Confortablement installé sur sa chaise depuis presque douze heures, l'agent Light étudiait tous les dossiers liés à l’affaire qu’il devait traiter.
Hommes poignardés, défenestrés, égorgés, mutilés. Aucune méthode de mise à mort ne se ressemblait, continuant de persuader le jeune agent qu'il n'avait affaire qu'à un groupe d'amateurs. La façon de donner la mort ne semblait pas préméditée, les criminels agissant sans nul doute dans le feu de l'action. S'ils disposaient d'une fenêtre au huitième étage, la victime serait jetée par celle-ci. S'ils trouvaient un couteau, elle serait poignardée, ou égorgée.
Le seul point commun parmi tous ces meurtres était une signature bien singulière : un tracé d'étoiles formant la constellation du Pégase. Aucune autre information n'était exploitable concernant ce groupe qui semblait être composé d'une bonne quinzaine de personnes. Ils disparaissaient aussi vite qu'ils apparaissaient, laissant derrière eux leur seule marque de fabrique : la mort.
Sentant qu'il allait devenir fou à lier s'il restait plus longtemps sur cette chaise, le châtain décida qu’il était temps de s'aérer l'esprit.
Et s'il retrouvait cette étudiante de la veille ? S'il avait bien suivi le peu de choses qu'elle lui avait dit, elle étudiait la médecine à l'université du Tohoku. Voilà qui était parfait pour passer agréablement le temps. Oui. C'était tout bonnement parfait. Il n'avait qu'à l'inviter à faire une nouvelle tournée des bars, ou simplement une promenade en ville.
La joie lisible sur son visage, il se saisit de ses clés, enfila une veste et sortit de chez lui.
Lorsqu'il arriva à l'entrée de l’université, le jeune homme s'adossa contre le mur extérieur, attendant avec impatience la sortie de la femme.
Tu te fais des idées mon vieux. Si elle ne t’a pas donné son num' c'est forcément parce qu'elle n'envisageait pas de te revoir. Tu vas te prendre un bon gros râteau et retourner bosser sur cette putain d'enquête sans queue ni tête.
Il secoua vivement la tête, chassant ces idées pessimistes. Si vraiment elle n'avait pas souhaité le revoir, elle le lui aurait dit directement. Non ?
Alors qu'il pensait devoir attendre encore une bonne heure avant d’espérer la voir sortir du bâtiment, le châtain fut surpris de l’observer débouler soudainement, tenant une épaisse pochette entre les mains. Il tendit le bras pour l'interpeller, mais le visage concentré et frustré de l'étudiante le ravisa immédiatement. Il la regarda mélancoliquement prendre une direction qu'il imaginait être celle de son appartement. Était-il censé la suivre ? Sans doute avait-elle besoin de réconfort, de quelqu'un à qui parler.
Arrête deux secondes mon gars, elle est étudiante en médecine je te rappelle, l’une des pires filières qui puisse exister pour le moral. Lâche l'affaire avec cette nana, elle n'aura pas de temps pour toi. Et puis, vu la merde dans laquelle tu t'es foutu, tu ne voudrais pas prendre le risque qu'il lui arrive quoi que ce soit. Si ?
Le jeune homme allait abandonner lorsque son instinct lui intimait de persévérer. Ses jambes le propulsèrent automatiquement à la poursuite de la brune qui n’avait pas perdu de temps pour s’engager dans une autre rue, sortant de son champ de vision. Il parvint à la voir de nouveau jusqu’à la perdre encore une fois à une intersection. Il s’engagea dans la rue de gauche qui l’avait vu emprunter, bien qu’il trouva que ça n’avait pas de sens.
C’est étrange, en faisant ça elle remonte vers la fac. Pourquoi prend-elle cette rue ? Elle tourne en rond.
Une pression sur sa gorge l’arrêta dans sa progression. Une voix familière survint à ses oreilles avant qu’il ne comprenne qu’il se faisait étrangler.
— Pourquoi tu me suis toi ?
Aki devina sans peine qui était la propriétaire de cette voix, bien qu’elle fût diamétralement différente de celle qu’il avait déjà eu l’honneur d’entendre. Elle était froide. Effroyablement froide et menaçante. Était-ce réellement cette frêle étudiante qui venait de lui parler et qui emprisonnait sa gorge d’une poigne de fer ?
Difficilement, il articula :
— Yuna, c’est moi… Aki.
— Aki ?!
La pression sur la trachée du châtain cessa immédiatement. Il s’éloigna rapidement de la ténébreuse pour reprendre son souffle. La voix de cette dernière était presque instantanément redevenue plus douce, comme s’il s’agissait d’une tout autre personne. Il la fixa un long moment tout en se massant la gorge. Ses saphirs étaient d’un clair des plus purs et, pourtant, Aki aurait pu jurer qu’ils étaient devenus noirs même sans les voir.
— Je ne voulais pas te faire peur, mais tu ne m’as pas laissé le temps de t’aborder convenablement en fuyant la fac comme une voleuse. En tout cas, t’as une sacrée force et une bonne technique.
