La reine Marina d’Elesther se leva, ignorant le grincement strident que produisit sa chaise en raclant le sol.
— Je déclare à présent la fin de la suspension temporaire. La Table des Dix est ouverte céans.
La bouche toujours ouverte, prête à poursuivre sa déclaration, elle tourna la tête vers l’entrée de la salle et plus précisément vers le mur près de la porte close.
— Penseur Perrault, poursuivit-elle, son ton se faisant sec, irrité. Pouvez-vous je vous prie nous dire ce que vous êtes en train de faire ?
Le petite homme se retourna prestement à l’appel de son nom dans un geste nerveux. Ses mains quittèrent le grand cadre recouvert d’un voile ocre qu’il venait de poser contre le mur de pierre. Ses petits yeux de rongeurs balayèrent l’assemblée dans un mouvement furtif et expéditif, et évitèrent avec soin de croiser le regard flamboyant de la Présidente. Un petit sourire discret, apeuré souleva le coin de ses lèvres épaisses.
— Ah, oui, désolé, bégaya-t-il de sa voix chantonnante, fixant sa main où était posé son scarabée noir. Oui, oui, désolé de vous interrompre. J’apportais juste un petit élément de décoration…
La reine d’Elesther posa une main sur sa hanche, l’air impatient.
— Un élément de décoration ? Et pourquoi donc ?
— Je ne sais pas, répondit-il, hochant les épaules avec innocence. C’est l’ordre de la décoratrice du palais.
La Présidente de la Table se tourna vers le roi d’Indeya, qui soutint son regard, ses yeux noisette brillant de sincérité lorsqu’il secoua la tête négativement. Guillaume d'Arsénis son premier ministre se tenait à ses côtés, les yeux braqués droit devant lui, étrangement immobile, ses traits tirés à l’extrême.
Marina capitula dans un léger soupir et posa ses deux mains pâles à plat sur le marbre.
— Bien, peu importe. Comme je l’ai annoncé, la Table des Dix est à présent ouverte, les débats peuvent donc reprendre.
Elle glissa dans son siège avec grâce, et rejoignit le mouvement général des yeux curieux qui scrutaient les autres membres de l’assemblée. Puis, une voix tremblotante brisa le silence.
— Euh… Je suis désolée, mais… Nous ne pouvons pas ouvrir la Table, enfin… Pas encore. Mon… Attendant est absent. Je ne sais pas où il est…
Les regards convergèrent vers la reine Eléanor de Percée qui baissait les yeux sur ses genoux, ses longs cheveux raides dissimulant son visage derrière leur rideau terne.
Le siège à sa droite était en effet vide.
— Je me permets d’intervenir pour signifier que Madame Ren, Attendante de l’Impératrice Noire, manque à l’appel également, intervint Guillaume d'Arsénis d’un ton parfaitement neutre.
Marina prit une longue inspiration saccadée avant de poser ses coudes sur la table, reposant son menton sur ses mains.
— Je vois. J’imagine que nous ne sommes pas à quelques minutes près. Alors nous attendrons le retour de Madame Ren et du Dévoué Valmec…
Elle s’interrompit, son regard captant des prunelles claires, glaciales qui ne semblaient plus savoir où se poser.
— Y a-t-il un problème, reine Diane ? demanda-t-elle, sa voix empreinte de sarcasme.
La reine des Ospales cessa le manège incessant de ses yeux qui virevoltaient dans toutes les directions, comme à la recherche de quelque chose, et croisa les iris brûlantes de Marina. Un rictus hautain étira les lèvres blanches de Diane.
— Absolument pas, Madame la Présidente.
Tandis qu’un sourire mutin se frayait un passage sur la bouche écarlate de la reine d’Elesther, les portes de la salle s’ouvrirent dans un fracas, laissant entrer le Dévoué Valmec, plus courbé qu’à l’ordinaire. Eléanor se leva comme par réflexe, ses yeux grands ouverts.
— Valmec, où étiez-vous…? demanda-t-elle, sa voix à peine audible.
Le Dévoué jeta un œil vers l’assemblée, puis balaya la pièce d’un regard apeuré. Il se tenait toujours dans l’encadrement de la porte, tenant un des battants à bout de bras. Finalement, il avança dans la pièce et la silhouette qui était dissimulée derrière lui apparut au grand jour.
Ce fut le roi Léon qui réagit en premier. Oubliant les règles de la Table des Dix, il s’exclama, son ton tremblant.
— Maître Cujas ! Mais que… que faites-vous ici ?
Emile Cujas adressa un sourire chaleureux au roi des Ospales.
— Bonjour, Votre Majesté.
La reine Diane posa ses prunelles glaciales sur l’ancien Penseur, mais ses lèvres demeurèrent closes, serrées. Puisque Cujas évitait soigneusement de répondre à la question, Valmec lui lança un regard accusateur avant de répondre d’un ton cassant.
