Chapitre 46 : Le livre des origines - Infiltration

Je relus encore la lettre de Félix, pourtant gravée dans ma mémoire parfaite.

« Je les ai trouvés. Ça n’a pas été difficile. J’ai écouté des rumeurs, suivi des légendes et finalement, l’une d’elle a été payante :

« L’ermite dans la pagode. Les paysans là-bas ne parlent que de lui. Aller le voir est une sorte de pèlerinage. Le vieux fou, comme d’autres l’appellent, est en méditation permanente depuis des générations. Il ne mange pas, ne boit pas, ne dort pas, ne vieillit pas. Il médite simplement. Je suis allé voir. J’ai trouvé un Vampire.

« Au premier jour de cette année, il a été rejoint par six autres. Ils ont tenu ce qu’ils appellent la réunion séculaire du cercle des Aars. Ce dernier terme se réfère à ce qu’ils sont : Aar au lieu de Vampire. Le cercle semblait annoncer une égalité entre les différents membres mais il n’en est rien.

« Paul, l’aîné, l'ermite, est le chef désigné, bien qu’ayant été transformé par Baptiste. Pendant la préhistoire, il a transformé Oumou dont il est amoureux mais celle-ci ne peut pas le voir en peinture.

« Baptiste est un petit de Chris. Il a transformé Kol lors de la préhistoire. Ils sont amoureux mais cet amour homosexuel met les deux Vampires très mal à l’aise si bien qu’ils s’évitent.

« David est le deuxième petit de Baptiste. Il a transformé Caly, sa bien-aimée, lors de la préhistoire. Ils vivent ensemble. Ils ne parlent jamais de Seth, mon créateur, qui m’avait pourtant annoncé être le petit de Caly.

« Malika a été transformée durant l’Égypte antique par Chris, le dernier des quatre puissants. Il serait devenu un Aar en étant mordu par des singes – j’ai eu du mal à recueillir cette information. Une blague m’a permis de le conclure, sans certitude toutefois. Chris est absent. Les Aars parlent souvent de lui, disant à quel point leur frère leur manque. J’ignore ce qui est arrivé à Chris mais il semblerait que sa disparition date de plusieurs siècles. Paul n’apprécie visiblement pas Malika mais s’oblige à l’accepter par respect pour son frère disparu.

« Je vais essayer d’obtenir davantage d’informations mais cela va être compliqué car à la fin de la réunion, les Aars sont partis chacun de leur côté pour vivre leurs vies indépendamment les uns des autres. Je vais tenter de les suivre, de les étudier afin de réunir davantage d’informations que je vous transmettrai de la même façon.

« Quoi qu’il en soit, vous aviez raison : les puissants existent, sauf qu'ils ne semblent pas du tout être une menace. Ils ne sont que sept et n'ont, à ma connaissance, aucune idée de votre existence. Comment envisagez-vous la suite ? »

Je n’en revenais pas. Ils ignoraient notre existence. Ils n'étaient pas infiltrés dans mon organisation. C'était inimaginable, extraordinaire. J’avais eu peur pour rien. J’allais pouvoir tout dire, révéler le changement d'apparence. Juliette serait la première à l'entendre. Elle le méritait. Mais où était-elle ? Elle disparaissait régulièrement pour visiter les musées, rencontrer des artistes, découvrir des nouvelles pensées mais à bien y penser, cela faisait longtemps que je ne l’avais pas vue.

Soudain, elle me manqua profondément sauf que j’ignorais comment trouver ma merveille. D’habitude, c’était elle qui revenait aux temples. Jusque-là, je n’avais jamais eu besoin de me tourner vers elle en son absence. Avec un haussement d’épaules, je tentai :

- Juliette ?

Le volume sonore utilisé dépassait à peine un murmure et pourtant, ma merveille, pareille à elle-même, apparut devant moi. Elle ne pouvait pas se trouver bien loin et pourtant, elle n’était pas venue me saluer. J’en fus énormément troublé, d’autant qu’elle arborait une mine grave, loin de son espièglerie habituelle. Que se passait-il ?

