et ce fut la dernière fois que Lokten entendit sa langue bifide siffler contre son palais. Elle l'avait étreint, de toutes ses forces et une douleur intolérable avait jailli de son dos. Puis Lopten avait déchiré dans sa chair deux grandes ailes et, tenant sa promesse, donna à son fils des griffes et des crocs. La lumière aveuglante. Le fracas des pierres. La terre écroulée. Lokten se souvint de sa confusion, alors que ces immenses membranes l'entraînaient tantôt vers le nord, tantôt vers le sud et qu'autour de lui, le chaos éprouvait tout à coup ses cinq sens. L'aveuglement, l'assourdissement, les particules glacées contre sa peau, les centaines d'odeurs en suspension. Son crâne bouillonnant de toutes ces informations lui parvenant en simultané et qu'il était incapable de traiter en un paysage cohérent.
La confusion de cet instant n'avait pas corrompu le souvenir des derniers mots de la sorcière. Lokten ne l'avait pas pardonnée et pour autant, elle ne la hantait pas. Lopten avait simplement disparu et nul ne lui accorda ni funérailles, ni hommage. Elle avait simplement disparu et personne ne l'avait pleurée. Lopten aurait dû être là. Il ne l'avait pas pardonnée. Elle n'avait pas le droit de partir, de le laisser.
Depuis, pas un jour n'était passé sans que Lokten ne maudisse le soleil qui irritait sa peau blanche et perçait tôt le voile diaphane de ses paupières. Lopten en avait décidé seule, sans quérir son avis. Aurait-il su la mettre en garde ? Aurait-il su déterminer l'iniquité de l'échange ? Lokten aurait préféré ne rien connaître de l'extérieur et jouir encore des visites de sa mère. Cette étrange créature d'écailles qui lui ressemblait et dont il n'avait compris l'attachement que ce jour-là.
Lopten avait menti. Aucun semblable ne l'attendait par-delà les murs de la prison de Heimdall, car nul ne pouvait plus lui ressembler qu'elle. Etait-ce un tel poids que de le porter dans sa parenté ? Lopten avait menti sur bien d'autres points. S'était-elle trompée ? Avait-elle cru un instant en ses mots ? Car aux yeux de Lokten, à l'extérieur des murs, il n'existait que d'autres prisons. La seule différence fut qu'il put les choisir, si l'on put considérer la nécessité comme une guide et non comme une contrainte. Il avait accepté cette cabine tissée de cordages sur le bateau, la réclusion à Nidavellir et désormais, les bras tremblants de celui qui l'enlaçait, avec une chaleur parfumée d'artifices. Freyr. Où était l'aisance décrite par sa mère ? Pourquoi son âme ne s'était-elle pas gonflée de joie, ou seulement de soulagement, lorsque le bienfaiteur tant attendu s'était présenté à lui ? Aucune reconnaissance ne se dessina en lui. Ni à l'égard de Freyr, ni à celui de Loki ou de Sygn. Lokten ne désirait pas manger à la table des vanes, il ne désirait pas coucher dans l'une de leurs chambres.
La mort flottait en millions de fragments et eux, ces dieux-là, festoyaient parmi les cendres. Ne la ressentaient-ils pas ? Ce spectacle fit gronder une violente émotion qui lui donna le vertige. Honorait-on les morts de cette façon ? Qu'en avaient-ils tous à faire, des morts ? Où était leur culpabilité ? Où était leur chagrin ?
Sygn lui pressa la main. Souvenir du présent qu'il lui fallait rejoindre. Il se laissa enlacer par ce père qui lui avait été attribué, avec la roideur d'une statue de pierre.
Freyr ne sembla rien remarquer. Du moins, il ne l'en blâma pas et cela n'atteignit en rien sa réjouissance. Lokten, que chaque nouveau signe de bienveillance révulsait davantage, le repoussa rapidement, geignant comme un chat mécontent. Il lui suffit d'un rapide coup d'œil pour comprendre que tous deux n'avaient rien de commun. Comment Freyr pouvait-il prétendre le contraire ? Comment pouvait-il considérer l'accueillir comme son propre enfant ? N'était-il pas trop tard pour se prétendre père ? Un père n'était-il pas celui qui protège, qui élève, qui enseigne ? N'était-ce pas supposément un calque masculin d'une mère ? Qu'était-ce qu'un père, une fois l'enfant devenu adulte, capable de marcher, de manger, de courir, de se soigner ? Quand était-il supposé apparaître ? Les animaux de la forêt ne se perdaient pas en hypocrisie, eux. Une fois les petits capables de subvenir à leurs besoins primaires, les parents s'en allaient. Et plus tard, jamais les loups n'allaient se réfugier dans le terrier des renards. D'ailleurs, les renards ne promettaient pas aux loups d'accueillir leurs petits. Sa place n'était pas là.
Seul le bras de Sygn, passé autour du sien, le retenait. Donne-lui une chance, paraissait signifier cette mince pression. Quelques journées, s'il te plaît, avait-elle fini par lui glisser à l'oreille. La nature de Freyr paraissait généreuse en dépit de son infortune. Peut-être finirait-il par s'en accoutumer.
Lokten posa un regard sur Sygn. Elle lui ressemblait plus que ce dieu à la peau de bronze et ce, bien qu'aucun lien n'existât pour les rassembler. Aucun sang, aucune race, aucun peuple. Cependant, de tous ceux qui avaient croisés son chemin, c'était à elle que Lokten se comparait le plus. Elle aussi, paraissait tombée du ciel.
Heureusement, l'attention de Freyr se déporta sur Loki, pour ne plus le relâcher. Les retrouvailles furent chaleureuses, c'était le moins que l'on puisse dire. Le vane accueillait un amant adoré et Loki ne s'en défendait pas. Malgré les soupirs agacés des femmes, Freyr convia les trois voyageurs à partager ce qu'il restait du repas.
La servante disposa de nouveaux couverts et c'est avec une certaine froideur qu'elle retrouva, à la demande de Freyr, une place sur ces genoux. Loki s'empressa de lui murmurer quelques grivoiseries à l'oreille. La jeune femme s'empourpra, non pas de gêne comme l'aurait cru un coup d'œil succinct, mais plutôt de plaisir. Elle se pinça la lèvre et dès lors, une deuxième paire d'yeux s'accrocha au dieu de la malice.
Freya souffla ostensiblement et son agacement éclipsa de loin celui de Sygn, qui préféra se concentrer sur la viande chaude qui venait de leur être servie. Lokten ne se joignit pas à elle. Il n'avait pas cillé une seule fois et il en alla de même tout le temps que dura le récit de Loki quant à leurs récentes péripéties. Il ne disait pas tout et tut le nom de Solveig. Il tut tout ce qui concernait Nidavellir, en vérité.
Sygn fut tout de même satisfaite de l'entendre, appliquant ses idées. Cela ne valait plus la peine de manipuler le cœur de la Belle, maintenant qu'ils profitaient de son feu et de ses victuailles. Loki préférait étaler tout son mépris pour Heimdall et Freyr l'y encourageait grandement. Quand il atteignit la fin du périple, le silence retomba. Par signes, Freyr prit son tour dans la conversation tandis que Freya prononçait ses paroles à voix haute. Il narra les conditions de leur départ d'Asgard, les récents conflits que les funérailles d'Odin avaient laissé éclore. La vieille Frigga qui ne parvenait à raisonner ses enfants. Les humiliations que Thor infligeait à son épouse Sif tandis que tous deux ne tarderaient plus à gagner le trône d'Asgard. Il mentionna brièvement Skadi, qui, à la seule évocation de son mari Baldr, quitta le salon. Et les autres fils d'Odin, qui entre-déchiraient son héritage comme des corbeaux avec une dépouille. Et Njörd, qui avait décidé de rester parmi les ases, trahison de son appartenance à la race des vanes.