— Sur mon chemin, j’ai entendu quelqu’un appeler depuis les appartements des souverains des Ospales. J’ai cru qu’il s’agissait du roi Léon qui était malencontreusement enfermé alors j’ai fait venir un garde pour ouvrir, mais…
Il marqua une pause et lança un regard dédaigneux au roi Léon, qui baissa les yeux, comme honteux.
— Ce n’était pas lui, à l’évidence, remarqua Marina. En revanche, j’apprécierais beaucoup si vous pouviez nous expliquer qui est Maître Cujas, car je ne crois pas être la seule à l’ignorer ici.
Elle posa son regard sur plusieurs souverains, notamment les souverains du Continent Inconnu qui assistaient à la scène l’air hagard, écoutant avec attention les précisions de leur interprète.
— Et surtout que faisait-il dans les appartements de la reine Diane ? ajouta-t-elle.
Alors, Emile Cujas s’avança, contournant la main protectrice de Valmec qui le maintenait derrière lui, à l’abri des regards inquisiteurs, et se planta de l’autre côté de la Table, face à la reine d’Elesther. Un sourire éthéré élargit ses lèvres gercées, découvrant des dents blanches tranchantes, anormalement indemnes.
— Je suis navrée, Votre Majesté. Laissez-moi me présenter. Je suis Maître Cujas, conseiller de la couronne des Ospales et ancien Penseur officiant au Cloître des Penseurs.
Il ponctua ses mots d’une gracieuse révérence néanmoins mesurée. Marina hocha la tête avec satisfaction, mais très vite, elle fronça les sourcils de perplexité.
— Croyez que nous sommes enchantés de faire votre connaissance, Maître Cujas. Néanmoins, cela ne répond pas à ma question : que faisiez-vous enfermé dans les appartements de la reine Diane ?
Dans un crissement, les battants de bois s’ouvrirent une seconde fois, laissant entrer cette fois-ci une forme immense, informe et noire, accompagnée d’une silhouette plus petite à la chevelure incandescente.
— Ah, mais cette question-là, peut-être devriez-vous la poser à la principale intéressée, n’est-ce pas… Mère ?
Diane des Ospales se figea de la tête aux pieds à l’écoute de la voix familière, soyeuse, mielleuse. La reine Jade s’avança à son tour, ignorant l’œil courroucé de Valmec, et se plaça aux côtés de son ancien précepteur. Le roi Christian ouvrit de grands yeux ébahis.
— Reine Jade, mais que… balbutia-t-il. Comment êtes vous sortie de votre chambre ?
Les lèvres roses de la reine d’Indeya se tordirent dans un rictus amusé tandis que son regard émeraude se posait sur Guillaume d'Arsénis, qui semblait déterminé à éviter son regard.
— Eh bien, vous trouverez sans doute cela étrange, mais figurez-vous que quelqu’un a détruit ma porte. J’ignore pour quelle raison, mais je dois être parfaitement honnête avec vous : la vue de cette ouverture sur le couloir, sur la liberté, était bien trop tentante.
Son sourire s’élargit encore tandis que cette fois-ci, ses yeux croisaient les prunelles d’ambre scintillantes de la reine d’Elesther, puis les iris froides mais étrangement vivantes de la Sorcière Bleue.
— Puis j’ai entendu des cris au loin, et j’ai été attirée jusqu’aux escaliers centraux, où j’ai trouvé le Dévoué Valmec qui semblait être plongé dans une détresse profonde. Dites-moi : comment ne pas porter assistance à une personne en détresse ?
L’interpellé lui offrit une œillade exaspérée, ses iris violets brillants d’une rage contenu. Les sourcils broussailleux de Christian formèrent une ligne contrariée sur son front mat.
— Reine Jade, nous vous avions pourtant ordonné de rester confinée dans vos appartements jusqu’à ce que…
— Si vous permettez, Votre Majesté, intervint la voix ferme de Guillaume. Désormais, il est trop tard pour regretter les actes… inconsidérés de Sa Majesté. Mais peut-être cette dernière avait-elle une raison légitime de quitter ses appartements ainsi. Peut-être avez-vous quelque chose à déclarer, Votre Majesté ?
Jade posa des yeux scintillants de satisfaction sur le Premier ministre, son rictus se faisant cynique.
— Pour une fois, vous avez raison, Monsieur le Premier Ministre, minauda-t-elle, se délectant de l’air tendu qui se peignit sur le visage de Guillaume d'Arsénis. En réalité, j’ai même plusieurs choses à déclarer. La première étant que, pour répondre à votre question…
Elle mit sa phrase en suspens pour se tourner vers la reine Marina, toujours debout, dans l’attente.
