— Excusez-moi.
La voix juvénile sortit Satia de sa contemplation. Un page en livrée se tenait devant elle. Les souliers noirs parfaitement cirés, la veste violette rehaussée de quelques broderies dorées sur le col… elle se sentait terriblement déplacée avec son manteau poussiéreux et ses chaussures qui auraient mérité un coup de brosse.
— Puis-je vous débarrasser ?
Rouge de confusion, Satia se hâta d’enlever son manteau, lissa inutilement son pull. Eraïm ! Si elle avait su qu’elle était attendue par les Djicams, elle se serait changée !
— Suivez-moi, je vous prie.
Le cœur battant, Satia emboita le pas au jeune page. Plus ils avançaient, plus les portraits des Souverains se montraient récents. Jusqu’à Dionéris do Ravière, le Souverain actuel de la Fédération des douze Royaumes. Satia devina que le pan de mur vide serait lui aussi couvert de portraits, dans quelques centaines d’années.
Le page s’arrêta devant une porte en bois, recouverte de feuilles d’or fin et finement ouvragée.
— Entrez, dit-il en manœuvrant le lourd battant avec effort.
Circonspecte, Satia pénétra dans la salle.
La vive lumière l’éblouit, et sa vision mit quelques secondes à s'accoutumer. Elle se trouvait à l’entrée d’une pièce circulaire. Devant elle, à une dizaine de mètres, se trouvait Dionéris do Ravière, Souverain de la Fédération. Assis sur son siège en bois doré, son front cerné par le double cerceau d’or, symbole de son rang, il présidait la réunion des douze Djicams de la Fédération. Ses cheveux étaient bouclés et noirs, comme la courte barbe soigneusement entretenue qu’il arborait, les yeux d’un vert lagon qui perçaient l’âme dans son visage à la peau hâlée par le soleil. Il était connu de tous que le Souverain appréciait énormément les jardins du Palais : il avait été jusqu’à faire installer un bureau temporaire sous une tonnelle. Assis, il était difficile de se rendre compte de sa haute stature et de son physique athlétique. Aujourd’hui il portait l’uniforme d’apparat de son statut ; un pantalon noir orné de deux lignes verticales dorées, et une veste coupée dans un épais tissu violet aux broderies dorées. Sur le haut col était fixée une broche représentant le phénix.
Répartis en deux hémicycles, les représentants des douze planètes se tenaient chacun dans une petite loge frappée du symbole de leur Royaume, accompagnés le plus souvent par deux ou trois assistants. Ils portaient eux aussi le costume des cérémonies officielles, aux couleurs de leurs Royaumes respectifs. Des hommes et des femmes, drapés dans des voiles, sanglés dans des uniformes, surchargés de pierreries. Les Géants du Premier Royaume dominaient les hauteurs ; la peau des Atlantes du Deuxième Royaume miroitait à la lumière du soleil qui se déversait par les hautes fenêtres, les minuscules écailles bleu-vert s’illuminant au gré de leurs mouvements ; les ailes des Massiliens s’élevaient dans leur dos, soigneusement repliées.
Intimidée par l’atmosphère solennelle, Satia salua comme elle l’avait appris, souhaitant plus que tout être ailleurs. Son regard balaya les expressions des Djicams ; elle y lut de la satisfaction, de la circonspection et une pointe d’attente et de dédain.
Un frisson parcourut son échine. Dans ce silence inquisiteur, Satia n’en menait pas large. Ainsi, ses prédictions se vérifiaient. Le Souverain allait lui dire qu’il savait qui elle était, s’excuserait peut-être de la sacrifier à l’Empire, mais le bien commun de la Fédération passait avant sa seule vie, non ? Comment s’était-elle retrouvée dans ce pétrin ? Et par Eraïm, pourquoi Lucas se tenait-il aux côtés d’un autre Émissaire, trois pas derrière le Djicam de Massilia ? Pourquoi lui avoir assuré qu’elle ne risquait rien ?
Le Souverain Dionéris se leva, prit la parole.
