Chapitre 5

Par Rouky

Les informations donnent des détails sordides, parlent d'un garçon dérangé, actuellement recherché, qui a massacré toute sa famille lors d'un épisode de folie meurtrière. Il a tué frère et soeur, avant de s'en prendre à ses parents endormis. Il a aussi sauvagement assassiné un adolescent qui était dans le même lycée que lui. 
    Il est très dangereux, il ne faut surtout pas s'en approcher.
    Mais voilà, ce gamin est assis dans le canapé de Gabriel, tournant le dos au millionaire et au tueur à gages. En les entendant arriver, il virevolte vers eux, le regard mauvais. Il se lève lentement, tenant un énorme couteau de cuisine dans sa main.
    Gabriel sent le canon d'un pistolet se poser entre ses omoplates.
        –    Avance, murmure Kaleb derrière lui.
        –    Quoi ? Mais il tient une arme, il va me tuer ! 
        –    Tout comme moi si tu ne m'obéis pas. Alors, tu préfères quoi, la lame ou la balle ?
    Avec un déglutissement pénible, Gabriel fait quelques pas en avant, les mains en l'air.
    Le môme pâle reste immobile, les sourcils froncés.
        –    Qui êtes-vous ? Demande Gabriel. Vous êtes de mèche avec l'homme à qui je sers de bouclier ?
        –    Noah. Je m'appelle Noah.
        –    C'est... C'est bien vous, celui dont ils parlent à la télévision ?
        –    Ouais, c'est moi.
        –    Et... Qu'est-ce que vous faites ici ?
        –    Je suis venu voir ton père.
        –    Vous aussi ?!
        –    T’es vraiment en train de me vouvoyer ?
    Kaleb éclate de rire dans le dos du millionaire. Gabriel sent le canon du pistolet se retirer. Le tueur à gages avance vers le môme, le flingue pointé vers lui.
        –    Et pourquoi tu viens voir le vieux Rellik, toi ?
        –    Pour me venger. Il a détruit ma famille.
        –    Comment ? 
        –    Mon père n'était pas un homme tendre avec moi, loin de là. Mais j'avais toujours réussi à supporter au mieux. Jusqu'au jour où Rellik l'a viré. Tout appartient à Rellik dans cette ville, alors forcément mon père travaillait pour lui. Cette décision a brisé ma famille.
        –    C'est pour ça que t'as tué tout le monde ?
        –    Oui, pour les libérer du malheur qui se déchaînait sur nous. Et pour me venger d'eux, également.
        –    Tout est une histoire de vengeance, hein ?
        –    Tout est une histoire de souffrance. Si le malheur te frappe une fois, alors quoi de mieux que de lui rendre la pareille ?
        –    J'apprécie ta vision des choses.
    Kaleb baisse l'arme une nouvelle fois, tandis que Noah range son couteau dans sa poche. Les deux se retournent alors vers Gabriel. 
    Le millionaire jette un coup d'oeil vers la porte d'entrée, mais sursaute quand Kaleb fait claquer sa langue d'un air réprobateur. 
        –    Approche, ordonne le tueur à gages.
    Gabriel obéit, les yeux rivés sur ses assaillants. Arrivé devant eux, Kaleb l'agrippe par le col de sa chemise et le propulse sur le divan. 
        –    On va sagement attendre l'arrivée de papa Rellik, annonce le tueur. Moi je récupère l'argent, et je bute le père. Désolé, Noah, mais je me réserve le vieux. Tu n’auras qu’à t’occuper du fils, il mérite de souffrir. Et, à ce que racontent les journalistes au sujet du lycéen, tu sais t’y faire, en matière de souffrance.
        –    Je suis partant pour ce plan, répond l'adolescent en prenant place sur un fauteuil.
        –    Non, déclare Gabriel en se redressant sur le canapé. Je ne vous laisserai pas faire !
        –    Et qu'est-ce que tu comptes faire ? Rétorque Kaleb en pointant son arme vers le millionaire.
        –    Vous parlez de m'assassiner mon père et moi, comme si vous ne parliez pas d'êtres humains mais de vulgaires insectes !
        –    Parce que c'est ce que tu es, mon grand. Un putain d'insecte que je vais dépouiller avant de laisser ce gamin t'écraser. Et tu peux parler, toi qui a buté ta femme enceinte, et qui s'en est pris à ta propre maîtresse ! T'as aucun honneur, sale enfoiré de merde. Alors si j'entends encore une seule chose sortir de ta bouche de merde, je te colle un pruneau directement dans la face. Je trouverai bien une solution pour le fric.
    Blême, Gabriel ose à peine respirer. Ses yeux effrayés virevoltent entre le tueur à gages qui le fusille du regard, et le regard noir que lui lance le gamin dérangé. 
    Voyant que ses paroles ont eu l'effet escompté, Kaleb s'installe confortablement dans le siège en face de Noah, formant un triangle à eux trois.
        –    J'ai vu qu'il y avait de la bière au frigo, déclare Noah. Je vais en chercher.

