Yuna marchait à un rythme soutenu, impatiente d'arriver à ce qu'elle aimait qualifier comme étant son QG. Faisant bien attention à ce que personne ne la suive ou ne la remarque, la brune déambulait dans les rues avec l'agilité et la souplesse d'un chat sauvage prêt à tout pour se régaler de sa proie. Le fait qu’Aki l’ait poursuivie – certes sur une courte distance – avait contribué à l’éveil instinctif de tous ses sens.
Lorsqu'elle arriva devant la porte, elle frappa comme elle le faisait toujours à celle-ci, au rythme d’Andromède, avant de s'engouffrer dans le vieux bâtiment. Mais à peine avait-elle posé un pied à l'intérieur, qu'elle sentit sa gorge entrer en contact avec le froid mordant de la lame d'un poignard. Son épiderme s'ouvrit sans peine, laissant ruisseler une fine coulée de sang de sa gorge jusqu'au sol. Mais le contact désagréable s'annula aussitôt que l'auteur de ce geste se rendit compte de l'identité de la personne qu'il menaçait.
— Putain Andromède ! Préviens quand t’arrives plus tôt que prévu ! Il te sert à quoi ton foutu bigot ? l'incendia Cygnus dont le cœur tambourinait encore contre sa poitrine.
La jeune femme afficha un large sourire amusé au brun avant de lui demander d’une voix faussement enfantine et innocente :
— Bonjour à toi aussi Cygnus. Je vais très bien, merci. Où est Pégase ?
— J'rigole pas ! J'ai failli te buter ! continua le jeune homme dans son sermon.
La brune se retourna en direction de son camarade, l'incendiant de son regard devenu noir. Toute trace de gaieté semblait avoir déserté son esprit, laissant place à une aura purement hostile et meurtrière.
Cygnus ravala difficilement sa salive, apeuré par la soudaine attitude de sa camarade. Soudaine, mais pas inhabituelle. Même après six ans de travail commun, l'homme craignait toujours autant pour sa vie quand cette femme arborait cette expression. Dans ces moments, plus rien ne semblait être familier à la dénommée Andromède, si bien qu'avec Aquarius et Ariès, ils avaient fini par en conclure que c'était une tout autre personne qui possédait ce corps pendant ce court instant.
— Dis pas de connerie. Tu sais mieux que moi que je t'aurais tué bien avant que tu n’aies eu le temps de réaliser ce qu’il se passe.
Ce regard menaçant, ce sourire pervers collé sur son visage, cette voix glaciale. Bien que temporaires, ces attraits n'étaient aucunement la preuve de la manifestation d'une deuxième âme habitant le corps d'Andromède.
Non. Il s'agissait là de son véritable visage.
Cygnus émit un long soupire, baissant ses améthystes, preuve qu'il abandonnait ce débat qu'il savait perdu d'avance. Il recula de quelques pas avant d’enfin répondre à la ténébreuse :
— Pégase est sorti il y a une heure. Il ne devrait plus tarder.
Voir son ami céder aussi facilement arracha un grand sourire satisfait à Andromède qui lui répondit gaiement :
— Je te remercie.
Le revoilà, ce changement d'attitude brutal et extrême.
Cette femme est complètement tarée.
Il ne put s’empêcher de prolonger son sermon face à cette innocence déroutante :
— C'est malin. Tu vas avoir une cicatrice à cause de ta connerie
Un regard mélancolique s’afficha sur le visage de la jeune femme alors qu’elle passait machinalement sa main en dessous de son sein gauche.
— Elle ne fait que s'ajouter à tant d'autres.
— Certes. Mais celle-ci, contrairement aux autres, tu ne pourras pas la dissimuler. Tu comptes leur dire quoi à tes camarades de classe ? Que t'as voulu tenter de te disséquer ? Pas sûr que ça passe.
Un silence pesant suivit cette remarque, alors qu’Andromède semblait perdue dans les tréfonds de ses pensées, perdue dans les conséquences de ses cicatrices les plus profondes.
— J'ai à vous parler à ce sujet. Vous n'allez pas être déçus.
— Ouais. En attendant, va soigner cette saloperie pendant que je nettoie le sol que t'as tâché.
— C'est toi qui m’as attaqué. Donc c'est toi qui as salit le sol.
— Et c'est toi qui n’as pas prévenu que tu rentrais. Donc c'est ta faute.
Andromède ignora les cris du Cygne et se rendit dans le salon pour aller à sa chambre, prenant le soin d'exercer une pression sur sa gorge pour limiter le saignement. Sur le chemin, elle remarqua Aquarius et Ariès dans la salle de sport. Le châtain et le roux s’adonnaient à un rigoureux et habituel entraînement au corps à corps. Du haut de son bon mètre quatre-vingt-cinq, le châtain aux billes émeraudes dominait largement son adversaire aux yeux noisette et son petit mètre soixante-neuf. Bien qu’en difficulté, Yuna ne pouvait que constater la progression évidente d’Ariès au combat. Lui, qui ne savait qu’à peine utiliser son corps lors de son arrivée, était totalement métamorphosé.