—Satia Travira, fille du Douzième Royaume, j’ai décidé que tu serais mon Durckma. Les douze Djicams ont validé ce choix. L’acceptes-tu ?
Elle, choisie ?
Non, c’était impossible. Elle sentit ses mains trembler et les serra dans son dos pour masquer son trouble. Elle ravala sa salive. Impossible.
— Ce doit être une erreur, murmura-t-elle faiblement.
— Ce n’est pas une erreur, dit le Souverain Dionéris avec un sourire. Plutôt un honneur.
Oui, c’était un honneur, en effet.
En elle, l’incrédulité et la joie le disputaient à la peur.
Devenir Durckma. Vivre ici, au Palais, au milieu des servantes et des domestiques. Elle avait étudié le protocole jusqu’à la nausée ; comment garderait-elle son secret ici ? Autant envoyer un message à l’Empire pour lui signifier sa présence.
Accepter signerait son arrêt de mort. Elle évita soigneusement de croiser le regard de Lucas. Comment avait-il pu lui faire ça ? Elle était certaine qu’il était dans la confidence. Il n’était pas venu pour elle, mais pour la Durckma. Elle serra les poings. Et il ne lui avait rien dit. Il était où, l’honneur, là-dedans ? Elle se sentait trahie. Quelle enflure.
— Je suis désolée. Je ne peux pas accepter.
Satia releva la tête pour affronter les murmures surpris des Djicams. Ses sourcils se froncèrent malgré les larmes qui perlaient à ses yeux.
— Y’a-t-il une raison ? demanda doucement Dionéris, soucieux, les mains jointes sous son menton. La peur seule n’en est pas une.
Satia se mordit les lèvres, secoua la tête.
— Peut-être. Je ne peux vous en faire part.
— Oh, fit-il en se renfonçant dans son fauteuil.
Sa main vint caresser sa courte barbe en un geste inconscient.
— Que dis-tu d’un délai de réflexion, avant de nous donner ta réponse définitive ?
— Un délai ? répéta-t-elle, surprise.
— Pour en discuter avec ton père, ou toute autre personne de ton choix, poursuivit Dionéris.
— Vraiment ?
— Je refuse qu’une décision si importante pour le reste de ta vie, pour l’unité de la Fédération toute entière, repose sur une réflexion hâtive.
— Merci, dit-elle, soulagée. Puis-je partir ?
— Certainement. Sens-toi libre de revenir quand tu le jugeras nécessaire. Mais il nous faudra une réponse dans trois jours au maximum.
— Merci, répéta-t-elle en s’inclinant.
Quelle envie soudaine lui prenait-elle de faire une révérence alors qu’elle ne portait pas de robe ?
Elle effectua les trois pas arrière règlementaires avant de se retourner vers la sortie. Se calmer, marcher doucement. Une fois qu’elle aurait franchi la porte, elle serait en sécurité.
Elle referma derrière elle, s’autorisa un soupir. Le jeune page n’était plus là. Son cœur battait la chamade : elle s’était dangereusement exposée. Elle devait replonger dans l’anonymat le plus rapidement possible ; son père saurait quoi faire.
Ils devaient partir immédiatement.
*****
La porte était à peine refermée que les échos d’une course précipitée parvinrent aux oreilles des Djicams, suscitant çà et là des sourires discrets.
— Eh bien, cela ne s’est pas passé comme prévu, nota Rodrig d’Atlantis avec humeur.
Il lissa le pagne qui ceignait ses hanches, ajusta les plis du tissu mordoré, à peine plus brillant que ses écailles bleu vert.
— Elle est jeune, temporisa Alcor, le Djicam de Vénéré. Et elle ne s’y attendait pas.
— Pas plus que moi lorsque Lucinda m’a annoncé la nouvelle, releva Dionéris.
Il passa une main sur son visage, soucieux.
— Que ferons-nous si elle refuse pour de bon ?
— Elle reviendra sur sa réponse, dit Mickaëla, Grande Prêtresse d’Eraïm et représentante du Dixième Royaume, Mayar. Ce ne sera pas la première fois qu’un candidat refuse le poste en premier lieu, même si le cas ne s’est pas vu depuis longtemps.