« Il ne reste rien des vanes. Asgard nous aura tout pris. » concluait Freya avec amertume. Freyr posa la main sur la sienne, mais rien ne sut réchauffer le cœur de sa douce sœur. Aucun mensonge ne se mêlait à ses mots. Les vanes avaient perdu leur terre il y a bien longtemps, et si l'épreuve les avait affaiblis, la scission de la race, de leur peuple, les empêcherait tout jamais de se reconstruire. Garder la mémoire apparaissait comme la dernière étape avant l'extinction. Cependant, le dieu de la fertilité ne trahissait pas sa réputation et fit feu de tout bois. Ainsi, il se réjouissait de plus belle de la venue de son fils, confiant à Loki le marché convenu avec Lopten.
« Où étiez-vous ? » demanda tout à coup Lokten.
Sa voix haute et profonde interrompit le flot de toutes les pensées. Freya se redressa, enveloppée dans un châle beige. A ses pieds, ses deux chats plaquèrent leurs oreilles en arrière.
Sygn avait déjà observé plusieurs formes de détresse chez Lokten et elle fut convaincue que l'expression froide figeant ses traits n'en était guère. Ce n'était pas de la peur, de la confusion ou de la tristesse. Son ton était d'airain, ainsi que l'étaient ses gestes et son regard fendu.
« Où étiez-vous ?
— Que veux-tu dire ? demanda Freya.
— Ma mère vous avait demandé asile pour moi. Vous saviez où j'étais, vous saviez pourquoi, vous saviez ce qu'elle endurait. Alors, je me demandais, où étiez-vous toutes ces années ?
— Nous étions les prisonniers d'Asgard.
— Je sais où vous étiez. Je sais ce que vous faisiez. Vous étiez dans des grandes halles, bâties à la sueur d'autres fronts que les vôtres. Vous dîniez à la table du Borgne, vous goinfrant de gibier qu'il n'avait pas chassé. Vous profitiez de ses pillages. Où étiez-vous, Freyr, quand ma mère vous a demandé secours ? Où étiez-vous pendant qu'Odin la spoliait de ses dons en échange de ma misérable survie ?
— Mesure tes paroles, Enfant de sorcière, prévint Freya. Tu es ici chez moi alors ne t'avise pas de manquer de respect à mon frère. Lui aussi s'est sacrifié pour toi.
— C'est faux.
— Lokten, calme-toi s'il te plaît.
Freyr signa quelques mots que Lokten fut incapable de déchiffrer.
« Mon frère dit qu'il a toujours été du côté de ta mère et que son sort l'accable autant que toi. Cependant, si nous savions quel rejeton ingrat était le sien, crois bien que je l'aurais détourné de cette cause.
— Ma mère est morte parce qu'il n'a rien fait.
— Lokten, ne soit pas si injuste, implorait Sygn.
— Ce qui est injuste, siffla-t-il en blanchissant de colère, c'est que ma mère souffrait tandis que eux, s'apitoyaient sur leur sort, tout en dînant à la table de l'ennemi, en jouissant de tout ce qui leur était offert ! Et ils continuent maintenant, alors que la mort flotte autour d'eux. Cela ne les atteint pas. Ils n'ont érigé aucun temple, ils n'ont versé aucune larme pour leurs morts.
— Loki, quel est cette bête enragée que tu as ramené sous mon toit ? s’outragea Freya.
— Ma mère ! gronda Lokten. Ma mère est morte et c'est comme si personne ne se souvenait déjà plus d’elle ! »
Il se leva, vibrant de rage, et s'engouffra dans l'obscurité comme une tornade. Sygn se précipita à sa suite. Derrière elle, Freya s'excitait à grands cris courroucés.
Les couloirs du palais, ainsi plongés dans la nuit, renvoyaient à la lune son mince éclat, couvrant d'un mirage de givre les murs et les dalles. Sygn marchait, pressait le pas, et persuadée de sentir le souffle d'une âme contre sa nuque, se mit à courir. Bientôt, elle rattrapa Lokten. Mais lorsqu'il se retourna sur elle, l'horreur la fit tomber et la cloua au sol froid. Seuls les yeux jaunes de Lokten permettaient de l'identifier. Sa peau blanche disparaissait sous les écailles noires et de longues griffes étiraient ses ongles. En dépit de son visage tordu et de son dos déchiré par les grandes membranes qui s'en extrayaient, c'est la douleur de son esprit qui le brisait.
