Chapitre 5

         Tout au long de la journée du samedi, Cérian continua d’aménager son chez lui, de déplacer ses meubles et de vider ses cartons. Dérangé par ses allers et retours, Pippin était monté plusieurs fois se réfugier à l’étage pour manifester son agacement. Il en était redescendu en feulant, la queue hérissée. Intrigué, le jeune homme était allé voir si quelque chose avait contrarié son chat, mais le premier étage était tout à fait normal. Ses fenêtres étaient ouvertes pour accueillir une petite brise agréable. Peut-être une feuille volante avait-elle effleuré son royal museau ? 

         Il s’accorda une pause à midi pour grignoter un sandwich maison de pain de mie, cornichons et charcuterie, avant de continuer son œuvre. Il avançait si bien qu’il aurait certainement terminé son total emménagement ce soir. Demain, il pourrait profiter à cent pour cent de son chez lui, sans avoir à passer quinze minutes à chercher un short au fin fond d’un de ses sacs.

         L’après-midi, torse et pieds nus, vêtu d’un bermuda, il s’attela à sa chambre. La chaleur était étouffante en ce début septembre, mais il pouvait compter sur son ventilateur.

         Avant de s’établir ici, il avait longuement hésité sur quelle chambre choisir. Celle de son enfance ou celle de sa mère ? Il avait finalement décidé de s’installer dans celle de Maeva, plus grande et plus claire, avec un super balcon où il pourrait se prélasser. Il avait toutefois évité de garder le lit, dont il s’était débarrassé à Bordeaux. Le sien occupait à présent la pièce, mais pas au même endroit. Il fallait qu’il se réapproprie les lieux sans laisser le fantôme maternel le hanter plus que nécessaire. Quant à son ancienne chambre, Cérian lui donna le rôle de bibliothèque-bureau.

         La fraicheur du soir s’installait lorsque le jeune homme envoya le dernier carton dans la poubelle jaune. Il ne lui restait plus que les combles et les quelques affaires de Maeva qu’il ne pouvait se résoudre à jeter.

         Hésitant, il se passa une main dans ses cheveux moites de transpiration, tout en levant les yeux sur l’escalier conduisant au grenier. Une partie de lui se demanda si ce n’était pas trop tôt, étant donné sa réaction de la veille. Une autre songeait qu’il serait on ne peut plus satisfait de lui s’il parvenait à tout ranger aujourd’hui, y compris cette pièce.

         Cérian s’accorda une pause détente-réflexion en retournant dans la cuisine où il se servit un grand verre d’eau fraîche. En une heure, il devrait avoir le temps de s’occuper du grenier, ensuite il pourrait dîner et passer le reste de la soirée soit à l’étang, soit sur sa terrasse. Une bonne récompense après ces deux jours d’aménagement.

         Résolu et motivé, le jeune homme remonta les escaliers quatre à quatre. Décidé à ne pas se laisser envahir par les émotions, il pénétra dans l’ancien territoire de Maeva.

         Et se pétrifia sur le seuil.

         Quelque chose avait changé.

         La veille, son carton était posé en vrac non loin de la porte. Il n’avait touché à rien, puis était reparti après s’être remis de ses larmes.

         Maintenant, le carton était ouvert. Et une enveloppe avec son nom marqué dessus était visible sur l’étagère du fond. Sur le sol, juste devant le meuble, il y avait quantité de petits cristaux et autres babioles magiques. Toutes provenaient du carton.

         Il s’accroupit auprès des pierres semi-précieuses, inquiet à l’idée qu’elles soient cassées. Pippin aurait pu faire de sacrés dégâts !

         Sa réflexion le stoppa dans son examen.

         La porte était fermée à l’instant, il avait même dû forcer un peu pour entrer. Jamais son chat n’aurait eu le temps de mettre le bazar. Sans compter que lorsque Pip s’amusait à répandre le contenu de sa corbeille à papier, il le faisait dans tout l’appartement. Là, les pierres et pendentifs avec des inscriptions bizarres formaient un cercle presque parfait.

         Perturbé, il se redressa, avant de fixer l’enveloppe. Entre mille, il aurait reconnu l’écriture de sa mère.

         Mal à l’aise, le jeune homme regarda tout autour de lui. Il se sentait observé. Quelque chose d’anormal se passait dans ce grenier. Son chat renifla le carton avec insistance, la queue en partie hérissée, sans être en parfait goupillon non plus.

         Est-ce qu’il y avait un fantôme ici ? Celui de sa mère ? Il ne croyait pas vraiment à ce genre de trucs… quoique… plus exactement, il ne savait pas s’il devait ou non avoir ce type de croyance. Maeva y croyait. Tentait-elle de lui envoyer un signe… ? Ou est-ce que quelqu’un cherchait à lui faire une farce ? Les habitants de Paimpont ? Il voyait mal Madame Perrot s’amuser à monter un tel canular. Et de toute façon, pour atteindre ce grenier, il fallait passer par l’intérieur de la maison… Il avait été présent toute la journée !

         Malgré tout, Cérian jeta un coup d’œil à la fenêtre, pour s’assurer qu’elle était bien fermée. Ou alors… quelqu’un était venu la veille, pendant qu’il se baignait. Mais pour quoi… ? S’amuser à disposer des cailloux par terre ? Pourquoi précisément dans le grenier ?