    Il n'a pas touché aux sacs contenant le corps. Il n'a même pas franchi le seuil de la salle de bains. A vrai dire, il n'a même pas bougé du sol où il s'est effondré en rentrant. Il fait complètement noir dehors, et l'esprit de Castelli est complètement vide. 
    Il a réfléchi des heures durant, retournant tous les scénarios dans sa tête, se repassant mille fois toutes les éventualités. Et il s'est enfin décidé. 
    Il va tout avouer, mais pas à la police. 
    Avec ce qu'il a fait, et toutes les circonstances autour de ce meurtre sordide, il sait que c'est la prison à pérpétuité qui l'attend. Pour rien au monde il ne veut passer le reste de ses jours enfermé dans une pièce, entouré de malfrats qu'il a potentiellement envoyé lui-même au trou.
    Alors il va avouer. A Gabriel Rellik. 
    Il rentrera ensuite chez lui, déposera en évidence la lettre qu'il aura écrite pour Beltrame, puis se suicidera avec son arme.
    Oui, c'est ce qu'il va faire. Tout avouer, puis se suicider.

    En voyant Castelli sortir de chez lui, Beltrame sort de sa torpeur. Somnolant au volant de sa voiture garée plus haut dans la rue, il allait certainement s'endormir à force d'attendre. 
    Mais voilà, Castelli est sorti. Son collègue va mal, il le sait, et il compte bien découvrir pourquoi.
    Car Beltrame tient beaucoup à son ami.
    Il y tient. 
Beaucoup. 
Trop.