— Si Maître Cujas était enfermé dans les appartements de la reine, c’est toujours simplement parce qu’il y était retenu prisonnier.
Quelques murmures secouèrent l’assemblée, mais ils se turent lorsque la voix grave et posée de Garance des Andes retentit.
— Voyons, reine Jade, pourquoi donc la reine Diane retiendrait-elle un vieil homme dans sa chambre, et qui plus est dans un palais qui n’est pas le sien ?
— Parce que ce vieil homme n’est autre que le Léopard Blanc, bras droit de la Panthère Noire – ou devrais-je dire… mon bras droit.
Son sourire se fit éclatant lorsqu’elle croisa le regard pâle de sa mère qui demeurait immobile telle une statue de verre.
— Votre assurance fait plaisir à voir, princesse, répliqua Cujas, son ton chaleureux et empli de fierté.
— Je vous remercie, Maître.
— Non mais attendez un instant, les interrompit Amalric, posant son poing sur la table. Admettons que Cujas ait été retenu prisonnier par Diane, mais alors comment expliquez-vous que personne ne s’en soit rendu compte, notamment le jour de l’arrivée des souverains des Ospales ?
— C’est une excellente question, roi Amalric, répondit Jade dans un sourire condescendant. Cependant, je ne pense pas être la mieux placée pour y répondre. Pour cela, je vous propose de vous adresser à celle qui s’est chargée de diriger l’enquête.
Les deux sourcils blancs du roi de Galvin grimpèrent haut sur son front.
— L’enquête ? Mais quel rapport avec…
— Intendante du Palais, appela Jade par-dessus son épaule. Je crois qu’il est temps que vous divulguiez enfin le résultat de vos recherches.
À nouveau, les portes s’ouvrirent, laissant entrer Jeanne, sage et humble dans sa robe noire aux boutons d’or, accompagnée de Gina, vêtue de son éternelle chemise large couverture de taches. Valmec et Cujas se tournèrent vers les deux arrivantes, l’air indifférent mais nullement surpris, et s’écartèrent pour laisser l’Intendante du Palais et l’Ange des Sourires atteindre la Table des Dix.
— Bonjour à tous, commença Jeanne d’un ton égal. Je ne peux que suivre l’avis de Sa Majesté la reine Jade : il me semble également qu’il est temps de rétablir la lumière sur certains points, et notamment sur l’assassinat du Général Ighnar.
Un crissement discret retentit lorsque les ongles de Diane s’enfoncèrent dans les accoudoirs en bois de son large fauteuil. Marina posa ses yeux d’ambre sur elle un court instant, avant de se concentrer de nouveau sur Jeanne.
— Bien. Dans ce cas, nous vous écoutons, Intendante du Palais.
Cette dernière adressa un acquiescement reconnaissant à la Présidente avec de débuter, les mains croisées devant elle dans une posture stricte.
— Merci, Madame la Présidente. D’abord, je souhaite lever le doute sur la présence du Léopard Blanc. Il ne fait désormais aucun doute qu’il était bien présent dès l’arrivée des souverains des Ospales au Palais des Lumières. En effet, personne ne l’a aperçu jusqu’à aujourd’hui, parce que la reine Diane s’est assurée qu’il en soit ainsi. Lorsqu’elle a pénétré les portes du palais, elle a profité du chaos engendré par les circonstances particulières de son arrivée pour faire entrer ses domestiques par l’entrée des employés. Emile Cujas faisait partie de ce petit groupe.
— Comment pouvez-vous en être sûre ? l’interrogea Juliette, l’air sincèrement curieux.
— Parce que l’une des employés du Palais des Lumières, très observatrice, a remarqué quelqu’un vêtu exactement comme Emile Cujas ce jour-là, répondit Jeanne à l’adresse de la reine de Crystallide. Lorsque je lui en ai fait la description, elle était formelle : c’est bien cet homme qu’elle a aperçu parmi les domestiques. Cela l’avait étonnée sur le moment car il semblait plus noble, plus distingué que les autres.
— Cette domestique, intervint Christian, il s’agissait de Cassandre, n’est-ce pas ?
Les lèvres de Jeanne esquissèrent un rictus en coin, tandis que Guillaume à ses côtés émettait un ricanement discret.
— Évidemment qu’il s’agissait de Cassandre, rétorqua le Premier ministre.
Le roi Christian sourit sincèrement en réponse, avant d’hocher la tête en direction de Jeanne.
— Bien, continuez, Jeanne, je vous prie.
— Ensuite, la reine Diane a utilisé le cagibi attenant à ses appartements – à l’origine pensé pour être un débarras – pour y enfermer Emile Cujas. Personne n’est jamais entré dans sa chambre, qui est toujours demeurée fermée à double tour. Ainsi, personne ne s’en est jamais rendu compte jusqu’à aujourd’hui.