Ne souhaitant pas troubler leur extrême concentration, elle décida de ne pas les déranger. Quand elle arriva dans sa chambre, Yuna prit le soin de fermer la porte derrière elle. Elle se dirigea vers le miroir posé contre son mur avant de retirer sa main de sa gorge, laissant à nouveau le liquide carmin s'écouler librement jusqu’au sol.
— Ça pisse bien le sang cette merde, constata-t-elle en regardant son hémoglobine s'écraser contre la dalle.
La vision du rouge du sang contrastant avec le gris de la pierre hypnotisa la brune qui restait immobile à observer ce phénomène. Qu'existait-il de plus beau au monde qu'un sol tâché de la couleur de la vie ? Aux yeux de Yuna, rien.
Elle se reprit soudainement lorsqu'elle se rappela que le sang tachant le sol de sa chambre n'était aucunement celui de l'une de ses victimes, mais bel et bien le sien.
T'as vraiment un grain ma pauvre fille. Tu serais capable de te laisser te vider de ton sang pour observer cette chose normalement ignoble ?
Un rictus illumina son visage alors qu’elle se rapprochait du miroir pour avoir une meilleure visibilité sur la plaie. L'entaille était belle, nette, et uniforme, preuve que son camarade était réellement prêt à ôter la vie de l'intru qui se présentait.
— Il en a fait des progrès cet abruti, constata-t-elle avec une certaine fierté.
Quand elle l'avait accepté dans son groupe voilà maintenant cinq ans, la brune était au départ persuadée que cet ado capricieux ne ferait pas long feu. Parce qu'ôter la vie d'une autre personne semblait le répugner et le terroriser, Yuna était certaine que vivre toute sa vie comme un criminel ne lui conviendrait pas. Il s'était finalement avéré qu'il était capable de tuer au fil des missions. Certes, ses entailles étaient hasardeuses, imprécises, trahissant sa peur de retirer une vie de cette Terre, mais c'était avant tout la preuve irréfutable de son envie d'accomplir sa mission. La preuve évidente de son désir de changer ce monde de lumière.
Alors, voir qu'aujourd'hui Cygnus aurait été capable de tuer sans le moindre scrupule avait considérablement emplit le cœur de la brune d'une immense fierté.
Yuna se saisit d'un torchon et continua d'exercer une pression constante sur la plaie pour arrêter le saignement. Après plusieurs longues minutes, le sang s'arrêta enfin de s'écouler. Elle retira délicatement son point de pression en soupirant.
— "Va soigner cette saloperie". Il en a d'autres des conneries dans ce genre ? À part désinfecter, je ne peux rien faire d'autre.
La criminelle se saisit de la bouteille d'alcool traînant dans sa pharmacie pour s'en appliquer sur sa plaie encore fraîche. Le contact brûlant du méthanol mordit impitoyablement sa peau, lui arrachant une très faible grimace. Elle était la mieux placée pour savoir qu’il ne fallait pas désinfecter une blessure ouverte avec de l’alcool, cette molécule retardant le processus de cicatrisation, mais ressentir cette douleur était presque vitale, nécessaire.
Elle reboucha la bouteille puis se dirigea vers sa commode pour se changer et revêtir sa tenue de nuit : un pull large et un pantalon élastique.
Alors qu'elle se dévêtit, ses saphirs s'arrêtèrent sur la multitude de cicatrices envahissant l'épiderme de son abdomen et de sa poitrine. Lorsqu'elle aperçut cette profonde marque au-dessous de son sein gauche, son corps se crispa légèrement, un frisson parcourant son échine.
Chaque cicatrice détenait une histoire, mais celle-ci marquait la concrétisation de sa nouvelle vie. Elle marquait le jour qui lui avait définitivement permis d’accepter de prendre son destin en main et de changer le monde de demain.
Ce fameux jour où elle avait failli y laisser la vie.
Elle s'empressa de cacher son corps répugnant en enfilant son maillot puis son pull avant de se rendre dans la pièce commune. À peine sortie de sa chambre, elle fut accueillie par Ariès et Aquarius qui semblaient avoir terminé leur entraînement.
— Tu es bien en avance aujourd'hui, voilà qui ne te ressemble pas, la taquina gentiment le Verseau.
— J'ai des choses à vous dire. Il ne manque plus que Pégase pour que je puisse enfin tout vous déballer, répondit la brune avec une certaine mollesse dans la voix, trahissant sa fatigue.
La porte principale résonna au rythme du Pégase. Trois coups secs. Deux secondes entre le premier coup et le deuxième, une seconde entre le deuxième et le dernier, trois secondes avant que la porte ne s'ouvre.
— Quand on parle du loup, intervint Ariès.
Le grand homme blond représentant la constellation du Pégase s'avança dans la salle commune, accompagné du jeune brun qui jeta un rapide coup d'œil à la récente blessure dont il était l'auteur.