    Des bières ouvertes éparpillées sur la table basse, d'autres bouteilles prêtes à être consommées... Les trois criminels commencent à sentir la fatigue s'installer en eux. 
    Ils ont attendus des heures et des heures. Ils ont forcés Gabriel a appelé son père, mais personne n'a jamais répondu. La frustration se mêlant aux relents d'alcool, Kaleb se lève le premier, son arme toujours à la main.
        –    Merde ! S'emporte-il. Où est-ce qu'il est passé, ton putain de père ?!
    Tout en criant, il s'est avancé vers Gabriel, menaçant. S'enfonçant plus profondément dans son siège comme pour disparaître, le millionaire secoue la tête en haussant les épaules.
        –    Je l'ignore, murmure-t-il.
        –    Comment tu peux l'ignorer ? C'est ton père, fais le venir ici !
    Confus, Gabriel ignore quoi répondre. Kaleb continue de pester en s'éloignant un peu plus. 
    Alors que Gabriel sent la panique revenir en lui, il voit Noah faire une chose pour le moins étonnante. Tout en posant son index devant sa bouche pour intimer au millionaire l’ordre de se taire, il vide un petit sachet blanc dans la bière encore ouverte de Kaleb. 
    Tout s'est déroulé en quelques secondes. Noah remet le sachet vide dans sa poche sous le regard désemparé de Gabriel, tandis que Kaleb revient vers eux.
    -    Alors, dit l’adolescent au millionaire, comme si rien ne s’était passé. C’est vrai que t’as tué ta femme et ton chauffeur ?
    -    Qu’est-ce que ça peut te faire ? S’étonne Gabriel encore confus de la scène.
    -    Wow, donc c’est vrai ?
    -    Elle m’avait trompé ! Elle n’a eu que ce qu’elle méritait... Me rendre cocu, forniquer avec mon chauffeur... J’espère qu’elle rôtie en enfer...
    -    Tu vas bientôt la rejoindre, laisse soudain tomber le tueur à gages.
    Il prend une rapide gorgée de sa bière, sous le regard satisfait de Noah, puis empoigne Gabriel par le col de sa veste, le forçant à se relever. Il le retourne, mettant à nouveau le bout du pistolet entre ses omoplates.
        –    On va aller chercher de l'argent, murmure Kaleb à l'oreille du millionaire. Essaie pas de me la faire à l'envers, ou ça risque d'être très douloureux pour toi.
        –    Et ma vengeance à moi ? Demande Noah en les suivant.
        –    Je te ramène cet enfoiré dès que j'en ai terminé avec lui. Là, tu pourras faire ce qui te chante avec ce merdeux.
        –    Attendez, commence Gabriel tandis que Kaleb le pousse vers l'entrée. Attendez, on peut certainement trouver une solut-
    Il est interrompu lorsque, ayant ouvert la porte, ils tombent nez à nez avec l'agent de police de tout à l'heure. Celui-ci, en train de gravir les marches, se dirigeait de toute évidence vers le manoir. 
    Les quatre hommes se figent, se dévisageant entre eux.
        –    Et merde, lâche Kaleb.