- Tu es rentrée depuis longtemps ? demandai-je, un peu inquiet.

Elle me tendit une main, dont je me saisis volontiers et la suivis. Elle m’emmena très loin des temples, jusqu’à une petite île perdue au milieu de l’océan.

- Pourquoi m’avoir amené ici ? interrogeai-je.

Quatre avertis - dont Blaar - apparurent, escortant une mortelle d’une soixantaine d’années. J’observai les Vampires : uniquement des petits directs de ma merveille. Les seuls en qui ma merveille pouvait avoir toute confiance car son lien lui permettait de les reconnaître. Si elle s’était entourée de cette manière, cela signifiait que elle aussi pensait notre organisation infiltrée. J’avalai difficilement ma salive, m’attendant au pire.

- Je te présente Aélis, dit Juliette en désignant la femme. Cette femme est très particulière. J’étudie son engeance depuis plusieurs dizaines d’années.

- Je croyais que tu visitais des musées, répliquai-je.

Elle me cachait des choses. Je lui cachais des choses. Le monde devenait fou. Je retins mon envie de pleurer, de tomber à genoux pour la supplier de me pardonner, de lui hurler que je me fichais de ses cachotteries, qu’elle était tout pour moi. Je me tus, me forçant à rester sobre et stoïque malgré l’ouragan déferlant dans mon torse.

- Je suis partie pour ça mais j’ai croisé des chasseurs de Vampires en chemin et bien que je me contentais de me promener, ils m’ont attaquée parce qu’une femme m’avait désignée comme Vampire.

- Quoi ? m’écriai-je, terrorisé à l’idée de perdre ma petite merveille.

- Je les ai tués sans difficulté mais j’ai gardé la femme. Je l’ai interrogée. Sous la torture, elle m’a tout dévoilé. Elle fait partie d’un groupe de sorcières chez qui le don n’existe que chez les femmes.

- Le don ? répétai-je, incrédule.

Sorcière ? Nous n’avions jamais rencontré la moindre once de magie dans ce monde. Rien que des faits explicables ou des erreurs de jugement. Les paroles de ma merveille prenaient difficilement sens.

- Chaque personne autour d’elle a une aura : claire si la personne est la représentante du bien, sombre si elle est maléfique. Nous sommes plus noirs que la nuit. Elle-même brille davantage que le soleil.

- C’est incroyable et terrifiant. Elles nous repèrent juste en nous regardant ?

- De plus, elle voit la sincérité et le mensonge.

Je grimaçai. Savoir que ces femmes se promenaient librement sur le monde me terrifia. Depuis quand se trouvaient-elles là ? Pourquoi ne le découvrions-nous que maintenant ? Quel rapport avec les Aars ? Y en avait-il seulement un ?

- J’ai beaucoup testé leur don. Je les ai mises dans de nombreuses situations. Elles ont eu des enfants. Bref… Parmi mes tests, je leur demande de regarder une dizaine de personnes puis, sur un dessin, de me désigner les Vampires de la salle et les personnes qui mentent ou disent la vérité. Un jour, nous avons eu une surprise inattendue.

- Comment cela ?

- Aélis est sortie totalement abasourdie du test, pourtant classique et habituel pour elle. Neuf personnes sur les dix ont été indiquées correctement. La dernière n’avait pas d’aura du tout.

 

- La salope ! s’exclama Paul. Je vous avais dit qu’il fallait la tenir à l’œil ! Et vous me lanciez des regards navrés en l’encourageant ! Elle nous a trahis !

- Tu n’en sais rien, dit posément Baptiste. Il y a de nombreuses prêtresses du bien marchant sur Terre. L’une d’elle a pu devenir un Vampire, à force de les traquer. Que Malika en soit à l’origine n’est pas prouvé.

- Continue à lire. Je te parie que c’est elle !