Sygn soutint son regard dilaté pendant de longues minutes. Passé le choc de la vision, elle ne ressentait aucune peur à l'égard de Lokten. Ils se connaissaient, ils étaient proches, presque semblables. Et sous la noirceur de ses écailles, se cachait un cœur exempt de vice. En cette conviction, se plaçait sa foi. L'orage avait balayé la raison de Lokten mais l'orage, comme toujours, s'apaisa et la pluie ne tarda pas.
« Ma mère est morte, répéta-t-il en plaçant un nouveau sens derrière ces mots. Ma mère est morte. »
Il n'avait pas été injuste, réalisait tout juste Sygn. Personne, pas même elle, n'y avait pensé sous cette forme si simple. Pour tous, Lopten n'avait incarné qu'une singulière présence, une entité crainte pour ses connaissances ou son apparence. De son vivant, nul ne l'avait perçue comme une personne à regretter tel que le serait une amie, une sœur, une épouse, une fille. Ou une mère. Nul. Sauf le fils qu'elle avait laissé. Et personne n'avait consolé son chagrin car Lokten n'était pas davantage considéré. Sygn avait presque cru que seule la colère pouvait traverser le cœur du jeune homme. Ce soir-là, tous deux découvrirent le contraire.
« Je suis désolée, Lokten, dit-elle tout bas. Je suis désolée que tu aies perdu ta mère. »
Ses épaules se voûtaient, agitées par les soubresauts de ses pleurs et finalement, Lokten se laissa choir sur les genoux. Quand Sygn approcha la main de sa joue, il ne se dégagea pas ; pas plus qu'il ne la repoussa quand elle passa les bras autour de ses épaules, et qu'elle frictionna ses omoplates endolories par le repli des ailes. Lokten se laissa envelopper par la chaleur et tout à coup, il s'y agrippa ferme, emprisonnant en retour la sorcière, son amie, entre ses bras, sous son menton.
« Nous devrions lui faire des funérailles dignes d'elle, proposa Sygn lorsqu'enfin, imprégné de sa chaleur, Lokten la relâcha.
— Tu ne la connaissais pas, répondit-il sans reproche. Personne ne la connaissait.»
Personne. Sauf son père. Sauf celui qui l'avait aimée.
« Je veux partir d'ici, Sygn.
Sa décision fut comme un courant d'air glacé qui fouetta la face de la sorcière. Elle parut rétrécir, perdre toute consistance. Sa lèvre tremblait.
« Je t'ai suivie parce que tu me conduisais là où ma mère m'avait dit d'aller.
— Où voudrais-tu aller maintenant ? Nous pourrions partir dès demain, si c'est ce que tu veux. Et si Loki ne le voulait pas, alors nous partirons sans lui.
— Je dois trouver quelqu'un qui la connaissait vraiment. Seul.
— Seul. Je... Oh, Lokten …
— J'en ai besoin.
— Comment feras-tu pour trouver une personne qui la connaissait ?
— Elle m'avait dit où le trouver.
— Qui ça ?
— Mon père. Et elle m'a dit comment le trouver.
— Qui est-il ?
— Elle n'a jamais révélé son nom. Elle disait que ce n'était pas nécessaire. Que je le reconnaîtrai en le voyant et que lui aussi, saurait.
— Ne retourne pas près de la Cité d'Alldhreim. Ne t'en approche pas, s'il te plaît.
— Comment ferai-je pour te revoir, alors ?
— Ce ne sera pas un problème, je n'y retournerai pas.
— Où iras-tu ?
— Comme toi. Là où le vent me portera.
— Mais nous nous reverrons un jour, n'est-ce pas ?