    En voyant la scène sous ses yeux, le sang de Castelli ne fait qu'un tour.
    "Non, ce n'est pas possible", pense-t-il avec amertume.
    L'homme menaçant, qui jusque là pointait son fusil dans le dos de Gabriel, relève son arme droit sur le policier.
        –    Amène-toi, ordonne-t-il en reculant à l'intérieur du manoir.
    Castelli obéit. Lorsqu'il pénètre à son tour, il feint l'impassibilité en découvrant également Noah dans ce trio infernal.
    Kaleb repousse Gabriel sur le côté. Le millionaire lève de grands yeux suppliants vers l'agent de police, le priant silencieusement de lui venir en aide. Noah, quant à lui, esquisse un sourire amusé en se rasseyant dans son fauteuil.
        –    Je... Je te connais, toi, dit Kaleb en fronçant les sourcils. J'avais déjà un doute en épiant la conversation entre toi et l'autre enfoiré. Mais là, en te voyant de plus près... Oui, je te reconnais, mais où t'ai-je déjà vu ?
    "Le moment est venu, je ne peux plus reculer", se dit Castelli. Le destin s'est bien joué de lui, n'est-ce pas ? Le moment de vérité est arrivé, il ne peut plus s'y soustraire. 
        –    Oui, on se connaît, lâche le détective. J'ai enquêté sur vous il y a quelques années.
        –    Pourquoi ?
        –    Pour un meurtre que vous avez commis.
        –    J'en ai commis une centaine, de meurtre. Va falloir être plus précis, mon grand.
        –    Le meurtre de Katelyn Rellik.
    Un silence glacial tombe sur la petite assemblée.
    -    Quoi ? Soufflent Kaleb et Gabriel à l'unisson.
    Castelli s’agite, se triture les mains, jette un coup d’oeil vers Noah.
    -    Quoi ? Répète Gabriel d’une voix tremblante, les yeux virevoltants entre Kaleb et Castelli.
    -    Je m’en serai souvenu, si j’avais tué une femme aussi importante, gronde Kaleb en s’avançant vers le policier.
    -    Non, visiblement, rétorque Castelli. Vous avez assassiné cette femme lors d’un gala de charité. Vous vous êtes installé sur le toit d’une maison non loin du bâtiment où cela s’est déroulé. Vous avez armé votre sniper, et-
    -    Oui, je m’en souviens, laisse tomber le tueur à gages en se remémorant la scène. Mais... on m’avait dit qu’il s’agissait d’une simple bourgeoise sans importance. Une putain payée par un ennemi inopportun.
    -    Une putain ? S’écrie Gabriel en s’avançant vers le tueur à gages.
Mais ce dernier relève son arme, dissuadant le millionaire de s’approcher. 
    -    C’est un ennemi de Monsieur Rellik qui vous a payé pour l’éliminer, poursuit Castelli d’une voix calme. Quand les puissants se livrent une guerre d’argent, il y a forcément des dommages collatéraux. C’est suite à cette perte que Monsieur Rellik a licencié la plupart des employés de ses nombreuses entreprises. Il a en effet investi beaucoup d’argent pour retrouver les coupables.
    -    Alors c’est vous qui avez brisé ma famille ? Demande Noah en se tournant vers Kaleb. C’est à cause de vous, tout ça ?
    -    On se calme, gamin, ordonne le tueur en reculant de quelques pas. C’est pas ma faute si ta famille a pas su remonter la pente. 
    -    Vous avez tué ma mère, accuse Thomas, le souffle court.
    -    Putain mais vous voyez pas quelque chose qui cloche ? S’impatiente Kaleb. Pourquoi est-ce que ce poulet en sait autant ? Pourquoi il en sait plus que le fils de Rellik lui-même, hein ? 
    Gabriel et Noah se tournent vers Castelli, qui explique aussitôt d’une voix tremblante :
    -    Monsieur Rellik m’a personnellement chargé de retrouver le tueur. Il connaissait déjà l’identité des commanditaires, et il s’en est occupé lui-même. Mais il ignorait qui avait appuyé sur la gâchette...
    Kaleb jette un regard noir à l’agent de police. Puis il lève son pistolet pour le braquer sur le fils Rellik. Celui-ci recule d’un pas, lève les bras devant lui.
    -    Qu’est-ce que vous faites ? Demande-t-il d’une voix chevrotante.
    -    J’en ai plus qu’assez d’attendre ! Si ça se trouve, ce poulet ment sur toute la ligne ! Je te donne une dernière chance pour avoir ton père au téléphone. Sinon je te tire une balle dans la tête, puis ce sera à leur tour.
    -    Essaye toujours, enfoiré, se moque Noah. 
    -    Ne me tente pas, gamin.
    -    Attendez ! Supplie Gabriel. Je vais l’appeler, d’accord ? Mais baissez ce flingue, je vous en prie...
    -    Inutile de l’appeler, marmonne Castelli. Il ne répondra pas. 
    -    Quoi ? Pourquoi dîtes-vous cela ? 
Castelli ne répond plus, baisse la tête. Il sent sa gorge se nouer.
    -    Hé ! Le hèle Kaleb. Approche-toi, poulet.
    Castelli hésite, regarde le tueur à gages avec appréhension.
    -    Ici ! Ordonne Kaleb en agitant son Glock.
    Castelli obéit, traîne les pieds jusqu’au tueur à gages. Il sent les regards de Gabriel et Noah se poser sur lui tandis qu’il passe près d’eux. 
    Le tueur à gages, le millionaire et l’adolescent fou forment désormais un triangle, Castelli positionné au milieu du trio. 
    Kaleb pose le pistolet contre la poitrine du policier, qui sent son coeur battre la chamade. 
    -    Pourquoi le vieux Rellik ne répondra pas, poulet ? 
    Castelli sent les émotions affluer. Il garde les yeux rivés au sol, trop effrayé à l’idée de croiser le regard de Gabriel.
    Les larmes montent à ses yeux. Son corps tremble à nouveau tandis qu’il peine à articuler ses propos, entrecoupés de sanglots.
    -    Je l’ai tué... Murmure-t-il.
    -    Vous avez quoi ?! S’écrie Gabriel. 
