Célestine serre la robe, affinant la taille de Rachel.
— Maman, je ne peux plus respirer…
— Mais si, ne sois pas si douillette.
Rachel jette un oeil par la fenêtre. Il fait un temps magnifique. Aujourd’hui, 22 avril 1960, elle se marie. Elle essaie de sourire pour cacher son désarroi, essayant de refouler ses mauvais sentiments qui lui font penser qu’elle est sur le point de commettre une grosse erreur.
— Tu es prête ?
Elle hoche la tête. Il faut qu’elle le soit. Célestine dévisage sa fille en souriant, puis l’embrasse sur le front.
— Je suis très fière de toi.
La porte s’ouvre et André apparait dans l’encadrement.
— Vous êtes prêtes ? C’est l’heure d’y aller.
Célestine regarde sa montre, paniquée, et se précipite hors de la pièce. Elle doit encore préparer les fleurs et elle n’y arrivera pas si elle ne se dépêche pas. André la regarde avec étonnement, puis s’approche de sa soeur.
— Bon, et bien je t’accompagne à la mairie.
Rachel hoche la tête et s’accroche à son bras, et tous les deux se dirigent vers la porte.
— Je n’aurais jamais pensé que je me marierais avant toi.
André hausse les épaules.
— C’est vrai que c’est allé très vite, mais je savais bien que tu finirais par trouver quelqu’un.
Elle approuve en soupirant. André tourne la tête vers elle, et son visage se fait plus soucieux.
— Rachel, est-ce que tu es heureuse ?
— Oui, évidemment.
Elle rougit en se rendant compte que c’est la première fois qu’elle ment à son frère, et celui-ci le remarque sans trop de difficultés.
— Arrête, je vois bien que tu es inquiète.
— Non, pas inquiète, juste un peu sceptique. Je me demande juste si je suis en train de faire le bon choix.
— Il est encore temps de changer d’avis, tu sais, nous ne sommes pas encore à la mairie et tu n’as pas encore dit oui. Le maire te laissera le choix.
Il serre la main de sa soeur, essayant de se montrer convaincant, mais celle-ci secoue la tête.
— Non, André. Ça ne se fait pas. Je ne peux pas annuler le mariage comme ça, maintenant que tout est prêt et que les gens sont impatients de nous voir dire oui.
Son frère fronce les sourcils.
— Mais que sont ces gens et cette fichue cérémonie comparés à ta vie entière ? Il vaut mieux décevoir quelques personnes plutôt que souffrir le restant de tes jours.
— Mais je ne souffrirai pas. Je voulais simplement dire qu’avec un peu plus de temps j’aurais pu trouver mieux, mais je n’irai pas jusqu’à dire que ce mariage me rendra malheureuse.
— Je te le souhaite en tout cas. Parce que si jamais ce type te fait un jour pleurer je peux te dire qu’il aura affaire à moi.
Rachel rit devant l’attitude protectrice de son jumeau. La mairie se dresse désormais devant eux, et des dizaines de têtes la regardent arriver avec un sourire jusqu’aux oreilles.
— Monsieur Raymond Lucien Lefèvre, consentez-vous à prendre pour épouse madame Rachel Hélène Perrot ici présente ?
Raymond sourit en entendant le mot « épouse ». Ce mot représente pour lui tout ce qu’avaient ses amis, ses collègues et son frère. Des épouses qui s’occupaient d’eux. Lui, personne ne s’occupait de lui à part sa mère. Et maintenant, enfin, ce mot lui est adressé.
— Oui, je le veux.
Rachel sent son coeur s’accélérer. Elle aurait espéré qu’il dise non, lui laissant encore une chance d’éviter cette union sans qu’elle soit responsable d’un drame.
— Madame Rachel Hélène Perrot, consentez-vous à prendre pour époux monsieur Raymond Lucien Lefèvre ici présent ?
