La Princesse tira son bras en arrière et fit glisser la main du garde sur sa manche. Elle ne prit pas la peine de se baisser pour récupérer son arme : désormais que ce Prince était ici, le garde allait veiller et l’arrêter au moindre geste suspect. Elle se contenta donc de le foudroyer de son regard le plus glacial, les sourcils froncés et la bouche si pincée qu’elle ne devait former qu’une seule ligne.
Le Prince haussa ses sourcils, nullement impressionné, et s’adossa au cadre de la porte, bras croisés et nonchalant :
- Elle te terrorise déjà Rollus ?
- Nullement. M’insupporter, d’avantage.
Galatée remarqua que le Prince connaissait le prénom de ce Rollus. Elle devina aisément qu’ils étaient proches et qu’il devait faire partie de sa garde personnelle, à moins qu’ils soient tout simplement des amis. Galatée n’en était cependant pas certaine : jamais elle n’avait eu d’amis, chose jugée idiote par son père, le Roi.
Désormais que le calme du duel était passé, son ressentiment grandissait à nouveau dans sa poitrine et elle dû faire appel à tout son sang froid pour ne pas se baisser et ramasser cette fichue épée. Pour se consoler, elle s’imagina l’enfoncer dans sa poitrine, en tirer une grande satisfaction avant de rejoindre son Royaume.
La Princesse secoua sa chevelure dorée dans son dos et siffla entre des dents serrées :
- Quelle surprise de votre part que de me laisser m’entraîner avec ce garde.
- J’ai confiance en Rollus, répondit-il simplement.
- Vous ne devriez pas. Il vient tout juste de perdre ce duel.
Elle sentit le regard agacé, blessé dans sa fierté, du garde glisser sur elle. Sans doute venait-il de se rendre compte d’une chose : certes, elle maîtrisait l’art se battre, mais avant tout, elle savait gagner. Le Prince eut un début de sourire amusé, et il adressa un regard tout autant rieur à son garde, qui pour sa part, soupira.
Il se redressa et quitta le cadre de la porte pour avancer vers eux.
Toujours vêtu de sa blouse et de son pantalon noir, il respirait la simplité et la manière qu’il avait de se mouvoir était trop peu naturelle pour ne pas être voulue : il voulait lui montrer qu’il n’avait pas peur d’elle, qu’il était à l’aise en sa présence, et qu’il avait le pouvoir.
Il passa une main dans ses cheveux noirs en bataille et son regard bleu étincela en regardant sa robe :
- Et vous n’êtes pas en tenue d’entraînement. Je dois vous féliciter.
- Je n’accepterai des félicitations d’un partisan de ce Royaume seulement lorsque je graverai votre nom sur une tombe.
Il secoua sa tête :
- Tellement de hargne… Vous ne devriez pas, cela donne des rides.
Un sourire agacé apparut sur son visage.
Galatée avait toujours été d’une beauté sublime, étant le portrait craché de sa mère, mais haïssait apparaître comme une Princesse prétentieuse pour qui l’apparence était ce qu’il y avait de plus important. Sa splendeur était naturelle, elle ne fournissait jamais d’effort dedans, et même habillée et coiffée comme une paysanne, on lui aurait donné le terme de déesse.
Elle posa une main sur sa hanche et pencha légèrement sa tête sur le côté :
- Je préfère avoir des rides que de vous donner ma sympathie.
Cessant enfin ce petit jeu, elle s’approcha également de lui à son tour, sans pouvoir réellement l’atteindre car le garde passa un bras entre son Prince et elle. Galatée siffla entre ses dents mais décida de s’arrêter ici :
- Que me voulez-vous ? Pourquoi je ne suis pas attachée dans une cage ou encore torturée sur la place publique ? Je veux bien croire que vous m’avez capturée pour m’utiliser, mais présentement, vous me laissez me battre au côté d’un de vos gardes personnels. Si je ne vous méprisais pas autant, je n’aurais pas le sentiment d’être enfermée dans votre château.
Le Prince perdit enfin son sourire rieur pour devenir sérieux, exactement comme quand elle avait avoué avec une certaine satisfaction qu’elle avait bel et bien tranché la gorge de cette servante.
Il fit un signe à son garde, pour lui dire de baisser son bras, chose qu’il fit dans un petit sifflement, et il la contempla un instant avant de répondre calmement :
- Ce pour quoi vous êtes ici commencera demain.
Galatée fit un pas en avant :
- Pourquoi demain ? Pourquoi perdre son temps ainsi ? Un conseil de personne de sang royal à une autre, il ne faut jamais attendre, il ne faut pas hésiter. Je n’ai pas atermoyé une seule seconde à trancher le cou de cette servante, pourquoi patienter autant avec moi ?