         … Et d’où provenait cette lettre ?

         C’était lui-même qui avait emballé toutes les affaires de sa mère, sans l’aide de personne. Jamais il n’avait vu cette enveloppe jusqu’à présent. Pourtant il y avait bien son nom, avec l’écriture de Maeva, dessus…

         Curieux, le jeune homme la saisit. Elle était fermée par un cachet de cire représentant deux ailes de papillon. Pendant un moment, il la tourna et la retourna entre ses mains, à la recherche d’indices. Il y avait bien une lettre pliée à l’intérieur, son poids se faisait sentir. Le parfum de sa mère imprégnait l’enveloppe parcheminée qui venait d’un set de correspondance qu’il lui avait acheté pour un Noël, cinq ans plus tôt.

         Inutile d’étirer le suspense trop longtemps. Toute cette histoire l’intriguait, la réponse se trouvait peut-être littéralement dans ses mains. Cérian décacheta le courrier avec soin. À l’intérieur, il y avait bel et bien une feuille pliée en quatre. Là encore, l’écriture de Maeva l’attendait.

 

« Mon bichon,

Si tu reçois ce courrier, c’est que je ne suis plus là aujourd’hui et que je n’ai pas eu l’occasion de te parler. J’ai jeté un sort dans le grenier de notre maison, pour que tu ne puisses avoir ce mot qu’en cas de nécessité ou si tu es en danger. »

 

         Cérian redressa la tête, perturbé. Un sort ? Croire qu’un pendentif pouvait être associé à de la protection était une chose. De là à parler carrément d’un vrai sortilège, qui aurait dissimulé une lettre… ?    

         Et du danger… ?

 

« Je suis désolée de t’avoir menti pendant toutes ces années. Je t’ai caché bien des choses. S’il y a bien un élément sur lequel j’ai été honnête, c’est que je t’aime de tout mon cœur. À mes yeux, tu es et tu resteras à jamais mon petit garçon adoré, mon petit bichon. 

Tu dois faire extrêmement attention.

Tes ennemis… »

 

         De quoi parlait-elle ? Très perturbé, Cérian décrocha de sa lecture en réalisant que la lettre devenait de plus en plus grande et de plus en plus lourde dans ses mains ! Ou alors, était-ce ses doigts qui rétrécissaient… ?

         En relevant à nouveau les yeux, il poussa un cri de stupeur.

         Il rapetissait !

         L’étagère se transformait en géante ! Les lattes du plancher venaient à sa rencontre à toute vitesse !

         Le jeune homme se retourna, éberlué. Pippin feula en le regardant. Son adorable chat était beaucoup plus impressionnant sous cet inédit angle de vue !

         Obligé de lâcher la lettre, trop lourde pour ses mains, il se demanda combien de temps allait durer sa décroissance. Terrifié, il serra le pendentif en argent entre ses doigts, rassuré quelque part de constater qu’il s’adaptait à sa nouvelle taille. Tout comme son short. Au moins ça.

         Il réprima un haut-le-cœur. Son organisme n’aimait pas du tout ce brutal changement.

         Lorsqu’il atteignit une dizaine de centimètres de hauteur, Cérian cessa de rétrécir. Le corps tremblant, il n’osa pas bouger, trop choqué pour songer à faire un geste. La tête lui tournait, la pression lui était montée aux oreilles.

         Il voulait croire à un rêve. Ce serait le plus logique pour expliquer ce qui se produisait. Sauf qu’il faisait partie de ces quelques personnes capables de reconnaître les rêves lucides. Il savait donc toujours quand il était en train de rêver ou pas. Par acquit de conscience, Cérian regarda tout de même ses mains. Il voyait bien, avec netteté, cinq doigts à chacune d’entre elles. Un élément impossible à faire dans ses songes, elles restaient floues, c’était un code qui lui permettait de confirmer s’il dormait ou non.

         Mais c’est quoi ce bordel ?!

         Sa mère avait-elle vraiment des pouvoirs ? Avait-il enclenché un sortilège en lisant la lettre ?

         Il se tourna vers le papier, énorme, qui se trouvait devant lui. Puis, il entendit soudain un drôle de bruit. Comme celui des battements d’ailes de libellule. Pippin feula une nouvelle fois, puis bondit vers Cérian. Avec une exclamation d’effroi, le jeune homme se replia sur lui-même, les bras levés en signe de défense, certain qu’il allait l’attaquer ou le manger.

         Bien au contraire, son chat ne voulait pas du tout lui faire de mal. Tremblant, Cérian se retrouva à moitié caché par la patte avant droite de son animal de compagnie, son ventre noir et blanc lui offrait un étrange toit protecteur. La queue de Pip s’agitait, agacée. De sa gorge montait un grondement d’avertissement contre quelque chose d’autre.

         Il… Il me protège ?

         Encore plus perturbé, si tant est que ça soit possible, Cérian passa instinctivement ses deux bras autour de la patte devant lui, comme pour s’y accrocher au cas où…

         … au cas où il ne savait quoi.

         Ce faisant, il découvrit alors l’impensable. Devant eux, une dizaine d’êtres ailés, de la même taille que lui à peu de choses près, se posèrent sur le plancher.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez