Chapitre 45

Salle Kestell Coed, Palais de la mer éternelle - Citée d'Ys

Après le fiasco de l'après-midi où un géant avait débarqué en pleine salle du trône avec Alice Gallager dans les bras, ils avaient été évacués le temps de clarifier la situation. Elle avait profité de cet interlude pour questionner Niall qui lui avait divulgé la position de Noémie Cavalier, elle était avec le gardien des côtes, Calys.

Au moins Morgane savait maintenant où se trouvait les trois étudiantes disparues.

Un groupe important s'était constitué au palais ces dernières heures avec des habitants provenant d'un peu partout dans le royaume et ils se restauraient dans une gigantesque salle ronde où un arbre immense poussait en son centre.

La lumière déclinante descendait par un dôme monumental et Bryn glissa son bras en bas de son dos alors qu'elle essayait de reconnaître les différentes créatures présentes. Elle était encore secouée de savoir qu'elle avait du sang de Rå dans ses veines et même avec ce qu'elle avait appris lors de ses recherches elle était encore très loin de reconnaître tous les êtres mystiques qu'elle voyait.

Bryn lui chuchotait ce qu'il savait alors qu'elle grignotait distraitement des plats inconnus.

Plusieurs êtres la jaugeaient elle et Bryn, jusqu'à ce qu'Eilidh entre dans la salle.

— Merci de votre patience, la Reine Dahut vous propose de vous regrouper par compétences pour traiter nos différents sujets. Dans la salle au miroir, nous attendons tout ceux doués d'un pouvoirs de détection, les spécialistes de l'information ou ayant une capacités de soins. Dans le laboratoire de l'aile ouest, les mystiques et chercheurs se regrouperont et dans la caserne, nous aurons besoin de tout nos guerriers ainsi que ceux ayant déclaré des corrompus ou Brocéliandins ayant perdu le contrôle. Tous ceux qui ne savent pas où aller, venez me voir. Niall et moi-même vous orienteront.

Morgane sourit, elle irait à la salle du miroir en premier, c'était sa priorité de veiller sur les humains, elle commença à se diriger là mais se fit stopper par Olvath qui arrivait vers elle, avec son habituelle démarche glissante.

— La Reine Dahut va vous recevoir à part.

— Très bien.

Olvath s'éclipsa dans une des salles, accompagnant un groupe et deux gardes Teirionnour se stationnèrent à l'entrée de la salle leur faisant un signe.

Bryn lui chuchota quelques mots alors qu'ils s'y rendaient.

— Elle veut sûrement éviter de divulguer des informations sensibles.

— On vient juste d'apprendre que certains perdaient le contrôle ou cette histoire d'êtres corrompus...

— Justement, ne fouine pas trop.

Elle roula des yeux.

— Je ne fouine pas, je cherche la vérité.

— N'oublie pas où tu es ma chérie. Susurra-t-il en lui frottant le bas du dos.

— D'accords, je serai raisonnable, répondit-elle en haussant les épaules.

Ils traversèrent le Palais et les gardes les orientèrent jusqu'à un endroit qu'ils ne connaissaient pas.

— La Reine Dahut va vous recevoir dans la salle "Sosialadh", continuez le long du couloir.

— Merci. Répliqua Bryn en continuant son chemin.

Avant d'arriver au bout, ils entendirent une porte se fermer et Morgane stoppa Bryn pour écouter deux personnes qui semblaient discuter.

— Mais qu'est-ce que tu fais ? 

— Chuut ! 

Elle se colla à l'angle du mur et pris Bryn contre elle comme si elle se sentait mal, mais son regard et ses oreilles étaient orientées derrière elle.

Les voix se rapprochaient doucement, une femme et un homme qui échangeaient à voix basse.

— ....la..

 — Est-ce que ça a vraiment de l'importance ? 

Une voix d'homme puis un blanc... les bruits de pas reprirent.

 — Comment tu peux dire ça ? Alors que c'est toi qui... laisse tomber.

Ils étaient très proches, Morgane se remis droite et pris Bryn par le bras, tournant naturellement dans le couloir.

 À quelques mètres, un homme encapuché et une femme brune assez petite allaient les croiser. Elle leur fit un signe de tête, rendu par la femme qui pinçait les lèvres.