— Je crains pour sa sécurité, intervint Ivan. Le personnel du Palais finira par parler.
— Je vous avais dit qu’elle refuserait, souffla Lucas, impassible.
Il se tenait immobile derrière le Djicam du Neuvième Royaume, les mains croisées dans son dos, Luor à ses côtés.
— J’imagine que vous avez une suggestion à nous proposer ? lança la centauresse Damia, Djicam du Quatrième Royaume.
— Oh, il va bien nous trouver un Mecer pour ce contretemps, j’espère, renifla Rodrig avec dédain.
— Seriez-vous d’un autre avis ? demanda posément Dionéris.
— Non, grinça le Djicam du Deuxième Royaume.
— Alors l’affaire est entendue. À moins que quelqu’un ne s’oppose à cette décision ?
Seul le silence lui répondit.
— Bien. Ivan ?
— L’Émissaire Lucas s’occupera de la surveiller. Et de nous la conduire, une fois qu’elle aura pris sa décision.
— Un simple Émissaire ? questionna Rodrig, sceptique. Sans même un seul Cercle ?
— Un gamin en plus, releva le Djicam du Huitième Royaume. Sérieusement ?
Lucas se força à desserrer les poings. Son jeune âge, encore et toujours. Que fallait-il pour qu’on le prenne enfin au sérieux ?
Laisse-les dire, souffla Lika. Laisse-les te sous-estimer.
C’est humiliant !
C’est un atout. Crois-moi.
— Elle le connait et lui fera confiance.
—Un bon choix, approuva Mickaëla avec un sourire. Il serait bien plus suspect de lui assigner un Messager trop âgé. Ils ne seront que deux jeunes en vadrouille.
— Si vous le dites, murmura Michnor en se renfonçant dans son fauteuil.
Lucas sentait bien que le Djicam de Niléa était sceptique. En même temps, qu’est-ce qu’un artiste connaissait des combats ?
Il n’est pas devenu Djicam par hasard, dit Lika. Il est compétent dans son domaine, quoi que tu en penses.
Étrange quand même qu’ils s’intéressent à elle, soudainement. La propulser ainsi en pleine lumière… vous le saviez ?
C’était l’une des voies possibles, énonça lentement l’oiseau de feu. Et qui n’est pas encore définie. Elle n’a pas besoin d’être Durckma pour être ce qu’elle est.
****
Satia ne s’arrêta de courir qu’une fois à l’intérieur de sa demeure. Pour faire bonne mesure, elle tira le verrou, avant de s’appuyer au battant, exténuée, le souffle court.
— Satia ? C’est toi ? fit la voix inquiète de Lisko.
— Oui, parvint-t-elle à répondre. Tout va bien.
— Tu es sûre ?
Son père apparut bientôt dans l’embrasure de la porte qui donnait sur l’entrée, les bras chargés d’un tissu ocre chatoyant.
— Dis-moi qu’on doit partir bientôt, l’implora-t-elle.
— C’est grave à ce point ? s’inquiéta aussitôt Lisko en se débarrassant de son tissu sur la première table à portée.
— Oui. Non. Je ne sais pas, murmura-t-elle en se laissant glisser au sol, la tête entre les mains.
Lisko s’accroupit près d’elle et caressa doucement sa joue.
— Nous allons trouver une solution ensemble, d’accord ? Laisse-moi le temps de fermer le magasin, puis nous discuterons. Tu peux préparer le thé pendant ce temps ?
— D’accord, soupira-t-elle.
— Bien. Je ne serai pas long, promit Lisko.
Restée seule, Satia se leva et prit enfin le temps de retirer son manteau et ses gants. Qu’est-ce qu’il lui avait pris de paniquer ainsi ?
Elle se dirigea vers la cuisine, versa l’eau dans la bouilloire avant de la mettre à chauffer. Puis elle sortit deux tasses, deux petites cuillères et attrapa la boite à gâteaux et le miel, disposa le tout sur la table. Elle ne résista pas à la tentation de croquer dans un biscuit aux amandes. La bouilloire siffla, alors elle l’enleva du feu avant d’y rajouter une poignée de feuilles de verveine.