— J'ai comme l'impression qu'on m'attendait. Et que fais-tu déjà là ? demanda-t-il en posant son regard sur le corps de la seule femme présente en ces lieux.
— Je viens ici comme je l’entends, rétorqua sèchement la brune. En revanche, il est plutôt rare que toi tu sortes d'ici.
— Je vis comme je l'entends, répondit l'homme en reprenant les mots de sa camarade dans le but de l'énerver.
Cette dernière se contenta de tiquer avant de vérifier que toutes les constellations étaient bien présentes.
— Bon, je vois que tout le monde est là. J'ai plusieurs informations de la plus haute importance à vous annoncer, déclara-t-elle d'une voix sans appel.
Tous les regards se concentraient sur les lèvres de la femme qui allait sans nul doute leur dévoiler des indications complémentaires à celles évoquées la veille. Ils le savaient, ils étaient visiblement recherchés par les autorités. Mais ils ignoraient de quelle façon elles comptaient les repérer.
— Tout d'abord, il faut savoir que vous allez être forcés de supporter ma gueule bien plus souvent à partir de maintenant. J'arrête les cours à la fac, annonça brutalement la brune.
La surprise et la peur se lisaient parfaitement sur tous les visages. Pour quelle raison arrêtait-elle la fac ? Aurait-elle réellement loupé son contrôle de la veille ? Se serait-elle fait repérer ? Si jamais c'était le cas, ils étaient définitivement dans de beaux draps.
— Comment ça tu arrêtes la fac ? Tu t'es fait gauler c'est ça ? On va tous croupir en taule ? s'emporta Cygnus qui, comme les autres, attendait de plus amples explications.
La brune éclata dans un rire hystérique et incontrôlable à la vue des mines déconfites de ses camarades.
— Pas de panique à ce sujet, ils ne me grilleront jamais ! En revanche, ils ont le plus grand des soucis à se faire pour eux ! rassura Andromède, toujours hilare.
Les visages de tous les membres du gang se déraidissaient légèrement alors qu'ils attendaient de connaître la réelle raison pour laquelle Yuna arrêtait les cours.
— Tout d'abord, j'ai vu juste. Ce contrôle avait bel et bien pour but de faire un tri et sélectionner d'éventuels suspects. Et il s'avère que j'ai moi aussi été convoquée, annonça cette dernière.
— Tu es bien au courant que cette nouvelle ne nous rassure absolument pas ? ironisa le brun.
— Le flic a voulu me faire passer un test pour déterminer mon QI, sauf que j'ai quelque peu dépassé ses attentes. Il a engagé Yuna Hiruma afin qu'elle les aide à déterminer les futurs points d'attaque du groupe du Pégase.
Tous les criminels restèrent dans un premier temps bouche bée, ne s'attendant nullement à ce genre de nouvelle. Puis, un rire traduisant à la fois de l'excitation et de l'inquiétude s'échappa de la bouche du leader.
— Non mais je rêve. Ils sont vraiment trop nazes ! T'es bien sûre que c'est pas un piège au moins ? s'esclaffa ce dernier, devenu hilare à son tour.
— Aucune chance que ce soit un piège. Ils n'ont rien sur nous, tempéra la femme. En revanche…
Le visage d'Andromède devint plus sombre mais surtout inquiet, interpellant ses camarades qui ne l'avaient vu ainsi que dans de très rares cas.
— J'ignore encore qui et comment, mais quelqu'un nous suit sur chacune de nos scènes et désire nous faire tomber.
— Comment ça ?! s'affola Ariès.
— Toutes nos scènes de crimes sont marquées de la constellation du Pégase. Voilà la raison pour laquelle nous sommes activement recherchés.
En apprenant cette nouvelle, le brun serra les poings et baissa honteusement la tête. Tout était sa faute. S'il n'avait pas manqué de vigilance en beuglant "Pégase" en pleine ville un beau soir, ils n'en seraient sans doute pas là.
— Tu n'y es pour rien, s'empressa de dire la brune en remarquant l’expression de culpabilité de son camarade.
Ce dernier releva la tête en sa direction, ne comprenant pas sa soudaine compassion. Tout laissait pourtant croire que c'était à cause de lui. Sans cette affreuse bourde, personne ne connaîtrait le nom de code du blond.
— Pourtant… essaya de dire Cygnus avant d'être interrompu par la brune dont le regard s'était subitement assombri et dont le sourire meurtrier était apparu.
— Cet enfoiré nous suivait déjà bien avant ça et aurait fini par découvrir son nom tôt ou tard.
— Qu'est-ce qui te fait dire ça ? rétorqua Pégase qui devint plus irritable à cause de la panique.
— Pour pouvoir nous retrouver sur chacune de nos scènes de crime, il devait forcément nous étudier depuis un long moment, expliqua la brune.
Pégase ravala difficilement sa salive, comprenant l'ampleur du danger de ce constat alors que la ténébreuse n’avait jamais paru aussi déterminée.
— Qui que puisse être cet enfoiré, je l’éliminerai de mes mains.