Baptiste plissa les yeux. Même si la trahison de Malika était inscrite noir sur blanc dans ce bouquin, cela ne prouverait rien. Gilles avait lui-même indiqué en avoir déjà écrit un faux. Celui-là pouvait tout aussi bien l’être aussi, des mots semés pour jeter le doute, créer la zizanie. Baptiste continua à lire, tout en restant très prudent.

 

- Comment Aélis l’expliquait-elle ? demandai-je.

- C’était atroce pour elle. Elle n’avait jamais vécu cela. Tout le monde porte une aura, blanche, grise ou noire. Elle n’avait jamais croisé quiconque sans aura. Elle s’est sentie nue, aveugle, impuissante, faible, en danger. Sauf que c’était un test, pas du grandeur réelle. Nous avions donc les réponses. La personne en question faisait partie de nos avertis, sans qu’elle sache qu’elle participait à un test.

- Un de nos avertis n’avait pas d’aura ? répétai-je, peu sûr d’avoir compris. Qu’est-ce que cela signifie ?

Les Aars étaient-ils dépourvus d’aura ? Cette avertie pouvait-elle être Oumou, Caly ou Malika ?

- Nous avons essayé de le savoir et avons refait le test à plusieurs reprises, en utilisant divers avertis. En deux mois, nous avons pu marquer vingt-trois des nôtres comme sans aura.

Cela disqualifiait les Aars, qui n’étaient que sept. Quel était ce nouveau mystère ?

- Qu’ont-ils en commun ? interrogeai-je.

- Premièrement, ce sont des femmes.

J’enregistrai l’information, très surprenante en soi, car si nous pouvions changer d’apparence, nous étions capables de changer de sexe. Je le savais pour avoir essayer, juste pour voir. Ce n’était guère agréable mais possible. Ces avertis sans aura possédaient-ils ce savoir ? Les deux faits étaient-ils liés ?

- Deuxièmement, elles ont intégré nos rangs après la découverte de l’ancien monde, continua Juliette. Elles se cachaient donc jusque-là, prouvant une bonne capacité à se fondre dans la population.

- Comment ces femmes expliquent-elles leur absence d’aura ? demandai-je, à la fois curieux et apeuré.

Je pris peur. Et si Félix mentait ? Et si cette lettre n’était qu’un ramassis de conneries, visant à endormir ma méfiance ? Les Aars avaient-ils procrée, donnant naissance à ces Vampires femelles sans aura espionnant pour leur compte ? La terreur me submergea, la peine aussi. Je ne pouvais rien dévoiler à ma petite merveille. Je devais d’abord obtenir des réponses. Le risque que l’une des personnes présentes soit un Aar ou un de leur petit était trop grand. Peut-être avait-il trouvé un moyen de copier le lien créateur/petit ? La mort dans l’âme, je décidai de me taire et d’écouter Juliette. Juliette, qui étudiait ses femmes depuis des décennies sans jamais m’en avoir parlé. Elle comprendrait, sans aucun doute, le besoin de ce secret. Je m’accrochai désespérément à cet espoir.

- Ce n’est pas à elles de l’expliquer, répondit Juliette. Imagine que je vienne vers toi et te dise « Comment se fait-il que ce garçon te voit vert alors qu’il voit tout le monde jaune ? ». Tu ne te dirais pas que je suis folle ? C’est la même chose pour elles : elles n’ont aucune raison de savoir qu’elles n’ont pas d’aura pour les yeux d’une sorcière.

J’admis la logique du raisonnement. Si Juliette était Juliette et que l'absence d'aura désignait les puissants, alors ceux-ci ignoraient la présence de cette carte entre les mains de leur adversaire. Comment utiliser toutes ces informations ? Et si Juliette n'était pas Juliette, que cherchait-elle à me faire faire ?

- Nous interrogeons en douceur ces femmes sans aura afin d’en savoir davantage sur elles, continua Juliette.

- Quelles théories avez-vous ? interrogeai-je, aux aguets.

- Aélis a été totalement muette de terreur face à l’absence d’aura. Aélis ? finit Juliette en se tournant vers la vieille femme.

