Chapitre 48

Notes de l’auteur : MAJ : nouveau chapitre sur Léa, 7 juillet

Caserne des gardes, Palais de la Mer Éternelle, cité d'Ys

Léa trottinait presque le long des couloirs menant à la caserne, faisant danser ses cheveux châtain clair. Elle venait d’apprendre qu’Alice était sortie du cachot et ressentait le besoin de la voir le plus vite possible. Après son accrochage avec Donnon, le départ d’Ella et Lia, qui étaient retournées dans les landes, et la multitude de Brocéliandins inconnus qui l’entouraient, elle se sentait étrangement isolée.

Il était hors de question qu’elle se laisse happer par cette sensation de faiblesse.

En arrivant sur place, elle vit Alice, qui riait à gorge déployée en discutant avec plusieurs gardes, dont Donnon, qui était légèrement en retrait, un korrigan affublé d’un chapeau à fleurs sur ses genoux.

— Mais si ! Je vous parie que Garen peut vous prendre à un contre quatre, dit Alice avec son habituel sourire de pirate.

— Alice, est-ce que tu veux effrayer les nouvelles recrues ? demanda Donnon en s’approchant du groupe.

— Nous ne sommes pas effrayés !! répliqua un garde Teirionnour offusqué.

— Mais naaan ! C’est pour les motiver, puis Garen va vous rejoindre cet aprèm, j’essaye d’amener une bonne ambiance, répliqua-t-elle en faisant sautiller Gwen sur ses genoux.

Léa, en voyant la scène, sentit deux émotions conflictuelles : le bonheur de revoir son amie et un pincement en la voyant aussi épanouie parmi ce groupe éclectique. Quand Alice l’aperçut, elle se leva d’un bond et courut vers elle pour l’enlacer sans aucune retenue.

— Léa !!! Je savais que j’allais te retrouver !

Léa sentit l’émotion la submerger et sa contrariété diminuer, jusqu’à ce qu’elle voie Donnon la fixer avec intensité, ce qui l’encouragea à s’écarter, retrouvant sa contenance.

— Tu sais que j’ai traversé tout le Royaume pour te retrouver après ta disparition ! piailla Alice, le sourire jusqu’aux oreilles. Heureusement que la team des Korrigans et Garen étaient avec moi. Ah ! Je te présente Gwen, une copine de voyage !

« Une copine de voyage… Alice considère tout ça comme un voyage, alors que je… »

— Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle ! explosa Léa en reculant. Maintenant que tu m’as retrouvée, il faut qu’on cherche un moyen de retourner sur Terre. C’est pas le moment de se faire des potes de voyage !

— Qu’est-ce qui te prend ? Je ne vois pas le mal à être sympa avec les gens que je croise…

— Parce que tu crois que tous les Brocéliandins veulent être nos amis ? Des fois je me demande comment tu fais pour être aussi naïve.

— Léa, je ne sais pas ce qui t’arrive, mais tu es en train de péter les plombs. Calme-toi ! dit Alice en essayant de toucher son amie, qui recula d’un pas.

— Tu dis que tu voulais me retrouver, mais quand on s’est vues dans la salle du trône, tu as préféré suivre le géant qui m’avait agressée, plutôt que rester avec moi… Je crois que ça veut tout dire.

Alice baissa le bras, laissant son sourire se flétrir, clairement touchée par les paroles de son amie. Puis elle prit une longue inspiration.

— Je ne sais pas ce qu’il te passe par la tête, mais tu sais très bien qu’aucun homme ne remplacera la relation qu’on a toi, moi et Noémie. Mais là tout de suite, tu te comportes comme une abrutie.

Alice s’éloigna, suivie de Gwen, ravalant les larmes qui menaçaient de déborder, laissant les gardes médusés. Puis Léa s’enfuit à son tour, réalisant que ses paroles avaient dépassé ses pensées, pour se réfugier dans la première pièce vide qu’elle trouva.