— Mais attendez, grommela Amalric, soufflant sur sa mèche rebelle avec agacement. S’il est resté enfermé dans cette pièce, comment a-t-il fait pour survivre sans eau et sans nourriture ?
— Nous nous sommes interrogés sur ce point également, reconnut Jeanne. La réponse est en réalité très simple, je crois. Nous n’avons pas de preuve, mais la reine Diane a probablement profité des buffets qui se tenaient après les journées de débats pour fournir de quoi se sustenter à son prisonnier.
— Non, c’est impossible.
Toutes les têtes se tournèrent vers la Présidente de la Table des Dix qui s’était exprimée d’une voix claire, forte, sans appel. Les lèvres blafardes de la reine Diane se tordirent dans un rictus satisfait, tandis qu’un éclat étrange, lugubre transperçait ses iris de diamant.
— Pourquoi serait-ce impossible ? lui demanda l’Intendante du Palais, les sourcils haussés.
Marina sembla tout à coup hésiter, elle observa un instant son Chancelier qui sourit légèrement. Puis, comme acceptant sa défaite, elle poursuivit, ses yeux plongeant dans les prunelles noisette de Jeanne.
— Parce que, pendant chaque banquet, je ne l’ai pas quittée des yeux un seul instant.
Un court silence emplit la salle d’un mal-être que seule la reine Diane ne semblait pas partager, ses lèvres étirées dans un sourire irréel. Jeanne fixait la reine d’Elesther avec insistance, attendant une explication.
— Quoi ?
Mais à la place de la reine Marina, ce fut le roi Amalric qui brisa le silence de son exclamation ahurie. Une fois n’étant pas coutume, il fut rejoint par la reine de Crystallide.
— Euh… Oui, je crois qu’il va falloir être un peu plus précise, reine Marina. Parce que là, bon…
— Oui… s’immisça une voix sinueuse, enjôleuse. Je dois avouer que je suis moi-même assez curieuse de savoir pourquoi vous n’êtes pas parvenue à détacher vos yeux de moi pendant toutes ces soirées que nous avons passées au Palais des Lumières.
Une lueur incandescente brûla les yeux de Marina lorsqu’ils croisèrent le regard provocant de Diane.
— Je ne l’ai pas quittée des yeux un seul instant car je n’ai aucune confiance en elle, expliqua-t-elle enfin d’un ton cassant. J’étais particulièrement méfiante, aussi je n’ai pu m’empêcher de surveiller ses faits et gestes pendant toute la durée des banquets. Et il semblerait que j’ai eu raison, n’est-ce pas ?
Elle releva le menton d’un air hautain face au froncement de sourcils de l’Intendante du Palais qui semblait toujours aussi peu convaincue. Mais aussi vite qu’il n’en fallut pour le dire, cette dernière acquiesça et toute trace de perplexité disparut de son visage.
— Alors, poursuivit Marina, sa voix lourde, il n’est pas possible que la reine Diane ait profité de l’effervescence des banquets pour dérober de la nourriture au profit de son prisonnier.
— Cela relève de l’évidence, renchérit Jade, mielleuse. La reine Diane n’aurait pas pris ce risque, encore moins sous vos yeux, ajouta-t-elle avec un regard entendu pour la reine Marina. Mais comme toujours, dès lors qu’elle ne peut réaliser un acte de ses propres mains, elle ordonne simplement à quelqu’un d’autre de le faire à sa place.
Les épaules et le cou de la reine Diane se tendirent légèrement, mais ses lèvres demeurèrent closes. Son époux quant à lui commençait à s’agiter, ses mains tapotant nerveusement ses accoudoirs, ses jambes bougeant sous la table à l’abri des regards.
— Et je serais prête à parier que son bouc émissaire ne fut nul autre que le roi Léon. Mon cher père.
Dans ses derniers mots, le venin dégoulinait de sa voix, si hostile et cruel qu’un frisson anima le roi des Ospales. Il releva la tête prestement, ses yeux écarquillés, enfoncés dans leurs orbites, trouvèrent ceux de sa fille. Sa bouche grande ouverte, il paraissait si éberlué par le regard perçant de Jade qu’il ne remarqua pas les yeux glacials qui le foudroyaient.
— Roi Léon, je vous donne exceptionnellement la parole, dit Marina, son ton se faisant plus doux, presque compréhensif. Répondez donc à ma question : était-ce bien vous qui dérobiez de la nourriture lors des banquets du soir afin de nourrir votre prisonnier ?
Le roi des Ospales lança un regard sur le côté en direction de sa femme, dont les prunelles brillaient plus encore que la pleine lune. Les mains diaphane étaient crispées autour des accoudoirs, les ongles enfoncés dans le velours, sa bouche tordue dans un rictus odieux.