— J’ai pris des cours de self-défense depuis que j’ai été emmerdée une fois à la sortie du lycée.
— Oh. Je vois.
Le châtain prit le temps de l’observer et remarqua que la pochette qu’elle tenait entre les mains en sortant de l’université ne s’y trouvait plus. Cela voulait donc dire qu’elle avait eu le temps de la ranger dans son sac avant de l’attaquer. Pourtant, elle n’avait eu que très peu de temps pour le faire, ce qui ne pouvait qu’être la preuve d’une grande organisation et coordination de ses mouvements. Aki était certain que cette femme n’était pas aussi fragile qu’elle semblait l’être au premier abord. Cette voix dénuée de tout sentiment en était la preuve évidente. Elle était intrigante et l’envie du jeune homme de la percer à jour ne faisait que se décupler à mesure qu’il la côtoyait. Il mourait d’envie de savoir ce que ces grands saphirs avaient de si douloureux et inavouable à cacher. C’était sur le point de devenir une obsession pour lui, si bien qu’il aurait été prêt à laisser de côté sa mission pour y parvenir. Il ignorait pourquoi son esprit préférait privilégier le décodage de ces iris plutôt que l’arrestation d’un gang de criminels. Ce qu’il savait en revanche, c’est que ça lui plaisait.
— Et sinon, pourquoi tu me suivais ? demanda-t-elle, sortant Aki de sa rêverie.
— Je voulais savoir si tu voulais bien… Comment dire… ? Venir te promener avec moi ?
Surprise, Yuna semblait hésiter. Elle se doutait bien que le châtain ne l’avait pas suivi dans le simple but de taper la causette. Elle ne savait d’ailleurs pas si le fait qu’il l’ait attendu à la sortie de l’université, sans même savoir si elle y serait, était attendrissant ou tout bonnement effrayant.
Aki la vit jeter un rapide coup d’œil à sa montre, semblant peser le pour et le contre de sa proposition. Elle avait déjà eu une réaction similaire la veille et il n’avait pas manqué de le relever. Il ignorait pourquoi elle semblait constamment hésiter mais il se disait qu’à force de passer du temps à ses côtés, il finirait par le découvrir.
— Je suis désolée mais ça ne va pas être possible. J’ai un rendez-vous dans une heure et je dois passer chez moi avant pour déposer mes affaires. Une prochaine fois ? Disons, jeudi ? Je n’ai rien de prévu normalement.
— Alors va pour jeudi ! Je travaille jusqu’à vingt heures mais on pourra faire la tournée des bars juste après si ça te dit !
— Parfait ! On se retrouve dans deux jours alors. Prends soin de toi d’ici là.
Alors que la ténébreuse engageait le pas pour s’éclipser, le châtain lui attrapa le poignet pour la retenir un instant. Mais lorsqu’il remarqua que le regard de la jeune femme était devenu noir, il relâcha sa prise. Elle ancra un instant ses cobalts dans les anthracites de ce dernier et Aki ne discerna plus aucune trace de froideur. Aurait-il rêvé ? Ce serait-il imaginé les yeux de cette femme avec une aura menaçante juste parce que sa voix l’avait été tout à l’heure ? Mais dans ce cas, pourquoi ses iris semblaient-ils s’excuser ?
Lui qui pensait apprendre à la connaître à force de passer du temps avec elle, venait de se rendre compte qu’en réalité c’étaient encore plus de questions qui germaient dans son esprit à mesure qu’il la côtoyait. Elle était singulière, à n’en pas douter. Et si cette menace cachait en réalité une certaine peur ? Il voulait à tout prix le savoir mais il était forcé d’attendre encore deux longs jours avant de, peut-être, pouvoir faire des hypothèses qui se confirmeraient ou s’infirmeraient.
— Avant de partir, ça te dérangerait de me passer ton numéro de téléphone ?
Se rendant compte que son attitude avait tout du lourdaud par excellence, le jeune homme tenta vite de se reprendre, en balbutiant des choses incompréhensibles, les joues rosies par la gêne.
— Ça va, détends-toi. Je me suis moi-même fait la réflexion hier quand on s’est séparés. Tu as de quoi noter ?
Le cœur du châtain s’allégea drastiquement quand il comprit qu’elle ne lui reprochait pas sa maladresse. Il prit directement son téléphone et enregistra le numéro que la brune lui dictait. Il la remercia d’un sourire et cette dernière hocha la tête avant de reprendre sa route.
Aki resta immobile de longues minutes, assimilant tout ce qu'il venait de vivre et de ressentir. Il ne parvenait pas oublier la voix glaçante de la brune, ni la force qu’elle avait exercée sur sa gorge. Et si sur le coup il n’avait pas réussi à mettre de mot sur cette émotion qu’il avait ressenti, Aki pouvait à présent la nommer sans difficulté.
C’était de la peur. Pour la première fois depuis de longues années, il avait eu peur pour sa vie. Cette femme d’apparence si banale était parvenue à l’effrayer.