    -    La ferme ! Le sermonne Kaleb. Laisse-le parler !
    Puis, à l’intention du détective :
    -    Continue.
    -    Je l’ai tué, reprend Van Castelli en enfouissant son visage entre ses mains. Je l’ai tué à mains nues... Il... Il est venu me voir pour que je lui donne des informations sur vous... Et il... Il a dit qu’il vous tuerait, vous et tous vos proches... Je lui ai dis de laisser faire la police mais...
    Un sanglot l’interrompt. Il déglutit avec peine avant de reprendre son récit, cachant toujours son visage entre ses mains.
    -    Il a dit qu’il me ferait porter le chapeau. Que si je parlais de cette histoire, il s’assurerait que je sois jeté en prison, puis tué... Il... Il n’a pas arrêté de me menacer... J’ai pris peur, tellement peur... Il a juré de me faire tuer...
    Castelli se tourne vers Gabriel, ne prêtant plus attention au pistolet pointé sur lui.
    Le visage baigné de larmes, le policier se laisse tomber à genoux devant le millionaire, les mains jointes devant lui.
    -    Pardonnez-moi, je vous en supplie... Je ne voulais pas... Je l’ai tué... J’ai tué un homme sans défense... Pitié, qu’on me pardonne...
    Le silence tombe, entrecoupé des sanglots du policier. 
    Kaleb et Noah observent la scène, spectateurs.
    Gabriel serre et desserre les poings, le souffle rapide. Son regard noir est bestial, ne possède aucune once d’humanité.
    Alors, il se jette sur le policier avec un cri de colère et de souffrance.
    Le détective tombe sur le dos, Gabriel le chevauchant. Le millionaire assène coups de poings sur coups de poings, plus violents les uns-que-les-autres. Il frappe sur le visage, sur les tempes, dans les côtes... Un cri bestial s’échappe de lui tandis qu’il joint les poings l’un contre l’autre pour frapper sur le crâne du policier.
    Si Castelli parvient d’abord à se protéger à l’aide de ses bras, la violence des coups finit par avoir raison de lui, et il tombe bientôt inconscient.
    Mais son évanouissement n’empêche pas Gabriel de continuer à frapper.
    Il continuer de molester le corps évanoui.
    Il frappe encore, et encore.
    Encore et encore.
    Sur le crâne, toujours plus fort.
    Encore et encore.
    Le visage du policier n’est plus qu’une mare de sang, aussi informe et brisé que le visage d’Ariane.
    Gabriel continue de frapper pendant de longues minutes, durant lesquelles Kaleb et Noah ne font qu’observer, abasourdis.
    Au bout d’un temps interminable, les poings et le visage éclaboussés de sang, Gabriel se laisse tomber à côté du policier, le souffle court, les yeux brouillés par les larmes et le sang. 
    -    Putain de merde, laisse tomber Kaleb.
    -    Tu l’as tué ? Demande Noah en avançant vers eux.
    -    Merde, répète le tueur à gages.
    Soudain, il pose la main au niveau de son coeur, le sentant battre de plus en plus vite. Il titube, suffoquant, le regard perdu entre les deux jeunes hommes devant lui.
    Thomas lui lance un regard incompréhensible, pendant que Noah s’approche de lui.
    -    C’en aura pris, du temps, laisse tomber l’adolescent. Je pensais que ça agirait plus vite.
    -    Que... Quoi ? Questionne Kaleb en s’écroulant au sol, le pistolet le suivant dans sa chute.
    -    Je t’ai mis une petite surprise dans ta bière. Je voulais juste me débarrasser de toi pour me venger de ce richard tout seul, mais maintenant que je connais la vérité... Je suppose que le destin nous a réunis sur la route. A cause de toi, ma famille s’est brisée. J’ai dû supporter la fureur de mon père qui venait de tout perdre. La douleur de ma mère dont le monde venait de basculer. Et la terreur de ma fratrie de voir son avenir s’écrouler. 
    Noah s’arrête devant Kaleb.
    Gabriel, encore essouflé par son acte, y voit une occasion en or.
    Il se lève et fonce vers la porte d’entrée.
    -    Non ! S’emporte Noah en se mettant à le poursuivre.
    Mais il tombe lourdement sur le ventre, Kaleb lui ayant agrippé les jambes.
    -    Reste ici, petit bâtard !! Mugit le tueur en rampant sur l’adolescent.
    -    Lâche-moi, le macchabé !
    L’adolescent sort son couteau de cuisine, le plante dans la paume de Kaleb. Ce dernier hurle de douleur, mais continue de s’avancer sur le garçon, le paralyse de tout son poids.
    Pendant ce temps, Gabriel entre dans la chambre où repose Ariane. La jeune femme, le sang séché ayant collé ses paupières, parvient à peine à gémir quand son amant la soulève dans ses bras.
    -    Nous partons, lui murmure le jeune homme d’une voix chevrotante.
    Il part vers la porte d’entrée, non sans jeter un dernier coup d’oeil aux tueurs dans son salon.
    Alors que Noah ressort le poignard de la paume ensanglantée, prêt à le planter à nouveau dans le tueur à gages, Kaleb parvient à s’emparer du poignet de l’adolescent et à le tordre de toutes ses forces. 
Noah glapit de douleur en lâchant l’arme, permettant à Kaleb de s’en emparer. Aussi rapidement qu’un serpent, malgré le poison qui lui cisaille les organes, le tueur à gages plante le couteau en plein dans le coeur de l’adolescent tourmenté.
Puis il se laisse tomber sur le côté, secoué de violents spasmes, de la salive s’écoulant des commissures de ses lèvres. 
Noah gémit, des borborygmes s’échappant de lui, du sang s’échappant de sa bouche. Il tente de retirer le poignard, mais n’en trouve pas la force. Il laisse retomber sa main sur son ventre, le regard déjà lointain.