— Voilà, fit Lisko en s’installant sur une chaise. Raconte-moi tout.
Elle lui résuma sa rencontre avec le Souverain et les Djicams de la Fédération.
— Ils veulent que je sois la Durckma, termina-t-elle.
Elle rajouta un peu de miel dans sa tasse et l’enserra de ses mains, laissant la chaleur se répandre en elle.
— Je vois, murmura Lisko en prenant une gorgée du chaud breuvage.
— Tu ne parais pas surpris, nota Satia.
— Je m’y attendais, lui avoua-t-il.
— Et tu ne m’en as rien dit ?
Une pointe de colère s’épanouissait en elle. Il savait, depuis le début ! Et jamais il ne lui avait parlé de ses soupçons.
— Satia…
— Tu m’imagines vraiment coincée dans ce Palais, à la merci des courtisans et des Seyhids ? Seule ? Et comment voudrais-tu que je masque encore la couleur de ma peau ?
Son ton s’était élevé dans les aigus au fur et à mesure de sa tirade.
— Il faudra bien qu’un jour ce secret n’en soit plus un.
Elle en resta sans voix.
— Depuis ta naissance je n’ai cherché qu’à te protéger, reprit-il. Il arrive un temps où la fuite n’est plus utile.
— Mais…
— J’ai réfléchi à la question, reprit-il. Nous avons beaucoup voyagé, et cela ne nous a pas permis d’éviter le danger. Camoufler ton apparence ne nous a jamais permis de passer totalement inaperçu. Les soldats de l’Empereur ont toujours fini par nous retrouver. Ou nous avons éveillé suffisamment de suspicions pour devoir changer d’endroit. Ton apparence n’est que la partie visible de ton ascendance, Satia. Tu le sais.
— Je n’en veux pas. Je veux juste… je veux juste être normale. Avoir des amis sans me demander qui va me trahir. Me rendre aux thermes, prendre un simple bain chaud dans une auberge sans craindre qu’on me découvre. Tu ne peux pas comprendre. Je ne montre au monde qu’un visage qui n’est pas le mien.
— Crois-tu être la seule à te plaindre de ton apparence ? N’as-tu pas vu au cours de nos voyages comme c’était le cas de tous les jeunes de ton âge ? Ne crois pas être seule à posséder un secret. Ils sont différents d’une personne à l’autre, mais sont le fardeau de tous.
Satia sentit la colère s’emparer d’elle. Cette discussion ne se passait pas du tout comme prévu ! Elle avait espéré trouver un soutien en son père, mais il s’ingéniait à lui prouver tout le contraire.
— Je monte, dit-elle brusquement, coupant court à la conversation. Bonne nuit.
Elle grimpa les escaliers au pas de course, tout à fait consciente de faire bien plus de bruit que nécessaire. Qu’il ose s’en plaindre ! Elle n’en revenait pas. Son père, qui se tournait contre elle ! Elle claqua la porte de sa chambre, se jeta sur son lit, frappa du poing son oreiller.
Qu’allait-elle faire, maintenant ?
Il s’écoula de longues minutes avant que sa colère ne s’étiole.
Elle avait vraiment paniqué. Quelle pauvre image elle avait donné ! Plus elle y repensait, plus la honte s’emparait d’elle. Elle n’avait pas songé à la proposition du Souverain comme à un honneur. Elle avait eu peur.
Peur de cette écrasante responsabilité. Peur de devoir révéler son secret au grand jour. Peur de quitter sa vie tranquille, où ses seuls soucis étaient de passer inaperçue et de ne pas faire de vague.
Elle était terrifiée par la perspective de ce nouvel avenir qui la forçait à sortir du cadre de ses petites habitudes. Son père avait raison, même si elle aurait préféré mourir plutôt que de le reconnaitre devant lui. Peut-être était-il temps d’en finir avec les secrets et d’assumer son identité. Que savaient vraiment le Souverain et les Djicams à son propos ? Elle avait besoin d’explications.