— Léon…
— N’écoutez pas les menaces de votre épouse, l’interrompit Marina, parfaitement calme. Répondez en toute sincérité.
Léon détourna la tête, évitant soigneusement le regard foudroyant de son épouse. Puis, dans un murmure, il parla.
— Oui…
Diane prit une inspiration tendue, bruyante, néanmoins elle demeura coite, les yeux fixés droit devant elle.
— Bien sûr, confirma Jade avec sarcasme. Cependant, le Léopard Blanc n’était pas son prisonnier, mais seulement celui de la reine Diane.
Le roi Christian poussa un soupir las et dissimula sa bouche derrière ses deux mains jointes.
— La reine Diane a violé notre règle fondamentale, conclut-il, excédé. Personne n’entre au Palais des Lumières avec un prisonnier.
— Oui, concéda Amalric entre ses dents. Mais ce prisonnier fait partie des rebelles, cela se comprend, non ?
Le roi d’Indeya jeta un œil discret vers son Premier ministre, qui demeurait parfaitement stoïque, avant de secouer la tête lentement.
— Non. Elle aurait dû nous informer de la présence du Léopard Blanc dès le début, nous aurions pris les mesures nécessaires.
— Les mesures nécessaires, rit Amalric. Vous voulez dire : l’enfermer comme la Panthère Noire ?
Il jeta un œil rageur à la reine d’Indeya, avant de poursuivre avec hargne.
— Oui, effectivement cela semble très efficace.
— À l’évidence, la reine Jade a bénéficié d’une aide extérieure afin de s’échapper. Il lui était totalement impossible de s’enfuir par ses propres moyens.
— C’est sans doute Mademoiselle Gina, alors, proposa Juliette, tout sourire.
— Quoi ? s’écria cette dernière, décrivant un pas en avant, outrée. Mais pourquoi moi ?
— N’est-ce pas évident, Mademoiselle Gina ? Car dès qu’il y a un problème au Palais des Lumières, vous n’êtes jamais bien loin…
L’Ange des Sourires coula son regard orageux sur Madame Ren, qui l’observait avec un sourire aussi grand qu’un abîme, sa voix plus caverneuse que jamais. Elle s’apprêtait à répliquer quand la voix chaude de Garance retentit.
— Si l’on en revient au prisonnier de la reine Diane, pouvez-vous nous dire, chère Intendante du Palais, pourquoi selon vous ce pauvre vieil homme était retenu prisonnier par la reine des Ospales ? Ou plutôt pourquoi a-t-elle choisi de l’emmener en Indeya, plutôt que de le faire disparaître discrètement en Ospales ?
— Sur ce point, répondit Jeanne, glissant un regard inquisiteur en direction de la reine Jade qui acquiesça, nous ne pouvons pas être certains car il s’agit de motivations qui ne sont connues que de la reine Diane. Elle seule pourrait répondre à cette question.
Les yeux convergèrent vers l’intéressée, qui se contenta de lever le menton dans un sourire arrogant. Alors, Jeanne poursuivit.
— Notre théorie est qu’elle a voulu utiliser Maître Cujas comme garantie contre la reine Jade.
— Comme garantie ? s’étonna Amalric. Mais pourquoi faire ?
Jade fit un pas en avant et capta le regard égaré de son oncle.
— Pour s’assurer qu’en cas d’échec de sa proposition de réforme qui a mené à mon arrestation, elle bénéficierait tout de même d’un levier contre moi. J’imagine que si elle n’était pas parvenue à me faire arrêter par le biais de la Loi Sacrée, elle aurait utilisé son pouvoir sur Cujas pour me forcer à me rendre.
Elle marqua une pause, son regard effleurant un instant les yeux de sa mère, et ses iris émeraude semblèrent s’assombrir, lourds de déception.
— Elle savait que si elle menaçait la vie ou l’intégrité physique d’Emile Cujas, peu importe les termes du marché, j’aurais fini par céder. Et je suis dans l’obligation de le reconnaître, finit-elle d’une voix vibrante. J’aurais accédé à n’importe quelle demande.
Un soupir léger ponctua le silence après sa déclaration, et tous se tournèrent vers son origine : le vieil homme tout de blanc vêtu. Ses yeux baissés pétillaients sous les verres de ses lunettes.
— Je vous avais pourtant dit de ne jamais céder au chantage. Et ce peu importe les enjeux.
Jade offrit un sourire noir, triste à son ancien précepteur, tandis qu’elle répondait d’une voix à peine inaudible.
— Vous savez que je ne peux pas faire cela, Maître Cujas. Je ne peux pas supporter de perdre encore quelqu’un d’autre. De vous perdre vous.