En réalité, elle était en train de tester les limites du Prince. Voir s’il était oui, ou non, influençable. Voir jusqu’où il était capable d’aller. Et plus vite les choses débuteraient, plus vite elle allait pouvoir trouver des solutions et comprendre dans quel univers elle venait d'atterrir.
Il glissa un léger regard en direction de la porte, pinça ses lèvres, et sans plus attendre, comme elle venait de lui conseiller, il tourna le dos et lui fit signe de le suivre, en même temps que son garde. Galatée camoufla son sourire satisfait par son éternelle expression énervée.
Ses talons claquant lorsqu’elle monta les marches, elle ne put s’empêcher de chuchoter au garde :
- Vous avez des progrès à faire.
Il ne répondit rien mais elle remarqua sa mâchoire se crisper.
Le trajet se fit en silence : cela convint à Galatée qui en profita pour observer les couloirs, les portes, toujours sans serrure. Elle fut cependant surprise et agacée lorsqu’elle s’approcha d’une grande fenêtre pour constater qu’elle se contentait de lui renvoyer son reflet. Elle comprit rapidement qu’il s’agissait également de l'œuvre de la magie et un frisson remonta le long de son dos. La Princesse était vraiment plongée dans ce poison et elle se rebutait d’avoir échoué à s’enfuir.
Finalement, ils arrivèrent devant une porte, identique aux autres, et le Prince se retourna vers eux pour leur adresser les premières paroles depuis qu’ils avaient quitté la salle d’entraînement :
- Ma chère…
Elle siffla à ce surnom :
- Je vous prie d’entrer.
Les poings serrés, le menton relevé, elle s’avança vers la porte, qui s’ouvrit alors toute seule, comme si elle savait qui elle était et quelle utilité elle allait avoir. Cela correspond, bien entendu et à nouveau, à de la magie… Ne savaient-ils donc rien faire sans elle ?
Pourtant, elle avait plus soif d’informations que de réprimandes, ce fut donc pourquoi elle s’avança sans faire d’effort. Galatée eut cependant le temps d’entendre derrière elle la voix du Prince :
- Surveille la porte Rollus.
- Mais…
Le reste devint alors inaudible pour elle, comme si elle venait de rentrer dans une autre dimension, et elle croisa alors le regard d’un géant.
Regard sévère, complètement chauve, grand et musclé, elle songea qu’il avait bien plus la carrure d’un garde que celui avec lequel elle venait de se battre en duel. Aucune émotion ne vint peindre son visage et il ne prit pas la peine de la saluer. Galatée n’y prêta pas attention, et balaya rapidement de ses yeux la pièce.
Il s’y trouvait une table, avec une chaise, où se trouvait différents contenants, tous d’une couleur plus suspecte l’un que l’autre. Il n’en fallut pas plus pour qu’elle saisisse ce que le Prince comptait faire avec elle alors que ce dernier rentrait à son tour dans la pièce.
Son don semblait en être un élément principal.
Expérience, certitude qu’il s’agisse d’une forme de magie, curiosité, cela elle ne le savait pas encore. Une chose était cependant certaine : il était hors de question qu’elle se plie gentiment à ce genre de tests. Si le Prince était déjà au courant de sa faculté, elle ne voulait pas lui donner plus d’informations.
Vive comme l’éclair, elle se tourna vers lui :
- Alors c’est cela ? Vous voulez expérimenter mon don ?
- Votre capacité innée à pratiquer la magie, je devrais dire.
- Etes vous sourd, je vous ai dit que…
- Quelle langue pendue, déclara alors une voix forte, froide, inhumaine.
Malgré elle, Galatée jeta un coup d'œil dans son dos pour constater que le géant venait de parler et s’était désormais avancé, sans aucun bruit, devant la table. Sans pouvoir expliquer pourquoi, la Princesse fut prise d’une forte envie de fuir de cette pièce ou de se battre à mort avec lui.
Cependant, rien ne sortit de sa bouche lorsqu'il déclara :
- Mon Prince, vous pouvez sortir. Je vais m’occuper d’elle.
- Bien, répondit ce dernier. Ma chère, cela ne sera pas pénible.
Et il disparut.
Elle se retourna vivement vers le géant, et repoussa en elle cette furieuse envie de lui sauter à la gorge avant qu’il ne le fasse en premier :
- Je ne toucherai à aucun de ces verres, déclara-t-elle d’une voix forte qui lui plut.