Elle se leva, s’enveloppa dans sa cape fourrée, et ouvrit la porte-fenêtre qui donnait sur un petit balcon. Un long frisson s’empara d’elle. La nuit était claire, et froide. Les étoiles scintillaient au-dessus d’elle en une myriade de points lumineux. Son souffle se condensait en petits nuages blancs.
— Lucas ?
Elle n’avait pas osé lever le ton. Était-il vraiment là, dehors, à veiller sur elle ? Les rues étaient désertes à cette heure.
— Lucas ? appela-t-elle plus fort.
Une bourrasque s’éleva, et elle recula d’un pas. Un Massilien se trouvait là, perché sur la rambarde du balcon, ses ailes s’élevant dans son dos dans un camaïeu de bronze.
— Je suis l’Émissaire Luor, Deuxième Cercle. Lucas n’est pas là ce soir. Un problème ?
— Oh. Non. Je voulais juste…
Elle ne savait plus quoi dire.
— C’est son tour de repos, mais je peux lui demander de venir, si c’est ce que vous souhaitez. Même si je doute qu’il vous soit reconnaissant de le priver de ses quelques heures de sommeil, ajouta-t-il avec une pointe de sarcasme.
Satia serra les poings.
— Vous…
— On s’énerve vite, hein ? coupa-t-il d’un ton moqueur. Bien trop jeune, c’est ce que je pensais.
— Je ne vous permets pas ! Si Lucas…
— Lucas maitrise ses émotions bien mieux que vous, demoiselle.
— Pourquoi êtes-vous là ? répliqua-t-elle, acide, les bras croisés sur sa poitrine.
— Parce que votre précieux Lucas me l’a demandé. Ce qui m’a surpris, je l’avoue, car je ne l’apprécie pas, et ce sentiment est réciproque.
— Oh, murmura-t-elle.
Il inclina la tête, et la lumière vint allumer des reflets dans ses yeux sombres.
— Je me demande vraiment ce que le Souverain a vu de si particulier en vous.
— Comment savez-vous ?
Luor haussa un sourcil, un pli moqueur au coin des lèvres.
— J’étais là.
Elle détourna le regard pour mieux ravaler la colère qui montait de nouveau en elle. Qu’il était exaspérant ! Elle détestait la suffisance qui transparaissait à chacune de ses paroles. On disait les Massiliens arrogants, et elle se demandait soudain pourquoi elle avait eu envie de réfuter ces accusations. Leurs ailes leur conféraient vraiment un air de supériorité ; et l’Émissaire qui se tenait à côté d’elle en était un parfait exemple. Évidemment qu’il était plus simple de se percher çà et là quand on ne risquait pas une chute fatale. Le Mecer se redressa et elle ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel alors qu’il jouait à l’équilibriste sur deux centimètres d’acier. Quel crâneur, vraiment !
— Vous êtes encore si jeune, dit Luor sans paraitre remarquer son expression. Ne réalisez-vous pas que bien d’autres personnes souhaiteraient être à votre place ? Ne parlons pas du pouvoir que vous acquerrez par la même occasion.
— Je me fiche bien du pouvoir, rétorqua-t-elle.
— Alors, quel est votre désir le plus cher ?
— Être libre de choisir ma vie, répondit-elle immédiatement.
— Eh bien, il me semble que vous aurez davantage d’opportunités de changer le cours de votre existence en étant Durckma. Sans parler de transformer celle des autres, selon votre idéal. Vous pouvez mépriser le pouvoir autant que vous le voulez, il reste la clé qui déverrouille nombre de portes.
— Ce n’est pas le seul moyen. Les efforts et la persévérance servent à ça également.
— Et tout peut être vain face à quelqu’un qui détient le pouvoir, rétorqua-t-il.
Elle plissa les yeux.
— Comment un Mecer peut-il raisonner de la sorte ?