    Beltrame fronce les sourcils en voyant Gabriel Rellik sortir de sa résidence, portant une femme gravement blessée dans ses bras. 
    La faveur de la nuit permet à la voiture de police de ne pas être repérée par le millionaire. 
    Sentant un grave problème, Beltrame s’empresse de composer le numéro de son chef, au moment où Gabriel dépose la demoiselle sur le siège passager de sa voiture.
    -    Patron ? Envoyez tout de suite une patrouille à la résidence Rellik. Et prévoyez une ambulance. Faites vite, je vous prie. 
    Il démarre le moteur au même moment où Rellik s’engage sur la route à toute allure.

    -    PUTAIN ! Mugit Gabriel en voyant les gyrophares dans son rétroviseur.
    -    Que... quoi ? Murmure Ariane avec difficulté. Gabe... Où...
    -    Chut, ne dis rien. Je vais le semer.
    Le millionaire appuie sur l’accélèrateur, dépasse des kilomètres de plus en plus dangeureux. 
    Mais la police le suit toujours.
    -    DEGAGE ! Hurle le millionaire, la panique s’emparant de lui.
    -    Arrête, pitié, sanglote Ariane en gesticulant.
    -    La ferme ! Je n’irai pas en taule ! Je verrai mon enfant grandir, je l’élèverai comme il se doit !
    Il essuie le sang de Castelli qui lui brouille la vision.
    C’était sans compter sur Ariane qui, prise d’une panique soudaine, se met à hurler comme une démente, et se jette sur le volant.
    -    Arrête-toi ! S’écrie-t-elle, toujours aveuglée. Arrête-toi, je ne veux pas mourir, arrête cette voiture !
    -    Lâche-moi, espèce d’idiote ! Lâche ce volant, tu vas nous-

    Il aura suffit de trois minutes avant que l’accident n’arrive. 
    La voiture n’a cessée de zigzaguer durant la dernière minute, jusqu’arrivée sur le pont qui permet de sortir de la ville.
    Là, subitement, un coup de volant sur la droite à fait sortir la voiture de la route, écrasant la rambarde du pont, projetant le véhicule dans les eaux noires du fleuve.