- J’ai eu une douleur fulgurante à la tête et un malaise total, dit la prêtresse du bien. Quand je vois des Vampires, je ne suis déjà pas bien. Se trouver ainsi devant le mal absolu est difficilement soutenable. Là, c’était bien pire, comme si ce que je voyais n’avait pas le droit d’exister, une aberration, une horreur, l’interdit à l’état pur.

- Nous pensons qu’elles n’ont pas d’âme, annonça froidement Juliette.

- Pas d’âme ? répétai-je, incrédule.

- C’est notre théorie. Nous cherchons à comprendre ce qui peut faire perdre son âme à un Vampire. J’avais espéré que tu n’en aurais pas car tu es le plus vieux et donc le plus à même d’avoir fait suffisamment de mal pour perdre ton âme mais non, tu as une aura.

Juliette venait de me fournir une explication simple, bien loin d’un complot ourdi depuis des millénaires. J’en ris nerveusement avant de gronder. Je ne savais plus discerner le vrai du faux, le logique de l’inconcevable. Plus rien n’avait de sens. Où était la vérité ?

Aélis confirma d’un geste de la tête la présence d’une aura noire autour de moi. Je réfléchis à cette proposition. J’avais dormi longtemps, pendant des centaines de milliers d’années, avant d’être éveillé par le chant de ma merveille. Pendant ce temps, je n’avais causé de mal à personne. Les puissants, eux, avaient eu l’occasion de massacrer par millions. Cela pouvait-il expliquer la perte de leur âme ?

- Est-ce lié à leur naissance ? Ont-elles commis un crime atroce ? Nous n’en savons rien. C’est toujours à l’étude, continua Juliette.

- Pourquoi cela t’intéresse-t-il ? demandai-je.

Je voulais connaître la raison de cet intérêt pour ce sujet si loin de l’art. Pourquoi Juliette tentait-elle de résoudre ce mystère ? Que pensait-elle y gagner ? Je la testai, désireux de retrouver ma merveille, de m’assurer que c’était bien elle, devant moi.

- Parce que si nous n’avons pas d’aura, une sorcière ne peut pas savoir si nous mentons ou pas. Certes, elle peut toujours nous différencier des humains mais elles ne peuvent nous faire subir un quelconque interrogatoire.

- Tu souhaites reproduire le phénomène. Tu veux perdre ton âme, compris-je.

- Je veux d’abord savoir ce qu’il faut faire pour en arriver là. Je déciderai ensuite.

J’acquiesçai. Son raisonnement se tenait. Ma merveille avait rencontré un danger à l’intérieur même de nos murs. Elle s’était entourée prudemment de personnes de confiance – ses propres petits – puis avait entamé ses recherches, comme je le faisais moi-même. Elle tentait de trouver une parade, quitte à perdre son âme en cours de route. L’idée me déplaisait. En revanche, posséder des sorcières capables de voir les Vampires me permettrait de repérer les Aars s’ils se cachaient sous forme humaine. Cet atout pourrait me servir un jour. Je l’encourageai à poursuivre.

- Je vais faire en sorte que le moins de gens possible soient au courant, lui apprit Juliette, afin de ne pas risquer qu’un mot de trop dévoile mes recherches. Je n’aime pas ainsi mentir à la communauté mais je préfère ne prendre aucun risque.

- Je comprends, dis-je sombrement.

- Je n’ai que mes neuf petits avec moi et je préfère autant rester ainsi pour le moment. Trois d’entre eux sont en recherche autour du monde pour trouver les sorcières travaillant avec les chasseurs de Vampires. Le but est de les enlever afin de les priver de leurs yeux. Deux interrogent les avertis et tentent de recouper les informations. Les deux autres sont ici avec moi pour s’occuper des trois sorcières en notre possession.

- Aélis n’est pas la seule ? demandai-je.

- Fazia n’a que deux mois et Azura six ans. Elles sont charmantes mais demandent d’être élevées, tout simplement, expliqua Juliette. Nous cherchons à les mettre dans notre poche dès leur plus jeune âge de façon à ne pas avoir à les menacer ou les torturer comme nous l'avons fait pour Aélis. Nous préférons que l'affiliation se fasse en douceur et non par la force. Les résultats sont meilleurs. Aélis cherche à nous fausser compagnie en permanence. Elle demande une surveillance constante. C'est très contraignant.

J’acquiesçai tandis que la prêtresse du bien grognait.

- Très bien, continue à les étudier de ton côté, proposai-je.

- Quand tu recevras un bouquet d’Almas de Chapias, c’est que j’aurai quelque chose à t’annoncer, indiqua Juliette.

- Je viendrai dès que je le recevrai, promis-je.

Je l’embrassai sur le front, le cœur lourd, l’esprit en vrac. La culpabilité me rongeait. Elle venait de me faire confiance en me dévoilant ses recherches et je ne lui avais rien dit en retour. Si elle avait confiance en ses petits, je n’avais en revanche aucune raison de le faire. Ils pouvaient être des Aars infiltrés ayant trouvé le moyen se copier artificiellement un lien créateur/petit.

Pardonne-moi, ma merveille. J’étais désorienté. Je ne savais plus vers qui me tourner. J’ai douté de tes plus proches collaborateurs et peut-être même, de ton identité. Après tout, tu pouvais, toi-aussi, ne pas être toi-même. J’ai tourné les talons pour rejoindre les temples en gardant le silence.

Je vécus des années atroces, à contrôler mes gestes, mes mots, mes attitudes, mes décisions, mes paroles, mes discussions. Je scrutais tout le monde, voyant des traîtres partout. Je continuai à publier le livre des origines, pour faire semblant, mais n’y mis que les évènements sans intérêt. Mes recherches et celles de Juliette n’y apparurent jamais. J’écrivis la véritable version, conservée précieusement.

J’eus l’impression de vivre en dehors de moi-même, acteur d’un interminable théâtre, une représentation permanente que je haïssais de tout mon corps. J’attendais des nouvelles de Juliette, qui ne venaient pas. Ma merveille me manquait tant et en même temps, je ne cherchai pas à la voir, trop torturé par mon mensonge par omission.

Un siècle entier passa. Dehors, les humains gagnaient en puissance. Partout, les trains à vapeur transportaient des passagers et des marchandises à une vitesse incroyable. Des fils transmettaient des messages quasi instantanément. Des appareils utilisaient de l’argent pour fixer des images. Le résultat était appelé « Photographie ». Je me demandais ce que ma merveille pouvait bien en penser. La fée électricité éclaira les demeures. Des véhicules autonomes à moteur permirent d’éliminer les chevaux. Les médicaments gagnèrent en efficacité et les premiers vaccins virent le jour.

Je voyais cela de loin, dans un brouillard constant, rongé de terreur, voyant le mal partout et j’avais raison : il était bien là.

Enfin, je reçus une lettre de Félix. Je me cachai pour la lire à l’abri de tous les regards.

« Paul ne quitte jamais sa pagode au Japon. Il médite en permanence.

« Oumou vit en Australie. Elle reste rarement en place mais au milieu des immensités vierges, elle ne protège pas ses arrières.

« Baptiste vit en Afrique et se rend de temps en temps en Amérique du sud, territoire occupé par Kol. Baptiste est un scientifique, pas un guerrier. Son terrain de jeu préféré est la médecine.

« Kol est un guerrier, un stratège hors pair et un combattant redoutable. Il aime la guerre et s’il ne l’encourage pas, il participe à chaque affrontement avec bonheur.

« David et Caly vivent en Europe mais ne se quittent jamais, même de quelques mètres. C’est extraordinaire ! Un tel amour depuis autant de temps !

« Malika vit une vie de Vampire classique en Amérique du Nord. Rien à signaler de particulier de son côté.