— Finnan emmène-moi en haut, si je ne prends pas l'air, je risque de dire quelque chose que je regrette.

— Mais...

— Non, pas maintenant.

Morgane aurait voulu en savoir plus, mais Bryn avait raison, elle ne pouvait fouiner que modérément.

La Reine les attendait dans une petite salle qui était comme un jardin d'intérieur. Les plantes couvraient tout et elle se sentit étrangement claustrophobe. Elle avait l'impression que les plantes étaient des prédateurs pouvant l'attaquer à tout moment.

Bryn s'installa et elle se colla à lui se plaçant sur la chaise à côté. C'était ridicule qu'elle stresse.

La Reine pris la parole et elle réalisa qu'elle avait retenu son souffle depuis qu'elle était entrée dans la pièce.

— Nous avons pris les dispositions qui s'imposent depuis notre entrevue. Un problème épineux persiste et votre aide serait la bienvenue.

Elle voulait forcément parler des humains récupérés.

— Vous avez une vague d'humains qui arrivent et vous voulez les faire réapparaître sur Terre.

— Oui, répondit la Reine avec un petit sourire énigmatique.

Bryn pris la parole.

— Stopper le phénomène serait déjà une bonne chose, qu'est-ce que vous faites des immigrés ?

Morgane pris la parole.

— Ils doivent être regroupés au domaine Coedwig, sûrement hypnotisés ou endormis. Vu l'organisation de la cellule de crise, ils ne peuvent pas encore juguler les apparitions.

La Reine pinçait les lèvres imperceptiblement.

— Morgane, vous êtes une femme intelligente. Ne me poussez pas à vous assigner à résidence, vos compétences sont trop précieuses.

Morgane avait compris le message :

« Si vous voulez prendre part à la résolution de la crise, ne creusez pas d’avantage » 

— Très bien. Je ne mettrai pas mon nez dans votre politique interne. Bryn est là uniquement parce que je l'ai embarqué. Mon objectif est de ramener les humains sur Terre, les vivants... et les autres. Mais j'aimerai aider concernant cette histoire de fuite d'énergie, je sens que je pourrais être utile et Bryn vous a déjà proposé d'explorer les failles marines puisqu'il travaille dessus. Pour ma part je peux vous aider de l'autre côté de la barrière. Vous présenter mes antécédents n'aurait pas d'intérêt ici, mais j'ai des compétences utiles.

La Reine se tourna vers Bryn.

— Elle est délicieusement terrifiante n'est-ce pas Ceffyl Dwr ?

— C'est la meilleure, si elle est de votre côté, sourit Bryn en serrant la main de Morgane.

La tension dans l'air se dissipa et le poids sur les poumons de Morgane disparu.

— Merci de m'accorder votre confiance, dit-elle souriant à la Reine.

Elle lui tendit un fruit qui venait de littéralement tomber dans sa main.

— Quelle est votre proposition pour rapatrier les humains ?

— Combien sont-ils à Coedwig ? Pour l'instant.

— Une vingtaine de vivants et trois malheureux.

Morgane resta un instant, pensive.

— Avez-vous moyen de faire creuser des failles rocheuses sur Terre, comme des grottes et de produire une substance hallucinogène solide et gazeuse, ainsi qu'un explosif léger ?

Elle prit une seconde avant de répondre puis sourit. 

— Oui, c'est réalisable.

— Alors j'ai un plan.

***

Domaine Coedwig, Tir Adar Ewyn — côte d'Ys.

Au matin, Morgane attendait à l'entrée du domaine Coedwig appartenant aux Pennel, un clan de hoper qui s'occupait de la transmission des messages royaux sur tout le territoire.

Des Teirionnour du clan Aevarn montaient la garde ici et dans le Palais. C’étaient des guerriers à l'apparence elfique tous blonds aux yeux d'or sans exception.

Bryn était partit explorer la faille marine avec d'autres ondins, elle se retrouvait donc seule à faire une sorte d'inspection des humains « stockés» ici.

Un des hoper aux cheveux blancs courts et aux yeux bruns l'escorta jusqu'à une des tentes.

Elle vit d'abord les morts, soigneusement emballés dans des tissus. Un Draob la rejoint dans la tente suivante.

C'était la seconde fois qu'elle en voyait un, mais était plaisamment surprise, elle trouvait ces créatures étonnantes mais superbes.