- Je ne vous demandais pas votre avis.
Galatée regretta alors d’avoir abandonné si rapidement cette épée sur le sol et, au moins, cherché à dérober cette dague accrochée au mur. Qu’avait-elle dans la tête à ce moment présent ?
La réponse était simple. Elle pensait simplement qu’elle allait être plus maligne que tout le monde et que rien ni personne ne pourrait l’intimider. Seulement, ici, elle n’était plus une Princesse, elle était une ennemie, et si son esprit était aiguisé, il n’était rien sans une arme à sa hauteur.
Il s’approcha d’elle.
Elle se redressa de toute sa hauteur, refusant de se plier à ses ordres, et cracha presque :
- Et je ne toucherai à aucun de ces verres.
Galatée n’eut pas le temps de réagir que le géant lui prenait le bras, avec une rapidité et une force qui n’était pas humaine, sûrement altérée par de la magie. Il l’envoya valser sur la chaise, si fortement et violemment qu’elle se tapa la tête contre le mur derrière elle et que des étoiles dansèrent devant ses yeux.
La Princesse eut bien la présence d’esprit de se redresser mais une main saisissait déjà sa crinière dorée pour lui rejeter la tête en arrière. Galatée sentit parfaitement des cheveux s’arracher de son crâne mais elle était trop occupée à se débattre dans tous les sens pour y prêter vraiment attention.
Le géant parla d’une voix froide qui n’était pas en accord avec le feu qui régnait en elle :
- Dernière chance. Buvez ces poisons et je ne vous toucherai plus.
Galatée redoubla en efforts pour se soustraire à sa poigne et lui lança son regard le plus menaçant.
Il se contenta de hausser ses épaules.
Sans plus attendre, elle l’entendit très distinctement verser quelque chose dans un verre et elle vit tout aussi bien ce dernier rempli d’un liquide vert s’approcher de sa bouche. La Princesse pinça ses lèvres, serra ses dents de toutes ses forces, et griffa avec l’énergie du désespoir les bras de l’homme. Mais elle aurait eu beau faire de même avec une pierre, le résultat aurait été identique : statique, il ne montra rien et ne desserra pas sa poigne.
Elle battit des pieds, rejeta sa tête en avant, mais il ne fit que tirer plus fort sur ses boucles que Galatée sentit un liquide couler le long de sa tempe. Mais la douleur dans son crâne la maintenait lucide : assez pour se rendre compte qu’elle ne pouvait rien faire.
Comprenant qu’elle ne se soumettait cependant pas à ses envies, le géant soupira et passa un doigt entre ses lèvres. Si fort qu’elle manqua de pousser un cri tellement elle eut l’impression que sa bouche prenait feu.
Non…
Le géant délaissa rapidement ses lèvres, ne voulant sûrement pas lui casser une dent, et se contenta, tout simplement, de lui pincer le nez.
Galatée savait retenir sa respiration deux minutes et dix secondes, très exactement. Malheureusement, elle avait besoin d'oxygène pour survivre et elle ne pouvait pas réfréner son instinct de survie. Pendant ces longues deux minutes, elle ne lâcha pas le regard du géant du sien. Ce qui lui permit de remarquer qu’aucune émotion ne venait ternir son visage : il était tout simplement insensible face à la torture qu’il lui infligeait. Elle aurait pu penser qu’il s’agissait, comme pour le garde, d’une aversion contre elle, ce qu’elle représentait, ce qu’elle était. Mais non, il la considérait simplement comme une tâche à accomplir.
La Princesse ouvrit alors la bouche.
Et le liquide se déversa dans sa gorge, ne lui laissant aucun autre choix que de l’avaler. Si elle était résistante aux poisons, elle remarqua son doigt aigre, fort, et la brûlure qui surgit dans sa trachée lorsqu'il la traversa.
Le géant lâcha sa chevelure.
Immédiatement, Galatée bondit de sa chaise, saisit avec difficulté cette dernière pour la brandir au-dessus d’elle. Le géant eut une brève réaction qui se résuma à un haussement de sourcil avant de devenir complètement flou. La Princesse n’eut pas le temps de comprendre qu’il saisissait à nouveau ses cheveux pour la traîner vers la table :
- Vous allez finir par comprendre que se débattre ne sert à rien.
Sur ces mots, il récupéra la chaise et la força à s'asseoir, une nouvelle fois.
Et Galatée eut beau se débattre, lui griffer les bras, retenir sa respiration aussi longtemps qu’elle le pouvait, elle comprit une nouvelle chose aujourd’hui.
Cette magie était le seul poison auquel elle ne pouvait résister.