« Comment voyez-vous la suite des évènements ? Venez me le dire en personne à l'endroit de notre première rencontre au solstice d'été. »

Je relus plusieurs fois la lettre sans y trouver la moindre trace de malice. Pour m’en assurer, je me rendis au Japon, écoutai les rumeurs pour trouver aisément l’ermite dans la pagode. Cela, au moins, était vrai. Je fus surpris qu’aucun chasseur de Vampires ne soit jamais venu lui chercher noise avant de hausser les épaules. Pourquoi se seraient-ils déplacés ? Ce Vampire immobile ne représentait aucunement une menace.

Pourtant, l’être s’éveilla. Avec la plus grande prudence, je le suivis. Il rejoignit l’Amérique du Nord. Il observa longuement une femme Vampire puis retourna dans sa pagode. Je réfléchis. Cela ne pouvait pas être son amoureuse : Oumou demeurait en Australie. L’Amérique du nord était censé être le territoire de Malika, la petite de Chris, l’Aar disparut depuis des millénaires. Je me souvins que Félix m’avait indiqué que Paul ne pouvait pas la voir en peinture. Jusqu’à la surveiller ? m’étonnai-je en souriant. La moindre faille était bonne à prendre.

Je fus totalement rassuré sur la loyauté de Félix. Au solstice, je le rejoindrai, profitant du temps restant pour réfléchir à ma volonté. En attendant, je retournai aux temples pour découvrir un bouquet d’Almas de Chapias fanées. Je touchai les fleurs, empli d’une peine immense. Ma merveille avait requis ma présence et je n’avais pas été présent pour y répondre.

En nageant sous l’eau sans m’arrêter – ce que je savais possible grâce à Félix - je rejoignis la petite île perdue au milieu du Pacifique. De nombreux autres édifices s'implantaient sur l’îlot, plutôt espacés les uns des autres dans un cadre verdoyant et chaleureux. Je perçus la présence de Juliette dans une salle au rez-de-chaussée d'un bâtiment plus loin.

Je traversai l'endroit à vitesse normale afin de m'imprégner de l'ambiance, de l'atmosphère sans avoir à aucun moment envie d'accélérer tant l'endroit était agréable.

- Bonjour, ma merveille, lançai-je en atteignant l'atelier de peinture où se trouvait Juliette. Tu peins ?

- Bonjour, Gilles. Ça me change les idées et me permet de mieux me concentrer ensuite. Je trouve beaucoup de solutions en peignant.

Ma merveille rangea son matériel et se lava les mains.

- Es-tu au courant des différents travaux effectués par les avertis aux temples ? demanda-t-elle une fois propre.

- Oui, même si pour la plupart, je ne les suis que de loin tellement il y en a. Pourquoi ?

- Sais-tu ce qu'est une caméra ?

- Un outil technologique inventé il y a peu par les humains. Je sais qu'un groupe travaille dessus pour améliorer ses performances.

Juliette me racontait cela tout en m'amenant vers un autre édifice. Nous passâmes des portes, empruntâmes couloirs et escaliers descendants.

- Je me sers des inventions de ce groupe, annonça Juliette. Vois-tu, alors qu'elle était centenaire depuis peu, Aélis est tombée gravement malade et la mort rodait.

- Elle est humaine. Je ne m'attendais pas à la trouver encore en vie aujourd'hui, répondis-je, ne voyant pas où elle voulait en venir.

- Elle m'a demandé de la transformer.

- En Vampire ? Le mal absolu ? Vraiment ? J'en suis très étonné.

- Elle voulait cesser d'être la victime, devenir le prédateur. J'ai accepté.

Je sentis une amertume intense dans la voix de ma merveille.

- Elle s'est retournée contre toi ? sifflai-je, soudain pris d'effroi.

- Quand elle s'est éveillée, elle était normale. Elle voyait toujours une aura sombre autour de moi et brillantes pour ses comparses.

- Son don n'avait pas disparu ? m’étonnai-je. J'aurais juré qu'elle l'aurait perdu.

