Galatée était de nouveau dans cette satanée chambre. Epuisée, son corps quémandait, la suppliait de s’allonger dans ce grand lit et de sombrer dans un sommeil profond. Cependant, au-delà de n’avoir aucune confiance en ce Royaume, désormais, une partie d’elle le craignait. Pour cela, elle se trouvait dans ce fauteuil, serrant son bout de bois arraché de sa main froide.
C’était la première fois qu’elle était confrontée à de la magie. Et désormais qu’elle savait à quelle point cette dernière pouvait altérer le corps, le rendre indestructible, son cerveau lui hurlait de rester en permanence sur ses gardes et de ne pas fermer l'œil. Quand bien même aurait-elle tenté que les événements de ces derniers jours auraient tourné en boucle dans sa tête.
Sa main trembla légèrement.
Galatée avait avalé tous les poisons, n’avait pu résister à la poigne de ce géant, et si sa santé n’en avait pas impactée, son cerveau n’oubliait pas cet instinct de survie qui avait surgi face à ce pratiquant de magie. Lorsque ce dernier avait fini de faire ses expériences, il l’avait simplement tirée par le bras et jetée dehors. Le garde l’attendait, de marbre, et lui avait fait signe de le suivre pour qu’elle rejoigne sa chambre.
La Princesse ne parla pas du trajet.
Cela dit, elle n’avait pas ouvert sa bouche depuis qu’elle avait avalé les poisons. L’étrange sentiment que si elle usait de sa voix, le géant se trouverait subitement derrière sa porte, persistait.
Par son Royaume, il fallait vraiment qu’elle trouve un moyen de s’enfuir.
Mais elle était toujours coincée ici, les fenêtres étaient incassables, de même avec cette fichue porte, et pour cette nuit, elle allait devoir se résigner à patienter dans ce fauteuil.
Sentant sa prise sur son arme de fortune diminuer, elle décida de se lever pour faire fonctionner ses jambes et rester éveillée. Son esprit, lorsque ses yeux rencontrèrent son reflet dans la glace, divagua alors sur le Roi, son père. Essayait-il seulement de la retrouver ? Pensait-il qu’il y avait plus important que récupérer la Princesse ? Le Royaume était-il à feu et à sang ?
Avait-il découvert le cadavre de sa mère sur le sol ?
Une nouvelle fois, Galatée repoussa l’image de sa mère, dépourvue de vie, se vidant de son sang devant elle, et tira d’un geste sec les rideaux de sa chambre. Presque totalement plongée dans l’obscurité, elle s’assit en tailleurs devant la glace et songea qu’elle avait l’air réellement désorientée.
Certes, elle avait toujours cette lueur furieuse dans les yeux, sa bouche se tirait toujours vers le bas dans une moue mécontente, agacée. Mais sa main tressautait par moment, elle clignait trop souvent des yeux, et sa lèvre supérieure avait la furieuse tendance à s’agiter.
Résignée, se souvenant des paroles de son maître, qui lui avait littéralement tout appris dans le combat et la survie, elle se dirigea vers la salle de bain. Il lui fallut un moment pour poser son bout de bois sur le meuble, mais elle ouvrit le robinet et s’aspergea le visage d’eau froide.
Ce fut comme un électrochoc.
Peu importait qu’elle soit enfermée dans un Royaume qui n’était pas le sien, peu importait qu’elle côtoie la magie, peu importait qu’elle se soit faite brutalisée de nombreuses fois durant ces quelques jours.
Galatée releva sa tête et rencontra ses iris qui brillaient désormais d’une détermination sans faille avec une haine féroce.
Ne craignant plus la venue du géant, elle siffla d’une voix glaciale :
- Je vais les réduire en cendres.
Le soleil pointa finalement le bout de son nez et Galatée n’avait pas fermé les yeux de la nuit. Toujours assise dans ce fauteuil, son bout de bois entre les doigts, fatiguée, elle avait pourtant les idées très claires. Une piste commençait à se former dans son esprit et s’il lui manquait des éléments, elle avait des idées pour les trouver.