Donnon courut la rejoindre après avoir hésité un instant et vit Léa, prostrée sur un banc, le visage dans les mains.

Il s’approcha d’elle, s’accroupit et lui écarta doucement les bras, saisissant ses poignets pour qu’elle arrête de se cacher.

— Qu’est-ce que je peux faire ? chuchota-t-il en voyant sa mine défaite.

— Je ne le pensais même pas…

— Je sais.

— J’étais triste. Est-ce que c’est égoïste de vouloir être sa priorité ?

— Garen ne va pas te voler ton amie.

— Je ne veux pas entendre parler de lui.

— Qu’est-ce que tu veux ?

Elle fixa ses yeux bleus perçants, ses cheveux d’un brun chaud aux reflets dorés, et sentit une pulsion subite la dévorer.

— Je veux arrêter de me sentir comme ça, répondit-elle en se penchant vers Donnon pour l’embrasser alors qu’il tenait ses poignets.

Il se figea, surpris, puis recula, la maintenant à distance avec les poignets joints au-dessus de sa tête.

— Pas comme ça… dit-il, la voix grondante.

— Pourquoi ? cracha-t-elle presque, des larmes de colère montant à ses yeux.

— Tu n’es pas toi-même.

— Lâche-moi, dit-elle en baissant la tête pour ne plus le regarder.

Il desserra sa prise et Léa partit d’un pas vacillant, comme si elle allait s’écrouler. Sa démarche était si pitoyable que Donnon se redressa, prêt à la rattraper.

— Laisse-moi ! cria-t-elle. Je suis encore capable de trouver mon chemin seule.

Il continua à la suivre de loin, et elle se retourna vers lui pour lui crier une dernière phrase.

— Si tu refuses de m’embrasser, barre-toi ! Je ne plaisante pas, Donnon.

Il s’arrêta net, et elle continua sa route sans même vérifier s’il était encore derrière.

Elle rit tristement d’elle-même, pensant que si Ella et Lia étaient encore au domaine Coedwig, elle serait allée les voir directement. Elle se sentait ridicule d’avoir critiqué Alice alors qu’elle-même avait tissé un semblant d’amitié avec les deux sœurs, Donnon, et même Emrys. Si Noémie avait été là, ça n’aurait pas dégénéré à ce point.

Elle avait la tête en vrac. Elle voulait arrêter de se sentir mal et savait que retourner dans sa chambre allait juste la faire pleurer, il fallait qu’elle s’occupe l’esprit. C’était décidé, elle irait au domaine Coedwig pour se calmer les nerfs.

Au moins, elle ne risquait pas de sauter sur Hafgan pour arrêter de déprimer.

Après un tour de Lannluch, les créatures mille-pattes à la rapidité stupéfiante, elle avait totalement calmé ses nerfs et se sentait plus centrée. Elle irait voir Alice à son retour pour s’excuser et tout rentrerait dans l’ordre, comme à chaque fois qu’il y avait un accrochage entre elles deux.

En arrivant sur place, les gardes Terrionours la laissèrent passer à la vue de sa médaille, et elle se dirigea directement vers la tente où elle préparait des mélanges de plantes. Hafgan n’était pas présent, et elle voulut chauffer de l’eau, mais le Tincarff n'avait plus le moindre bois à grignotter. Confiante en sa dextérité, elle décida de couper quelques bûches elle-même : une, deux, trois… cinq, et à la sixième, un éclat lui sauta à la figure. Elle l’évita avec un petit cri de victoire, et un rire se fit entendre derrière elle.

Un Hoper se tenait sur un piquet et observait la scène. Il faisait mine d’être un simple oiseau, mais elle reconnaissait la forme et la couleur particulière des Hopers du clan Pennel qui vivaient ici : des plumes beiges, tachetées de blanc avec une étoile sur le front.

— Tu peux arrêter de faire semblant… je suis une humaine, mais j’ai déjà vu des tas de tes congénères, lança Léa en essuyant la sueur sur son front.