- Aélis s'est promenée ainsi librement et j'ai commencé à lui expliquer comment être un Vampire. Un Vampire avec ses yeux était une opportunité à ne pas rater.

- Sans aucun doute ! m'exclamai-je. Où est-elle ?

- Je l'ai tuée, annonça Juliette.

Ma merveille avait tué son propre petit ? Elle détestait faire cela. La raison devait dépasser l’entendement.

- Quoi ? criai-je. Mais pourquoi ? Elle aurait fait une alliée de choc.

- Elle n'aurait jamais été notre alliée, maugréa Juliette.

- Qu'en sais-tu ?

- Quelques heures seulement après avoir été transformée, Aélis s'est trouvée face à une vitre alors que nous nous promenions. Elle s'est arrêtée brutalement, devenant pâle et muette.

- Une vitre ? répétai-je.

- Elle venait de voir son propre reflet, duquel toute aura était absente.

- Pas d'aura ? Aélis ? Une sans-âme ?

- Malgré sa terreur, elle a réussi à me le dire mais ça n'a pas été sans mal. Je te rappelle que pour elle, ne pas voir d'aura était la marque du démon, de l'horreur à l'état pur. Je crois qu'elle a compris en même temps que moi. Nous nous étions trompées sur la signification de l'absence d'aura. L'aura est là, mais étant à la fois brillante et obscure, son cerveau n'arrive pas à faire le point et choisit de l'ignorer.

- Les sans-âme sont des sorcières devenues Vampires ?

Les puissants connaissaient-ils leur existence ? Rien dans mes observations ou les dires de Félix permettait de l’affirmer. Au contraire, les sept puissants semblaient totalement étrangers à tout ça. Il y avait donc un troisième groupe à l’œuvre.

 

- Tu vois ! s’exclama Baptiste. Malika n’y est pour rien. Entre la surveillance de Félix et celle de Paul, elle n’aurait jamais pu monter une telle organisation.

- Attendons la suite, cingla Paul.

Baptiste poursuivit.

 

- La tuer n’était tout de même pas nécessaire ! grondai-je, voyant le gain que cela aurait été. Elle était ton petit. Le lien l’aurait forcée à…

- Le lien n’existait pas, chouina ma merveille. Je ne le ressentais pas avec elle. Juste le néant, comme si je n’étais pas à l’origine de sa transformation.

Je frémis. Ces sorcières possédaient vraiment des pouvoirs extraordinaires.

 

- Ça, je l’ignorais, dit Baptiste. Chris ne me l’a jamais dit.

- Malika est son seul petit. Quelle comparaison pourrait-il avoir ?

Baptiste envoya un regard profond à son frère.

- Toi, c’est différent.

- En quoi ? Tu es mon petit et le lien entre nous est puissant.

Paul grimaça. Il n’aimait pas que Baptiste lui rappelle ce léger détail. Paul était censé être le chef du groupe. Sauf que si Baptiste ordonnait, Paul obéirait. Baptiste n’avait jamais usé de ce droit sur son frère mais tous deux savaient que Paul ploierait devant le lien l’unissant à Baptiste.

- Il n’a eu que toi. La comparaison est faible. Et puis, il était en sine condicione avec elle.

- Ça ne change rien. Si j’avais ordonné, Kol aurait obéi, gronda Baptiste que la mention de son amour disparu fit immensément souffrir.

- C’est un sujet que nous n’avons jamais abordé, murmura Paul. Peut-être l’ignorait-il…

Baptiste s’en voulut. Son créateur, Chris, avait disparu. Son petit et sine condicione, Kol avait disparu. David, son autre petit, était introuvable. Il ne lui restait plus que Paul.

- Continue, ordonna Paul de sa voix autoritaire de chef.

Baptiste n’était pas tenu d’obéir et grimaça. Le petit ordonnait au créateur. Ça n’allait pas. Ça n’aurait pas dû être. Pourquoi avait-il laissé cet ordre-là s’installer ? C’était de sa faute. Il regrettait tant. Il obéit à son petit et reprit sa lecture à voix haute.