Visiblement, elle n’était pas prisonnière de cette chambre, comme l’avait montré le Prince et le garde. Seul le meurtre de cette servante l’avait consignée dans ces appartements, ce n’était qu’une question de temps avant que quelqu’un vienne ici pour vérifier si tout allait bien. Elle ne pensait pas retourner de suite avec le géant, il devait sans doute être en train d’analyser les données qu’il avait récupérées la veille. A cette pensée, sa mâchoire se crispa : quoiqu’il fasse avec sa capacité à ne pas être empoisonné, Galatée craignait qu’il ne cherche à confectionner une arme, une défense, qui pourrait se retourner contre son Royaume.
Et ce Prince… Avec ses beaux airs, son sourire éclatant, il se faisait passer pour un sain mais n’avait pas hésité une seule fois avant de la remettre aux mains d’un tortionnaire. Au moins, cela n’avait fait que de lui montrer directement à quel point ce peuple était démoniaque.
Heureusement, elle n’avait pas de séquelles physiques depuis la séance avec ce géant : seuls quelques bleus venaient parsemer ses bras et si son cuir chevelu la faisait encore souffrir, la douleur était supportable. C’était bénéfique, elle n’aurait pu s’empêcher de sombrer dans le sommeil le cas contraire.
Galatée entendit alors la porte qui menait au salon depuis le couloir s’ouvrir. Sans attendre, comme si elle avait patienter pour ça toute la nuit, elle se leva et se posta devant la porte de sa chambre, son arme de fortune dans le dos. Au risque de la perdre, elle préférait se tenir prête si jamais. Pour l’instant, elle allait tenter de la cacher.
La deuxième porte s’ouvrit pour dévoiler le garde de la veille, étonnement sans armure, juste avec une épée accrochée à sa ceinture, comme pour lui montrer qu’il n’avait pas peur d’elle. Ses yeux noisettes étaient placides mais se portèrent cependant sur elle, puis sur sa main cachée dans son dos :
- Que tenez-vous dans votre dos ?
Il passa une main dans ses cheveux aux reflets blonds et ses bottes noires crissèrent sur le sol quand il s’avança vers elle. Galatée releva son menton, recula de quelques pas jusqu’à ce que l’arrière de ses genoux touche le lit et se laissa tomber dessus, pour y être assise. Lentement elle haussa un sourcil et laissa l’arme tomber sur les draps :
- De quoi parlez-vous ?
En bonne fois, elle leva ses mains devant elle. Le garde soupira, secoua sa tête comme s’il devait s’occuper d’une enfant ennuyante, et exigea en se rapprochant :
- Levez-vous.
- Je vous demande pardon ?
- Votre ton est bien trop doucereux, je connais cette technique.
Galatée fit la moue.
Le garde, sans plus attendre, mais elle avait anticipé ce mouvement, la poussa sur le côté. Galatée, vive, récupéra l’arme à ce moment et fit mine d’être déstabilisée pour vaciller en arrière et avoir le temps de la mettre sous le coussin du fauteuil. Le garde eut beau défaire le lit, sans la quitter du regard, il ne trouva rien.
La Princesse posa une main sur sa hanche et susurra :
- Un problème ? Faites attention, la paranoïa peut vite arriver.
- La bêtise également. Je fouillerai la chambre moi-même un peu plus tard.
Galatée s’y attendait, c’était un risque à prendre, et elle se contenta de hausser ses épaules, comme si cela l’importait peu. Qu’il lui prenne son bout de bois, elle en arracherait un nouveau après. Au moins avait-elle pu le faire tourner en rond un instant.
La Princesse pencha sa tête sur le côté, les sourcils froncés, quittant son ton doucereux :
- Que faites-vous ici, garde ? Tenez-vous à prendre votre revanche ?
- Le Prince m’a demandé de venir vous demander si vous aviez un désir particulier pour cette matinée.
Un rire agacé franchit la barrière de ses lèvres.