— C’est amusant, intervint la voix blanche de Diane. Vous n’avez pas semblé accorder autant d’importance à la perte de la pauvre petite Iris. La malheureuse a pourtant appelé votre nom… encore et encore… du fond de la Chambre Noire. Elle aurait mieux fait de répondre à mes questions, elle aurait sans nul doute moins usé ses cordes vocales. Et surtout moins longtemps. Enfin… Elle m’a appris ce que je voulais, et je l’en remercie sincèrement. « La Panthère Noire me sauvera », répétait-elle inlassablement, même si, sur la fin, les mots n’étaient plus tout à fait reconnaissables, je dois l’avouer.
Un rire froid s’extirpa des lèvres blafardes de la reine des Ospales.
— Pauvre folle. Ne l’avez-vous donc pas entendu hurler votre nom, Panthère Noire ?
Jade décrivit un pas menaçant en direction de sa mère, ses yeux flamboyants de haine, et tendit une main dans sa direction.
— Comment osez-vous ? cracha-t-elle, sa voix emplie de poison. Parler du supplice d’une jeune fille innocente, ici, dans ce lieu de droit et de Justice ? N’avez-vous donc aucun respect, pour les souverains de cette Table, pour votre propre fille… pour vous-même ?
La reine d’Elesther leva une main qui se voulait pacificatrice.
— Mesdames, je vous prie. Nous nous écartons du sujet présent. Pour l’instant, il s’agit il me semble de résoudre l’enquête sur l’assassinat du Général d’Indeya, qui a eu pour effet de suspendre les débats pendant deux jours.
Jade hocha la tête sombrement et décrivit un pas en arrière, tandis que Diane continuait de la fixer, un sourire étrange flottant sur les lèvres. Le regard de Marina se posa alors sur l’Intendante du Palais, qui reprit son compte-rendu d’un ton neutre, presque professoral.
— La séquestration d’Emile Cujas aurait donc pu servir de moyen de pression sur la Panthère Noire dans le cas où l’arrestation de celle-ci n’aurait pas été ordonnée par le roi d’Indeya.
— D’accord, reconnut Amalric, la mâchoire serrée. Quand bien même le procédé est déloyal, on doit se rappeler qu’il s’agit du Léopard Blanc et de la Panthère Noire. Il faut bien parvenir à les confondre et à mettre fin à cette rébellion d’une manière ou d’une autre.
— Certes, concéda Christian. Mais pour faire cela, je ne doute pas que la reine Diane disposait de nombreux moyens. Elle aurait dû en utiliser un qui n’impliquait pas de dissimuler un prisonnier dans mon palais.
— Et, euh… intervint la voix tremblante, à peine audible d’Eléanor. Elle ne s’en est pas servie que contre la Panthère Noire… Elle… Elle a utilisé Maître Cujas pour faire pression sur… mon Attendant… Le Dévoué Valmec. Afin qu’il… m’influence dans mes décisions. Enfin, selon ses dires, en tout cas…
Des murmures outrés emplirent la salle comme un venin aux senteurs de trahison. Valmec braqua son regard violet de colère sur Eléanor, mais celle-ci s’était de nouveau dissimulée derrière son rideau de cheveux ternes. Les yeux de Jade s’ouvrirent en grand tandis qu’elle cherchait les iris bleu électrique de son précepteur, mais ce dernier se tenait tête baissée, ses yeux illisibles braqués sur le sol, un sourire triste pendu aux lèvres.
— Comment ? demanda Christian, éberlué. Mais pourquoi donc cela fonctionnerait-il ? Les deux se connaissent-ils ? Et comment la reine Diane l’a-t-elle appris ?
Il capta les prunelles de diamant de la reine des Ospales, mais lorsque celle-ci ne broncha pas, et qu’à la place il tomba sur la moue réprobatrice de Marina, le roi d’Indeya secoua la tête. Il reprit d’un ton égal.
— Enfin, peu importe. Là n’est pas le sujet, et il est trop tard pour regretter notre ignorance. Intendante du Palais, que pouvez-vous nous dire à présent sur l’assassinat du Général Ighnar ?
— Bien sûr, Votre Majesté, j’allais y venir. Concernant cet incident, jusqu’à il y a peu nous avions peu d’éléments si ce n’est le témoignage de la reine Jade qui nous assurait qu’elle n’était pas coupable, mais qu’elle avait simplement assisté au crime, malgré elle.
— Je vois, intervint Garance, l’air grave, un sourcil haussé. Alors, si ce n’est pas la reine Jade qui a assassiné Ighnar, qui est-ce donc ?
Jeanne se tourna lentement vers la reine d'Indeya, qui s'avança vers la Table. Le regard marron de l'Intendante du Palais était lourd et plein de sollicitude.
Jade se planta devant la Table, face à la Présidente, qu'elle fixa de ses yeux profonds.
— La coupable est la reine Diane des Ospales. Et sa complice est une jeune fille nommée Esma.