    Beltrame a freiné subitement, faisant crisser les pneus sur le bitume. Est sorti de la voiture, accourant sur le rebord dégagé du pont. N’a plus vu que le coffre du véhicule, s’enfonçant profondément dans les eaux tumultueuses.
    Mais Beltrame ne sait pas nager.
    Il reste paralysé sur place, seul dans la nuit désormais terriblement silencieuse. 
    La voiture a maintenant totalement disparu, et ses passagers avec.
    Rien ni personne ne remonte.
    C’est comme si rien ne s’était jamais passé.

    Les gyrophares de la police. Des ambulances.
    Des ordres donnés à tue-tête, des cris d’incompréhension.
    Des civières transportant des corps, des couvertures blanches les recouvrant. 
    Des badauds, des journalistes, des curieux... 
    Cinq morts au total.
Un trio mortel, une femme que l’amour aura achevé, et un enfant à naître qui n’aura jamais eu le temps d’ouvrir les yeux. 

Beltrame fonce directement dans le bureau de Magat. Il trouve le jeune officier seul assis derrière un bureau, le nez plongé dans des caisses recueillant les preuves de l’affaire que les journalistes ont déjà surnommés “Le Triumvirat Mortuaire”. 
En voyant son aîné s’avancer rapidement vers lui, Magat sursaute en se relevant. Il faut dire que Beltrame n’a pas la réputation d’un homme doux au sein de la brigade.
    -    Vassily, commence Magat. Je suis désolé pour-
    -    Abrège. Tu n’en a parlé à personne d’autre ?
    -    Non, je n’ai rien dis, comme tu me l’a demandé. Mais Vassily, je-
    -    Dis-moi ce qui tu as entendu.
    -    Eh bien... Tout, à vrai dire. Je pense que ce Noah voulait faire chanter Monsieur Rellik en l’enregistrant sur son téléphone mais, au final, il a absolument tout enregistré. Y compris les aveux de Van. 
    -    Quels aveux ? Qu’a-t-il dit, exactement ?
    -    Il dit qu’il a tué le vieux Rellik, Vassily. Il l’a buté à mains nues, c’est ce qu’il dit. Il demande pardon, il dit qu’il se sentait menacé et a pris peur mais... Enfin, Vassily, pour tuer quelqu’un avec ses poings, c’est qu’il voulait le tuer. Battre un homme à mort prend du temps, beaucoup de temps. Van aurait pu profiter de ce temps pour se rendre compte de son erreur, pour arrêter avant de commettre l’irréparable et appeler les urgences.
    -    Il a pris peur. Il sait que même en s’arrêtant, le vieux Rellik l’aurait fait tué.
    -    Ce qui ne fait que confirmer l’acte de préméditation. Van savait ce qu’il faisait, et il a continué. Il a beau s’être senti menacé, ça n’empêche pas qu’un meurtre a été commis.
    -    Montre-moi le téléphone.
    -    Tiens, c’est celui-ci.
    Beltrame prend le mobile que lui tend Magat. Il parcoure les enregistrements audio, écoute rapidement les aveux de son partenaire, la mine grave. 
    Puis il range le téléphone dans la poche de sa veste, sous le regard médusé de Magat.
    -    Mais, qu’est-ce que tu fais ? Demande son collègue. C’est une preuve, il faut la remettre dans la boî-
    -    Ecoute-moi bien, petit. Tu ne parles de ça à personne. Personne. Je vais régler cette affaire moi-même. Tu as intérêt à garder ça pour toi, sinon...
    -    Sinon quoi, Vassily ? C’est une affaire de meurtre, et Castelli semble bien être coupable !
    Beltrame s’approche assez près pour n’être qu’à quelques centimètres de Magat. Il doit se pencher légèrement pour être à la même hauteur que son collègue, son regard sombre plongé dans celui, méfiant, du cadet.
    -    Je n’ai qu’à tirer quelques fils pour t’envoyer en prison, Renzo. Tu auras beau te défendre, prétendre l’existence de cet enregistrement, tu n’aurais aucune preuve. Si tu parles, tu te jettes toi-même dans la gueule du lion. Alors...
    Il s’approche encore un peu plus de son collègue, leur nez se touchant presque.
    Magat s’est mis à trembler, les paroles de Beltrame ayant eu l’effet escompté.
    -    Alors sois un gentil garçon, et tais-toi, poursuit Vassily. Tu m’as déjà vu en colère, mais jamais contre toi. Tu ne voudrais pas être l’objet de ma fureur, n’est-ce pas ?
    -    Je... Non, non, murmure Magat en baissant la tête.
    -    Bien. 
    Beltrame se redresse, passe la langue sur ses lèvres.
    -    Je viendrai te voir de temps en temps, histoire que tu n’oublies pas notre arrangement. Je vais enquêter moi-même sur cette affaire. En attendant, tiens-toi tranquille, compris ?
    -    Oui, Beltrame, répond Renzo dans un déglutissement. 
    Satisfait, Vassily Beltrame repart aussi rapidement qu’il est arrivé.