Luor fit quelques pas et vint s’asseoir sur le rebord de la balustrade, les jambes dans le vide, les ailes dans son dos créant naturellement un contrepoids. Elle hésita à le rejoindre, juste par provocation.
— Devenir Mecer est techniquement à la portée de n’importe quel Massilien. Il suffit de réussir les tests d’entrée.
Satia croisa les bras.
— Je doute qu’appartenir à ce corps d’élite soit si facile.
— Je n’ai pas dit que ça l’était. L’École des Mecers n’ouvre ses portes qu’aux jeunes entre douze et quinze ans. On ne peut prétendre passer l’examen qu’une seule fois.
— N’importe quel idiot est capable de comprendre qu’il doit attendre ses quinze ans pour augmenter ses chances de réussite, dit-elle avec humeur.
Avant de se souvenir que Lucas était déjà Envoyé, lors de leur première rencontre, et que sa jeunesse l’avait justement surprise. Elle s’empourpra, espéra que l’Émissaire ne le remarque pas. L’amener à se tourner ainsi en ridicule, vraiment !
Le sourire de Luor lui apprit qu’il n’était pas dupe.
— Ça ne doit pas être si difficile, puisque vous avez réussi également, répliqua Satia pour tenter de reprendre la main dans leur discussion.
Contrairement à ses prévisions, l’Émissaire Luor ne releva pas le sarcasme. Il tendit le bras, et un faucon crécerelle vint se percher sur son poignet, les serres s’enfonçant dans l’épais cuir prévu à cet effet. L’oiseau émit un cri, aigu et âpre, avant de tourner sa tête vers la jeune fille. Elle eut impression qu’il était bien plus intelligent qu’il n’y paraissait. Le faucon mordilla doucement le doigt de l’Émissaire qui lissait délicatement les plumes de son cou, comme si une étrange affection les liait.
— Vous qui semblez mépriser le pouvoir, savez-vous comment la justice fonctionne sur Massilia ?
— Comme sur n’importe quel monde de la Fédération. La partie lésée peut demander un jugement à la Fédération des Douze Royaumes.
— Procédure qui peut s’avérer longue, et onéreuse.
— Mais équitable, contra Satia.
— Ou les réclamations peuvent s’en tenir au code Massilien, et se régler par un duel. Trouvez-vous cela équitable, jeune demoiselle ?
Elle grinça des dents, coincée. Les citoyens du Neuvième Royaume naissaient avec une arme entre les mains. Tous, hommes comme femmes, savaient manier l’épée, et le moins doué des Massiliens était capable d’en remontrer à un soldat dont c’était le métier. Et avec leur philosophie complexe basée sur l’honneur, les duels étaient légions, réglant nombre de querelles, des disputes les plus futiles jusqu’aux conflits d’intérêts qui embrasaient régulièrement les divers clans de la planète. Il suffisait d’être plus doué que l’autre pour avoir raison ; ce n’était pas rendre la justice comme l’entendait la Fédération.
Luor poursuivit :
— Je suis Émissaire, et je peux vous certifier que peu de Massiliens défient les Mecers, quelles que soient leurs actions. Détenir le pouvoir signifie avoir la possibilité d’imposer sa vision. Ne voyez-vous pas quelle opportunité vous est offerte ?
Satia se rembrunit. Ils souhaitaient lui montrer l’importance de choisir soi-même sa voie tout en lui imposant la sienne ?
— Trop têtue pour entendre la voix de la raison, hein ? continua Luor en esquissant un sourire face à son air buté.
D’un ample mouvement du poignet, il aida le faucon crécerelle à prendre son envol et le suivit du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse.
— Tout est calme. Puis-je vous laisser ?
Il se releva pour partir, ses ailes s’entrouvrirent pour se préparer à l’envol.
— Attendez. J’ai une dernière question.
— Laquelle ?
— Je n’ai jamais compris pourquoi les grades des Mecers étaient Envoyé, Émissaire et Messager… vous n’êtes pas des coursiers, non ?
Luor sourit avec un brin de condescendance.