Un sourire obscur déchira les lèvres de la reine des Ospales, tandis que Marina ouvrait de grand yeux exorbités. Mais rapidement, la reine d’Elesther se reprit et sa voix résonna dans la salle, grondante et menaçante.
— C’est impossible, reine Jade. Je connais Esma, depuis de longues années. Elle a été mon amie, ma confidente, et bien plus que cela encore. Elle m'a sauvée de ma propre destruction. Et vous voudriez me faire croire qu'après avoir passé des années à me protéger du Chaos, elle aurait désormais l'envie de répandre la mort et la souffrance ? Cela n'a aucun sens.
Le roi Christian soupira si fort qu'il s'attira l'attention de tous les regards. Après un bref coup d'œil en direction de son frère qui regardait Marina avec tristesse, il prit la parole.
— Nous sommes conscients que la nouvelle peut paraître choquante, voire absurde, dit-il d'un ton calme, fixant Marina avec empathie. Mais, reine d'Elesther, les faits sont indéniables. Plusieurs personnes ont décrit la personne accompagnant la reine Diane comme ressemblant parfaitement à Esma. La jeune fille s'est elle-même présentée à la reine sous le nom d'Esma.
— Si cette fille est sous les ordres de la reine Diane, lança Marina, son ton cassant, alors elle n'aura aucun scrupule à se faire passer pour quelqu'un d'autre et accuser ainsi Esma de ce crime.
— Marina, retentit la voix douce de Jade. Je ne peux que comprendre votre peine et votre choc. Mais je vous en conjure, soyez raisonnable, et surtout, pensez stratégique. Quel intérêt aurait l'assassin à dénoncer une jeune fille qui est portée disparue depuis des années ? Il est rien de pire pour attirer la méfiance que de dénoncer quelqu'un qui demeure introuvable. Dans ces circonstances, ne pensez-vous pas qu'il serait raisonnable de croire que cette fille m'a simplement dit la vérité en me révélant son nom ?
— Si votre raisonnement ne semble pas dénué de toute logique, s'immisça la voix glaçante de la reine des Ospales, vous reconnaîtrez qu'il ne fonctionne que dans l'hypothèse où vous dites la vérité. Or, quelle preuve avez-vous pour attester de votre bonne foi ? Il me semble qu'il s'agit ici d’un duel parfaitement équitable… Votre parole contre la mienne.
Elle marqua une pause et dévisagea chaque souverain un à un de ses yeux perçants.
— Vos Majestés, dites-moi : quelle valeur accorderez-vous à la parole de la Panthère Noire ?
— Ah, ça… commença Amalric dans un grognement.
— Sans doute pas plus qu’à celle d'une meurtrière, je le conçois, trancha Jade. Mais peut-être que la parole de la Panthère Noire peut être confirmée par les dires d'un témoin…
La reine d'Indeya hocha la tête en direction de l'Intendante du Palais qui à son tour fit un signe à Gina. Cette dernière se dirigea vers l'extrémité de la pièce et le cadre qui avait été déposé contre le mur. D'une poigne sûre, elle le prit dans ses bras et marcha jusqu'aux côtés de la reine d'Indeya. Elle posa le cadre par terre contre elle, le maintenant toujours pas une main tandis qu'elle le libérait de son voile d'un geste fluide.
Plusieurs exclamations emplirent la salle à la vue du tableau de la reine Katherine. La reine Diane émit un petit rire dédaigneux.
— Est-ce là votre témoin ? Une toile ? Aussi ravissante soit-elle, je ne crois pas qu’un débat sur la finesse de l’art soit à l’ordre du jour. J’ai peur que cela demeure insuffisant… Mais je dois néanmoins le reconnaître : à chaque jour qui passe, vous me surprenez un peu plus, ma chère fille.
Jade ne lui fit pas le plaisir de répondre, et au lieu de cela elle fixait le tableau comme si elle lui adressait une prière silencieuse. Et enfin, une voix cristalline résonna dans le silence. Tous les rois et reines s'immobilisèrent, bouchée bée, pour l'écouter.
— Bonjour, Diane. Cela fait longtemps, n'est-ce pas ? Je ne pensais pas vous revoir dans de telles circonstances, mais ma foi… Le destin est bien malicieux.
Je ne pensais pas que Jade sortirait la carte Katherine devant toute la Table mais finalement c'est plutôt logique... Je suis curieux de voir comment Diane va réagir en l'entendant, je pense que le duel oral entre les deux risque d'être très sympa. Ca commence déjà bien avec le "ça fait longtemps" qui va bien (=
Le personnage d'Esma m'intrigue beaucoup. Je suis curieux de savoir comment ça s'est passé pour qu'elle transforme en petite tueuse inquiétante.