Il fronce les sourcils, l’esprit déjà ailleurs.
Il a arrêté d’écouter après avoir entendu “coma artificiel”.
Ce que l’agent retient toutefois, c’est que les jours de Castelli ne sont plus en danger. Mais qu’il ne va pas se réveiller avant longtemps, pas avant que les médecins ne terminent les traitements qui lui permettront de ne souffrir d’aucune conséquence.
Une fois le discours de l’officier de santé terminé, Beltrame obtient le droit d’aller voir son collègue.
Il craint ce qu’il va découvrir dans le chambre.
Il a toujours eu en horreur les hôpitaux.
Des tuyaux branchés çà et là, des machines imposantes, des lumières trop éclairées, des murs blancs à rendre aveugles.
Beltrame doit presque plisser les yeux pour voir Castelli allongé sur le lit, les yeux gonflés et fermés, la respiration régulière, branchés à d’inombrables dispositifs de santé.
Certains pourraient trouver le jeune policier presque apaisé.
Mais Beltrame sait qu’il n’en est rien. 
Même dans l’inconscient, il sait que son partenaire est bien plus traumatisé et meurtri que son apparence laisse transparaître.
L’officier prend un tabouret, s’assoit à gauche de son jeune collègue. Il lui prend la main, jette un coup d’oeil derrière lui pour s’assurer d’être seul, puis chuchote à Castelli :
    -    Je sais ce que t’as fais, Van. J’ai entendu l’enregistrement. Mais je me suis dis : “si t’as tué le vieux Rellik, alors où est-ce que t’as caché le corps ?”. Donc, je suis allé chez toi. Et j’ai trouvé les sacs poubelles. Bon Dieu, Van... Tu aurais dû t’en débarrasser plus rapidement ! Maintenant, l’odeur va prendre un temps fou pour disparaître... Mais ne t’inquiète pas, partenaire, je suis sur le coup.
    Il se penche vers l’oreille de Castelli, persuadé que ce dernier est en mesure de l’entendre.
    -    Je m’en suis débarrassé pour toi, gamin. Personne ne trouvera jamais ce vieux déchet. Et il n’y a plus personne en vie qui connaisse ton secret, à part Magat et moi. Mais je m’occupe de ce petit enfoiré, t’as pas à t’inquièter. Je suis là pour te protéger, Van. J’attendrai que tu te réveilles, et je continuerai de veiller sur toi, comme je l’ai toujours fait. 

Son partenaire allait mal, Vassily le savait, et il comptait bien découvrir pourquoi.
Maintenant il sait.
Car Beltrame tient beaucoup à son ami.
Il y tient. 
Beaucoup. 
Trop.
 

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