Chapitre 5

Par Imane

Lorsqu’elle s’éveilla pour la seconde fois, elle était sous un abri de pierre en ruines. Complètement désorientée, il lui fallut quelques minutes avant de se souvenir de quoi que ce soit. Elle tourna légèrement la tête et vit Ixchel et Keiôs en pleine discussion. Cette vision suffit à lui rafraichir la mémoire. Elle se redressa d’un mouvement brusque. Alors qu’elle voulait se lever et rendre à cette barbare son coup de massue, elle sentit une main ferme sur son bras. Elle se tourna et vit Chaahk agenouillé près d’elle, un bol de bouillie verdâtre devant lui. Elle voulut lutter pour se libérer de son étreinte mais la tête lui tourna. Toute son énergie disparut et elle manqua de tomber en arrière. Chaahk lui attrapa la nuque de sa main libre et accompagna délicatement son geste afin de l’aider à se rallonger.

— Ne t’en fais pas, elle ne lui fera pas de mal. Maintenant si tu le veux bien, je dois m’occuper de ta blessure, alors reste tranquille que je t’explique pendant que je t’applique cet onguent. 

Elle abandonna et se tint calme. La substance qu’il appliquait sur son front lui faisait du bien et sa voix l’apaisait. Elle n’avait d’autre choix que de l’écouter.

Il lui expliqua qu’Ixchel l’avait protégée en l’attaquant. Pour échapper aux envoyés de l’Anax qui les avaient rattrapés, ils devaient se cacher. Compte tenu du peu de confiance que Theia avait en eux et du peu de temps dont ils disposaient, il fallait agir vite. Keiôs et elle sous des masques de jade passaient pour des offrandes humaines. Débarrassés d’eux, ils avaient repris la route jusqu’à cet abri. Theia rougit lorsqu’elle comprit que Chaahk l’avait transportée jusque-là. Il poursuivit son récit : 

— Keiôs nous a parlé de vos coutumes, des sacrifices et de vos dieux. Nous venons d’un village portant le nom du dieu Quetzalcóatl. Nos parents, dit-il en regardant Ixchel, en sont les chefs. Eux aussi devaient honorer les dieux après la Grande Inondation. Nous ne le savions pas mais ils noyaient les enfants afin que leurs larmes apaisent le dieu de la pluie. Lorsque nous l’avons appris, nous sommes partis. 

Theia était abasourdie. Ces deux guerriers n’étaient donc pas de simples vagabonds isolés, d’autres villages de survivants existaient, et bien différents du leur qui plus est. Tout se bousculait dans sa tête, chaque réponse amenait de nouvelles questions. Cependant, elle ne savait toujours pas pourquoi ils l’avaient sauvée. Il sortit un large livre en cuir plié à la manière d’un accordéon. Il lui expliqua que c’était un codex que leur avait laissé leur marraine. Il attira son attention sur la représentation d’un taureau dans la lumière. Il semblait se métamorphoser en déesse sur la page suivante.

— Selon ce codex, le taureau amènera un ordre nouveau. 

En disant cela, il fit un signe de tête en direction de son poignet. Elle rit. Tout cela lui paraissait ridicule. Il lui sourit. Lui, y croyait dur comme fer.

À la nuit tombée, ils se mirent en route vers le village d’Ouroboros. Celui-ci abritait un groupe de fugitifs en quête de vérité. Avant le départ de Chaahk et d’Ixchel, leur tante leur avait donné des indications aussi précieuses que confuses pour s’y rendre. Sortis de la forêt, ils savaient qu’ils devaient aller vers le sud, jusqu’à la mer mais ne savaient pas comment y parvenir. Theia, les guida grâce à ses connaissances en astronomie. Elle avait développé un intérêt pour certains domaines durant ses longues nuits d’insomnies. Au bout de quelques heures, ils arrivèrent aux portes d’un village. Trônant devant l’entrée, une immense bannière représentait un serpent tentant de se mordre la queue sans y parvenir. Ils étaient bien à Ouroboros. Des soldats vinrent les accueillir. Ils leur retirèrent leurs armes ­— non sans résistance de la part d’Ixchel ­­— et annoncèrent devoir les mener à un certain Omega.

Ce dernier les attendait dans une salle de réunion militaire. Theia pouvait distinguer une immense carte déroulée sur une table au centre de la pièce mais elle ne reconnaissait pas les lieux. Omega portait un casque qui recouvrait la quasi-totalité de son visage. Seuls ses yeux étaient visibles. Ils étaient graves et emplis d’un sentiment intense. Cet homme provoquait le respect, Theia comprenait pourquoi il semblait être le chef du village. Il s’appuya sur le bord de la table et les regarda tous les quatre :

— Bienvenue à vous. Vous avez sûrement dû faire un long voyage pour arriver jusqu’à nous. Ixchel et Chaahk, je dois vous avouer que je suis surpris et heureux de vous voir ici. Theia, tu as fini par arriver. Je me demandais quand Keiôs et toi partiriez enfin de Neoacheos.

Ils le regardèrent sans voix. Comment pouvait-il les connaître et surtout, comment pouvait-il savoir que Theia et Keiôs viendraient. Interdits, aucun d’eux ne put prononcer le moindre mot.

Omega reprit :

— Votre venue n’est pas un hasard. Theia, je suppose que tu as suivi une intuition qui te disait de fuir avant ta cérémonie, c’est bien cela ? Et toi, Keiôs, tu ne pouvais laisser Theia partir seule et puis, tu as dû lire la prophétie que ta mère t’a laissée. Vous êtes, tous les quatre, les élus de cette prophétie. Les dieux vous ont menés à nous. Vous êtes destinés à rétablir l’ordre. 

Theia écoutait mais sentait qu’une information essentielle lui échappait. Keiôs prit la parole à son tour :

— Donc si j’ai bien compris, l’un de nous serait le « Fléau de Minos » de la prophétie.

— Tout à fait, dit Omega en regardant Theia, le fléau du roi Minos est un taureau envoyé par Zeus pour séduire sa femme. Grâce à l’Oracle, nous savions que les quatre de la prophétie arriveraient bientôt et grâce à nos éclaireurs, nous savions que Theia et toi aviez fui le village.

— Et nous ? Que vient-on faire dans vos histoires de prophétie exactement ? lança Ixchel.

— Et bien, ce n’est qu’une hypothèse, mais il semblerait que les héritiers de nos deux mondes doivent s’allier, Neoacheos et Quetzalcóatl. Vous êtes la pluie : la force et la diplomatie. Chaahk et Ixchel sont les divinités de la pluie si je ne me trompe ?

Chaahk acquiesça et regarda sa sœur. Enfin la pièce manquante vint se greffer au puzzle de l’esprit embrumé de Theia. Omega semblait réellement les connaître. Et là, il l’avait confirmé. Il avait défini Neoacheos comme son monde.

— Qui êtes-vous ? se contenta-t-elle de dire.

— Tu ne l’as pas encore deviné ?

Derrière son casque, ses yeux n’étaient plus que deux fines fentes. Elle connaissait ce sourire :

­— Oléthros ? 

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