— Lucas ne vous l’a pas expliqué ? En effet, nous n’apportons pas le courrier. C’est la mort, que nous amenons à nos ennemis. Belle soirée à vous, conclut-il avant de rejoindre les cieux dans un bond puissant.
Satia resta là un long moment, silencieuse, sonnée par les implications de cette dernière révélation. Elle avait toujours su que les Mecers étaient des soldats de terrain, au contraire de la Garde du Phénix qui protégeait le Palais, mais découvrir la réalité en termes si crus avait un goût d’amertume. Elle avait du mal à imaginer son ami Lucas en tueur implacable. À son âge, il devait plutôt être cantonné à des missions sans risques. Enfin, elle l’espérait.
Satia soupira. Encore une fois, les réponses lui échappaient.
Sinon, Lucas il abuse, et elle a bien raison de s’énerver après lui ! Et après son père aussi ! Sérieux, c’est quoi ces deux-là, qui ne lui disent rien ! 😡
J’ai bien aimé la logique du père ceci dit, en effet, elle ne pourra pas fuir toute sa vie, et en tant que duckma, elle pourrait être mieux protégée.
Surtout que je pensais qu’elle n’aurait pas droit au poste si elle révélait qui elle est. En fait j’avais cru comprendre que la fonction passait d’un territoire à un autre, mais soit j'ai mal compris, soit elle bien originaire de ce royaume (mais cela n'explique pas la peau violette, qui visiblement n'est pas présente ici) ? Ou alors n’importe qui peut être duckma, tout simplement ?
Et la question la plus importante que je me pose : comment sont choisis les durckma ? Visiblement très jeunes, mais pourquoi ? Quelles sont leurs fonctions ? J'ai du mal à cerner ça.
Sa couleur de sa peau est liée à une ascendance qui fait qu'elle est recherchée par l'empereur mais je garde le secret pas si longtemps de mémoire. Vrai que je pourrai lancer une fausse piste avec ça aussi, tiens.
Et elle est surveillée par Lucas (et le Djicam de Massilia), mais ça, on l'apprend plus tard pourquoi, et pour les autres Djicams elle n'est qu'une étudiante parmi d'autres.
Je vais voir si je modifie quelques trucs pour que ça apparaisse plus clairement, en tout cas. Merci :)
Juste un point au sujet de la réunion : j'ai eu du mal a suivre qui parlait parmi les différents souverains. Je pense que ce serait bien de les décrire quand ils prennent parole pour mieux les mémoriser, plutôt que de les décrire au début et de lancer le débat juste après.
Il y a aussi un point qui m'a posé problème : pourquoi n'ont-ils pas pensé a choisir d'autres personnes en cas de refus ? Un peu comme dans le recrutement, ils devraient avoir une liste des personnes aptes à endosser les responsabilités liés au rand de Druckma. J'ai trouvé bizarre qu'ils aient été pris au dépourvu.
Autre point : je trouve qu'il y a des passages où il manque un peu du ressenti des personnages. Comme Satia face à l'assemblée, j'ai trouvé dommage que tu ne décrives pas un peu plus son anxiété quand elle arrive, etc. J'en demande peut-être beaucoup pour le coup.
Sinon, j'aime beaucoup cette histoire, et j'ai hâte d'en apprendre plus dans les prochains chapitres !
Originaires de l'Empire ? Je n'avais jamais eu cette hypothèse, c'est un point de vue intéressant ^^
C'est le souci avec les discussions de masse. En décrivant au milieu j'ai l'impression de couper / hacher le dialogue... mais doit falloir doser. Un peu avant, un peu pendant... noté.
Ils ont été un peu trop confiants dans leur choix, ouaip. Pas faux qu'ils dirigent et sont donc censés ne pas être trop cruchons (ou pas, ahah ^^). Mais une liste avec Laurelia aussi dessus ça serait marrant, tiens ^^
L'équilibre des émotions, c'est en effet délicat. Je verrai si j'arrive à rajouter une petite louche, mais, vu qu'ensuite elle décharge aussi chez le paternel... je regarderai à équilibrer tout ça ;)
Merci de ton avis, encore ^^