Son regard teinte citron vert la fixait avec gentillesse et elle se sentit immédiatement en confiance alors qu'il se présentait : 

« Hafgan » .

— Donc ces humains sont hypnotisés pour effacer leur mémoire et mis dans une sorte de stase ou un coma artificiel ?

— C'est bien cela.

— Quand nous pourront les ramener sur Terre, il faudrait idéalement les séparer en deux ou trois groupes, pour les rapprocher de leurs zones de disparition. Est-ce que vous avez notés les lieux d'apparition de ces personnes ?

— Je peux demander aux Pennel ces informations.

— Merci, j'aimerai que cette expérience soit la moins stressante pour eux. Qui est arrivé en premier et quand ?

— L'homme qui est ici est arrivé il y a quelques semaines.

— Comment faîtes-vous pour les nourrir et le reste, je ne vois aucune sonde.

— Je n'ai pas la connaissance de la médecine humaine moderne, mais ici nous pratiquons des magies de conservation, le corps et l'esprit est stabilisé. Nous appliquons un sort de régénération pour que la personne n'ait pas besoin de manger.

— Combien de temps ces techniques fonctionnent ? Je suppose que ça ne peut pas aller indéfiniment.

— Au bout d'un ou deux mois, nous devons réveiller le patient pour un bain curatif.

— Merci et concernant ceux qui n'ont pas survécu, j'aurai besoin d'en savoir plus.

Hafgan soupira.

— Les corps ont été préservés, pour pouvoir les rendre dans les meilleures conditions...

— Ce que je vais vous dire va vous paraître cruel, mais si les corps réapparaissent en parfait état de conservation, ça paraîtrait étrange et surtout, nous ne pouvons pas avoir des traces de blessures qui seraient illogiques vu notre topologie. Quand nous pourrons les ramener, il faudra lever ce sort de conservation ou dégrader les parties de corps présentant des blessures inhabituelles.

— Je préférerais ne pas avoir à faire cela... 

— Je sais, moi non plus. J'ai vue assez de corps pour une vie entière et je ne veux pas imaginer que ça puisse arriver à mes proches, mais je dois faire au mieux pour préserver les secrets de Brocéliande en rendant tout ça réaliste ou acceptable pour les humains.

— Je comprends.

— Merci Hafgan.

Deux personnes entrèrent dans la tente en se disputant.

La jeune femme était Léa Moreau et l'homme, Donnon était un des gardiens géants qu'elle avait croisés en salledu trône.

Elle paraissait minuscule à côté et lui tenait tête avec ferveur

— Arrête de me poursuivre ! Ils ont dit qu'un humain arrivait et il est blessé. Emrys m'a formé à certains gestes et les filles m'aideront.

— C'est dangereux pour toi d'être ici seule ! 

— Elara et Lirion étaient avec moi et j'ai un médaillon maintenant, je peux aider Hafgan. jusqu'à ce qu'on trouve un moyen de rentrer, je veux rester occupée et aider à mon niveau.

— Tu t'es enfuie du Palais sans moi, il aurait pu t'arriver n'importe quoi.

— Alors c'est ça la vraie raison ? Arrête de faire ton gardien macho, je sais me débrouiller, tu n'as pas besoin de me babysitter.

— Tu es inconsciente ! IL Y A DES MORTS, juste à côté. Tu ne réalises pas que des créatures auraient pu t'attaquer.

Léa semblait secouée et Morgane se rapprocha pour la prendre par la main.

Le Draob intervint en se plaçant face au géant.

— Donnon, je vous croyais plus calme. Ici c'est un espace de soin. Gardez vos querelles d'ordre privé à l'extérieur du domaine.

Léa se retourna vers Donnon et le fusilla du regard, les yeux rougis.

— Je sais très bien ce que c'est de se faire attaquer, j'en fais encore des cauchemards...Va-t’en s'il te plait.

Il resta sur place un instant, comme réalisant ce qu'il vennait de lui dire et se calma.

— Très bien... J'aimerai qu'on discute plus tard. Un humain conscient va arriver, il y a un animal avec lui. (Il s'apprêtait à partir et se tourna une dernière fois vers Léa) Excuse-moi.

Une fois parti, la tente paraissait vide et mortellement calme, jusqu'à ce qu'ils entendent une voix d'homme hurler.