Elle sent un goût amer en elle. Tout va se jouer en une seconde. Si elle dit oui, il devient son époux, et elle passe le restant de sa vie avec cet homme dont elle n’est toujours pas amoureuse. Si elle dit non, elle provoque une offuscation générale dans la salle, et même si elle n’est pas assurée de retrouver quelqu’un un jour, elle n’entendra plus jamais parler de Raymond et de ses discours traditionnels. Mais elle s’est engagée, elle a déjà dit oui à Raymond il y a quelques mois. Est-elle vraiment obligée d’assumer ce choix ? Elle inspire et dit ce qui lui passe par la tête, sans réellement connaître quelle sera la réponse que sa voix laissera entendre.
— Oui.
Elle s’étonne elle-même de ce qu'elle vient de prononcer. Alors voilà, les voilà mariés. Raymond se tourne vers elle pour l’embrasser, et elle craint de s’évanouir tellement elle se sent perdue, ignorant toujours si elle a fait le bon choix.
Tous les invités discutent entre eux, et Rachel ne sait où donner de la tête. Elle a passé un bon bout de temps à converser avec Denise, mais celle-ci a dû sortir pour essayer de calmer son fils qui ne fait que pleurer. La jeune mariée profite d’être un peu seule pour réfléchir aux conséquences que ce mariage aura sur sa vie, mais déjà elle entend quelqu’un derrière son dos.
— Rachel, ma petite chérie, toutes mes félicitations.
Elle se retourne et voit sa tante Yvonne qui lui adresse un grand sourire.
— Merci beaucoup, ça me fait plaisir de te voir.
— A moi aussi. Tiens, je t’ai apporté un petit cadeau pour l’occasion. J’espère qu’il te sera utile.
Elle lui tend un paquet jaune que Rachel s’empresse d’ouvrir. Elle découvre un petit livre de quelques pages intitulé « Le guide de la bonne épouse ». Yvonne tente de justifier son cadeau.
— Avec ça, tu seras une parfaite femme mariée et ton mari sera comblé.
Rachel se force à sourire.
— Merci beaucoup, c’est très gentil de ta part.
Le ton légèrement ironique de sa nièce contredit un peu Yvonne. Elle dit qu’elle va chercher à boire et s’éloigne. Se retrouvant à nouveau seule, Rachel feuillette le livret. « Vous pouvez avoir une douzaine de choses à lui dire, mais le moment de son retour n’est pas le bon. Laissez-le parler d’abord – rappelez-vous, ses sujets de conversation sont plus importants que les vôtres. ». Horrifiée par ce qu’elle vient de lire, elle tourne encore quelques pages. « Arrangez son oreiller et offrez de lui retirer ses chaussures. Parlez d’une voix basse, relaxante et agréable. ». Elle ferme le livre en soupirant, se disant que si c’est cela que Raymond attend de ce mariage, il peut toujours courir. Denise revient vers elle.
— C’est bon, Alain est avec son père. Tout va bien ?
Rachel lui tend le livre.
— Regarde ce que ma tante vient de m’offrir.
Denise lit elle aussi quelques phrases, puis secoue la tête, exaspérée.
— C’est une honte. Tu devrais jeter ce bouquin sans plus attendre.
— Oui, en tout cas c’est clair que je n’appliquerai jamais aucune de ces consignes.
Son amie hoche la tête, puis lui prend la main.
— J’espère que Raymond ne sera pas trop exigeant avec toi.
— Je l’espère aussi.
Rachel marque une pause.
— Tu sais, je sais ce que tu penses. Je sais que tu te demandes pourquoi j’ai finalement épousé cet homme. Mais je n’ai pas eu le choix…
Denise secoue la tête.
— Ce n’est pas vrai. C’est toi qui ne t’es pas donné le choix.
Je dirais : "contrarie" au lieu de "contredit".
Pour Raymond... Je rejoins André pour le coup, s'il lui fait du mal, on ira le faire pleurer lui aussi huhu ça lui fera pas du bien, mais c'est ça le karma