Le culot caché derrière cette phrase lui donnait presque la nausée. Cependant, elle n’avait pas d’autres choix que de rentrer dans ce petit jeu car rester cloîtrée dans cette chambre n’allait rien lui apporter.
Si elle n’en montra rien, elle avait pourtant repéré quelque chose dans sa phrase : le Prince lui avait demandé. La veille, elle avait pu remarquer qu’il usait d’un ton amical avec ce garde, comme il l’avait fait avec les jumelles. Mais nullement comme avec le garde qui avait été à ses trousses lors de sa première escapade.
Ce Prince venait donc de lui montrer deux de ses points faibles.
Le garde ne remarqua rien, après tout n’était-il qu’un garde, et elle croisa ses mains dans son dos en relevant le menton :
- Je désire lire.
- Lire, répéta le garde. Vous ? Lire ?
Galatée claqua sa langue contre son palais :
- Que sous-entendez-vous avec ce ton douteux, garde?
Cette fois ci, sa mâchoire se crispa, comme lors de leur combat, mais il sembla se retenir de faire une remarque. La nuit l’avait sans doute fait réfléchir et retrouver son sang froid. Malheureusement pour lui, elle, avait toujours la même hargne que lors de son arrivée.
Cela ne l’empêcha cependant pas de prendre son bras, de manière toujours aussi impolie pour la traîner hors de sa chambre. Galatée parvint à se dégager de sa poigne avec difficulté : si elle l’avait battue la veille, cela n’empêchait qu’en force brute, il lui était supérieur.
A ce moment précis, au pas de la porte de la chambre, il se retourna et lui lança un regard froid :
- J’aurais simplement pensé que vous étiez plus du genre à vous battre, à cracher sur tout le monde, et à vous pomponner plutôt que de vous cultiver.
Galatée fronça ses sourcils et sentit une colère sourde parcourir ses veines : elle s’en nourrissait, elle en avait besoin pour ne pas perdre pied dans ce royaume. Donc, elle ne l’empêcha pas de s’exprimer :
- Cracher sur tout le monde ? Me pomponner ? Je n’ai que faire des opinions que vous avez sur moi, mais à l’avenir, je vous conseillerai tout de même de les garder pour vous.
- Et vous ? Si vous aviez gardé vos opinions pour vous, cette servante aurait-elle eu la gorge tranchée ?
La Princesse poussa un léger rire et leva ses mains au ciel.
L’importance qu’il portait à ces simples domestiques l’estomaquait :
- Vous êtes si sensible. En quoi cette simple mort peut être si importante à vos yeux ?
- Ne réagiriez vous pas de même si cela vous arrivait ?
Galatée avait littéralement vu sa propre mère mourir devant ses yeux et elle n’avait pas versé une seule larme ou même un seul mot à son honneur. Elle ne saurait dire si c’était parce qu’elle se trouvait en territoire ennemi ou juste parce que… Elle était sans cœur à sa façon.
La Princesse répondit froidement :
- Je ne m’attarde pas sur une mort tant qu’il ne s’agit qu’une.
Elle vit une lueur surprise, puis colérique, passer dans le regard du garde, mais elle ne lui laissa le temps de répondre qu’elle passa devant lui et déclara :
- Je suppose que vous m'amenez à une bibliothèque. Accélérez donc le pas.
Étrangement, c’est ce qu’il fit. Dans un silence lourd, mais que Galatée n’avait aucune envie de briser, ils se rendirent à cette fameuse bibliothèque. Pendant le trajet, elle observa bien entendu attentivement chaque porte, recoin, possibles couloirs, et décela une entrée de domestique deux couloirs plus loin de sa chambre. Malheureusement, dans cet univers de magie, savoir où se trouvaient certaines entrées ou sorties n’était pas utile.
Arrivés devant deux portes lourdes, elle remarqua que le garde usa seulement de sa main pour les ouvrir. Et si Galatée n’aurait pas dû être déconcertée par sa mission, elle ne put s’empêcher de se retrouver légèrement émerveillée devant cette pièce.