— Nous sommes amis, Lokten. Et cela ne changera pas. »
Tous deux se relevèrent et c'est en silence qu'ils traversèrent les couloirs jusqu'à atteindre l'entrée du Sanctuaire de la Belle vane. Dehors, le jour commençait à se lever, timide et étouffé par la brume. Déployant de grandes ailes qui, pour la première fois, lui obéissaient sans largesse, Lokten s'éleva dans l'aube rouge et se fondit parmi les nuages chargés d'ombres, sans se retourner.
Sygn fut incapable de se détacher de lui, de sa silhouette domptant les airs, même quand il n'en resta qu'un petit point noir, à peine perceptible. Pour l'apercevoir plus longtemps, elle grimpa sur le toit de la demeure, qui était en réalité enfoncée dans le sol et ne dépassait de l'herbe que par la voûte de sa toiture.
La promesse faite à Lopten venait d'être honorée.
La route de Lokten débutait là où s'achevait la sienne. Comme si les pavés d'un chemin cessaient là, devant ses pieds et que s'étendait par-delà que le néant. Une île sans océan pour l'entourer.
Ce beau chapitre est différent des autres, il propose un changement de rythme, avec un retour en arrière porté par une voix fantôme, puis le point de vue privilégié de celui qui n'avait (presque) pas de voix jusqu'ici. La réminiscence du discours maternel à Lokten, où s'expriment les regrets, où s'avouent les secrets, est à la fois un viatique et une confession. Discours bien pesant et trop complexe pour un oisillon qui ne connaît pas le monde ! Lokten est l'enfant grandi trop vite, à qui l'on délivre brutalement les clés de son existence, à charge pour lui de tout démêler quand il sera en capacité de comprendre... situation terrible qui me bouleverse.
Bref, Lokten est à un nouveau carrefour de sa vie, de sa liberté même. Sygn l'a accompagné au bout de la voie lisible, il lui reste un autre chemin que lui seul peut voir.
Petites coquilles :
- Ne te [mets] pas seul dans une cage
- J'[adorerais] que tu trouves l'épanouissement
- Lokten ne [lui] avait pas pardonné
- Il ne [lui] avait pas pardonné
- elle le [le] hantait pas
- tous ceux qui avaient [croisé] son chemin
- Loki [quelle] est cette bête enragée que tu as [ramenée] sous mon toit ?
- ses omoplates endolories par [le] repli des ailes
Dans la phrase :
- "l'attention de Freyr se déporta sur Loki, pour ne plus le relâcher" : la force des verbes me paraît excessive
Dans le dialogue entre Sygn et Lokten, l'enchaînement entre :
- Elle ne m'a jamais révélé son nom (...) lui aussi, saurait.
et
- Ne retourne pas près de la Cité d'Alldhreim.
n'est pas claire. J'ai eu le sentiment qu'il manquait un bout de dialogue. de plus : sait-elle qu'il a l'intention d'y revenir ? elle n'a pas entendu le discours de Lopten pourtant (si ?).
- je n'ai pas compris l’expression : "lui obéissant sans largesse"
Concernant le dialogue entre Sygn et Lokten : effectivement, il y a une mini phrase qui a été coupée, je ne m'en explique pas la raison. Merci de l'avoir relevée ! Normalement, Sygn lui souhaite, en gros, bonne chance pour trouver papounet. Et elle ajoute ensuite que si jamais Lokten venait à ne pas le trouver, qu'il ne revienne jamais à Alldrheim, pour ne pas s'exposer de nouveau à Heimdall.
Vuala vuala. Merci encore en tous cas :)
Un beau et bon chapitre comme d'habitude ! Je suis curieuse de voir où cette séparation va nous mener.
Je me permets une petite remarque, dans "omoplates endolories par la repli des ailes" ne voulais tu pas dire LE repli des ailes ?
Merci pour ton retour et je suis toujours aussi touchée de te trouver par ici :)
effectivement, petite erreur de ma part, je corrige ça au plus vite ! Merci de ta vigilance :D