 

- Tu dois comprendre une chose, continua Juliette tandis que je réfléchissais. Le don est rare. J'ai sur une autre île un élevage d'humains ayant tous été en contact avec le don - père, mère, fille, fils, neveu, nièce. En cent vingt ans, je n'ai obtenu que quatre sorcières.

- Quel est cet endroit ? demandai-je en passant la porte ouverte par Juliette. Tu surveilles les temples ?

Devant moi se dressait un mur d'écrans transmettant en direct les mouvements des temples. Une femme humaine entra à notre suite. Elle se plaça devant les écrans puis, tranquillement, désigna des femmes sur presque chaque écran.

- Merci, Camille, tu peux nous laisser, annonça Juliette.

Lorsque la femme fut sortie, Juliette continua.

- Elle a désigné les sans-âmes actuellement visibles sur les écrans. Ne t'y trompe pas. Il y en a bien plus. Nous en avons répertoriées quarante-huit.

Juliette n’était parvenue à en créer que quatre en plus d’un siècle. Combien de temps pour en obtenir quarante-huit ? Cette organisation était puissante. Quel rapport avec les Aars ? Je ne parvenais pas à assembler les morceaux. Quelque chose manquait, à moins que je ne cherchasse à mettre ensemble deux puzzles distincts.

- Je ne suis entourée que de vampires masculins ici alors je suis certaine de leur affiliation.

Non, pensai-je. Les Vampires peuvent changer d’apparence. Les puissants le savent. Félix le sait. Je le sais. Les membres de cette troisième organisation pourraient le savoir aussi. Je craignais les puissants depuis tellement longtemps. Avais-je ignoré une autre menace bien plus réelle ?

- Pourquoi tuer Aélis ? insistai-je. L’avoir à nos côtés aurait été…

- Aélis ne serait pas restée avec nous. Elle les aurait rejointes à la première opportunité. Elles sont comme elle et forment une organisation suffisamment puissante pour nous infiltrer sans que nous ne nous en rendions compte. Elle n'est pas stupide. À sa place, je serais partie les voir. La surveiller constamment m’aurait pris trop d’énergie en me faisant courir des risques considérables. J’ai joué la sécurité.

Je ne pus que m’incliner.

- Ce que je n’arrive pas à déterminer, en revanche, c’est si les puissants sont derrière tout ça, admit ma merveille.

Je frissonnai. Ainsi, elle se posait les même questions que moi. Je posai mes yeux sur elle et fus totalement certain qu’il s’agissait bien de Juliette. Je ne lui révélai cependant rien. Les autres pourraient entendre et sur leur loyauté, je n’avais aucune certitude. Il me fallait réunir des informations avant d’agir.

- Nous devons trouver le point faible de ces sorcières. Étudie-les à fond. Je veux savoir comment contourner leur don.

- C’est impossible, maugréa Juliette. Elle…

- Trouve la faille, insistai-je. J’ai des atouts dans ma poche de mon côté mais j’ai besoin d’informations sur ces sorcières pour avancer.

- Des atouts ?

- Les murs ont des oreilles. Je ne me sens en confiance nulle part. Je ne peux pas t’en dire plus sans risquer une fuite.

- Prends soin de toi, miaula Juliette.

- Toujours, ma petite merveille, répondis-je.

Après un gros câlin, je retournai aux temples le cœur lourd. Je voyais des espions partout et ne savais plus vers qui tourner ma confiance. Au moins avais-je indiqué à Juliette que je savais des choses dont je ne lui avais pas fait part. Peut-être m’en voudrait-elle moins quand je lui révélerai toute la vérité ?

 

- Chapitre terminé, annonça Baptiste.

- Je m’ennuie, annonça Paul. Avance plus vite. C’est chiant. Je m’en fous de ses recherches et de ses états d’âme. Va au fait !

Baptiste renifla, se racla la gorge puis poursuivit.

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