Les bibliothèques atteignaient les plafonds, des milliers de livres se bousculaient sur les étagères, des échelles en bois parsemaient les meubles. Un immense lustre pendait au centre de la salle où se situaient des grands canapés, fauteuils et tables basses. L’immensité de cette pièce était telle qu’elle ne parvenait d’où elle se trouvait à y voir la fin.
Cependant, elle s’empressa de mettre ses mains dans son dos, de foudroyer le garde de son regard le plus glacial et de siffler entre ses lèvres :
- Vous allez me suivre comme un chien pendant ma séance de lecture où vous êtes disposé à légèrement vous éloigner ?
- Faites ce que vous voulez dans cette bibliothèque. Il n’y a aucun moyen de vous y échapper.
- Bien, claqua-t-elle sèchement.
Sans un autre regard, elle décida tout d’abord de s’enfoncer légèrement dans les étagères, histoire de ne pas sentir le regard du garde perpétuellement sur elle. Elle allait tenter de trouver des plans de ce château, pour parvenir à trouver un défaut dans cette forteresse de poison. Des renseignements sur cette dernière pourraient aborder une porte où la magie n'agissait pas. Pour le moment, c’était la seule piste qu’elle avait.
Du bout de ses doigts, elle effleura la tranche d’un des livres et tenta rapidement de trouver un papier qui désignerait la catégorie dans laquelle elle se trouvait. Malheureusement, absolument rien ne figurait. La seule chose qu’elle remarqua, c’était que les livres étaient classés par les noms de leurs auteurs, du moins ceux qui en avaient. La bibliothèque était grande, immense, cela lui prendrait bien des journées entières enfermée ici pour tenter de dénicher quelque chose d’intéressant.
Galatée changea d’allée, en prenant un livre de temps à autre : roman d’amour, livre d’aventure, ou encore manuel pour débutant sur la magie qu’elle repoussa avec une moue de dégoût, elle ne trouva rien qui pourrait l’aider à sortir d’ici. De plus, elle ne pouvait définitivement pas demander au garde de l’aider dans ses recherches, ce dernier la traînerait jusqu’à “ses” appartements en sifflant à quel point elle était idiote pour penser qu’il lui donnerait un coup de main.
Et il n’aurait pas eu tort.
Ce fut à ce moment-là qu'elle remarqua, derrière elle, une silhouette féminine se glisser dans le rayon adjacent au sien. La pauvre personne était loin d’être discrète puisqu’elle renversa quelques livres sur son passage avant qu’un grognement ne surgisse. Galatée fit mine de ne rien avoir entendu, n’y vu, et tourna le dos à cette étrangère en faisant mine de s’intéresser aux livres. Cependant, son attention était désormais tournée vers tout autre chose.
La Princesse feignit de chercher un ouvrage en glissant sur le côté droit de la rangée : les bruits de pas suivirent. Elle haussa ses sourcils : décidément, personne ne semblait réellement compétent ici. Elle se rapprocha donc de la fin de sa rangée, le dos toujours tourné, et, habilement, se dépêcha de se glisser dans l’autre pour découvrir qui était cette personne qui la suivait avec si peu de discrétion.
Une jeune fille, de son âge dirait-elle, avec une belle robe mauve était plaquée contre les livres, les yeux plissés, semblant la chercher entre les ouvrages. Galatée racla alors sa gorge.
Si la Princesse n’était pas quelqu’un de porté sur l’apparence, elle dût néanmoins reconnaître que le visage qui se présentait à elle était absolument magnifique. La mauvaise espionne avait des grands yeux de biches, d’un noir saissisant avec des cils vertiginants. Sa bouche en cœur, délicatement rosée, s’entrouvrit sous le choque de la voir en face d’elle. Ses cheveux bruns brillants dégagèrent ses traits délicats lorsqu’elle se tourna vers elle.
Cette jeune fille, démone, était l’une des plus belles personnes que Galatée avait vue dans sa vie.