— Lâchez-moi, je vais porter plainte pour kidnapping, qu'est-ce que vous êtes, un clan de jeunes qui se déguisent pour faire des jeux en pleine nature, une secte ? Vous avez fait trop de jeux vidéo.

Deux gardes Teirionnour amenèrent sans ménagement l'homme, son petit chien inconscient dans les bras, dans une tenue de sport.

Quand il vit Léa et Morgane à côté du Draob et des lits avec des personnes inconscientes, il s'enflamma.

— Putain de merde ! C'est quoi ce bordel ?

Morgane se passa la main sur le visage... ils ramenaient les gens conscients et les traînaient de force. C'était du délire.

— Hafgan... Ne me dites pas que tous les humains traversent le pays comme ça, trimballés comme de la marchandise et sans être endormis ? Vous voulez les traumatiser ? Qu'ils se débattent et provoquent des blessures ? (Elle se tourna vers l'homme et pris sa voix la plus calme possible) Monsieur, vous êtes dans une zone de quarantaine. Nous avons réquisitionné le campement de joueurs de jeux de rôle nature sur le thème donjon et dragon. Ne vous inquiétez pas pour les costumes, ils sont à fond dans le rôle play. On doit vous ausculter car des émanations de gaz toxiques se sont répandues dans la zone. Dans l'attente d'une installation hospitalière, nous avons juste les lits dortoirs prévus pour les joueurs. 

— Ah bon ? C'est vrai ? J'ai eu la frousse de ma vie. 

— Veuillez-vous assoir, Hafgan le monsieur en costume de cerf et Léa son assistante vont vous ausculter et proposer un sédatif, les effets secondaires de la drogue que vous avez inhalée sont très virulent et plusieurs patients ont été pris de folie. Vous vous réveillerez dans un lit d'hôpital et les effets se seront dissipés. Est-ce que vous avez déjà eu des hallucinations sur le chemin ?

— Non, je... Peut-être... Je crois que la drogue fait effet, j'ai cru que des aliens venait m'enlever... c'est ridicule mais j'ai vu un film avec ma femme sur la zone 51 récemment, avec une histoire de complot où le gouvernement signerait des accords avec des aliens pour abducter des humains contre de la technologie. Elle va s'inquiéter de ne pas me voir revenir.

— Ne vous inquiétez pas, ce n'est pas ridicule, c'est la neurotoxine qui vous fait halluciner. Nous ferons notre maximum avant l'arrivée des secours. Allongez-vous.

Morgane vit Hafgan se placer juste derrière l’homme et avant qu'il ait pu voir ses doigts particuliers, il l’endormit. Une fois l'homme allongé, Morgane regarda ces deux interlocuteurs.

— Voilà pourquoi il faut les endormir. Dites-moi que vous avez des Brocéliandins qui peuvent hypnotiser facilement et mettre en sommeil dès que vous interceptez des humains ? Et de préférence avec une apparence la plus humanoïde possible.

— Ça peut se trouver... C'est la version plausible dont vous parliez ?

— Je dois encore peaufiner des choses, mais c'est un ses scénarios les plus réalistes pour ne pas avoir à trop trifouiller l'esprit des gens et expliquer au public ces disparitions en forêt ou zones rurales. Et j'ai eu l'occasion de parler à une humaine qui a certainement eu un lavage de cerveau qui n'a pas bien fonctionné il y a 40 ans. C'était une mamie, mais elle se souvenait bien d'avoir vue un équorix...

Hafgan sourit et Léa qui était encore sous le choc de ce qui venait de se passer pris la parole.

— Vous avez été très convaincante... Mais vous avez raison, j'ai été paniquée au début en arrivant et un géant a manqué de me broyer les côtes.

— Peut-être que Donnon avait un peu raison dans le fond, même s'il s'y prend mal pour dire les choses.

— C'est le moins qu'on puisse dire, soupira Léa.

— Vous restez ici avec Hafgan ?

— Oui, je reviendrai dormir au Palais. Elara Drindod m'a dit que j'aurai une chambre sur place.

— Parfait, si un patient se réveille, ressortez la même excuse. L'esprit humain a tendance à accepter plus facilement les justifications plausibles, même si c'est un peu tiré par les cheveux.

Ils semblaient rassurés et elle sortit de la tente.