Le Hoper se métamorphosa en homme, lui souriant avec insolence. Il avait le teint mat et les cheveux blonds presque blancs, légèrement ondulés. Il s’approcha d’elle et tendit le bras vers ses cheveux pour en retirer un gros éclat de bois.

— Et voilà, c’est mieux ! dit-il.

— Tu t’appelles comment ? C’est la première fois que je te vois ici depuis que je suis arrivée.

— Je suis Maelgwn, et toi, tu es Léa. Mes frères m’ont parlé d’une humaine qui avait fait ses quartiers ici, il n’y avait pas des fées et un gardien avec toi ?

— Aujourd’hui, je suis seule, répondit Léa qui ne voulait pas parler de ses soucis.

— Hum ? Si tu le dis. Est-ce que je t’aide avec ça ? demanda-t-il en montrant du bras les morceaux de bûches éparpillés tout autour d’eux.

— Peut-être, je suis un peu claquée et assoiffée.

— Entendu !

Mael alla chercher un gros sac de toile qu’il remplit de bûches coupées avant de tendre un bout à Léa pour qu’ils le portent à deux.

« Il a une force tout à fait humaine, comme moi », se dit-elle en se rappelant les fois où Donnon avait porté d’énormes sacs d’un bras. Elle ne put s’empêcher de sourire.

— Tu penses à quelqu’un ? demanda-t-il en souriant.

— Juste un idiot qui m’a pas mal aidée, dit-elle. « Et avec qui je me suis brouillée », garda Léa pour elle-même.

Mael, en gentleman, tira un pan de la tente, laissant Léa entrer alors qu’elle leva les yeux au ciel, trouvant sa gestuelle ridicule, mais trop fatiguée pour faire un commentaire.

— Je vais chercher de l’eau, j’ai une de ces soifs, dit le Hoper avec un grand sourire.

— Déjà fatigué ? C’est moi qui ai coupé du bois pourtant !

— Aeronwy me traite aussi de faible Hoper, j’ai l’habitude, répondit-il, un sourire beaucoup plus tendre sur les lèvres.

« Il devait en pincer pour la Harpie, c’est vrai qu’elle est magnifique. »

Mael s’éloigna en volant, portant un grand seau vide de ses griffes puissantes.

Léa s’assit un instant pour souffler. Elle n’avait plus besoin de faire semblant et savait qu’elle aurait les bras courbaturés le lendemain. Des gardes Terrionours la saluèrent alors qu’ils partaient en direction de la demeure des Pennel, et un Sylvestre s’approcha d’elle, le visage rugueux et bienveillant.

— Bonsoir, jeune humaine. Je viens du Palais.

— Bonsoir, est-ce que vous voulez quelque chose ?

— J’ai cru entendre que vous cherchiez un moyen de retourner sur Terre, est-ce vrai ?

— Oui, je n’ai pas été secrète à ce sujet. Est-ce que vous connaîtriez un moyen ? La Reine n’a rien proposé à ce sujet pour le moment.

— La Reine Dahut ne souhaite pas vous voir repartir… dit le Sylvestre.

— Pourquoi ça ?

— Elle a des projets pour les humains ici. Mais je pense que vous devriez avoir le choix.

Léa fixa le Sylvestre et ne vit rien dans son attitude qui le rendait suspect. Et c’était vrai que pas une seule fois le sujet de son retour sur Terre n’avait été abordé. Peut-être que c’était l’occasion de trouver une vraie piste. En plus, elle pourrait en parler à Alice à son retour au Palais.

— Pourriez-vous m’en dire plus ? demanda Léa.

— Suivez-moi, mon Lannluch n’est pas loin.

— Attendez un instant, je vais prévenir Mael de mon départ, il ne va pas tarder à revenir !

À peine avait-elle tourné le dos qu’une main se plaqua sur sa bouche et elle sentit une odeur lui tourner la tête.

« J’aurais dû me méfier… » pensa-t-elle avant de s’écrouler.

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