Elle sembla chercher ses mots, complètement décontenancée devant elle, et la Princesse devina qu’elle savait qui se trouvait devant elle. Ce qui la perturba d’autant plus qu’elle avait pensé que le Prince garderait sa présence sur ses terres un minimum cachée pour l’instant.
Finalement, elle dévoila un sourire embarrassé mais rempli de dents blanches avant de déclarer :
- Je ne suis pas discrète, n’est-ce pas ?
Sa voix mélodieuse agaça Galatée qui plissa ses yeux. Elle hésita à se retourner, à l’ignorer, mais songea que cette fille avait l’air si naïve qu’elle ne serait pas difficile à amadouer. La Princesse posa une main sur sa hanche et repoussa une boucle qui tombait devant ses yeux :
- Non.
Malheureusement pour elles deux, elle ne parvenait pas à dissimuler la légère animosité qui perçait dans sa voix. Mais la jeune fille ne sembla pas s’en offusquer et éclata d’un rire beaucoup trop délicat. Elle tourna entre ses doigts un collier en ficelle, qui contrastait avec sa robe luxueuse :
- Je n’avais pas le courage nécessaire pour venir vous aborder.
- Et pourquoi vouliez-vous m’aborder ?
Elle battit doucement des cils.
Hrmf.
Trop parfaite, trop délicate, trop gentille, trop mélodieuse : Galatée ne pensait pas qu’elle jouait un rôle et semblait réellement naïve, comme si sa vie n’avait été seulement composée de roses et de parfums. La Princesse haïssait les personnes de son acabit et jugea que si elle ne trouvait pas une utilité dans l’heure qui venait, elle lui ferait comprendre à quel point les jeunes filles délicates l'insupportaient.
Cette dernière finit par lui répondre :
- Je suis curieuse.
- Et pourquoi n’aviez-vous pas le courage de le faire ?
Cette fois ci, elle n’hésita pas et répondit avec une sincérité dégoûtante :
- Je suis au courant de votre situation. J’imagine que personne n’aurait envie d’avoir une discussion avec un peuple qui l’a enlevée de son Royaume. Je ne tenais pas à me montrer… comme si rien n’avait été fait.
Galatée songea qu’il s’agissait des premières paroles sensées qu’elle avait attendu depuis son enlèvement. Puis, que si elle était au courant de sa situation et position, qu’elle devait être importante au sein de ce château. La Princesse haussa donc seulement ses épaules, se retourna vers une étagère et jugea intéressant de se montrer un minimum sociable. Cependant, il était certain qu’elle n’avait pas besoin de feindre une quelconque sympathie : personne n’en montrerait devant ses enleveurs, sauf pour les manipuler.
Surveillant du coin de l’oeil la silhouette fine et élancée de la jeune fille, elle déclara :
- Voilà de sages paroles. Mais j’aimerais autant que vous évitiez d’être curieuse à mon sujet.
- Excusez-moi, s’exclama-t-elle en portant ses mains à son cœur. Je sais que vous avez sans doute besoin d’être seule, mais je n’avais jamais vu de Princesse et encore moins du Royaume d’Olia.
Le Prince n’avait donc aucune fiancée, et aucune sœur.
Cette fille lui donnait des informations en or sur un plateau en argent.
Galatée saisit un livre entre ses mains, repoussa ses boucles emmêlées et sales dans son dos, tout comme sa robe. Cela ne la dérangeait pas : elle n’avait que faire de son apparence dans une situation pareille et si cela pouvait attiser la pitié de cette pauvre fille apeurée, elle n’allait pas cracher dessus.
La Princesse désigna le livre qu’elle avait dans la main, sur l’histoire de leur Royaume, et demanda, d’une voix froide mais pacifique :
- Étiez-vous simplement ici pour m’espionner ou êtes-vous spécialiste de cette bibliothèque ?
- Moi, ria-t-elle doucement. Sûrement pas. Je ne me nomme pas Lucus.