Les débats sur la présence d'Emile prisonnier permettent de montrer que Dianese se sert de son mari, le pauvre n'a pas le rôle le plus glorieux dans cette histoire... Sympa le passage où on apprend que Marina ne quitte pas Diane des yeux xD
Une petite remarque :
"c’est toujours simplement parce qu’il y était retenu prisonnier." -> tout simplement ?
Un plaisir,
A bientôt !
Oui, Jade utilise la carte qu'elle peut honnêtement xD Mais t'en fais pas, elle en aura d'autres par la suite !
Effectivement, la réaction de Diane sera fun, enfin j'espère x) J'ai hâte d'avoir ton avis !
Je suis contente que le perso d'Esma t'intrigue tant. Tu en sauras de plus en plus avec les chapitres à venir, j'espère que ce que tu découvriras te plaira, mais bien sûr tes questions auront une réponse (un jour) ;)
Oui, Diane est aussi cruelle avec son mari qu'avec sa fille (voire plus), et c'est pas le pire ça encore lol. Je te laisse découvrir ça x)
(Oui Marina qui ne quitte pas des yeux Diane c'est très important faut s'en souvenir pour la suite (non pas du tout x)))
Merci pour ta note, effectivement c'est une big coquille ça, je vais corriger xD
A bientôt sur l'attaque des dragons, je reviens sur PA en force (enfin j'essaie), et LADD est ma priorité, alors à tout bientôt ;)
« Le petite homme se retourna prestement à l’appel de son nom dans un geste nerveux. » pas de « e » à petit :)
« La reine des Ospales cessa le manège incessant de ses yeux qui virevoltaient dans toutes les directions, comme à la recherche de quelque chose, et croisa les iris brûlantes de Marina. » brûlants, non ?
« — Ah, mais cette question-là, peut-être devriez-vous la poser à la principale intéressée, n’est-ce pas… Mère ? » Mahah, ça pu pour son matriculeuuuu :3 Moi ? Sadique ? Si peuuuuuuu xD
« Comment êtes vous sortie de votre chambre ? » un tiret entre « êtes » et « vous » ;)
« Son sourire s’élargit encore tandis que cette fois-ci, ses yeux croisaient les prunelles d’ambre scintillantes de la reine d’Elesther, puis les iris froides mais étrangement vivantes de la Sorcière Bleue. » froid et vivant ? Comme c'est un iris.
« L’interpellé lui offrit une œillade exaspérée, ses iris violets brillants d’une rage contenu. » pas de « s » à violet, si ? contenue ?
« — Reine Jade, nous vous avions pourtant ordonné de rester confinée dans vos appartements jusqu’à ce que… » nyanyanya chut, écoute la dame è-è
« — N’est-ce pas évident, Mademoiselle Gina ? Car dès qu’il y a un problème au Palais des Lumières, vous n’êtes jamais bien loin… » Mais... Je peux faire un nouveau bûcher ?
« Ses yeux baissés pétillaients sous les verres de ses lunettes. » pas de « s » ;)
« Il est rien de pire pour attirer la méfiance que de dénoncer quelqu'un qui demeure introuvable. » Il n'est ?
« — Bonjour, Diane. Cela fait longtemps, n'est-ce pas ? Je ne pensais pas vous revoir dans de telles circonstances, mais ma foi… Le destin est bien malicieux. »
Enfin, enfin, enfin, je file lire la suite, je veux trop savoir ce qui attend Diane. Va-t-elle se ratatiner sur elle-même ? Ou alors a-t-elle encore des cartes à abattre malgré sa position maintenant fragile ? J'ai hâte, j'ai hâte, j'ai hâte !
Merci d'avoir relevé les coquilles je vais corriger ça !
« Mahah, ça pu pour son matriculeuuuu :3 Moi ? Sadique ? Si peuuuuuuu xD » --> j'avoue, ça commence à craindre pour Diane là xD
« nyanyanya chut, écoute la dame è-è » --> en vrai c'était un peu le deal, mais ouais quand on t'ouvre la porte de ta prison, difficile de rester dans la chambre en mode "nan je bougerai pas on m'a dit de rester là, je suis sage moaaaa" lol xD
« Mais... Je peux faire un nouveau bûcher ? » --> nan pas pour Ren, Ren elle est fun :P
« Enfin, enfin, enfin, je file lire la suite, je veux trop savoir ce qui attend Diane. Va-t-elle se ratatiner sur elle-même ? Ou alors a-t-elle encore des cartes à abattre malgré sa position maintenant fragile ? J'ai hâte, j'ai hâte, j'ai hâte ! » --> c'est trop chou ahah ^^ Oui Diane est vraiment mal barrée à ce stade, mais tu sais désormais qu'elle s'en sort pas trop mal finalement :P Elle a toujours un plan ou une échappatoire de toute façon mdr xD Enfin... peut-être pas toujours mais tu verras par la suite :P
Bisous, à toute <3