Galatée ne montra rien mais elle était satisfaite : elle avait une nouvelle piste, ce Lucus, qui n’aurait aucun mal à lui dénicher des plans de ce château. Malheureusement, elle n’eut pas le temps de plus creuser qu’elle entendait déjà les pas précipités du garde dans son dos, comme si il avait entendu leur conversation.
La Princesse soupira, se retourna, les bras croisés, préférant, au choix, tourner le dos à la jeune fille. Le garde semblait sérieusement agacé mais ne semblait pas avoir encore remarqué la belle fille dans son dos :
- A qui parlez-vous, siffla-t-il. J’ai autorisé à ce que vous vous promeniez, pas à ce que vous…
Il s’interrompit légèrement en constatant avec qui elle entretenait une conversation et une lueur brilla brièvement dans son regard noisette. Il haussa ses sourcils, visiblement surpris, et s’inclina en avant :
- Mademoiselle. Je suis navrée si notre invitée a pu vous importuner.
Galatée s’apprêta à répliquer d’une voix sifflante quand elle remarqua la légère rougeur qui parcourait les pommettes de cette mademoiselle. Elle battit de ses longs cils, son regard de biche devint un poil séducteur et elle répondit, d’une voix timide, encore plus gracile :
- Nullement. Et vous savez que vous pouvez m’appeler Elena, Rollus.
- Je ne me permettrai pas, répondit-il précipitamment. Vous (en la désignant), votre sortie du matin est finie.
- Parlez-moi encore une fois de cette façon et je vous ferai ravaler vos mots.
- Et approchez-vous encore une fois de cette mademoiselle et je vous ferai croupir en prison.
Il avait cette même fureur dans le regard que lorsqu’il abordait le meutre qu’elle avait commis la veille. Se tenir proche de cette Elena semblait sérieusement l’agacer, et Galatée décida, aussi facilement que cela, qu’elle allait découvrir pourquoi et se rapprocher de cette jeune fille. En quelques minutes, cette dernière venait de lui montrer son importance : lui faire croire qu’elle s'adoucira en sa présence n’aurait rien de compliqué.
La Princesse releva son menton et siffla :
- Souhaitez-vous réitérer notre duel de la veille ? Une manière loyale de fermer votre bouche remplie d’impolitesses.
Elena poussa un hoquet de surprise et s’avança au côté de Galatée : elle n’avait nullement peur d’elle et ne devait pas être au courant de ses exploits meurtriers. Débordante de gentillesse, et visiblement de bonne volontée, elle proposa d’une petite voix qui suggérait qu’elle ne prenait jamais de décisions importantes :
- Pourquoi ne pas tenter de trouver une entente ? Vous n’avez nullement besoin de vous montrer si agressif l’un envers l’autre. Rollus, partager la compagnie de la Princesse ne me dérange nullement. Princesse, si Rollus use d’un ton légèrement agacé, cela part d’une bonne intention de vouloir bien faire.
Galatée ne put s’empêcher de lui lancer son regard le plus froid. Comment voulait-elle qu’elle trouve une entente, entourée de personnes qu’elle haïssait plus que tout et depuis son plus jeune âge. Ces démons, même Elena, visiblement l’incarnation de la douceur, ne méritaient autre chose que la potence.
Le garde haussa un sourcil :
- Vous n’avez pas besoin de jouer à ça, Mademoiselle. Le Prince semble vouloir avoir une conversation avec cette invitée pour discuter.
Il claqua sa langue dans sa direction :
- Vous avez un dîner avec lui dans une heure.
Galatée sentit une fureur immense venir prendre son cœur dans ses mains. Elle préférerait encore sauter d’une fenêtre plutôt que de partager un repas avec ce prince. Elle dût se mordre la langue pour ne pas paraître trop désagréable devant Elena qui devait croire en son bon fond.
Mais, ce garde eut la brillante idée, en se retournant, d’ajouter :
- Profitez-en pour vous laver. Vous empestez tellement que le Prince aura du mal à se retenir de respirer par la bouche.
Galatée lui envoya son livre sur le crâne sous le cri d’Elena.